La question de la race a toujours occupé une place centrale dans la politique américaine, mais les discours des présidents sur ce sujet ont évolué de manière complexe depuis les années 1960. Comment les présidents ont-ils abordé la question raciale au fil du temps, en particulier après les avancées des droits civiques dans les années 1960 ? Pourquoi, malgré des progrès législatifs importants, les présidents n'ont-ils pas davantage fait pression pour une égalité raciale concrète aux États-Unis, en particulier après les années 1960 ? Cette réflexion vise à apporter un éclairage sur ces interrogations en analysant l'évolution des discours présidentiels sur la race sur une période de cinquante ans, depuis Lyndon Johnson jusqu’à Barack Obama.

L’un des constats principaux que l’on peut tirer de cette analyse est que, malgré les changements dans la forme des discours, l’objectif reste fondamentalement le même : convaincre les électeurs blancs, y compris les groupes ethniques blancs, de soutenir le président. L’ambiguïté des discours des présidents sur la race trouve son origine dans un objectif stratégique : apaiser des tensions raciales sous-jacentes tout en maintenant l’adhésion de la majorité blanche, principale base électorale.

Cela peut sembler paradoxal à première vue. En effet, après les années 1960, certains présidents ont utilisé des discours qui prônaient l’égalité des droits, et pourtant la question raciale n'a cessé de revenir comme un sujet de division, particulièrement lors des campagnes de réélection. Mais au-delà de ce paradoxe apparent, il est possible de discerner une logique sous-jacente dans l’utilisation des discours sur la race. En période électorale, les présidents ajustent leurs propos en fonction de la composition de leur électorat. Au fil du temps, l’idée d’une "identité américaine" est souvent définie par des valeurs communes qui excluent implicitement certaines populations raciales et ethniques, même lorsque les discours sont censés s’adresser à un électorat plus large et plus diversifié.

Pour analyser cette dynamique, il est nécessaire de revenir sur quelques points essentiels. Tout d’abord, les concepts de race et d’ethnicité ont eux-mêmes évolué au fil du temps, modifiant ainsi la manière dont les groupes ethniques sont perçus et intégrés dans le paysage social américain. Lorsque l’on parle de "racialisation" des groupes ethniques, on fait référence au processus par lequel des identités ethniques sont réinterprétées à travers le prisme de la race. Cette dynamique est particulièrement évidente à partir des années 1970, lorsque des groupes comme les Italiens, traditionnellement considérés comme "ethniques", commencent à être de plus en plus perçus comme blancs dans le discours politique.

Une autre caractéristique notable de cette évolution réside dans le fait que les présidents, bien qu’ils utilisent des discours égalitaires, ont souvent caché sous des apparences de neutralité politique des appels à la résurgence de sentiments raciaux et ethniques. Richard Nixon fut le premier à déployer cette stratégie à grande échelle, notamment dans ses campagnes de 1968 et de 1972, où il tenta d’apaiser les tensions raciales tout en manipulant la peur et le ressentiment des Blancs envers les changements sociaux en cours. Cette tactique, qui se poursuivra sous les présidences de Ronald Reagan et d’autres, fait appel à une forme de nationalisme racial, souvent dissimulée sous des propos d’unité nationale et de valeurs communes.

Cela ne signifie pas que les présidents ne reconnaissent pas la question raciale. Au contraire, ils la cachent souvent dans un langage codé, afin de ménager l’électorat blanc tout en s’adressant à des groupes raciaux plus divers. Les présidents ont ainsi l’habitude d’adapter leurs discours en fonction de l’évolution des réalités sociales et démographiques. Cependant, ce qui demeure constant, c'est l’idée de maintenir un équilibre entre des propositions progressistes sur le papier et un retour à des politiques conservatrices, à travers un langage qui évite d’aborder frontalement les inégalités raciales.

Ainsi, l'analyse des discours présidentiels montre une tendance à minimiser la question raciale tout en maintenant des discours de division subtile, destinés à préserver une majorité électorale blanche. Ce phénomène, loin d’être résolu, persiste à travers les décennies, et même après l’élection de Barack Obama, qui semblait marquer un tournant dans les relations raciales aux États-Unis. Bien que certains progrès aient été réalisés, la question raciale reste largement obstruée par des stratégies de langage qui contournent les véritables enjeux.

Le rôle du président en tant que porte-parole de l’Amérique est d’autant plus complexe qu’il doit naviguer entre des discours qui reflètent les valeurs de l’élite dominante tout en faisant des concessions à des groupes ethniques croissants. Dans ce contexte, l’image d’une "Amérique unie" devient une construction idéologique qui cherche à masquer les inégalités profondes, et les présidents, en toute bonne foi ou non, participent à cette construction à travers leurs discours.

Il est important de souligner que l’évolution de cette rhétorique n’est pas seulement un jeu de mots, mais un jeu de pouvoir. En effet, le discours présidentiel a une fonction essentielle dans la définition de l'identité nationale. Le président, en choisissant certains mots, en excluant d'autres, contribue à l’élargissement ou à la contraction de l’espace politique pour les groupes raciaux et ethniques. L’évolution de cette rhétorique montre que, loin de se limiter à un phénomène passager, la question raciale continue de façonner l’identité politique américaine et la manière dont les États-Unis abordent la justice sociale.

