Les groupes d’intérêts, ou associations, ont toujours été un élément central du système politique américain. Ces groupes sont constitués d'individus organisés pour défendre des intérêts communs et influencer les politiques publiques. Les fédéralistes et les anti-fédéralistes, au moment de la création de la république américaine, incarnaient eux-mêmes des groupes d’élites politiques avec des vues distinctes sur la meilleure façon de construire la nouvelle démocratie américaine. Malgré leurs différences, ils s'accordaient sur une idée fondamentale : si le gouvernement avait le pouvoir de réguler ou d’interdire les efforts des groupes d’intérêts organisés, cela reviendrait à limiter la liberté individuelle. La solution à ce dilemme fut formulée par James Madison dans les Federalist Papers, dans le numéro 10 : "Prendre en compte une plus grande variété de partis et d’intérêts [et] vous réduisez la probabilité qu'une majorité puisse avoir un motif commun pour empiéter sur les droits des autres citoyens". L’argument de Madison était que le gouvernement devait encourager une diversité d’intérêts afin qu’aucun groupe, qu’il appelle une "faction", ne puisse dominer les autres de manière permanente. L'idée principale étant que la compétition entre les intérêts régulerait elle-même les excès et maintiendrait un équilibre.

Aujourd’hui, cette théorie, née des écrits de Madison, est souvent désignée sous le terme de pluralisme. Le pluralisme stipule que la démocratie repose sur l’équilibre des intérêts au sein de la société, via des groupes qui s’opposent et se disputent des résultats politiques. Dans ce cadre, un groupe d’intérêts peut perdre sur un sujet mais espérer gagner sur un autre. En somme, à long terme, la majorité des citoyens devrait être représentée, et les résultats de cette compétition devraient être marqués par le compromis et la modération. Selon le pluralisme, tous les intérêts devraient avoir la liberté de se disputer l’influence sur les décisions gouvernementales.

Cependant, bien que cette vision ait longtemps dominé, des critiques ont émergé pour signaler que tous les intérêts ne sont pas représentés de manière égale. Certains groupes, tels que les grandes entreprises, ont une voix bien plus puissante que d’autres, comme les fermiers des régions rurales. Ainsi, certains chercheurs ont mis en lumière que, dans la réalité politique des États-Unis, les élites économiques exercent une influence considérablement plus grande que les forces populaires dans le processus politique. Ce modèle, plus réaliste, est appelé "pluralisme élitiste". Il décrit un système où les groupes d’intérêts économiques ont plus de poids que les groupes issus de la masse populaire.

Un groupe d’intérêts peut être défini comme une organisation constituée de personnes qui cherchent à influencer le gouvernement pour modifier les politiques publiques. Ces groupes peuvent prendre diverses formes : des organisations de membres (comme des associations citoyennes), des entreprises, des syndicats, des universités, ou encore des groupes professionnalisés. Leur but est d’augmenter les chances que leurs vues soient entendues et leurs intérêts pris en compte par les autorités gouvernementales. Bien que certains groupes soient souvent perçus négativement sous des termes comme "lobbies", "intérêts spéciaux", ou "groupes de pression", d’autres les voient positivement comme des organisations de défense des droits citoyens. Les groupes d’intérêts jouent aussi un rôle majeur dans la politique électorale, soutenant des candidats alignés sur leurs objectifs de politique publique.

Les groupes d’intérêts sont également souvent confondus avec les comités d’action politique (PACs). Ces derniers sont des entités qui recueillent et distribuent des fonds pour soutenir des campagnes électorales. Par exemple, la National Rifle Association (NRA) utilise son propre PAC pour financer les candidats qui soutiennent la défense du droit de porter des armes. Bien que les groupes d’intérêts et les partis politiques aient des objectifs différents, il existe désormais une intersection croissante entre les deux. Les partis politiques se concentrent principalement sur les élections et les personnels gouvernementaux, tandis que les groupes d’intérêts se concentrent sur l’influence des politiques publiques.

