Les sites web d'extrême droite jouent un rôle stratégique dans l'influence de l'opinion publique, particulièrement en Europe centrale et orientale. Ces plateformes, souvent perçues comme des espaces virtuels dédiés à la propagation de discours nationalistes et radicalisés, se servent des dynamiques du web pour capter l'attention et manipuler les masses. Leur influence ne se limite pas à la simple diffusion d'idéologies extrémistes ; elles cherchent à redéfinir les frontières de la vérité en transformant des narratives politiquement chargées en une réalité qui semble, à force de répétition, indiscutable.

Ces sites, dans leur fonctionnement, utilisent des techniques sophistiquées d'analyse et de gestion de données, souvent accompagnées de campagnes ciblées sur les réseaux sociaux. Elles exploitent la viralité des messages pour maximiser leur portée. Ce phénomène n’est pas seulement limité à l’extrême droite, mais touche également d’autres sphères politiques, qui utilisent des outils similaires pour renforcer leurs messages et asseoir leur pouvoir.

L'un des aspects les plus inquiétants de ces campagnes est leur capacité à contourner les mécanismes traditionnels de vérification de l'information. Les plateformes numériques, en dépit de leurs efforts pour limiter la désinformation, sont encore des terrains fertiles pour la propagation de fausses nouvelles. La nature même des réseaux sociaux, où les algorithmes favorisent la diffusion de contenus polémiques ou sensationnalistes, aggrave cette situation. Les utilisateurs, souvent inconscients des manipulations auxquelles ils sont soumis, deviennent des vecteurs involontaires de la désinformation.

L’analyse des incidents cybernétiques, notamment ceux impliquant des acteurs étatiques, met en évidence l’utilisation croissante des bots et des comptes automatisés pour manipuler l’opinion publique. Ces "armées" de robots numériques, capables de retweeter, liker et commenter à une échelle massive, façonnent l’opinion et renforcent des messages politiques en imitant l'activité humaine. La frontière entre le réel et l’artificiel devient de plus en plus floue, rendant difficile la distinction entre un soutien véritable et un soutien généré par des programmes automatisés.

L’impact de ces campagnes est profondément insidieux. Elles ne se contentent pas de falsifier l’information, elles redéfinissent la manière dont l’opinion publique se construit. Ce processus de fabrication du consentement, à travers des outils numériques, modifie la perception de la réalité elle-même. À long terme, ces techniques peuvent avoir des conséquences désastreuses sur la démocratie, car elles érodent la confiance des citoyens envers les institutions, le discours public et, en fin de compte, le processus démocratique lui-même.

L’importance de comprendre ces dynamiques dépasse la simple reconnaissance des dangers immédiats. Ce phénomène n'est pas simplement une question de propagande ; il touche aux fondements mêmes de la société numérique actuelle. L'impact de ces stratégies de manipulation va au-delà des sphères politiques : il a des répercussions sociales, économiques et même culturelles. Les démocraties contemporaines, en particulier en Europe, sont en pleine transformation sous l’effet de ces nouvelles formes de guerre de l'information.

Face à ce phénomène, il est essentiel de développer une vigilance accrue. Comprendre comment ces campagnes fonctionnent, leurs techniques de diffusion, ainsi que les structures invisibles qui les soutiennent, permet de mieux appréhender les enjeux contemporains de la désinformation. Cela ne se limite pas à une simple question de liberté d'expression, mais touche aussi à la construction de la vérité dans un monde hyperconnecté.

La gestion de cette désinformation passe également par une responsabilisation collective. Si chaque individu sur les réseaux sociaux devient un acteur de la propagation ou de la vérification de l’information, alors la lutte contre les fake news devient une responsabilité partagée. Cela implique de repenser les pratiques de consommation d'information, de renforcer les capacités de vérification des faits et de soutenir des initiatives de fact-checking indépendantes.

