Le carbone incorporé (CI) dans le secteur de la construction représente l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre générées durant l’extraction des matières premières, la fabrication, le transport, la mise en œuvre, la maintenance et enfin l’élimination des matériaux de construction. Ce concept s’inscrit dans une problématique cruciale, puisque, selon le World Green Building Council, le secteur du bâtiment est responsable de 39 % des émissions mondiales de CO2 liées à l’énergie. Or, pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris visant à limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C d’ici 2050, il est indispensable de réduire drastiquement ces émissions dès la conception et la réalisation des ouvrages.

L’approche traditionnelle, reposant sur une compréhension approximative des émissions à chaque étape, se révèle insuffisante pour suivre et maîtriser cette empreinte carbone. Le principal défi réside dans la quantification précise du carbone incorporé en amont, notamment durant les phases de production des matériaux (A1-A3) et de construction (A4-A5). Ces phases sont critiques : dans le cas des structures, l’impact carbone peut représenter jusqu’à 65 % de l’empreinte carbone totale d’un projet. L’identification des leviers d’action passe alors par une analyse rigoureuse et méthodique, fondée sur des normes reconnues, comme la méthode décrite par l’Institution of Structural Engineers dans son guide « How to calculate embodied carbon, 2nd Edition ».

Face à cette complexité, la solution proposée par Eckersley O’Callaghan (EOC) repose sur le développement d’un plugin automatisé, EOC ECO2, intégré à Autodesk Revit. Cet outil permet de calculer directement, depuis le modèle numérique BIM, les émissions de carbone incorporé liées aux choix structurels et matériels. Cette automatisation facilite non seulement la traçabilité des données, mais aussi la comparaison avec des cibles de réduction ambitieuses définies par des organismes tels que le Royal Institute of British Architects (RIBA) ou le London Energy Transformation Initiative (LETI). Ces références proposent des seuils d’émissions à ne pas dépasser, en fonction des typologies de bâtiments et des étapes de projet.

L’analyse des projets récents souligne que le respect des objectifs est envisageable à court terme dans le secteur britannique, notamment jusqu’en 2030. Cependant, au-delà, une transformation profonde des pratiques sera nécessaire, passant par une économie circulaire généralisée, un recours accru à la rénovation plutôt qu’à la construction neuve, ainsi qu’une adoption plus systématique de matériaux régénératifs. La collecte et la capitalisation des données issues du BIM représentent un levier fondamental pour diffuser les bonnes pratiques à l’échelle industrielle.

Un point essentiel à comprendre est que la réduction du carbone incorporé ne peut se cantonner à une simple optimisation ponctuelle. Elle implique une vision systémique intégrant la chaîne complète de vie du bâtiment, la flexibilité des modèles de conception et l’adoption de processus collaboratifs entre architectes, ingénieurs, fabricants et utilisateurs finaux. L’outil EOC ECO2 illustre la montée en puissance des technologies numériques dans cette transition, mais il ne remplace pas une démarche intégrée où la connaissance des impacts environnementaux guide les choix à chaque étape.

Enfin, cette démarche de mesure et de réduction du carbone incorporé est un préalable nécessaire pour atteindre une construction réellement durable. Elle complète la transition vers des systèmes énergétiques décarbonés et doit s’accompagner d’une volonté politique et économique forte, ainsi que d’un engagement collectif des acteurs de la filière. Seule une approche rigoureuse, fondée sur des données fiables et des outils performants, permettra d’infléchir durablement les tendances actuelles et de construire un avenir où le bâti concilie innovation, qualité et respect de l’environnement.

Quelles sont les tendances et défis liés à l’interopérabilité des données dans l’industrie de la construction ?

Les défis d’interopérabilité dans le domaine de la construction et de l’ingénierie, particulièrement en ce qui concerne l’échange de données entre différents systèmes logiciels, ont été un sujet majeur de recherche ces dernières années. L’un des obstacles les plus fréquents réside dans la diversité des modèles de données et des formats utilisés, rendant l’intégration des informations provenant de sources variées souvent complexe et fastidieuse.

