La biologie moderne, avec ses avancées en matière de biologie cellulaire, nous a permis de mieux comprendre les structures et les voies biochimiques des cellules. Toutefois, la complexité inhérente aux cellules reste, en grande partie, au-delà de la compréhension scientifique actuelle. La recherche s'intéresse donc à des méthodes innovantes permettant de simuler des conditions cellulaires tout en contournant cette complexité naturelle. Une approche prometteuse repose sur la microfluidique, qui permet la création de compartiments synthétiques de type cellulaire, tels que les GUVs stabilisées par des gouttelettes (dsGUVs), qui sont des vésicules lipidiques fusionnées avec des gouttelettes stabilisées par des copolymères.

Les avantages de cette méthode sont multiples. Elle permet une production rapide de cellules synthétiques, avec une capacité de générer jusqu'à 103 compartiments fonctionnels par seconde. Cela permet la fabrication de cellules de composition unique et précise, tout en étant capables de contenir différentes molécules biologiques grâce à des technologies d'injection pico-électronique. Cette approche, dite "bottom-up", permet l'assemblage progressif de modules intracellulaires avec des caractéristiques définies, rendant ainsi possibles des combinaisons de molécules et des structures moléculaires qui ne se produiraient pas spontanément dans un environnement naturel. De plus, après leur assemblage, ces systèmes peuvent être libérés de la phase huileuse et des gouttelettes stabilisatrices, permettant ainsi leur interaction avec des environnements biologiques pertinents tels que les matrices extracellulaires, les cellules, ou les protéines de signalisation.

Une autre application importante de la microfluidique est la détection des mutations rares grâce à des méthodes de quantification absolue de l'acide nucléique. En particulier, le PCR numérique par gouttelettes (ddPCR) permet une détection extrêmement précise de mutations rares, avec des seuils aussi bas que 0,001%. Cette technique repose sur la génération de gouttelettes monodispersées, dans lesquelles les échantillons d'ADN sont encapsulés et amplifiés. Cette approche surpasse largement les méthodes de séquençage classiques qui, bien qu'efficaces, souffrent d'une faible spécificité et ne peuvent pas détecter les mutations ayant une fréquence inférieure à 20%. En analysant les gouttelettes après amplification, il est possible de déterminer avec une grande précision la concentration de séquences d'ADN cibles et de référence, ce qui ouvre la voie à une détection plus fiable des mutations dans des contextes cliniques, comme le suivi du cancer.

Cependant, pour les patients ayant une faible charge tumorale, la détection directe de l'ADN tumoral circulant (ctDNA) est souvent compliquée, car il est masqué par des quantités élevées d'ADN sauvage. Une stratégie efficace pour contourner ce problème repose sur l'utilisation de pré-amplification dans les gouttelettes. Une telle méthode, développée par Pratt et al., permet d'enrichir les échantillons d'ADN tumoral en amplifiant les templates dans des gouttelettes de volume picolitre, ce qui permet d'augmenter la détection des mutations par un facteur de 50. Cette méthode a d'ailleurs permis de détecter des mutations de KRAS dans des échantillons de plasma de patients atteints de cancer du pancréas métastatique.

Les modèles de cultures cellulaires en 3D sont également un domaine où la microfluidique joue un rôle clé. Contrairement aux cultures traditionnelles en 2D, qui ne simulent que partiellement les conditions naturelles des cellules, les cultures en 3D reproduisent mieux la morphologie cellulaire et les environnements spécifiques aux tissus. Cela permet d'étudier le développement cellulaire et les interactions entre cellules dans des matrices tridimensionnelles. Les cultures cellulaires en 3D permettent également de mieux évaluer les effets des médicaments et des traitements dans des modèles plus réalistes et contrôlables que les modèles animaux. De plus, elles sont moins coûteuses et plus faciles à standardiser, offrant ainsi une alternative intéressante pour le criblage de médicaments, la modélisation de maladies, et l'évaluation de la toxicité.

