Dans les années 1990, le professeur Joel Bakan a commencé à observer le pouvoir croissant des entreprises, alors qu’elles entraient en pleine lumière publique, à la tête du processus de mondialisation, de dérégulation et de privatisation. Les gouvernements, alors en pleine récession de leur rôle régulateur, se sont progressivement éloignés, permettant aux entreprises de se libérer des contraintes légales. Cela a permis aux corporations d’émerger comme des institutions autonomes, dont le but unique était de servir leurs propres intérêts ainsi que ceux de leurs actionnaires.
L’analyse de Bakan n’a pas pour objectif de diaboliser les individus à la tête de ces entreprises ou ceux qui y travaillent, mais plutôt de critiquer la nature institutionnelle de la corporation telle qu’elle est légalement constituée. Selon lui, la corporation est une invention juridique dotée de caractéristiques qui, si elles étaient observées chez un être humain, seraient rapidement diagnostiquées comme psychopatiques. Cette analyse a d'abord semblé extrême à certains, notamment à ceux qui, comme l'auteur lui-même, avaient construit des entreprises autour de la représentation de sociétés prospères. Mais lorsque Bakan détaille les traits caractéristiques d'un psychopathe — une indifférence cruelle aux sentiments des autres, l’incapacité à maintenir des relations durables, le mépris des règles de sécurité, la tromperie systématique pour le profit, l’absence de culpabilité, et l'irrespect des normes sociales — l’analyse prend alors une tournure plus convaincante.
Lorsque l'on examine la réalité des excès sur Wall Street, les manœuvres des grandes banques, l'empreinte environnementale des entreprises pétrolières et gazières, ou encore les campagnes de désinformation menées par certaines industries, l’idée de Bakan se révèle pertinente. Il affirme : « Non seulement nous avons créé une institution à l'image d'un être humain psychopathe, mais nous lui avons conféré la personnalité juridique… et en tant que société, nous lui avons donné un pouvoir immense pour gouverner chaque aspect de nos vies. » La corporation, de plus en plus, voit ses obligations légales réduire son engagement envers l’environnement, car elle est incitée à maximiser les profits pour ses actionnaires, même si cela implique de manipuler l’opinion publique ou de contourner les réglementations.
Bakan met en lumière l’illusion des campagnes de responsabilité sociétale des entreprises. Loin de s’engager de manière authentique envers des causes sociales ou environnementales, ces démarches ne sont souvent qu’une façade marketing, une manière de dissimuler leur véritable objectif : la maximisation des profits. « Comment peut-on attendre d’un psychopathe qu'il se régule lui-même ? » s'interroge Bakan, pour qui la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est un oxymore.
Il est essentiel de comprendre que cette dynamique n’est ni le fruit d’une malveillance particulière ni d’une simple conspiration, mais le résultat logique du fonctionnement d'une institution façonnée par la loi. Les entreprises sont contraintes par la structure même de leur modèle économique, qui repose sur les actions et les options boursières, à agir en fonction d’un seul objectif : le profit. Cela n’a rien à voir avec une simple lutte entre le « bien » et le « mal ». L’existence de structures internes qui privilégient le rendement financier rend difficile, voire impossible, tout autre comportement.
Ce phénomène trouve son origine au 19e siècle, lorsque les corporations furent créées comme des instruments puissants permettant de mobiliser des capitaux massifs, afin de financer des projets d’envergure comme les chemins de fer, et plus récemment, l’industrie aérienne et Internet. Elles étaient alors des véhicules financiers efficaces, mais contraints par des régulations destinées à limiter leur potentiel nuisible. À partir des années 1930, un système réglementaire robuste s’est progressivement développé, mais dans les années 1980, ce système a commencé à se désagréger, donnant lieu à la situation actuelle où l’on espère que les entreprises se réguleront d’elles-mêmes.
Le paradoxe réside dans le fait qu’à l’ère contemporaine, les corporations ne disposent d'aucune capacité intrinsèque à se contraindre moralement ou éthiquement. Cela représente un danger majeur. En effet, si vous mettez des œillères à un âne, celui-ci ira droit devant lui, mais il ne verra ni ne prendra en compte ce qui se passe autour de lui. Il n’aura aucune responsabilité vis-à-vis des conséquences de ses actions.
