Dans les grandes métropoles mondialisées, une élite mobile et éduquée passe sans heurt de Berlin à Londres, de Singapour à New York. Elle retrouve partout les mêmes appartements standardisés, les mêmes cafés artisanaux, les mêmes écoles privées, et une langue commune : l’anglais. Leur monde se veut sans racines, fluide, post-national. En face, une autre catégorie, celle des « gens simples », demeure enracinée. Leur attachement à la Heimat, à un lieu, à une continuité, devient paradoxalement leur fragilité. Car ce sont leurs quartiers qui changent, leurs traditions qui se voient déplacées, et eux, contrairement aux cosmopolites, ne peuvent pas s’exiler vers un autre espace de confort.
Le conflit qui en résulte ne se structure pas selon l’axe classique des classes économiques, mais selon une ligne de fracture culturelle. Le populisme de droite, loin d’être motivé principalement par la redistribution ou l’injustice matérielle, trouve son souffle dans une lutte pour la préservation d’un mode de vie perçu comme menacé. Ce que l’élite cosmopolite nomme « ouverture » devient, pour d’autres, synonyme de dissolution. Ce n’est pas tant la pauvreté que la peur du déclassement culturel qui nourrit la colère. Le populiste ne réclame pas seulement plus de justice : il réclame la reconnaissance d’une identité.
Ainsi, le populisme apparaît comme une réponse émotionnelle à une double défaillance du libéralisme moderne. D’un côté, un libéralisme économique qui, sous la forme néolibérale, a désarticulé les protections collectives et fait du marché la mesure de toute chose. De l’autre, un libéralisme culturel qui, au nom des droits individuels et de la diversité, a fragilisé les appartenances traditionnelles. Ensemble, ils composent ce que certains sociologues nomment le « double libéralisme » — l’alliance paradoxale entre la libération des marchés et celle des identités.
Cette alliance, que Nancy Fraser qualifie de « néolibéralisme progressiste », unit les secteurs symboliques du capitalisme global — la finance, la technologie, l’industrie culturelle — aux courants sociaux issus des mouvements de 1968 : féminisme, multiculturalisme, défense des minorités. Une coalition qui, tout en prônant l’émancipation, a contribué à marginaliser les classes populaires attachées à la stabilité et au local. La réaction populiste, qu’elle s’incarne dans le vote Trump, le Brexit, ou le souverainisme européen, apparaît alors comme une révolte contre cette collusion perçue entre capitalisme global et libéralisme culturel.
Mais réduire le populisme à une simple nostalgie identitaire serait insuffisant. Ce mouvement révèle un déséquilibre profond dans les démocraties occidentales : celui entre la promesse d’égalité politique et la réalité d’une représentation confisquée. Le populisme naît là où la démocratie cesse d’être vécue. Il traduit la conscience d’une dépossession symbolique : la certitude que les décisions se prennent ailleurs, dans des sphères hors de portée. Dans ce vide politique, la culture devient le dernier refuge du sens.
Pourtant, considérer les populistes comme un simple bloc réactionnaire face à la modernité est une erreur analytique. Leur discours s’inscrit dans une demande de régulation, de retour des limites, de reconstitution du collectif. Le populisme illibéral, selon Andreas Reckwitz, réclame la « fermeture » — non pas au sens de repli absolu, mais comme tentative de redonner forme à une société dissoute par la logique d’ouverture permanente. Cette fermeture est à la fois économique (protection du travail national) et culturelle (défense des repères). Elle cherche à réintroduire la cohérence là où le libéralisme double a installé la fluidité.
Mais la confusion persiste : en plaçant sous la même étiquette — « libéralisme » — deux logiques hétérogènes, l’une économique et l’autre culturelle, on légitime la vision populiste d’un ennemi unique. Or, le néolibéralisme, dans sa version de dérégulation, n’a que peu de rapport avec le libéralisme politique hérité des Lumières. Chez Rawls, par exemple, la liberté n’est pas seulement un principe de marché, mais une exigence de justice articulée à l’égalité. En effaçant cette distinction, on laisse croire que la démocratie libérale elle-même serait responsable des fractures qu’elle subit.