L'influence des fake news et des réseaux sociaux sur le comportement électoral

Il est couramment observé que les individus, même lorsqu'ils appartiennent à des groupes sociaux plus larges, semblent relativement insensibles aux influences extérieures qui les entourent. Si les électeurs étaient entièrement individualisés et sensibles aux facteurs contextuels, nous assisterions à des niveaux d’instabilité électorale excessifs à chaque élection, ce qui n’est cependant pas le cas dans les démocraties libérales. En conséquence, il semble plausible que les choix électoraux des citoyens soient encore influencés par leurs réseaux sociaux, qui sont socialement construits et relativement homogènes (Dalton 1996), avec des frontières qui ne varient pas de manière significative au fil du temps.

Dans ce cadre, plutôt que de limiter le débat sur les déterminants du vote à une opposition entre électeurs socialement déterminés et électeurs individualisés, il semble plus pertinent de construire nos hypothèses sur un modèle comportemental des électeurs qui se situe « entre les deux » : l’électeur est assurément plus autonome et stratégique dans ses choix d’affiliations, mais reste néanmoins identifié et socialement situé (Corbetta et Cavazza 2009 : 371). En s’appuyant sur cette perspective, il est possible d’élaborer un cadre analytique sur la pertinence des fake news qui évite de se limiter à la vision conventionnelle et déterministe de leur impact.

Il est donc crucial de se demander si l’exposition aux fake news influence réellement le comportement électoral ou si elle ne fait que renforcer les croyances politiques préexistantes. Pour répondre à cette question, il convient de s’intéresser à la manière dont les citoyens ordinaires rencontrent et consomment de la désinformation sur les réseaux sociaux. La lecture de fake news par de larges populations ne signifie pas nécessairement que ces messages aient un impact direct sur les attitudes publiques. Le concept d’« exposition sélective » est particulièrement éclairant à cet égard. Des études ont montré que les individus ont tendance à privilégier les informations qui confirment leurs opinions, y compris sur des sujets politiques, lorsque ces informations sont disponibles (Iyengar et Hahn 2009 ; Iyengar et al. 2008).

Pourquoi ce phénomène se produit-il ? Parce que l’exposition sélective permet aux individus de défendre leurs attitudes et croyances en évitant les informations susceptibles de les remettre en question et en recherchant celles qui renforcent leurs convictions (Hart et al. 2009). Ce mécanisme est d’autant plus puissant que l’engagement des individus envers leurs croyances préexistantes est profond (Kiesler 1971). Ce phénomène s’applique tout particulièrement au domaine politique : les individus ayant des opinions politiques bien ancrées sont souvent les plus susceptibles de s’exposer de manière sélective à des informations politiques, car leurs croyances sont accessibles et personnelles. De plus, la politique génère souvent des réponses affectives, un facteur supplémentaire qui motive l’exposition sélective (Stroud 2008).

Aujourd'hui, la facilité d’engagement dans cette exposition sélective est exacerbée par les médias sociaux. L'existence des réseaux sociaux a renforcé cette dynamique, non seulement sur un plan quantitatif, mais aussi qualitatif. En effet, les algorithmes des réseaux sociaux favorisent la confirmation des biais cognitifs humains, créant ainsi des « bulles de filtrage » dans lesquelles les utilisateurs sont soumis à une exposition limitée aux idées divergentes et à des points de vue différents (Bessi et al. 2016 ; Sunstein 2001). Cela permet à l’individu de se retrouver dans un environnement homogène, où ses croyances sont continuellement validées par l’information qui lui est exposée.

Dans ce contexte, le rôle des campagnes politiques mérite une attention particulière. Les recherches suggèrent que la publicité politique peut influencer les choix électoraux de deux manières principales : en fournissant de nouveaux arguments aux électeurs ou en renforçant la pertinence de ceux déjà existants. Toutefois, ces effets sont à nuancer. Une fois qu’une élection approche, les électeurs ont déjà absorbé tous les arguments qu’ils jugent pertinents, que ce soit dans les médias ou à travers d'autres sources (Gelman et King 1993). Il est donc peu probable que les campagnes politiques puissent changer l’opinion des électeurs sur des sujets sur lesquels ils ont déjà une opinion forte. En réalité, il est plus probable que les campagnes aient un effet limité sur l’orientation électorale, principalement en réaffirmant des arguments auxquels les électeurs adhéraient déjà (Kalla et Broockman 2018).