L'utilisation de gouttelettes microfluidiques pour encapsuler des cellules dans des hydrogels permet de créer des environnements contrôlés pour les cultures cellulaires 3D. Ces hydrogels possèdent des propriétés de porosité et de perméabilité idéales pour simuler des environnements cellulaires réalistes. Ils permettent également de contrôler la taille et le nombre des compartiments cellulaires, ce qui est crucial pour la construction de modèles cellulaires cohérents à grande échelle. La densité cellulaire peut être augmentée, et la distribution des cellules peut être homogène, ce qui facilite l'étude de la croissance et de l'hétérogénéité des colonies clonales.

Les avancées récentes, comme la culture de cellules souches embryonnaires (mES) encapsulées dans des perles d'hydrogel et la mise en place de plateformes de perfusion à long terme, permettent d'examiner le comportement cellulaire dans des environnements plus complexes et dynamiques. Ces techniques, qui incluent la capture, l'encapsulation, et la culture perfusée des cellules, peuvent être observées à l'aide de la microscopie confocale et intégrées à des tests de PCR en temps réel, offrant ainsi des insights précieux sur le développement des cellules et la réponse aux traitements.

Enfin, la thermosensibilité des gels d'agarose a ouvert la voie à des techniques de PCR dans des gouttelettes liquides d'agarose, qui se solidifient à une température plus basse, permettant ainsi de piéger les produits d'amplification pour un nettoyage et une collecte plus faciles. Cette approche a été utilisée avec succès pour cultiver des colonies de levures à partir de cellules uniques, suivies d'une analyse de l'expression génique.

Ces technologies innovantes, rendues possibles par les avancées en microfluidique et en culture cellulaire 3D, offrent un potentiel énorme dans la recherche biomédicale, la détection précoce des maladies, et le développement de thérapies ciblées. Elles permettent de mieux comprendre la biologie cellulaire et ouvrent de nouvelles voies pour la médecine personnalisée.

Comment la cytométrie en flux et les techniques d'isolement des cellules tumorales circulantes (CTC) transforment les diagnostics médicaux

L'unité d'isolement est un élément clé dans la cytométrie en flux, un outil essentiel pour l'analyse des cellules et des particules. Le processus commence par un phénomène appelé focalisation hydrodynamique, qui est la première étape où un faisceau de particules ou de cellules est dirigé dans un jet de fluide au travers de micro-canaux. Le cheminement des cellules est crucial pour le bon fonctionnement des capteurs et des actionneurs : une variation minime de leur position peut entraîner une mauvaise détection, réduisant ainsi la précision du système dans l'unité d'isolement.

La focalisation hydrodynamique est généralement réalisée à l’aide d’un fluide de gaine. Dans une focalisation hydrodynamique bidimensionnelle, les cellules sont concentrées sur un seul plan, tandis que dans la focalisation tridimensionnelle, elles sont dirigées vers un flux de particules unique. Ce procédé est essentiel car il permet de garantir que seules les cellules pertinentes, telles que les cellules tumorales circulantes (CTC), atteignent les détecteurs optiques avec une signalisation claire.

Le rôle de l'unité de détection optique est de capturer les signaux émis par les cellules marquées aux fluorophores. Elle comprend des instruments optiques comme des lasers, des photodétecteurs et des filtres optiques. Lors du passage des cellules à travers le cytomètre en flux, elles sont éclairées par un laser, ce qui provoque la diffusion de la lumière ainsi que l'émission de fluorescence. La lumière diffusée permet d’obtenir des informations sur la morphologie des cellules, tandis que la fluorescence sert à détecter les cellules ciblées. En général, trois types de signaux optiques sont détectés dans un cytomètre en flux : la diffusion avant (FSC), la diffusion latérale (SSC) et la fluorescence (FL). La FSC renseigne sur la taille de la cellule, tandis que la SSC fournit des informations sur son contenu cellulaire.

