Le néolibéralisme, dans ses manifestations contemporaines, représente une transformation profonde des relations entre l’État, l’économie et la société. Né de la volonté d’affirmer le marché libre tout en affaiblissant les structures étatiques traditionnelles, ce courant de pensée politique a influencé non seulement les politiques économiques mais aussi les régimes d’intégration et de citoyenneté. Dans cette optique, la citoyenneté ne se limite plus à un statut légal figé, mais devient un enjeu mouvant, constamment redéfini par les flux migratoires et les pressions de la mondialisation.

L’immigration apparaît comme un défi central dans les démocraties libérales modernes, où la gestion des frontières, la régulation des entrées et les politiques d’intégration oscillent entre inclusion et exclusion. Les États compétitifs, sous l’effet de la globalisation, se retrouvent contraints de concilier attractivité économique et contrôle des populations. Cette tension génère des débats intenses sur la nature même de la citoyenneté : doit-elle être un droit universel, conditionnel, voire révocable ? Des politiques restrictives, telles que les systèmes à points ou les conditions d’intégration renforcées, témoignent d’une volonté de sélectionner, contrôler et hiérarchiser les individus sur la base de critères économiques, culturels ou sociaux.

Cette reconfiguration de la citoyenneté s’accompagne d’une montée des revendications identitaires, où la dignité et le ressentiment s’entrelacent. Les peuples et groupes sociaux éprouvent un sentiment de dépossession face aux transformations économiques et culturelles engendrées par le néolibéralisme et la mobilité accrue des populations. Le populisme, qu’il s’incarne dans des mouvements nationalistes ou dans des critiques radicales de la globalisation, s’inscrit dans cette dynamique : il conteste la prétendue universalité des valeurs libérales, revendique la protection des appartenances ethniques ou nationales, et remet en cause les élites perçues comme déconnectées des réalités populaires.

À travers ces tensions, la notion de citoyenneté est à la fois politique, juridique et culturelle. Elle interroge la place des étrangers, la possibilité de dénationalisation ou de perte de la citoyenneté, ainsi que les mécanismes par lesquels les États modernes cherchent à préserver leur cohésion interne dans un contexte de mobilité accrue. Les débats sur la privation de la nationalité, la conditionnalité des droits civiques ou encore les stratégies d’intégration révèlent les paradoxes d’un système où la souveraineté étatique se heurte à la libre circulation des personnes.

Il est crucial de saisir que la citoyenneté ne se réduit pas à un simple acte administratif : elle est la clé de voûte de la reconnaissance sociale, de l’accès aux droits fondamentaux et de la participation politique. Le lien entre citoyenneté et reconnaissance identitaire est d’autant plus vital que les politiques néolibérales tendent à atomiser les sociétés, en renforçant les inégalités économiques et en fragmentant les solidarités collectives. La coexistence des droits individuels avec les appartenances collectives impose une réflexion sur la manière dont les sociétés démocratiques peuvent conjuguer ouverture et protection, diversité et unité.

Enfin, l’étude des politiques migratoires et des idéologies politiques associées montre que le débat sur la citoyenneté est indissociable des enjeux économiques globaux, des mutations culturelles et des dynamiques sociales. Comprendre cette complexité est indispensable pour appréhender les crises actuelles de la démocratie libérale et pour envisager des réponses capables de concilier justice sociale, reconnaissance politique et cohésion sociale dans un monde interdépendant.

Comment la politique migratoire de Cameron a ouvert la voie au Brexit : une analyse des choix politiques et de leurs conséquences

Le débat sur l'immigration a été un élément clé de la politique britannique tout au long des années 2000 et 2010, et les choix faits par les gouvernements successifs ont profondément influencé le climat politique qui a conduit au Brexit. Dès les années 2010, le Premier ministre britannique David Cameron s'engageait dans une voie modérée en soutenant une "Grande-Bretagne multiraciale", qu’il qualifiait de "réussite". Pourtant, au fil du temps, ses prises de position, en particulier en matière d'immigration, allaient se durcir, notamment avec la promesse de réduire la migration nette à "des dizaines de milliers" par an, une promesse qui, en réalité, allait se heurter à la réalité de la politique migratoire et finir par alimenter le ressentiment populaire.

Au lendemain de la défaite électorale de 2010, les Conservateurs, sous la direction de Cameron, cherchaient à répondre à la pression de l’opinion publique sur l'immigration. L’immigration, selon Cameron, n’était plus un problème lié aux "différentes couleurs" mais à des "niveaux" d’immigration trop élevés, en particulier face à la pression exercée sur les services publics : "l'école, les hôpitaux, le logement". Cette analyse, bien que partiellement fondée, laissait de côté les aspects plus complexes du phénomène migratoire, notamment la nécessité de réévaluer les termes de l'intégration et les conséquences socio-économiques de l'immigration de haute compétence, tout en se concentrant sur une vision simpliste de la question migratoire.