Le nombre de groupes d’intérêts aux États-Unis est colossal. Des millions d'Américains sont membres d’un ou plusieurs groupes, que ce soit par le biais de cotisations, de participations à des réunions, ou simplement en suivant les actualités de ces groupes sur les réseaux sociaux. Ces groupes mobilisent leurs membres pour encourager la participation politique, que ce soit par des campagnes de communication sur les réseaux sociaux, l’envoi de lettres, ou encore des campagnes médiatiques. En faisant cela, les groupes d’intérêts jouent un rôle crucial dans l’éducation politique et la participation démocratique.

Cependant, le système de groupes d’intérêts n’est pas sans ses inégalités. Les groupes économiques dominent largement par rapport aux groupes citoyens. Par exemple, l’Association nationale des agents immobiliers dépense plus en lobbying que de nombreux autres groupes de défense des intérêts sociaux. Il existe aussi des disparités dans la réussite des groupes à atteindre leurs objectifs. Les groupes d’intérêts économiques, en particulier, ont des ressources financières bien plus importantes, leur permettant d’exercer une pression plus forte sur les législateurs. Cela conduit souvent à des victoires législatives favorables à leurs secteurs, comme le montrent les récentes réformes des secteurs pétrolier et pharmaceutique, où les législateurs ont soutenu des politiques profitant à ces industries.

Les groupes d’intérêts économiques peuvent inclure des secteurs tels que les industries pétrolières, les entreprises de télécommunications ou les fabricants de produits pharmaceutiques. Leur influence est en grande partie le résultat de leur capacité à financer des campagnes électorales et à soutenir des législateurs qui défendent leurs intérêts. Cependant, cette dynamique engendre un déséquilibre, car les voix de certains groupes, en particulier ceux qui sont économiquement moins puissants, sont souvent étouffées.

Le pluralisme dans sa forme élitiste est ainsi une réalité incontournable du système politique américain. L’impact de ce pluralisme est double : il garantit la diversité des opinions et des intérêts représentés dans la sphère politique, mais il aboutit également à un déséquilibre en faveur des acteurs économiques dominants.

Comment les présidents contemporains ont accru leur pouvoir administratif

Les scandales au sein de la Maison Blanche, y compris la condamnation du chef de cabinet du vice-président Cheney pour parjure devant un grand jury fédéral, ont mis en lumière les dynamiques complexes de l'exercice du pouvoir présidentiel. Entre l'entrée en fonction du président Obama en janvier 2009 et mai 2016, son indice de popularité a fluctué, atteignant un sommet de 76 % en janvier 2009 pour tomber à un creux de 36 % à l'automne 2014. Une telle diminution de la popularité au cours d'un mandat présidentiel suit un modèle prévisible. Avant et après leur élection, les présidents suscitent un soutien populaire en promettant de mener des programmes importants visant à améliorer le bien-être de nombreux Américains. Toutefois, presque sans exception, leur performance se révèle en deçà des attentes, entraînant une chute de la popularité et un affaiblissement de leur influence. Un président américain, comme Bill Clinton, dont la popularité a augmenté à la fin de son mandat, reste une exception.

Dans ce contexte, les présidents modernes ont su adapter et étendre leurs stratégies administratives afin de maintenir une certaine efficacité, même en l'absence d'un soutien populaire massif ou d'une collaboration législative. Trois éléments clés expliquent l'augmentation des capacités administratives de la présidence : l'expansion du Bureau exécutif du président (BEP), le contrôle accru de la Maison Blanche sur la bureaucratie fédérale et l'usage croissant des décrets présidentiels.

L'expansion du Bureau exécutif du président

Le BEP, qui comptait en 1939 seulement six assistants administratifs, a connu une croissance exponentielle pour atteindre plusieurs centaines d'employés directement rattachés à la Maison Blanche. Cette augmentation a donné au président une capacité considérablement élargie pour collecter des informations, planifier des programmes, communiquer avec ses diverses bases électorales et superviser les branches exécutives du gouvernement. Au sein du BEP, l'Office de gestion et du budget (OMB) a joué un rôle crucial dans l'extension du pouvoir présidentiel. L'OMB a la capacité d'analyser et d'approuver toutes les propositions législatives et les demandes budgétaires émanant des agences fédérales avant leur soumission au Congrès. Ce processus permet au président d'exercer une influence déterminante sur les priorités financières et législatives du pays.

