Les maladies liées au mauvais repliement des protéines, souvent causées par la formation d'amylodes, représentent un domaine fascinant et complexe de la biologie moléculaire. Ces fibrilles amyloïdes sont des agrégats stables qui se déposent dans les organes et les tissus, entraînant des pathologies variées. Elles sont caractérisées par une structure en « feuillet β croisé » qui joue un rôle clé dans leur stabilité. Contrairement à ce que l'on pensait auparavant, il est désormais établi que presque toutes les protéines peuvent, dans certaines conditions, former des amylodes. Ce phénomène peut se produire à partir de structures natives ou de régions désordonnées, ce qui souligne la flexibilité et la polyvalence des protéines en termes de repliement.

L'agrégation en amyloïdes dépend de l'ouverture de la chaîne polypeptidique dans le cas des protéines structurées ou de la stabilisation d'une structure dépliée pour les protéines intrinsèquement désordonnées (IDP). Ces agrégats solubles initiaux se transforment parfois en structures amyloïdes insolubles, un processus qui ne survient pas de manière isolée, mais qui dépend de plusieurs changements métaboliques ou de perturbations dans les voies de transduction du signal et d'autres processus régulatoires cellulaires.

L'un des exemples les plus intéressants de ce phénomène est l'alpha-fétoprotéine (AFP), dont l'élévation dans le sérum adulte est un marqueur de plusieurs pathologies, notamment le cancer. L'AFP et l'albumine sérique humaine (HSA) sont structurées de manière similaire, bien que l'AFP, une fois libérée de ses ligands, se transforme en une forme globulaire fondue qui favorise son activité immunosuppressive. Bien qu'elle ne forme pas d'amylodes elle-même, l'AFP fait partie d'un réseau de protéines impliquées dans la formation de structures amyloïdes, ce qui suggère une connexion plus profonde entre l'ordre et le désordre dans la biologie des protéines.

Un autre exemple frappant est celui de la protéine p53, connue pour son rôle crucial dans la réparation de l'ADN et l'intégration des signaux de naissance et de mort cellulaires. La p53 contient deux régions intrinsèquement désordonnées qui sont essentielles pour ses interactions avec plus de 150 gènes. Ces interactions, souvent médiées par les régions désordonnées, sont perturbées en cas de mutations, ce qui conduit à l'apparition de cancers dans divers tissus, tels que le colon, les poumons et le cerveau. Les modifications post-traductionnelles dans ces régions désordonnées influencent également la fonction de la p53, soulignant l'importance de ces domaines dans la régulation cellulaire.

Dans le contexte de la pharmacologie, la compréhension des protéines intrinsèquement désordonnées (IDP) et de leur capacité à interagir de manière "promiscuité" avec plusieurs partenaires est cruciale. Contrairement aux protéines globulaires structurées, qui ne peuvent induire un repliement qu'à des endroits spécifiques, les IDP sont capables de se lier à une multitude de cibles, ce qui rend leur étude encore plus pertinente pour le développement de médicaments. En effet, les IDP présentent des interactions biologiques plus complexes et plus flexibles, avec un potentiel thérapeutique encore largement inexploité.

Ainsi, bien que de nombreuses recherches aient été consacrées aux protéines structurées et à leurs fonctions biologiques, les protéines désordonnées, dont l'AFP et la p53 sont des exemples emblématiques, représentent une voie prometteuse pour la découverte de nouveaux traitements. Les régions désordonnées des protéines ne sont pas seulement des zones de "désordre", mais peuvent aussi être des régions actives, modulables, et même essentielles pour des processus biologiques spécifiques. Leur rôle dans les maladies, notamment le cancer et les maladies neurodégénératives, fait de ces protéines un sujet d'intérêt majeur pour la biotechnologie et la recherche pharmaceutique.

Pourtant, cette découverte ouvre aussi une nouvelle dimension de la polypharmacologie, un domaine où les médicaments sont conçus pour interagir avec plusieurs cibles protéiques, et où les interactions désordonnées sont devenues un élément clé. En effet, des études récentes ont montré que les protéines avec des régions désordonnées sont souvent des cibles privilégiées pour des médicaments à grande spécificité et efficacité. Cela démontre que la complexité du repliement et des interactions des protéines désordonnées pourrait permettre de mieux comprendre les effets secondaires des médicaments, ainsi que de concevoir de nouvelles stratégies thérapeutiques plus ciblées et moins risquées.