Quant à la possibilité pour une campagne de rendre certains arguments plus saillants, cet effet est généralement faible lorsqu’il existe des signaux clairs et que les électeurs sont confrontés à des arguments contradictoires (Druckman, Peterson et Slothuus 2013). Lors des élections générales, cette situation est typique, où la perspective partisane empêche de nombreux électeurs de considérer des cadres alternatifs. En conséquence, ce que fait généralement une campagne, c’est de fournir des informations que les électeurs connaissent déjà et de tenter d’accroître la pertinence de ces informations. Cela ne suffit généralement pas à les amener à abandonner leur parti, d’autant plus que les électeurs tendent à privilégier la cohérence de leurs opinions préexistantes.

Dans ce sens, les campagnes politiques semblent avoir des effets « minimes » sur le comportement électoral, voire nuls, comme l’indiquent plusieurs études de terrain (Kalla et Broockman 2018). Cela démontre l’importance de remettre en question l’idée répandue selon laquelle les choix électoraux peuvent facilement être manipulés à travers la propagande ou la désinformation.

Concernant les fake news, il convient de souligner que la consommation de ces informations fausses sur les réseaux sociaux ne constitue pas nécessairement une menace directe pour les attitudes politiques. L’effet des fake news sur le comportement électoral reste relativement limité, notamment parce que ces informations ne font souvent que renforcer les croyances politiques existantes, plutôt que de les modifier. La consommation de fake news suit souvent les mêmes dynamiques que celles observées dans la consommation d'informations politiques plus traditionnelles : les électeurs tendent à rechercher des informations qui confirment leurs opinions, et non celles qui les défient.

La question centrale, dès lors, n’est pas de savoir dans quelle mesure les fake news sont partagées sur des plateformes comme Facebook ou Twitter, mais de comprendre leur impact réel sur les comportements électoraux. En effet, bien que des statistiques montrent une large diffusion des fake news, ces chiffres doivent être interprétés avec prudence. Tout d’abord, elles ne prennent pas en compte l’audience réelle de ces informations : la majorité des utilisateurs de ces plateformes ne consomment que peu d’actualités politiques. Ensuite, ces statistiques ne considèrent pas la comparaison avec la consommation d’informations plus traditionnelles et fiables, qui reste largement prédominante dans l’espace médiatique.

Les recherches sur la propagation des fake news, notamment sur Twitter, montrent que les histoires fausses se propagent beaucoup plus rapidement et largement que celles qui sont vérifiées (Vosoughi, Roy, et Aral 2018). Cependant, il est crucial de comprendre que la vitesse et l’étendue de cette propagation ne signifient pas nécessairement qu’elles influencent de manière significative l’opinion publique, car l’exposition aux fake news reste un phénomène marginal comparé à la consommation d’informations classiques.

Comment les groupes d'extrême droite utilisent-ils le web pour la propagande et la mobilisation en Europe de l'Est ?

Les organisations d'extrême droite en Europe centrale et orientale utilisent le web comme un outil stratégique pour propager leurs idéologies, mobiliser leurs partisans et créer une identité collective. À travers une analyse des sites web de 188 organisations radicales de droite, réparties entre quatre pays – la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque – nous avons pu cerner plusieurs fonctions politiques du web : la propagande, la mobilisation, l’internationalisation et la création d’une identité idéologique collective.

Les sites web analysés présentent une diversité d’acteurs au sein de l’extrême droite, allant des partis politiques radicaux aux mouvements, groupes néo-nazis et organisations culturelles ou commerciales. Ces groupes recourent largement à la diffusion de contenu textuel et visuel pour atteindre différents objectifs politiques. En effet, la propagande en ligne est omniprésente, utilisée aussi bien pour attirer de nouveaux membres que pour maintenir la cohésion interne de ces organisations.