Au cours des trois dernières décennies, un pacte tacite a été établi : l’État se retire progressivement du rôle de régulation des entreprises et accepte que celles-ci s’auto-régulent et deviennent responsables socialement. Cependant, ce contrat n’a pas porté ses fruits. Les entreprises continuent de se comporter de manière irresponsable, en particulier envers l’environnement et les communautés. Cette gestion privée de la responsabilité sociétale ne s’accompagne d’aucune contrainte légale ou morale et a fait l’objet d’une critique acerbe de la part de nombreux penseurs, dont le juge en chef Leo E. Strine Jr. de l’État du Delaware, qui a souligné que cette vision de la « durabilité » des entreprises était non seulement vide de sens mais nuisible au bien-être social.
En définitive, les corporations s’investissent massivement dans la manipulation de la perception publique, cherchant à se présenter comme bienveillantes et responsables. Une campagne d’Enbridge, par exemple, a tenté de minimiser les risques environnementaux d’un pipeline en gommant des éléments cruciaux d’une carte, et en présentant le projet comme un modèle de « sécurité de classe mondiale ». Pourtant, cette image soigneusement construite dissimule la réalité des intentions et des impacts des entreprises.
Il est crucial de comprendre que les corporations, en tant qu'institutions, sont incapables de se réguler moralement ou éthiquement sans une contrainte extérieure. C’est pourquoi la mise en place de régulations strictes et de mécanismes de contrôle externes reste indispensable pour limiter les effets dévastateurs de cette forme d’organisation. La responsabilité sociétale des entreprises ne doit pas être laissée à la discrétion des entreprises elles-mêmes, mais doit être encadrée par des lois qui obligent les corporations à agir dans l'intérêt du bien commun, et non uniquement dans celui de leurs actionnaires.
Comment surmonter l'indifférence et la paralysie face à la crise environnementale ?
Le monde fait face à une crise environnementale sans précédent, et pourtant, une grande partie de l’humanité semble incapable de réagir de manière adéquate. L’ampleur des sacrifices nécessaires pour relever ce défi est considérable, ce qui conduit de nombreux individus à nier la réalité de la situation ou à se sentir totalement paralysés face à l’ampleur de ce qui doit être changé. Le simple fait d'imaginer un monde où l'on ne possède plus tout ce que l’on a pris pour acquis – un logement confortable, un transport facile et rapide, des biens matériels en abondance – laisse beaucoup de personnes désemparées. Ce sentiment de perte est insupportable. Pourtant, il est impératif que l’on reconnaisse la nécessité de ces sacrifices pour espérer avoir une chance de sauver ce qui reste de notre environnement.
Une des raisons pour lesquelles tant de gens restent dans l’inaction est la peur de ce renoncement. Cela exige un travail intérieur immense pour accepter l’idée de devoir renoncer à une partie de ses conforts, à la consommation excessive, et à un mode de vie fondé sur l’individualisme et l’égoïsme. Le véritable défi ne réside pas seulement dans la prise de conscience des problèmes environnementaux, mais dans la capacité à se confronter à cette réalité, à changer notre rapport au monde et à la nature. C'est un changement qui ne se fera pas par un acte unique ou une simple décision rationnelle, mais par un effort constant de redéfinir ce que signifie vivre de manière significative et responsable dans ce monde.
Ce défi global, qui englobe des questions environnementales, économiques et psychologiques, est exacerbé par l’égoïsme dominant dans notre société actuelle. Nous vivons dans une culture de la consommation qui ne laisse aucune place à la réflexion profonde sur nos actions et leurs conséquences. Beaucoup, bien qu’ils soient conscients de l’impact destructeur de leur mode de vie sur la planète, préfèrent ignorer ou refouler cette vérité. Cela mène à des sentiments de découragement, voire de désespoir. Pourtant, comme le soulignait le Bouddha, ce sont justement ces moments de souffrance et de désespoir qui peuvent devenir le terreau d’un changement profond, à condition de ne pas fuir cette souffrance, mais de l’affronter avec une volonté de transformation.