Ce qui importe, c’est de comprendre que la crise actuelle n’est pas celle d’un excès de libéralisme, mais d’un déséquilibre entre ses deux âmes. L’émancipation individuelle s’est coupée de la solidarité collective ; la mobilité sans ancrage s’est transformée en isolement ; la mondialisation des élites s’est faite au prix d’une provincialisation des classes populaires. Le populisme n’est alors que le symptôme visible d’un dérèg
Comment comprendre le populisme de droite et ses multiples visages dans le contexte de la mondialisation ?
Le populisme de droite, tel qu’il se manifeste aujourd’hui en Europe, est une forme complexe et triadique. Il ne se contente pas de regarder en haut, vers les élites, mais se tourne également vers le bas, pour désigner un groupe extérieur, souvent les immigrés. Cette dynamique est une réponse directe aux effets de la mondialisation, et en particulier à l’impact qu’elle a eu sur la société à travers des phénomènes comme l’immigration et les flux économiques internationaux.
Dani Rodrik, un économiste renommé, explique cette variation en affirmant que les chocs liés à la mondialisation se ressentent différemment selon les régions. Si, dans le nord-ouest de l'Europe, la mondialisation se manifeste principalement sous la forme de l'immigration, cela entraîne un populisme de droite axé sur des clivages culturels. Ces peurs sont souvent alimentées par la crainte que les systèmes de protection sociale, pourtant bien développés dans ces pays, soient dégradés par les arrivées massives d’immigrés, ce phénomène étant souvent désigné sous le terme de "chauvinisme du bien-être". En revanche, dans les régions où les États-providence sont moins développés, comme en Amérique latine ou dans le sud de l’Europe, c'est le populisme de gauche qui se mobilise, réagissant principalement à l’impact économique de la mondialisation, en particulier à travers le commerce, la finance et les investissements étrangers.
Aux États-Unis, comme le souligne Rodrik, la situation est hybride : les clivages culturels et économiques coexistent. Cela se reflète dans les candidatures des populistes, qu’elles soient de droite, comme celle de Donald Trump, ou de gauche, comme celle de Bernie Sanders, lors des élections présidentielles de 2016. Trump, par exemple, incarne une opposition à l’immigration tout en étant un défenseur de politiques protectionnistes. Il s'agit d'un phénomène observé également dans les partis populistes de droite en Europe du Nord, où des programmes de protection sociale plus radicaux sont promus, bien que ce phénomène soit encore peu développé et largement sous-exploré. De même, en Europe de l'Est, où l'immigration est relativement faible, les partis populistes de droite, comme ceux de Hongrie et de Pologne, sont au pouvoir et adoptent des plateformes nationalistes, souvent en réponse à des réformes néolibérales brutales instaurées après la chute du communisme.
Une caractéristique centrale du populisme nationaliste en Europe est la montée en puissance des partis radicaux de droite, qui ont placé la question de l’immigration au cœur de leur programme. L'analyse de David Goodhart montre que le soutien au populisme de droite n’est pas uniquement une réponse à des préoccupations économiques mais à une perte perçue de la culture traditionnelle, liée en grande partie à l'immigration et au changement ethnique. Ce phénomène se reflète dans la popularité croissante de partis comme l'Alternative für Deutschland (AfD), en Allemagne, qui a gagné du terrain après la crise des réfugiés syriens de 2015. La mutation rapide de ce parti, d'un programme anti-euro à une position fortement anti-immigrants, témoigne de cette transformation des partis de droite radicale d'Europe occidentale, qui adoptent progressivement une ligne plus nationaliste et moins libérale.