Les avancées dans la compréhension de ces mécanismes sont également cruciales pour surmonter les défis actuels de la médecine personnalisée. La capacité des protéines désordonnées à interagir avec plusieurs ligands et à moduler leur structure en fonction des besoins biologiques spécifiques pourrait permettre de concevoir des thérapies qui s'adaptent mieux aux variations individuelles entre patients. Il est donc essentiel d'intégrer cette connaissance dans le développement de nouveaux traitements qui visent non seulement à traiter la maladie, mais aussi à minimiser les effets secondaires en prenant en compte les particularités biologiques de chaque individu.

L'élargissement de l'arsenal thérapeutique contre les helminthiases : la redécouverte des médicaments

Les helminthiases, bien que souvent négligées, continuent de représenter un défi majeur pour les pays en développement, où elles imposent des fardeaux médicaux, sociaux et économiques considérables. Les traitements existants contre ces maladies parasitaires sont limités, et souvent, les médicaments actuellement disponibles, comme les benzimidazoles, ne parviennent pas à garantir une guérison totale ou une efficacité à long terme. Ces médicaments n'ont qu'une activité parasitostatique, ce qui signifie qu'ils freinent la croissance des parasites sans les éradiquer, nécessitant des traitements prolongés sur plusieurs années, voire toute la vie. De plus, ces traitements peuvent entraîner des effets secondaires sévères, tels que des embryotoxicités et des tératogénicités, réduisant ainsi la qualité de vie des patients (Koziol et Brehm 2015; Lundström-Stadelmann et al. 2019).

Cette situation a conduit à une recherche accrue sur la réutilisation de médicaments existants pour traiter des infections parasitaires, notamment celles causées par Echinococcus spp. Les premières études sur ce sujet ont porté sur des médicaments tels que l'ivermectine, le nitazoxanide, l'amphotéricine B et certains antipaludiques. Bien que des résultats prometteurs aient été observés dans des études expérimentales, la question de l'efficacité réelle de ces médicaments contre les formes adultes et larvaires des parasites reste en débat.

L'ivermectine, un médicament anthelmintique classique, a montré peu d'effets contre les larves de Echinococcus multilocularis dans les infections expérimentales chez les rongeurs, bien que des résultats plus encourageants aient été observés lorsqu'elle a été administrée avec des porteurs lipidiques nanostructurés pour traiter les protoscolex de E. granulosus in vitro (Ahmadpour et al. 2019). Cependant, des études in vivo restent nécessaires pour confirmer son efficacité. Le nitazoxanide, un dérivé thiazolide utilisé contre les infections intestinales causées par Cryptosporidium spp. et Giardia intestinalis, a montré des résultats prometteurs contre les métacestodes de E. multilocularis et E. granulosus, tant in vitro qu'in vivo, et a également été évalué en combinaison avec l'albendazole pour renforcer son efficacité (Stettler et al. 2004; Walker et al. 2004). Des tests cliniques initiaux ont montré que le nitazoxanide pourrait être utilisé dans le cadre d'une thérapie combinée avec l'albendazole pour traiter la cysticercose disséminée (Pérez-Molina et al. 2011).

L'amphotéricine B, un antifongique connu, a également montré des effets inhibiteurs sur la croissance des métacestodes de E. multilocularis, tant in vitro que chez des patients atteints d'échinococcose alvéolaire (Reuter et al. 2010). Ce médicament a été proposé comme traitement de secours dans les cas de résistance ou d'intolérance aux benzimidazoles (Burkert et al. 2022). Les antipaludiques, en particulier la méfloquine et les artémisinines, ont aussi montré une certaine efficacité contre E. multilocularis et E. granulosus, et ont été testés dans des modèles expérimentaux chez les rongeurs, bien que leur efficacité clinique reste partiellement confirmée (Memedovski et al. 2023; Wen et al. 2023).