Les différences notables entre les pays révèlent des stratégies variées en matière de mobilisation en ligne. Par exemple, les groupes d’extrême droite polonais sont particulièrement actifs, non seulement sur leurs sites web mais aussi dans leurs interactions avec le public, fournissant des informations détaillées sur leurs lieux de rencontre, leurs contacts et leurs activités. En revanche, les groupes tchèques semblent davantage orientés vers une internationalisation de leurs actions, cherchant à établir des liens transnationaux avec des organisations similaires. Les sites slovaques montrent une activité modérée, tandis que les groupes hongrois, paradoxalement, malgré leur présence politique forte au sein du gouvernement et du parlement, affichent une activité en ligne relativement faible, ce qui confirme en partie l’hypothèse de la relation inverse entre la mobilisation en ligne et le succès électoral institutionnel.

Le contenu des sites web d'extrême droite se divise principalement en deux formes de propagande : textuelle et visuelle. La propagande textuelle comprend des éléments comme des slogans, des bibliographies, des matériaux de conférence et des articles. Quant à la propagande visuelle, elle se compose de symboles de haine, de bannières, de vidéos et d’images qui véhiculent une idéologie nationaliste et xénophobe. L’usage de l’image, en particulier, est stratégique car elle parvient à capter des émotions intenses telles que la peur et l’enthousiasme, renforçant ainsi l'efficacité des messages politiques. De nombreuses études récentes ont souligné l'importance de ces matériaux visuels pour la mobilisation en ligne, car ils appellent à l’action de manière plus immédiate et visuellement impactante.

Les résultats de notre étude montrent que, dans les quatre pays analysés, la majorité des groupes d’extrême droite privilégient la propagande en ligne. En moyenne, plus de 80 % des sites présentent des éléments visuels et textuels de propagande. Cette stratégie est particulièrement marquée en Slovaquie et en République tchèque, où 100 % et 98 % des sites, respectivement, utilisent ces formes de propagande. Les groupes hongrois et polonais, bien que présents en ligne, affichent une utilisation plus mesurée de ces techniques. Le contenu propagandiste est principalement destiné aux sympathisants et membres de ces organisations, offrant une riche collection de documents, photos et symboles racistes, nationalistes et fascistes, conçus pour renforcer leur identité collective et justifier leurs idéologies extrémistes.

En conclusion, il apparaît que, bien que les groupes d’extrême droite en Europe centrale et orientale utilisent massivement le web pour diffuser leur idéologie, cette utilisation varie considérablement d’un pays à l’autre, en fonction des contextes politiques et sociaux spécifiques. La propagande en ligne devient ainsi un outil de plus en plus sophistiqué pour les extrémistes, qui savent exploiter les possibilités offertes par le numérique pour diffuser leurs idées et mobiliser leurs partisans à une échelle transnationale. Cependant, au-delà de cette analyse, il est crucial de comprendre que l’ampleur de l’utilisation du web pour ces fins peut aussi être un indicateur des tensions sociales internes et des résistances démocratiques qui caractérisent ces sociétés. L’augmentation de l’influence de ces groupes en ligne peut alimenter des débats sur la régulation du discours sur internet et la lutte contre les discours haineux tout en prenant en compte les libertés fondamentales d’expression.

Quelles sont les implications des lois sur les réseaux sociaux et la désinformation en Allemagne et en France ?

Le cadre législatif entourant la régulation des contenus sur les réseaux sociaux et la lutte contre les fausses informations a pris une tournure décisive avec des lois telles que le NetzDG (loi allemande sur la régulation des réseaux sociaux) et la "Loi contre les fausses informations" en France. Bien que chaque pays puisse ajuster ses lois en fonction de son contexte social et politique, ces initiatives montrent un mouvement vers une plus grande régulation des plateformes en ligne afin de lutter contre la propagation de la haine, des contenus illégaux et de la désinformation.