Les détecteurs optiques utilisés varient en fonction de la sensibilité nécessaire. Pour des signaux forts comme la FSC ou la SSC, des photodétecteurs simples ou des photodétecteurs à avalanche suffisent. En revanche, pour des signaux faibles comme la fluorescence des cellules, il est indispensable d'utiliser des détecteurs hautement sensibles, comme les compteurs à photons uniques. Le choix du fluorophore utilisé pour marquer les cellules influe également sur la longueur d'onde du signal de fluorescence, et il est crucial de sélectionner un laser dont la longueur d'onde est inférieure à celle de la fluorescence du fluorophore. Les filtres optiques permettent ensuite d'isoler le signal de fluorescence et d'éviter la pollution par d’autres sources de bruit lumineux.

L'unité d'isolement prend les informations de l'unité de détection et effectue la séparation des cellules. Cette séparation peut se faire de deux manières principales : par isolement direct ou par isolement basé sur des gouttelettes. Dans la méthode d'isolement direct, les cellules sont séparées directement au sein du flux. Lorsqu'une CTC est détectée, l’unité de détection génère une impulsion qui entraîne la séparation de ces cellules dans différentes sorties de canaux. Plusieurs forces peuvent être utilisées pour réaliser cette séparation, comme la force diélectrophorétique, la force magnétophorétique ou la force acoustique. La méthode diélectrophorétique est la plus couramment utilisée car les cellules ne sont pas des particules chargées intrinsèquement. La magnitude de la force DEP est proportionnelle au gradient du champ électrique, permettant de diriger les cellules dans le canal en fonction de ce champ. L'utilisation de billes magnétiques pour le marquage permet d'appliquer un champ magnétique pour dévier le trajet des cellules ciblées.

En ce qui concerne l'isolement par gouttelettes, les cellules sont encapsulées dans des gouttelettes, et la séparation de ces gouttelettes se fait en utilisant des techniques microfluidiques classiques. Les forces acoustiques, électrostatiques et magnétiques peuvent être appliquées pour manipuler les gouttelettes. L'avantage de cette méthode est que les cellules restent protégées à l'intérieur des gouttelettes pendant tout le processus, ce qui permet leur utilisation pour d’autres analyses ou traitements après isolement. Cette méthode de coalescence des gouttelettes, réalisée à l'aide de forces acoustiques ou électrostatiques, optimise l'efficacité de l'isolement en réduisant les risques de contamination croisée entre les cellules.

L'utilisation de la technique immunomagnétique, qui repose sur le marquage des cellules avec des microbilles magnétiques ou des nanoparticules, permet non seulement la détection, mais aussi l'isolement des cellules. Ce procédé repose sur le principe de la liaison antigène–anticorps, où les anticorps sont liés aux particules magnétiques, qui interagissent ensuite avec les cellules marquées. L'ajout d'un champ magnétique permet de déplacer ces cellules vers une sortie spécifique du dispositif microfluidique, augmentant ainsi le taux de récupération et la pureté de l'isolement des cellules tumorales circulantes.

L'efficacité de cette méthode dépend grandement de la capacité des particules magnétiques à se lier efficacement aux anticorps. Il existe deux principales méthodes de liaison : la liaison directe, où les anticorps sont directement attachés aux particules magnétiques, et la liaison indirecte, où les anticorps primaires sont associés à des anticorps secondaires qui se lient aux particules magnétiques. Cependant, un surdosage de particules magnétiques peut nuire à la performance de l'appareil, provoquant des interférences entre particules ou même des ruptures de membranes cellulaires.

Ces différentes méthodes d'isolement, qu'elles soient basées sur des forces électrostatiques, acoustiques ou magnétiques, offrent des avantages uniques en termes de sélectivité, de compatibilité biologique et de rendement. Elles permettent de cibler spécifiquement les CTC, une tâche cruciale dans le diagnostic précoce des cancers, où la détection et l’isolement de ces cellules jouent un rôle primordial dans la surveillance des tumeurs et l’évaluation de l’efficacité des traitements.