Les dernières avancées dans la séquençation génomique des espèces Echinococcus, notamment E. multilocularis et E. granulosus, ont permis de mieux comprendre les vulnérabilités métaboliques de ces parasites et d'identifier des cibles potentielles pour la réutilisation de médicaments. Ces parasites ne sont pas capables de synthétiser des nucléotides de novo, mais dépendent des voies de sauvetage des nucléotides, ce qui rend les enzymes impliquées dans ces voies particulièrement attractives comme cibles thérapeutiques. Par exemple, l'hydroxyurée, un médicament anticancéreux inhibant la ribonucléotide réductase, a montré son efficacité pour inhiber la synthèse de l'ADN et tuer les protoscolex de E. granulosus in vitro (Panesso et al. 2023).

Les efforts de repositionnement de médicaments ne se limitent pas aux cestodes, mais s'étendent également aux trématodes alimentaires, responsables de maladies comme la fasciolose et la clonorchiose. Dans ce domaine, des médicaments comme l'oxfendazole et le tribendimidine, initialement développés pour traiter des infections causées par des vers ronds et des ténias chez les ruminants, ont été évalués pour traiter des infections humaines causées par des trématodes, avec des résultats mitigés. Par ailleurs, des études récentes ont montré que les antiprotozoaires, tels que le nitazoxanide, les artémisinines et la méfloquine, pouvaient avoir des effets thérapeutiques intéressants contre certaines espèces de trématodes alimentaires (Panic et al. 2014). Ces médicaments sont encore en évaluation dans le cadre de traitements alternatifs contre des infections alimentaires résistantes, notamment lorsque les traitements traditionnels, comme le triclabendazole, échouent.

Les dérivés de quinazoline, déjà approuvés comme antibiotiques ou anticancéreux, ont également suscité l'intérêt en tant qu'agent flukicide. Certains de ces composés ont montré une activité plus large contre les trématodes que le praziquantel, le médicament de référence pour le traitement de ces infections, et ont montré des effets prometteurs contre plusieurs espèces de flukes, y compris Fasciola hepatica, Clonorchis sinensis et Opisthorchis viverrini (Sprague et al. 2024).

La réutilisation de médicaments offre une avenue importante pour l'amélioration du traitement des helminthiases, notamment en raison de la limitation des options thérapeutiques existantes. Toutefois, bien que ces efforts de repurposing aient produit des résultats encourageants, leur succès clinique reste conditionné par la nécessité de poursuivre les recherches pour confirmer leur efficacité et leur innocuité dans des études plus larges. L'amélioration des plateformes de criblage, combinée à la génomique des parasites, devrait permettre de mieux cibler ces traitements et d'enrichir l'arsenal thérapeutique disponible.

L'utilisation des vaccins préexistants comme première ligne de défense contre les virus pandémiques : un choix viable ?

Le nombre de virus pandémiques émergents chaque année est alarmant, ce qui amène à se demander si l'utilisation de vaccins préexistants pourrait constituer une option viable pour faire face à ces crises sanitaires, avant le développement de vaccins spécifiques. Cette approche, appelée "réutilisation des vaccins", offre un potentiel pour une réponse rapide et économique. Son efficacité et ses défis sont à la fois fascinants et complexes.

La réutilisation des vaccins repose sur l'idée d'utiliser des vaccins déjà existants, initialement conçus pour protéger contre d'autres maladies, afin de lutter contre des pathologies nouvelles ou émergentes. Ce concept repose sur la solidité des profils de sécurité des vaccins actuels, leurs procédés de fabrication éprouvés et leurs systèmes de distribution déjà en place, permettant ainsi de gagner du temps et d'éviter les coûts exorbitants liés au développement de nouveaux vaccins. L'objectif n'est pas de remplacer le développement de vaccins spécifiques à une pandémie, mais de constituer une première ligne de défense en attendant l'apparition d'un vaccin ciblé. De nombreuses études suggèrent que cette stratégie pourrait représenter une alternative rapide et accessible, notamment dans les zones où les ressources sont limitées.

L'un des aspects les plus intéressants de cette stratégie est la possibilité que certains vaccins aient des effets non spécifiques (NSEs), au-delà de la protection contre la maladie pour laquelle ils ont été conçus. Des recherches récentes ont révélé que des vaccins comme le BCG (bacille Calmette-Guérin) ou le vaccin oral contre la poliomyélite (OPV) pouvaient exercer des effets protecteurs contre une gamme étendue d'infections, non seulement contre les pathogènes ciblés par ces vaccins, mais aussi contre d'autres maladies virales ou bactériennes. Ce phénomène de protection "hors-cible" (heterologous protection) soulève des questions fascinantes sur les mécanismes immunitaires sous-jacents et sur la manière dont les vaccins peuvent renforcer la réponse immunitaire contre des agents pathogènes variés.