La révision des règlements et l'élargissement du contrôle présidentiel

Un autre instrument clé du pouvoir présidentiel est l'Office de l'information et des affaires réglementaires (OIRA), une entité au sein de l'OMB qui supervise le processus de révision des règlements. Cette révision permet aux présidents de prendre le contrôle des processus de réglementation dans des domaines où le Congrès délègue fréquemment des pouvoirs exécutifs. Par exemple, lorsque le Congrès adopte une loi pour améliorer la qualité de l'air, une agence comme l'Environmental Protection Agency (EPA) doit ensuite établir des règles détaillées. Les présidents modernes, depuis l'administration Nixon, ont utilisé cette faculté pour créer des règlements, devenant ainsi des législateurs de facto sans passer par le Congrès. Ce mécanisme permet aux présidents d’agir de manière quasi-législative sur une grande variété de politiques publiques.

L'administration Clinton, par exemple, a émis 107 directives administratives pour influencer la création de nouvelles règles. Sous George W. Bush et Barack Obama, cette pratique a continué, avec des administrations cherchant à abroger des règles obsolètes ou à en imposer de nouvelles, comme les régulations environnementales ou les conditions de travail. Sous l'administration Trump, cette dynamique a pris un tournant plus conservateur, avec l'abrogation de nombreuses régulations liées à l'environnement et à la sécurité des travailleurs.

Gouverner par décret : les ordres exécutifs

Un autre levier de l'exercice du pouvoir présidentiel est l'usage d'ordres exécutifs. Ces décrets présidentiels sont des directives directes à la bureaucratie, leur permettant d’agir sans l’interférence du Congrès. Leur portée historique est immense : des décisions majeures comme l'achat de la Louisiane, l’annexion du Texas, l’émancipation des esclaves et la création d’agences fédérales ont été prises par ce biais. Aujourd'hui, les ordres exécutifs sont utilisés pour légiférer sur des questions cruciales, souvent en réponse à des impasses législatives.

Un exemple typique de l'utilisation des ordres exécutifs a été la ségrégation de l'armée sous Truman et la création de l'Environmental Protection Agency sous Nixon. Ces instruments permettent de passer outre les processus législatifs formels, ce qui donne au président un pouvoir considérable, notamment en matière de politique étrangère, de défense nationale, et de régulation économique.

Les ordres exécutifs sont devenus des instruments clés de l’action présidentielle, permettant de répondre rapidement à des urgences ou de contourner l'opposition parlementaire. Bien que ces décrets aient une portée significative, ils sont aussi un terrain de contestation, souvent remis en question par les oppositions politiques et soumis aux décisions de la Cour suprême.

L'impact des stratégies administratives sur l'équilibre des pouvoirs

L'adoption de ces stratégies administratives n'est pas sans conséquence sur l'équilibre des pouvoirs aux États-Unis. En augmentant leur contrôle sur les agences fédérales et en utilisant des mécanismes comme les ordres exécutifs et la révision réglementaire, les présidents ont progressivement modifié la relation traditionnelle entre le pouvoir exécutif et législatif. Le Congrès, de plus en plus souvent dans l'incapacité de bloquer les initiatives présidentielles, a vu son influence diminuer, au moins dans le domaine de la régulation. Ce phénomène est d’autant plus évident lorsque des majorités opposées au président occupent les chambres du Congrès, ce qui rend d’autant plus nécessaire pour le président de compter sur des moyens alternatifs pour atteindre ses objectifs.

Il est essentiel pour le lecteur de comprendre que ces stratégies d’élargissement du pouvoir présidentiel ne sont pas sans conséquences sur la gouvernance et la démocratie américaines. La concentration de pouvoirs dans la Maison Blanche peut entraîner des tensions entre les branches du gouvernement, et la pratique des décrets exécutifs, bien que légale, soulève des questions sur l'équilibre des pouvoirs et la séparation des pouvoirs. La question de savoir si ces pratiques affaiblissent les processus démocratiques et limitent la capacité du Congrès à représenter les intérêts du peuple reste un sujet de débat constant dans la politique américaine contemporaine.