Il est urgent, pour la liberté, l'inclusion sociale et la démocratie, de défendre ce qui est devenu connu sous le nom de "société civile"—ce réseau d'associations formelles et informelles à travers lequel les citoyens interagissent et prennent des actions collectives sur des questions qui affectent leur vie. Les théoriciens politiques s'accordent depuis des siècles à dire que ces associations sont essentielles pour la santé des sociétés démocratiques libérales, car elles permettent de maintenir la vigilance sur les valeurs et institutions clés, et d'initier la résistance contre toutes les formes de gouvernance autoritaire.
L'un des premiers grands théoriciens de la société civile fut Alexis de Tocqueville, un aristocrate français, qui s'inquiétait des possibilités et des périls de l'implication populaire en politique après les événements tumultueux survenus en France entre la prise de la Bastille en 1789 et la chute de Napoléon Ier en 1815. Lors de son voyage aux États-Unis en 1832-1833, il appliqua une analyse similaire et très détaillée à leur système politique. Tocqueville pensait que l'implication des citoyens en politique était d'une grande valeur, mais qu'elle comportait aussi des risques. Les gens pouvaient rapidement être mobilisés par des démagogues qui les utilisaient à des fins autoritaires.
Dans son premier grand ouvrage, L'Ancien Régime et la Révolution (1827), Tocqueville analysa les facteurs qui rendirent la France vulnérable aux événements dramatiques de 1789 et à ses conséquences. Il souligna particulièrement que, pendant le XVIIIe siècle, les propriétaires terriens aristocrates passaient de plus en plus de temps à la cour de Versailles, négligeant leurs domaines et les populations des petites villes et campagnes. Ce manque d'attention au mécontentement populaire dans les années précédant 1789 contribua à l'échec à résoudre les critiques formulées par des philosophes comme Voltaire et Rousseau. Selon lui, une société civile plus saine, dirigée bienveillant par une aristocratie ayant une conscience sociale, aurait pu éviter cette débâcle.
Le second ouvrage majeur de Tocqueville, De la démocratie en Amérique (1836-1839), fut inspiré par ses voyages aux États-Unis. Il fut particulièrement impressionné par les réseaux d'organisations locales, créées pour des objectifs économiques, sociaux et religieux dans chaque État. Ces associations volontaires, expliqua-t-il, étaient la clé de la vitalité de la démocratie américaine et de la responsabilité des gouvernements, à tous les niveaux, vis-à-vis de leurs actions et omissions. Une telle société civile était essentielle à un régime populaire fonctionnel. Toutefois, Tocqueville mettait en garde contre la possibilité que cette société se transforme en une "société de masse", où les gens se rassembleraient en une nouvelle forme de foule, semblable à celle vécue lors de la Révolution française. Cette évolution pourrait, selon lui, conduire à l'élection de dirigeants autoritaires, avec tous les dangers associés. Une société civile riche en organisations variées constituait, pour Tocqueville, une protection contre ce dérapage.
Les préoccupations de Tocqueville furent reprises par John Stuart Mill dans son essai On Liberty (1859), dans lequel il souligna que les organisations volontaires jouaient un rôle crucial dans la liberté des individus et la santé politique et morale des sociétés. Mais Mill redoutait également que, sans une éducation et une moralisation adéquates des classes populaires, la démocratie ne mène à l'oppression et à l'autoritarisme au nom des masses.
Ce qui semble désormais être en jeu dans les cultures politiques actuelles des sociétés occidentales, c'est l'indépendance robuste du secteur associatif. Des indices montrent qu'il est de plus en plus impliqué dans des tâches coercitives, telles que contraindre les populations pauvres à accepter des emplois ou des formations, et à fournir des "placements" dans ses propres structures, souvent en collaboration avec les gouvernements locaux ou centraux. Un exemple frappant de cette évolution a été observé avec les soutiens populaires à Donald Trump aux États-Unis, ce qui suggère que la "société de masse" que craignait Tocqueville est en train de se matérialiser. Les organisations volontaires qui subsistent, principalement composées de membres plus instruits, n'ont pas opposé de résistance efficace à ce type d'autoritarisme. Tocqueville, dans sa perspective, aurait vu cela comme un signe que ces membres étaient eux-mêmes devenus partie intégrante de la culture de masse, dominée aujourd'hui par la consommation, l'individualisme narcissique et un manque de conscience sociale.