L'un des meilleurs exemples de cette réutilisation efficace est le vaccin BCG, utilisé principalement contre la tuberculose. Bien que son but principal soit de prévenir cette infection, des études ont montré qu'il avait aussi des effets bénéfiques dans la réduction de la mortalité infantile dans des contextes où d'autres facteurs, comme la malnutrition et la pauvreté, affectaient les populations vulnérables. Les enfants vaccinés avec le BCG présentaient des taux de mortalité réduits de façon significative, même en dehors des infections liées à la tuberculose, un effet qui s'est avéré particulièrement marqué chez les filles. Les recherches ont même suggéré que ce vaccin pourrait avoir un impact positif contre des maladies comme la malaria, notamment en Afrique, où des études ont constaté une réduction notable des taux de morbidité et de mortalité liés à cette maladie après la vaccination.

Le vaccin oral contre la poliomyélite (OPV) présente également des effets non spécifiques intéressants. Bien qu'il ait été conçu pour prévenir la poliomyélite, des études ont montré que ce vaccin offrait également une protection contre des virus respiratoires comme le virus de la grippe, et même des effets antitumoraux. Des essais ont démontré qu'il pouvait réduire de manière significative l'incidence des maladies respiratoires aiguës et de la grippe saisonnière, non seulement en raison de la stimulation de l'immunité locale, mais aussi en raison de ses effets plus larges sur l'immunité cellulaire et la suppression tumorale. Cette découverte souligne la complexité du système immunitaire et l'importance des effets potentiels inattendus de vaccins déjà bien établis.

Il est également essentiel de considérer que tous les vaccins ne se comportent pas de la même manière. La distinction entre vaccins vivants et non vivants (inactivés) est cruciale pour comprendre leurs effets sur le système immunitaire. Les vaccins vivants, comme ceux contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR), ou la varicelle, semblent offrir une meilleure protection non spécifique en raison de leur capacité à stimuler plus efficacement l'immunité innée. À l'inverse, les vaccins inactivés, comme ceux contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche, bien qu’efficaces contre les maladies spécifiques pour lesquelles ils sont conçus, semblent moins capables d’offrir une protection contre d'autres infections.

Cela s'explique par le fait que les vaccins vivants atténués peuvent activer plus fortement les récepteurs du système immunitaire, en particulier les récepteurs Toll-like, qui jouent un rôle majeur dans la réponse immunitaire innée. Les résultats d'études animales ont démontré que des souris vaccinées avec un vaccin grippal atténué étaient protégées contre des infections respiratoires comme le virus respiratoire syncytial (RSV), alors que des souris vaccinées avec un vaccin inactivé ne bénéficiaient pas de cette protection. Ces données renforcent l'idée que certains vaccins peuvent offrir une protection élargie, loin au-delà de ce pour quoi ils ont été initialement conçus.

L'utilisation des vaccins préexistants dans un contexte pandémique représente une avenue prometteuse, mais elle n'est pas sans défis. Le principal obstacle reste la nécessité d'une compréhension approfondie des effets non spécifiques des vaccins, ce qui exige davantage de recherches sur les mécanismes immunitaires sous-jacents. De plus, il est crucial de prendre en compte les spécificités des différents vaccins en fonction des virus émergents et de la population cible. Par exemple, certains vaccins vivants, bien qu'efficaces contre un large éventail d'infections, peuvent ne pas être adaptés à certaines personnes, notamment celles immunodéprimées, pour lesquelles les vaccins vivants peuvent présenter des risques.

En somme, la réutilisation des vaccins offre un moyen potentiellement rapide et économique de répondre aux menaces sanitaires mondiales, mais cette approche doit être accompagnée d'une évaluation minutieuse des effets secondaires et de l'efficacité dans des contextes variés. Un effort de recherche mondial doit être mis en place pour mieux comprendre les effets immunologiques étendus de ces vaccins et pour déterminer quels sont les meilleurs candidats pour une utilisation hors cible en cas de pandémie.