L’analyse des électeurs de ces partis révèle une autre facette du phénomène. Les recherches de Ronald Inglehart et Pippa Norris sur le soutien aux partis populistes en Europe montrent qu’une nouvelle ligne de fracture s’est formée, non plus purement économique mais culturelle. Selon leur étude, les électeurs des partis populistes sont souvent des groupes moins éduqués et plus âgés, préoccupés par des changements culturels profonds, comme la remise en question des valeurs traditionnelles et l’immigration. Cette crainte de la mondialisation semble être un facteur plus déterminant que l’insécurité économique elle-même. Ce soutien est particulièrement marqué chez les "perdants potentiels" de demain, plutôt que parmi les "perdants actuels" de la mondialisation. Cela s'applique aussi bien aux électeurs de Donald Trump qu'à ceux de la Tea Party, aux États-Unis, où les électeurs sont souvent dans un état de peur par rapport à un futur incertain, notamment en raison de la disparition d'emplois dans des secteurs en déclin.
Les partis populistes ne séduisent donc pas seulement les plus démunis ou les chômeurs, comme on pourrait le croire, mais un électorat qui redoute des bouleversements sociaux et culturels à venir, souvent dans des zones où les effets de la mondialisation ont été particulièrement ressentis. Ce soutien, bien que nourri par des préoccupations économiques, est avant tout motivé par un sentiment d’anxiété culturelle et identitaire.
Un aspect qui mérite une attention particulière est la transformation des partis populistes de droite, qui passent d’une critique libérale de l'État à une rhétorique nationaliste, souvent teintée de xénophobie. Leur programme ne se limite plus à des critiques économiques mais englobe des propositions visant à restaurer une "pureté" culturelle, parfois par des politiques protectionnistes et nationalistes. Les électeurs de ces partis, même dans des contextes où l'immigration est faible, voient dans ces politiques un moyen de défendre leur identité face à des forces extérieures qu'ils perçoivent comme menaçant leur mode de vie. Ces partis, qui étaient initialement critiqués pour leur opposition à l’État-providence, adoptent aujourd’hui une approche plus complexe, combinant des positions anti-immigration avec un retour à des politiques sociales plus strictes, mais ciblées et souvent excluantes.
Comment le néolibéralisme engendre-t-il un nouveau nationalisme et redéfinit-il la politique d’appartenance ?
Le néolibéralisme contemporain, loin de se limiter à une simple doctrine économique, développe une dimension sociale qui repose sur une responsabilisation punitive de l’individu. Cette responsabilisation ne vise pas tant le bien-être personnel que la protection d’une collectivité définie, marquée par l’exclusion et la stigmatisation. Le sujet doit s’auto-entretenir afin de ne pas « peser » sur la société, laquelle est idéalisée comme un groupe de citoyens travailleurs et économes, à l’abri des « fraudeurs » et des assistés. Cette forme de collectivisme étatique, bien qu’inscrite dans une logique interne entre l’individu et la collectivité, revêt une coloration nationaliste, qu’il est pertinent d’appeler « nationalisme néolibéral ». Ce dernier ne se manifeste pas principalement comme une hostilité envers d’autres États, mais par une fermeture identitaire visant à protéger la « nation » économique et sociale, désormais vidée de son rôle traditionnel de redistribution et de solidarité.
Ce nationalisme néolibéral se nourrit notamment des concentrations de populations immigrées et de minorités ethniques parmi les bénéficiaires de l’aide sociale, alimentant ainsi des discours populistes et étatiques qui s’entrelacent dans des démocraties où les frontières entre ces formes doivent rester perméables. Si le soutien aux partis d’extrême droite semble stagner à un quart de l’électorat en Europe occidentale, leur influence sur l’agenda politique est considérable, en particulier sur les questions liées à l’immigration et à l’islam. Ce déplacement vers la droite du spectre politique modéré modifie profondément le débat public, même si l’opinion générale sur l’immigration reste relativement stable, voire plus positive dans certains contextes.