Un autre exemple se trouve au Royaume-Uni, où en 2014, le programme "Help to Work", mis en place pour prolonger d'une année le "Work Programme" pour les demandeurs de prestations, n'a pas réussi à placer les deux tiers des participants dans l'emploi. En conséquence, ces derniers étaient contraints de s'inscrire quotidiennement et de participer à des "formations" intensives ou à des "travaux communautaires" non rémunérés de 30 heures par semaine. Bien que des organisations comme la Salvation Army, YMCA et Oxfam aient refusé de participer à ce programme, de nombreuses autres associations ont pris part à cette initiative coercitive.
Les organisations bénévoles et les communautés jouent un rôle essentiel dans la lutte contre l'individualisme exacerbé nourri par les marchés et la consommation. Elles permettent aux individus de prendre des décisions concernant leurs environnements sociaux et physiques partagés, de créer des infrastructures communes et d'identifier et surmonter les menaces collectives. Les organisations ouvrières sont particulièrement importantes pour contrebalancer le pouvoir des capitalistes et soutenir les individus dans leurs rôles sur le marché du travail.
Cela met en lumière un défi supplémentaire, celui de l'influence croissante des économistes mathématiques et de leurs analyses abstraites des sociétés. Des figures comme Margaret Thatcher et Ronald Reagan ont mis en œuvre des programmes économiques qui ont été largement rejetés dans les années 1980, mais que Bill Clinton et Tony Blair ont ensuite adoptés dans les années 1990. Cela a créé un contexte difficile pour penser ou agir en dehors de la logique de ces économistes. Aujourd'hui, chaque arrangement social et politique, y compris le secteur associatif, est souvent réduit à une question de choix individuels, chacun ayant des préférences distinctes, sans tenir compte des effets sociaux ou collectifs.
Le populisme, l'insécurité économique et la montée de l'autoritarisme
Le paysage politique actuel semble de plus en plus marqué par une montée de l'autoritarisme, phénomène qui s’est accéléré dans de nombreux pays à la suite des crises économiques successives et des bouleversements sociaux. Ce qui est particulièrement frappant, c’est le changement radical d’attitude observé chez les jeunes générations, qui, au lieu de résister aux politiques autoritaires comme cela a été le cas dans le passé, en sont devenues les plus fervents soutiens. Lors de l'élection présidentielle française de 2012, des sondages indiquaient que près de la moitié des jeunes électeurs avaient voté pour Marine Le Pen, une tendance qui s’est retrouvée dans d’autres pays européens, comme l'Autriche, la Suède, la Grèce, la Finlande et la Hongrie (Mounk, 2018, p. 122). Ce phénomène ne se limite pas aux simples fluctuations électorales, mais reflète un changement profond dans la culture politique, où la recherche de sécurité et de certitude semble désormais primer sur les idéaux démocratiques traditionnels.
Un autre aspect du phénomène est l'émergence de ce que Tocqueville avait redouté : la société de masse. L'évolution rapide des médias sociaux a joué un rôle décisif dans cette transformation, en facilitant la mobilisation de mouvements qui, d’une manière inédite, peuvent rapidement prendre une ampleur nationale, voire internationale. Les informations, souvent sensationnalistes, peuvent désormais circuler à une vitesse vertigineuse, ce qui amplifie les tensions sociales et politiques. Mais ces phénomènes ne suffisent pas à expliquer la profonde insatisfaction qui anime les citoyens d’aujourd’hui. L’incapacité de nombreuses institutions à répondre à la stagnation salariale, à l’effritement des syndicats et à la concentration de la richesse entre les mains d’une élite mondiale est au cœur du malaise actuel. Les citoyens ordinaires, se sentant impuissants face à l’influence des grandes entreprises internationales, cherchent des alternatives à la politique traditionnelle.
Le phénomène des "gilets jaunes" en France est un exemple frappant de cette dynamique. En 2018, une série de manifestations a éclaté après que le gouvernement ait tenté d'imposer des taxes sur le carburant, dans un effort pour lutter contre le réchauffement climatique. Le 3 décembre 2018, ces manifestations ont forcé le gouvernement à reculer. Cependant, cette concession n’a pas suffi à apaiser les protestataires, qui se sont rassemblés chaque week-end suivant, exprimant leur mécontentement face à l’insécurité économique et à ce qu’ils percevaient comme l’arrogance du jeune président. Ces manifestations ont donné lieu à des scènes de violence et de destruction, principalement dans les villes de province, soulignant la profonde fracture entre les élites et les populations locales. Leurs revendications, bien qu’injustifiées par certains, reflétaient un sentiment de marginalisation et de perte de contrôle face à des processus économiques mondiaux qu'ils ne maîtrisaient pas.