Roshi Joan Halifax, une figure du bouddhisme zen, explique que cette crise provient d’un manque de connexion à l’essentiel. Nous sommes trop absorbés par nos désirs matériels et par la course à l’égo, ce qui nous empêche de comprendre les véritables enjeux de notre époque. L’un des grands défis de notre époque consiste à sortir de cette course effrénée, à dépasser cette vision de l’individu comme un être séparé du reste du monde, et à retrouver une certaine humilité face aux mystères de la vie. L’une des clés de ce changement réside dans la pratique spirituelle, dans la capacité à voir les choses sous un autre angle, à cultiver la patience et la détermination, deux qualités que l’on trouve dans la nature.
L’une des raisons pour lesquelles cette crise environnementale continue d’être niée ou ignorée par une grande majorité est que la prise de conscience de la profondeur du problème est trop accablante pour de nombreuses personnes. Les statistiques et les données ne suffisent pas à provoquer une réelle prise de conscience chez la majorité. Il ne s'agit pas simplement de prendre connaissance des faits, mais de les intégrer profondément dans notre conscience collective. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’amasser plus d’informations ou de consommer plus de biens pour combler un vide intérieur. Le véritable changement viendra de l’introspection, de la redéfinition de ce que nous considérons comme essentiel et de notre capacité à sacrifier une partie de notre confort personnel pour le bien commun.
Au-delà de l’aspect purement environnemental, la crise actuelle est également une crise de la relation humaine et de la responsabilité collective. Lorsque Joan Halifax évoque son mode de vie simple, loin des commodités modernes, elle rappelle l’importance de renouer avec la nature, de vivre d’une manière plus humble et plus consciente. Elle souligne également qu’en nous déconnectant des exigences de la société de consommation, nous retrouvons une perspective plus large, une vision qui nous permet de développer une plus grande patience et une détermination plus solide pour œuvrer à un changement durable.
Un autre aspect essentiel à comprendre est que la souffrance, bien qu’inconfortable, n'est pas nécessairement un obstacle à l’action. Elle peut devenir un catalyseur puissant pour un changement de perspective. Par exemple, l’écologiste qui ressent profondément la perte d’une espèce ou la déforestation de l’Amazonie peut voir dans cette souffrance une source d’inspiration et de motivation pour se battre en faveur de la préservation de la nature. Cette passion peut alimenter un engagement concret pour sauver notre planète. La souffrance vécue dans un contexte environnemental peut éveiller un sentiment de responsabilité qui transcende l’individualisme et incite à une action collective.
Enfin, il est crucial de comprendre que le changement nécessaire ne peut pas être imposé de l'extérieur ou sur un simple coup de tête. Il demande un travail intérieur profond. Cela implique de repenser notre rapport à la nature, de reconsidérer notre consommation, et surtout, de renouer avec un sens plus profond de la solidarité humaine. Ce n’est qu’en prenant conscience de notre interdépendance, et en agissant en conséquence, que nous serons en mesure de relever les défis environnementaux et sociaux qui se dressent devant nous.
Comment surmonter les pièges de la polarisation dans l’activisme : Le rôle essentiel de l’attitude et de la collaboration
Roger Conner, consultant en stratégies d’activisme et de résolution de conflits, observe que les dynamiques de polarisation dans le discours public sont souvent alimentées par des attitudes mal orientées et des stratégies d’intervention inefficaces. La polarisation, selon lui, trouve ses racines dans des perceptions erronées des intentions des autres, souvent exacerbées par des comportements agressifs ou des jugements hâtifs. Au cœur de ce phénomène se trouve un piège que l'on pourrait appeler le « piège de l’activisme » : l’idée que ceux qui ne partagent pas nos convictions doivent être perçus comme des ennemis, et que le seul moyen de les convaincre est de les pousser dans un coin. Or, ce processus, loin de résoudre les conflits, finit souvent par envenimer les relations et fermer toute possibilité de dialogue constructif.