Paradoxalement, l’État néolibéral est à la fois intensément internationalisé, servant les intérêts du capital globalisé, et en même temps de plus en plus enclin à verrouiller les frontières et à contrôler la circulation des personnes. Alors que les capitaux et les biens circulent librement, les individus – surtout les plus pauvres des pays en développement – voient leurs déplacements de plus en plus restreints. Cette contradiction illustre les tensions fondamentales d’un monde globalisé où la mobilité humaine est régulée de manière sélective, posant un défi majeur aux idéaux libéraux.
Dans ce contexte, la politique d’appartenance, qui regroupe les règles et pratiques d’immigration et de citoyenneté, devient le principal champ d’expression de ce nouveau nationalisme. Contrairement à une vision simplifiée et exclusivement libérale, cette politique est influencée simultanément par trois forces : le libéralisme, le néolibéralisme et le nationalisme. La sélection des immigrés par critères de mérite, initialement portée par un idéal libéral d’égalité et d’ouverture, est désormais largement dominée par une logique néolibérale, qui valorise la main-d’œuvre qualifiée utile à l’économie mondialisée. Parallèlement, la restriction accrue de l’immigration peu qualifiée traduit un impératif nationaliste visant à protéger les intérêts des travailleurs locaux les plus vulnérables.
La frontière entre ces dynamiques est poreuse et parfois difficile à démêler. Par exemple, les exigences d’intégration civique illustrent ce mélange de stratégies : elles peuvent servir à la fois un agenda libéral d’inclusion universelle et une politique nationaliste de contrôle et de sélection identitaire. Le « néolibéralisme nationaliste » qui émerge ainsi est moins une idéologie cohérente qu’un ensemble complexe d’impératifs contradictoires, mêlant la globalisation économique à la fermeture identitaire.
Il importe de comprendre que ce phénomène ne se limite pas à un simple rejet de l’autre, mais s’inscrit dans la restructuration profonde du rôle de l’État et de la nation dans un contexte marqué par la mondialisation. Le nationalisme néolibéral est à la fois produit et moteur des mutations sociales contemporaines, traduisant la tension entre une économie ouverte et une société fermée, entre mobilité des capitaux et immobilisation des individus. La compréhension de cette dialectique est essentielle pour saisir les défis politiques et sociaux liés aux migrations, à la citoyenneté et aux identités nationales dans le monde actuel.
Comment la gestion différenciée des migrants influence-t-elle les politiques d’immigration en Occident ?
La sociologie des migrations a solidement démontré que la migration engendre davantage de migrations, un phénomène connu sous le nom de « causalité cumulative ». Chaque mouvement migratoire modifie le contexte social, favorisant ainsi de nouveaux déplacements. Cela explique en partie pourquoi aucun État occidental n’a encore réussi à instaurer une politique durable d’immigration peu qualifiée, capable de soulager la pression exercée sur les canaux d’asile et de regroupement familial, tout en permettant une gestion plus libérale de ces derniers.
Pour les migrants peu qualifiés dans les pays à haut revenu, Martin Ruhs (2013) met en lumière une logique implacable : « nombres contre droits ». Accepter un grand nombre de ces migrants implique inévitablement de limiter leurs droits, notamment en renforçant leur retour. Dans des États sans tradition de respect des droits humains, comme certains États du Golfe, la Corée du Sud ou Singapour, ces restrictions sont appliquées sans hésitation. Ils empêchent systématiquement le regroupement familial et l’accès à la résidence permanente, encore moins à la citoyenneté. En revanche, les États occidentaux, liés par des normes égalitaires et des traditions de droits humains, éprouvent davantage de scrupules à restreindre les droits des migrants.
Le débat contemporain sur l’immigration en Occident reflète souvent cette tension. Une proposition controversée, telle que celle défendue par The Economist, semble embrasser cette logique « nombres contre droits » en suggérant que les migrants ne devraient avoir qu’un accès limité aux prestations sociales et qu’ils doivent rapidement intégrer le marché du travail. L’idée qu’ils pourraient même payer un impôt plus élevé, ou une taxe d’entrée, a été avancée par certains économistes, comme Gary Becker. Cette approche indistincte du terme « migrants » oublie cependant que cette gradation des droits est applicable uniquement aux migrants peu qualifiés.