Les mouvements populistes modernes, à l’image de Donald Trump aux États-Unis, trouvent ainsi un écho dans des moments de crise, où des leaders autoritaires se posent en défenseurs des "vrais gens", exploitant le ressentiment populaire envers les élites politiques et économiques. Cette situation rappelle les luttes des Gracques dans la Rome antique, qui ont vu les populistes émerger comme une réponse à la concentration des richesses et à la marginalisation des classes populaires. Ces parallèles, bien que déstabilisants, ne peuvent être ignorés, car ils soulignent un cycle historique de tensions entre les aspirations populaires et les structures de pouvoir dominantes.
Dans ce contexte, les organisations volontaires, comme les syndicats, les associations professionnelles ou les groupes communautaires, qui pourraient théoriquement servir de remparts contre la montée de l’autoritarisme, ne semblent plus capables de jouer ce rôle. Pire encore, certaines d’entre elles se trouvent aujourd’hui elles-mêmes confrontées à des dérives similaires à celles des structures commerciales, comme en témoigne le cas de certaines associations de charité en Angleterre, où des accusations de harcèlement et de fraude ont émergé. Ces dérives révèlent que, sans un soutien vigoureux de la culture politique et sociale en faveur de valeurs comme la mutualité et l'altruisme, même les organisations à but non lucratif peuvent succomber à la corruption.
Le phénomène de l’autoritarisme actuel ne se limite donc pas à une simple montée en puissance de leaders populistes. Il s'agit également d'une réponse à des dynamiques économiques plus larges, où l'insécurité financière générée par les crises économiques successives et la mondialisation économique jouent un rôle central. En conséquence, la montée de l'autoritarisme n'est pas seulement une réaction contre des partis politiques perçus comme inefficaces, mais aussi une manifestation d'une crise profonde de confiance dans les structures politiques traditionnelles. Ce phénomène pourrait bien perdurer tant que les conditions économiques ne changeront pas et que les inégalités continueront de croître.
Pourquoi les modèles étatiques européens ont-ils échoué à garantir l’équilibre social après la Seconde Guerre mondiale ?
L’essor du modèle étatique autoritaire en Union soviétique, que Trotsky avait tenté de défendre contre l’accusation de Kautsky de « servitude d’État », s’est révélé être une manifestation exemplaire du totalitarisme. Tandis que le bloc de l’Est en incarnait la forme la plus coercitive, l’Occident, lui, chercha des voies alternatives face à l’instabilité croissante des sociétés industrielles. Les réponses britanniques et américaines à la Grande Dépression illustrent cette tentative : des figures comme Keynes ou Beveridge promurent l’intervention de l’État pour garantir l’emploi et la sécurité du revenu, à travers un compromis entre capital et travail. Leur succès reposait néanmoins sur des conditions historiques singulières : une économie d’après-guerre en expansion, une forte syndicalisation, et une stabilité politique relative.
Mais cet ordre s’avéra précaire. Dès les années 1960, l’emploi industriel commença à décliner au profit de services polarisés : d’un côté, les secteurs financiers et professionnels à haute rémunération ; de l’autre, des emplois précaires et sous-payés dans la distribution, les loisirs ou les soins, souvent à temps partiel ou saisonniers. Face à cette transformation, les gouvernements anglo-saxons choisirent de compenser les faibles revenus des ménages par des aides ciblées, soumises à des conditions de ressources, renforçant ainsi la dépendance de larges segments de la population active à des dispositifs d’assistance.
Cette évolution fragmenta la classe ouvrière. Une nouvelle catégorie sociale, tributaire de l’État mais non intégrée dans le processus productif stable, fit son apparition. Ce « précariat », théorisé par Guy Standing, se caractérisait non seulement par l’instabilité économique, mais aussi par une perte de statut, d’autonomie et de reconnaissance sociale. Paradoxalement, les politiques censées encourager l’emploi eurent l’effet inverse : les incitations à travailler se révélèrent faibles, car chaque revenu gagné entraînait une diminution des aides et une imposition supplémentaire, ne laissant aux intéressés qu’une fraction minimale de leurs gains.
Face à cette situation, la réponse politique prit une tournure autoritaire. L’État, au lieu de repenser l’organisation du travail ou la distribution des revenus, renforça les obligations imposées aux bénéficiaires des aides. La logique de sanction prit le pas sur celle de soutien : refus de formation, d’emploi, ou d’augmentation du temps de travail pouvait conduire à la suspension ou à la suppression des prestations. Des intellectuels comme Lawrence Mead donnèrent une légitimation idéologique à cette posture, en affirmant la nécessité d’une discipline
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