Les normes du Web sémantique, telles que celles proposées par le W3C, ont introduit des moyens d’améliorer l’interopérabilité des données à travers des protocoles et des formats de données communs. Cependant, bien que des ontologies telles que IfcOWL et Building Topology Ontology (BOT) aient été développées pour structurer les données liées aux bâtiments, il existe encore une disparité importante entre les systèmes utilisés dans l’architecture, l’ingénierie et la construction (AEC), ce qui limite leur capacité à interagir efficacement.

L’un des principaux axes de développement dans ce domaine est l’utilisation des données liées (Linked Data), un concept qui repose sur l’interconnexion d’entités par des triples (sujet, prédicat, objet) dans des systèmes comme le Resource Description Framework (RDF). Ce modèle permet de lier les différentes informations de manière décentralisée, rendant les données plus accessibles et réutilisables. Cependant, l’adoption de ces technologies reste limitée par la complexité de leur mise en œuvre et la nécessité de maintenir des systèmes interconnectés cohérents à travers divers domaines.

Dans le cadre de l’industrie AEC, des projets comme Speckle ont émergé pour faciliter la gestion des données et la collaboration en temps réel. Speckle est une plateforme open-source de communication de données qui permet l’échange de données géométriques entre différents logiciels en utilisant des connecteurs dédiés. Ce système repose sur un schéma central d’objets, les Speckle Kits, qui assurent la conversion des données entre différents formats et outils. Cette approche modulaire présente des avantages en termes de rapidité de déploiement pour un logiciel spécifique, mais elle implique aussi des défis, notamment la nécessité de gérer de multiples conversions pour chaque logiciel cible.

Les Speckle Kits sont organisés autour de deux catégories principales : la Géométrie (qui inclut des éléments comme les points et les lignes) et les Éléments construits (comme les poutres, les portes et les conduits). Cela permet de séparer clairement les données géométriques des données associées aux éléments physiques du bâtiment, ce qui est essentiel pour maintenir une organisation cohérente des informations au sein de la plateforme.

Toutefois, le développement de ces outils repose largement sur la capacité à intégrer des ontologies et des schémas ouverts qui peuvent facilement se connecter à d’autres systèmes et permettre une meilleure interopérabilité entre les différents acteurs de la conception et de la construction. Par exemple, le schéma IfcOWL est une ontologie étendue qui permet de décrire les entités, les types et les propriétés selon le modèle IFC (Industry Foundation Classes), mais sa portée étendue peut compliquer son utilisation dans des contextes plus spécialisés.

Il est essentiel de comprendre que, bien que des efforts considérables aient été faits pour intégrer des données de manière plus fluide, les défis d’interopérabilité ne peuvent être résolus uniquement par la création de nouveaux outils. Il est tout aussi important d’implémenter des processus et des standards qui favorisent une meilleure collaboration entre les différents systèmes et disciplines. La clé réside dans une gestion centralisée des données qui soit à la fois ouverte, décentralisée et capable de se connecter aux outils et aux modèles existants.

L’adoption croissante des technologies de données liées, des ontologies ouvertes et des plateformes de communication comme Speckle pourrait significativement transformer la manière dont les données de construction sont gérées, facilitant une collaboration plus fluide et une prise de décision plus rapide. Cependant, cette transformation dépendra largement de la capacité de l’industrie à adopter des standards communs et à surmonter les défis liés à la gestion et à l’interopérabilité des données tout au long du cycle de vie du bâtiment.

L'Intégration du Design Paramétrique et Génératif dans l'Architecture et la Fabrication Numérique

Dans un monde où l'innovation technologique transforme constamment les méthodes de conception, l'architecture et la fabrication industrielle ont vu un développement accéléré grâce à l'intégration du design paramétrique et génératif. Ces approches ne sont plus de simples outils de recherche formelle, mais des éléments centraux de la conception moderne, permettant aux concepteurs de tester un nombre infiniment plus grand de solutions qu'avec les méthodes traditionnelles, avant de sélectionner la meilleure option.