La promesse faite dans le manifeste conservateur de 2010 de ramener la migration nette à "des dizaines de milliers" par an se révéla irréaliste, notamment en raison de la composante élevée de l’immigration en provenance de l’Union européenne et des engagements constitutionnels de la Grande-Bretagne vis-à-vis des demandes d'asile et des migrations familiales. Bien que le gouvernement de Blair ait mis en place une politique libérale et "gérée" d'immigration, Cameron allait opter pour une démarche plus restrictive, menée par sa ministre de l'Intérieur, Theresa May, qui n’hésitait pas à imposer des restrictions sévères sur l’immigration de travailleurs qualifiés et d’étudiants étrangers.

La politique de Cameron en matière d'immigration allait en effet s’accompagner de mesures drastiques, comme la réduction drastique des visas dans le cadre du système de points pour les travailleurs qualifiés, en particulier ceux sans offre d’emploi préalable. Parallèlement, les étudiants étrangers, une source importante de revenus pour les universités britanniques, étaient désormais comptabilisés dans les chiffres de l’immigration nette, ce qui contribua à une diminution de 21 % du nombre de visas étudiants en 2011. Une décision qui allait se révéler dommageable pour les établissements d’enseignement supérieur, en plus de nuire à la réputation du Royaume-Uni en tant que destination attractive pour les talents internationaux.

Les mesures restrictives se poursuivirent avec la mise en place d'un seuil financier de 18 600 livres pour les demandes de regroupement familial, une somme qui excluait près de la moitié des citoyens britanniques de la possibilité de faire venir un conjoint étranger. Le gouvernement de Cameron poursuivit également une politique de "climat hostile" à l’égard des migrants illégaux, ce qui se traduisit par des contrôles de plus en plus intrusifs au sein des écoles, hôpitaux, entreprises et même chez les propriétaires. Ces mesures, bien qu’elles aient permis de répondre à une partie des préoccupations publiques, restèrent cependant inefficaces face à l'augmentation du nombre de migrants, en particulier ceux en provenance de l’Europe du Sud, suite à la crise de la dette européenne.

Les années suivantes ont vu la situation se détériorer avec un nouvel afflux de migrants, notamment suite à l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne en 2007, et à la fin de la période de transition en 2013. L'objectif des "dizaines de milliers" est devenu un point de friction entre la réalité de la politique migratoire et les attentes populistes croissantes de la société britannique, alimentées par la presse à sensation et le Parti de l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP), qui faisait de l'immigration un cheval de bataille majeur.

Finalement, le tournant décisif de la politique de Cameron, qui allait précipiter le pays vers le Brexit, fut sa décision de tenir un référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne. Ce référendum, envisagé initialement comme une réponse aux pressions internes de son propre parti, se transforma en un piège politique. Bien qu’il ait cherché à calmer les eurosceptiques avec des concessions de l’UE, notamment en matière d’immigration, ces efforts furent jugés insuffisants par la presse et par une large partie de l’opinion publique, ce qui alimenta davantage les sentiments anti-européens. Cameron, pris entre deux feux, se retrouva piégé par un problème qu'il n'avait pas anticipé : la demande de contrôle de l’immigration devenait un argument central de la campagne pour le Brexit, et la promesse de réduire l'immigration fut l'un des catalyseurs majeurs de la victoire du "Leave".

L’échec de la gestion de l’immigration par Cameron et son gouvernement ne fut pas seulement une question de politique intérieure mais aussi un symptôme des tensions grandissantes entre l’identité nationale et les préoccupations économiques et sociales liées à la mondialisation. Ce dilemme, qui a traversé plusieurs années de débats politiques, a mis en lumière la difficulté de concilier ouverture et protectionnisme, ce qui a fini par devenir l'une des causes profondes du Brexit.

L’évolution de la citoyenneté : du libéralisme à la citoyenneté "méritée"

Dans le contexte actuel, la gestion des frontières et l’application de la politique d'asile ont pris une importance considérable, non seulement en raison des défis géopolitiques contemporains, mais aussi à cause de la résonance de cette problématique avec les horreurs du passé. Le contrôle des frontières, tout en étant un aspect fondamental de la souveraineté d'un État, révèle aussi la complexité d’une politique d’asile crédible. Cette tension entre le libéralisme et la sécurité publique soulève des questions sur la nature de l’État moderne et sur ses fonctions essentielles de protection des sociétés, tout en interrogeant son rôle face à des dilemmes humanitaires.