La polarisation se renforce dès que l’on commence à percevoir les autres comme des ennemis, et ce même si ces personnes ne sont ni mauvaises ni ignorantes, mais simplement en désaccord avec nous. L’activiste, qu'il soit engagé dans des causes environnementales, politiques ou sociales, risque d’entrer dans une spirale de conflits sans fin s’il ne parvient pas à faire la distinction entre les comportements des individus et leur véritable nature. Conner suggère que l’on peut avoir affaire à des « bonnes personnes » qui agissent parfois de manière néfaste, mais ce n’est pas nécessairement une question de malveillance ; c’est souvent une question de perspective et de stratégie. Par exemple, dans le cadre des campagnes environnementales contre les pipelines, Conner souligne que voir tous les partisans de ces projets comme des « méchants » ou des « idiots » est une erreur fondamentale. Il s’agit, selon lui, de comprendre que les motivations des autres peuvent être complexes, et que leur comportement n’est pas toujours une indication de leur caractère.
Le cœur de l’approche de Conner réside dans une distinction subtile mais cruciale : l'attitude, ou « stance ». Cette attitude détermine comment nous percevons les autres dans un conflit. Nous pouvons les voir comme des amis ou des ennemis, et cette étiquette influence directement la manière dont nous interagirons avec eux. Il existe trois stratégies principales pour influencer les autres : pousser, tirer et collaborer. La stratégie de « pousser » consiste à forcer quelqu’un à agir contre sa volonté, tandis que la stratégie de « tirer » passe par la persuasion douce, l’éducation, ou encore les incitations. Enfin, la stratégie de la collaboration repose sur un travail commun où les participants mettent de côté leurs ego et leur rigidité pour travailler ensemble sur des solutions partagées, malgré leurs divergences.
Cependant, dans la réalité des conflits prolongés, ces stratégies deviennent plus complexes. Les partis en opposition ne se contentent pas de s’opposer sur un sujet, mais finissent par se percevoir mutuellement comme des adversaires. Cela crée un climat où chaque camp interprète l’attitude de l’autre comme un acte d’agression. Cette dynamique génère ce que Conner appelle le « piège de l’activisme » : une spirale de méfiance et d’hostilité où chaque camp cherche à « gagner » en exerçant une pression croissante, ce qui rend toute forme de dialogue impossible. Ce phénomène est particulièrement dangereux dans le domaine public, où les activistes, tout en cherchant à défendre des causes justes, risquent de se perdre dans cette logique de confrontation.
Conner souligne que la véritable difficulté dans cette situation réside dans la gestion de l’attitude. Les activistes doivent éviter de laisser leur perception des autres être influencée uniquement par leur comportement. Le défi est de réussir à ajuster notre propre « stance » sans céder à l’hostilité ou à la dévalorisation de l’autre. Cela nécessite une discipline intérieure et une conscience aiguë de soi. Ceux qui réussissent à maintenir une attitude respectueuse, voire empathique, envers ceux avec lesquels ils sont en désaccord, sont capables de transcender la polarisation et de trouver des solutions constructives. Un exemple emblématique de cette approche est celui de Martin Luther King, qui, même face à des adversaires virulents, refusait de céder à la haine et à la violence. Il ne permettait pas à l’attitude de ses opposants de dicter la sienne.
Dans un monde où les comportements peuvent rapidement devenir antagonistes, il est essentiel de rappeler que la véritable efficacité dans l’activisme n’est pas mesurée par la capacité à créer des divisions, mais plutôt par la capacité à rassembler et à engager un dialogue authentique, même avec ceux qui semblent être nos ennemis. Les stratégies de collaboration ne sont pas seulement des solutions à court terme ; elles sont aussi des moyens d’éviter de tomber dans le piège de l’activisme, où les adversaires deviennent des ennemis irréconciliables.
Ainsi, le véritable défi pour un activiste est de rester flexible et d’adapter ses stratégies à la situation. Cela implique de savoir quand pousser, quand tirer et, peut-être plus important encore, quand collaborer. La clé du succès réside dans la capacité à ajuster nos comportements en fonction des circonstances, sans jamais perdre de vue le respect et la dignité de l'autre. Se libérer du piège de la polarisation demande une constante vigilance de l’esprit et une capacité à distinguer les actions des individus de leurs intentions véritables.
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