Le design paramétrique, en tant qu'approche fondamentale dans ce processus, repose sur des paramètres définis par le concepteur. Les outils de conception, comme Grasshopper®, sont initialement utilisés pour la recherche de formes complexes, permettant de gérer des morphologies difficiles à traiter dans d'autres environnements de conception. Cependant, au fur et à mesure de leur évolution, ces outils ont permis de réaliser des bâtiments à formes libres, complexes, jusqu'alors inaccessibles par les méthodes traditionnelles. L'extension de cette technologie à d'autres logiciels, tels qu'Archicad® et Tekla Structures®, a radicalement modifié la façon dont le design paramétrique est perçu et utilisé. Ce dernier n'est plus seulement une phase préliminaire de la conception, mais devient un véritable moteur de l'évolution du projet tout au long de son cycle de vie, depuis les premières esquisses jusqu'à la phase de construction.

L'innovation continue avec le lancement de rhinoceros.inside, une extension permettant à Grasshopper® de fonctionner dans des environnements BIM tels que Revit® ou Tekla Structures®. Grâce à cette avancée, il devient possible de générer des scripts capables d'automatiser des processus de modélisation complexes, tout en permettant même aux utilisateurs n'ayant pas de connaissances approfondies en design paramétrique de tirer parti de ces outils. Cette évolution marque un tournant important, où la conception paramétrique se fusionne avec le modèle d'information du bâtiment (BIM) pour automatiser de nombreux processus répétitifs tout en maintenant une flexibilité suffisante pour intégrer des modifications manuelles.

Dans le secteur de la construction, une autre révolution a eu lieu avec l'émergence de la méthode DfMA (Design for Manufacturing and Assembly). Inspirée par les industries avancées comme l'automobile et l'aérospatiale, cette approche vise à simplifier la conception d'un produit afin de faciliter sa fabrication et son assemblage. En combinant les principes du design pour la fabrication (DFM) et du design pour l'assemblage (DFA), le DfMA permet de réduire la complexité des opérations, d'améliorer la qualité de fabrication grâce à un contrôle strict dans les usines de préfabrication, et de diminuer les coûts liés à l'assemblage sur site. Dans cette optique, la transition de la conception "basée sur des dessins" à une conception "basée sur des modèles" ne se limite pas à la phase de conception, mais s'étend également aux processus de production et d'assemblage sur le chantier.

Le processus DfMA requiert un niveau de détail extrême dans la conception, car chaque composant doit être clairement défini pour garantir sa fabrication et son assemblage. Les informations relatives à chaque composant doivent être extraites du modèle afin de pouvoir être utilisées pour la fabrication, qu'il s'agisse de pièces standardisées ou de composants sur mesure nécessitant des machines à commande numérique (CNC). De plus, des dessins d'opération doivent être extraits pour les tâches manuelles, comme celles réalisées par les artisans sur site. Toutefois, malgré son efficacité, le DfMA est encore limité dans son application au secteur de la construction. Il est principalement utilisé lors des phases de fabrication préliminaires, impliquant des préfabricateurs ou des métalliers, mais son intégration dans les premières étapes de conception reste insuffisante.

C'est là que l'intégration de la modélisation de l'information de fabrication (FIM) devient essentielle. Le FIM combine les avantages du BIM avec les méthodologies de DfMA, permettant une planification et une gestion des composants avec une vision complète de leur fabrication et assemblage. Cette méthodologie favorise une collaboration accrue entre les différentes parties prenantes du projet, offrant un environnement numérique commun pour la conception, la production et la gestion des composants.

Une des clés de la réussite de cette approche repose sur la compréhension des exigences spécifiques de production pour chaque composant. Les composants standardisés, largement disponibles, peuvent être directement extraits du modèle, tandis que ceux nécessitant une fabrication sur mesure doivent être accompagnés de fichiers pour la machine CNC. Cela permet de maintenir un haut degré de précision tout en optimisant les processus de fabrication et d'assemblage.

Enfin, bien que l'utilisation des outils BIM dans les processus DfMA soit un avantage indéniable, il est essentiel de reconnaître que cette méthode n'est pas encore pleinement intégrée dans tous les aspects de la construction. Pour que la transition vers un modèle de conception plus avancé, comme le FIM, soit véritablement efficace, il faut que les différents intervenants du secteur adoptent des pratiques de conception et de fabrication numérique dès les premières étapes du projet. Cela demande une évolution de la culture de l'industrie, en particulier dans les secteurs traditionnels, pour tirer parti de la puissance des outils numériques et automatisés qui s'offrent aujourd'hui.