À l’opposé, pour les migrants hautement qualifiés, une logique concurrentielle s’impose. Certains États n’hésitent pas à leur offrir des privilèges fiscaux, parfois supérieurs à ceux des citoyens. Le Danemark, par exemple, réduit significativement les impôts des travailleurs qualifiés étrangers pour leurs premières années, sans que cela trouble les partis populistes dominants. Cette différenciation traduit la volonté des États de « courtiser » les compétences rares tout en repoussant les migrants jugés moins « désirables ».
La proposition de limiter les droits des migrants peu qualifiés semble, à première vue, se rapprocher du « chauvinisme social » prôné par les partis d’extrême droite, qui réclament une restriction des prestations sociales aux seuls membres de la communauté ethnique dominante, considérée comme contributrice au système. Pourtant, une nuance importante existe : les partis radicaux de droite réclament souvent une fermeture complète des frontières, une opposition idéologique au pluralisme culturel et un discours racialiste explicite, comme on le voit dans les programmes de l’AfD en Allemagne ou du FPÖ en Autriche. Ces partis dépeignent les migrants comme une menace à la « survie » ethnique et culturelle de la nation, ce qui les distingue profondément des approches plus « libérales » – même si restrictives – des gouvernements occidentaux.
Une réflexion honnête sur les politiques migratoires doit reconnaître leur caractère structurellement restrictif. Aristide Zolberg souligne que, même dans des pays historiquement ouverts à l’immigration comme les États-Unis, les régimes d’immigration se situent près du pôle « fermé ». Cette fermeture est liée au système étatique westphalien et à la préservation des inégalités mondiales, où les frontières maintiennent des écarts salariaux en empêchant le libre mouvement de la main-d’œuvre.
L’évolution récente du capitalisme mondialisé a renforcé cette tendance. La mobilité accrue du capital, qui déplace les activités productives vers des zones à main-d’œuvre bon marché, incite les firmes à soutenir des politiques d’immigration restrictives. Ainsi, plus il est facile de délocaliser, moins il est favorable d’ouvrir les frontières aux travailleurs peu qualifiés.
Cette asymétrie fondamentale entre le droit universel de quitter un pays et le droit, non reconnu, d’en entrer révèle une contradiction majeure dans l’ordre migratoire contemporain. Si l’État peut librement choisir ses membres, comme le défend Brian Barry, cette position est problématique puisque l’appartenance à un État est généralement déterminée par la naissance, sans choix personnel, et que l’existence même d’une personne dépend de cet État.
Il est essentiel de comprendre que les politiques migratoires occidentales oscillent entre la gestion pragmatique d’une main-d’œuvre différenciée par compétences et la pression politique exercée par les courants nationalistes. Les limitations des droits accordés aux migrants peu qualifiés ne sont pas simplement des mesures économiques, mais aussi des stratégies pour préserver un ordre social et économique qui privilégie les citoyens et les groupes dominants. La reconnaissance de cette dynamique permet d’aborder plus finement les enjeux éthiques, politiques et sociaux liés aux migrations contemporaines.
Les Conditions d'Intégration en Allemagne : Une Approche Pragmatique de l'Immigration
L'acquisition du droit de séjour permanent dans les pays européens repose généralement sur une logique légale qui privilégie une intégration progressive, loin de l’automaticité de l’obtention de la résidence permanente observée dans les pays d'immigration classiques. En Allemagne, ce processus s'appelle Aufenthaltsverfestigung (consolidation du séjour). Cette approche, qui s'applique désormais aussi aux réfugiés, traduit un changement de paradigme où le droit au séjour est conditionné non seulement par la durée de présence, mais aussi par des exigences d'intégration spécifiques.