La citoyenneté, dans sa forme la plus classique, constitue un mécanisme de « fermeture sociale » qui délimite une frontière entre ceux qui sont considérés comme faisant partie d’une nation et ceux qui en sont exclus. C’est à la fois un instrument de triage, séparant les individus aux frontières, et un objet de fermeture, un statut que l’on acquiert selon des critères spécifiques. Cette approche de la citoyenneté, selon laquelle il existe une distinction inhérente entre l’« intérieur » et l’« extérieur », interroge sur sa compatibilité avec un monde globalisé où les notions de droits humains ont peu à peu pris le dessus, offrant des protections même aux non-citoyens.

Cependant, cette dynamique s'est progressivement redéfinie sous l'influence du régime international des droits humains, où les non-citoyens ont progressivement gagné des droits, et où les différences entre citoyens et non-citoyens se sont atténuées. À cet égard, plusieurs travaux théoriques sur la citoyenneté post-nationale et transnationale ont montré que cette institution perdait ses contours nationaux pour s'adapter à un cadre plus global et universel, tout en restant fondée sur des principes libéraux. Ce phénomène est particulièrement visible dans les États occidentaux où la citoyenneté a progressivement perdu de son caractère exclusif, notamment en raison de l'intégration accrue des résidents permanents aux droits réservés auparavant aux citoyens.

Néanmoins, cet assouplissement libéral a été critiqué et a conduit à l'émergence d’un nouveau paradigme : la citoyenneté « méritée ». Ce concept, qui s’inscrit dans une vision néolibérale et nationaliste de la citoyenneté, repose sur l’idée que le statut de citoyen ne doit plus être un droit acquis, mais plutôt un privilège qui doit être « mérité » par un engagement actif dans la société. Contrairement à la citoyenneté libérale, où l’accent est mis sur l’égalité et l’accessibilité du statut, la citoyenneté méritée place la responsabilité sur l’individu, exigeant d’elle une « performance » qui dépasse celle du citoyen moyen. Cette notion renforce l’idée d’une citoyenneté comme « prix », accessible uniquement à ceux qui ont prouvé leur capacité à contribuer de manière significative à la société.

Le concept de citoyenneté méritée s’inscrit dans une logique néolibérale où l’individu doit se montrer capable de s’adapter, de réussir, et de s'intégrer. Cette approche peut rendre la citoyenneté plus difficile à obtenir, mais aussi plus volatile, car elle peut être retirée si les conditions d’intégration ne sont pas satisfaites. En ce sens, la citoyenneté devient une forme de reconnaissance accordée à ceux qui, par leurs efforts personnels, démontrent qu’ils méritent d'appartenir à la communauté nationale.

D'un point de vue nationaliste, cette forme de citoyenneté est envisagée comme une « récompense » réservée à une élite, renforçant l'idée que l'appartenance à la nation est un privilège exclusif. L'identité nationale devient ainsi un facteur crucial pour l’attribution de la citoyenneté, et ce processus de sélection renforce l'idée que la citoyenneté n’est pas un droit universel, mais une position sociale accordée à ceux qui remplissent des critères stricts.

La citoyenneté libérale, telle que formulée par des penseurs comme Hannah Arendt et T.H. Marshall, repose sur l'idée d'un droit fondamental à avoir des droits, qui permet à l'individu de bénéficier d'une protection étatique et d’une reconnaissance juridique. Cependant, cette conception de la citoyenneté semble de plus en plus obsolète dans un monde où les catégories de « citoyen » et « non-citoyen » sont devenues floues, et où les droits humains sont de plus en plus revendiqués par des groupes qui ne sont pas formellement citoyens d'un pays donné.

Dans ce contexte, la question se pose : comment réconcilier les exigences d'une société libérale, fondée sur les droits individuels et l'égalité, avec une citoyenneté de plus en plus conditionnée par la performance, l’engagement et l’intégration? Il semble que la réponse réside dans une redéfinition de la citoyenneté, qui devrait à la fois tenir compte des exigences libérales de protection des droits et de reconnaissance, tout en répondant aux défis contemporains liés à la sécurité, à l’identité nationale et à la gestion de l’immigration. La citoyenneté, dans sa forme actuelle, n’est plus simplement un statut juridique, mais un processus dynamique où les individus sont constamment évalués et réévalués en fonction de leur contribution à la société.

Il est essentiel de comprendre que cette nouvelle approche de la citoyenneté implique une double transformation : elle ne se contente plus de garantir des droits, mais devient un outil pour la gestion sociale et politique des individus, selon des critères qui ne sont pas seulement juridiques, mais aussi économiques, culturels et idéologiques. L'évolution de la citoyenneté, ainsi qu'elle se dessine aujourd'hui, se fait donc à l’intersection de l’individualisme libéral, de l’engagement néolibéral et de la nécessité de préserver l’identité nationale et la sécurité publique.