L’héritage de Nixon et la question de l’identité ethnique en Amérique

Le discours de Richard Nixon, prononcé lors d’un dîner de la fête de Christophe Colomb le 8 octobre 1972, met en lumière la manière dont l’administration républicaine aborde la question de l’identité ethnique américaine dans un contexte de tensions raciales et sociales. Ce discours honore les « millions d’Américains d’origine italienne » qui, selon Nixon, ont « réussi » non pas en demandant quelque chose, mais en cherchant simplement l’opportunité de travailler. Ce discours s'inscrit dans une série de déclarations qui visent à légitimer une politique de réconciliation nationale tout en jouant sur les préoccupations des différents groupes ethniques américains.

La manière dont Nixon conçoit l’identité ethnique semble paradoxale : il rend hommage aux Italiens en soulignant leur assimilation à l’américaine tout en éludant souvent les tensions qui peuvent exister entre les différentes communautés, qu’elles soient blanches, noires, hispaniques ou asiatiques. Ce type de discours fait écho à une stratégie plus large de Nixon visant à galvaniser le soutien de groupes sociaux spécifiques, tout en conservant une image de président unificateur. Cela devient particulièrement pertinent dans le contexte de la ségrégation scolaire, un des enjeux majeurs de l’époque, où Nixon s’opposait fermement à l’« autobusage » des élèves – une politique visant à des moyens de transport pour forcer une intégration raciale dans les écoles publiques.

Cette position trouve une autre expression lors de l’inauguration du Musée de l’Immigration sur l'île de la Liberté le 26 septembre 1972. Nixon y évoque les contributions des immigrants à la construction de l’Amérique, tout en réitérant l’idée que ces immigrants « sont venus ici non pas pour demander quelque chose, mais pour saisir l'opportunité ». Cette vision des immigrants comme travailleurs acharnés, ne demandant rien d’autre que la chance de réussir, est en phase avec la rhétorique plus large de l'« American Dream », un mythe fondateur de la culture américaine. Mais cette vision laisse de côté la complexité de l’immigration, notamment les discriminations et les difficultés auxquelles ces groupes ont dû faire face.

En réalité, Nixon met en œuvre une stratégie politique visant à solidifier les liens avec les groupes ethniques blancs tout en s’adressant aux Américains d'origine européenne. Par son discours, il cherche à capturer l'attention des électeurs qui pourraient se sentir marginalisés dans un climat social de plus en plus polarisé, tout en s'éloignant des fractures raciales qui se sont intensifiées au cours des années 1960. Cela reflète également une vision du « melting pot » américain qui, loin d’être une réalité homogène, est en fait traversée par des lignes de clivage marquées, dont la race et la classe sont les plus évidentes.

Il est intéressant de noter que Nixon, à travers ses déclarations, participe indirectement à la formulation d’une politique « ethnique » qui s’enracine dans l’idée que certaines communautés, bien qu'elles aient migré et se soient installées aux États-Unis, doivent renoncer à leurs spécificités culturelles au profit d’une assimilation totale. Cette pression pour s'intégrer tout en conservant l’illusion d’une homogénéité sociale trouve son aboutissement dans la mise en place de politiques qui dissimulent les inégalités sous un vernis de succès économique individuel.

Pour Nixon, l’accent est mis sur l’intégration par le travail et le respect des valeurs américaines fondamentales. Cependant, cette vision simpliste ne prend pas en compte la diversité réelle des expériences vécues par les immigrants et les minorités raciales. Les défis liés à la discrimination, à la ségrégation et à l’inégalité économique sont minimisés, voire ignorés. Cela est particulièrement évident dans la question de l’« autobusage », où la politique du président s’oppose à l’égalité raciale dans les écoles publiques, à la fois sur des bases idéologiques et pratiques. Nixon se positionne contre ce qu’il considère comme une forme d’ingérence gouvernementale excessive dans les affaires locales, préférant laisser les communautés déterminer la meilleure manière de gérer l’éducation des enfants. Mais ce rejet de l’intégration scolaire est également perçu comme une tentative de conserver un statu quo racial qui avantagerait les groupes blancs au détriment des autres communautés.

Au-delà des discours politiques de Nixon, il est important de comprendre que son approche de l'identité ethnique et de la politique d’immigration ne se limite pas à une simple célébration de la réussite. Elle relève d’une volonté de maintenir une vision du pays où l’assimilation est considérée comme la seule voie possible pour les immigrants et leurs descendants. Cette vision a des implications profondes sur la manière dont les minorités, notamment les afro-américains, les hispaniques et les asiatiques, étaient perçues et traitées à l’époque.

Il est aussi crucial de replacer ces événements dans un contexte plus large. L’Amérique des années 1970 est en pleine transformation sociale, politique et économique. Les mouvements des droits civiques, la lutte contre la guerre du Vietnam, et les changements dans l’économie américaine modifient en profondeur les relations sociales. Nixon, par ses discours, cherchait non seulement à contenir les tensions raciales mais aussi à canaliser les peurs et les frustrations de certains groupes blancs, notamment les ouvriers, les fermiers et les petites classes moyennes. Cela se traduit par une politique qui tend à exclure certains groupes tout en incluant d’autres dans une vision restreinte et souvent idéalisée de l’Amérique.

L’étude des discours de Nixon permet de saisir la complexité de la politique ethnique aux États-Unis, où les identités ne sont pas uniquement construites par des origines ethniques ou raciales mais aussi par des processus sociaux, politiques et économiques qui les façonnent en permanence.