L'une des nouveautés majeures de cette logique réside dans le fait que les réfugiés doivent désormais également passer par des étapes d'intégration avant de pouvoir espérer un séjour permanent. Ces étapes incluent la présentation d'un casier judiciaire vierge, une dépendance minimale aux aides sociales et, bien entendu, la maîtrise de la langue allemande. Bien que ces conditions puissent être assouplies pour les réfugiés reconnus (selon Thym 2016:25), l'idée de rendre la résidence permanente conditionnelle reste déterminante. Cela reflète la réalité d'une migration mixte, où les motivations économiques se mêlent à des besoins de protection, et où la demande d'asile devient une stratégie de migration vers des pays riches. Ce phénomène rend obsolète l’ancien régime "exceptionnaliste" de Genève, fondé sur le concept de réfugié "politique".
Les Geduldete (les demandeurs d'asile déboutés) sont également soumis aux mesures d'intégration, bien qu'ils n'aient pas de permis de séjour légal. Ces individus, dont l'expulsion est souvent impossible en raison d'impossibilités administratives ou de dangers pour leur vie, sont protégés par la norme de non-refoulement du droit international. Cette inclusion des Geduldete dans le cadre des mesures d'intégration est une concession pragmatique qui place l'impératif d'intégration au-dessus de celui du contrôle de la migration. Un exemple de ce pragmatisme est la règle "3+2" qui permet aux Geduldete ayant trouvé une formation professionnelle de compléter celle-ci sur une période de trois ans, puis de travailler pendant deux années supplémentaires. Cette mesure présente également un avantage pour les employeurs, qui n’ont plus à vérifier le statut juridique de leurs employés potentiels. Toutefois, cette possibilité de transition entre la demande d'asile et la migration professionnelle pose la question de savoir si elle incite certains individus à abuser du système en déposant des demandes d'asile peu réalistes dans le seul but de poursuivre une carrière professionnelle.
Le ministère de l'Intérieur allemand a souligné que "une intégration limitée dans le temps est préférable à une période sans intégration" (Eichenhofer 2016:10). Toutefois, cette approche semble créer un dilemme : elle favorise l'intégration tout en générant un incitatif à une immigration non désirée. En ce sens, la distinction entre migration professionnelle et migration par le statut de réfugié devient floue, ce qui soulève des interrogations sur la pertinence de cette politique à long terme.
Par ailleurs, certains observateurs, tels que Liav Orgad (2017), ont suggéré que la politique d'intégration pour les migrants peu qualifiés adopte une approche plus "culturelle", tandis que pour les migrants qualifiés, l'approche reste davantage "économique". Cependant, la politique allemande de Fördern und Fordern (Promouvoir et Exiger), tout en visant en pratique les migrants peu qualifiés, n'a pas véritablement intégré de dimension culturelle. Les débats politiques, notamment en Bavière, autour de l’idée de la Leitkultur (culture directrice), n’ont pas conduit à des réformes législatives majeures. Ce concept, bien qu’il soit ancré dans certaines lois locales, n’est pas reconnu comme une obligation légale. La Cour constitutionnelle allemande a d’ailleurs estimé que l'intégration ne doit pas forcer un changement de personnalité, mais se limiter à l'adaptation de comportements externes.
En dépit de ces débats, l’intégration n’a pas pris un tour "culturel" après les événements de Cologne en 2015/16, où plusieurs centaines de femmes ont été agressées par des groupes d’hommes. Bien que la pression publique pour une culture d'intégration plus stricte ait augmenté, l’orientation législative n’a pas évolué vers une assimilation culturelle totale. L'intégration reste donc en Allemagne un enjeu de comportement plutôt qu'une adoption complète des modes de vie allemands.
Il est essentiel de comprendre que la politique d'intégration en Allemagne se distingue par sa nature pragmatique. En cherchant à équilibrer les impératifs d'intégration et de contrôle des migrations, elle s'efforce de gérer un flux migratoire complexe, où les frontières entre réfugiés et migrants économiques deviennent de plus en plus floues. Ce processus montre à quel point la politique migratoire contemporaine est influencée par des forces multiples, allant de la nécessité économique à des préoccupations humanitaires, ce qui rend son application et son évolution particulièrement complexes.
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