Le NetzDG, entré en vigueur en Allemagne en 2018, oblige les grandes plateformes sociales telles que Facebook, YouTube et Twitter à supprimer les contenus illégaux dans un délai de 24 heures après notification, sous peine de lourdes amendes. La loi a été élaborée dans un contexte où les réseaux sociaux sont devenus des vecteurs de propagande haineuse, de discours extrémistes et de fausses informations, affectant gravement le climat politique et social. Cependant, cette régulation a soulevé des critiques concernant la censure excessive et l'atteinte à la liberté d'expression, notamment en raison de l'absence de clarté sur les critères de suppression des contenus et des tensions entre les autorités et les géants technologiques.

Les entreprises comme Google, propriétaire de YouTube, se sont révélées parmi les exemples les plus détaillés dans leurs rapports concernant l'application de ces règles. Toutefois, les données fournies par ces plateformes ne sont pas toujours aussi complètes ou précises qu'elles devraient l’être, laissant place à une certaine opacité sur le processus de suppression des contenus. Bien que le NetzDG n'impose pas de niveau de détail précis dans les rapports des entreprises, Google semble avoir dépassé les attentes légales, fournissant des informations plus détaillées que ce que la loi exige.

En France, la "Loi contre les fausses informations" de 2018 a été introduite pour répondre à l'influence des fausses informations pendant les périodes électorales. Cette législation visait principalement à permettre une régulation plus stricte des contenus, notamment en période de campagne électorale. Bien que son champ d'application soit plus ciblé que celui du NetzDG, elle est tout aussi significative pour la régulation des plateformes de médias sociaux. La loi française, comme son homologue allemande, se heurte à des questions de liberté d'expression et de contrôle sur les informations, d’autant plus qu’il est difficile de définir précisément ce qu’est une "fausse information".

Il est essentiel de noter que ces législations, bien que visant à contrer les abus des réseaux sociaux, ne sont pas les seules actions entreprises pour lutter contre la désinformation. Des campagnes pour l’éducation aux médias ont été lancées par des associations journalistiques et des ONG, cherchant à sensibiliser les citoyens aux risques de la désinformation. Ces initiatives, bien que pertinentes, échappent souvent à la portée des lois en question et soulignent la nécessité d'une approche complémentaire en matière de régulation et d'éducation.

Cependant, l'absence de définition universelle et uniforme de ce qu’est la "désinformation" ou une "fausse nouvelle" reste un défi majeur pour ces législations. Par exemple, un article peut être considéré comme faux dans un pays en raison de son impact sur l’opinion publique, mais il pourrait être jugé comme légitime dans un autre, en fonction de son contexte et de son intention. En outre, la question de l'intention derrière la diffusion d'une fausse information, de son effet et du medium utilisé sont des éléments cruciaux pour comprendre comment ces lois pourraient évoluer à travers le monde.

En ce qui concerne les plateformes elles-mêmes, il existe une pression croissante pour qu'elles ne se contentent pas de supprimer les contenus jugés nuisibles, mais qu'elles participent activement à la création de mécanismes d’autosurveillance et à l'amélioration de la transparence dans leurs pratiques. Il est donc possible que, dans les années à venir, nous assistions à une plus grande collaboration entre les régulateurs et les entreprises pour créer des standards de responsabilité plus clairs et plus cohérents. Cela pourrait inclure la mise en place d'outils d'intelligence artificielle capables de repérer plus rapidement les fausses informations tout en garantissant que la liberté d'expression ne soit pas restreinte de manière injustifiée.

Il est également important de comprendre que, bien que ces législations s'efforcent de répondre à un problème complexe, elles ne peuvent à elles seules éradiquer les phénomènes de désinformation ou de discours haineux. L'éducation aux médias, la vérification des faits et le renforcement de l’esprit critique au sein de la population restent des éléments essentiels à une approche globale.

Le Code de Pratique de l'UE sur la Désinformation et le Risque de Privatisation de la Censure

L’écosystème Internet a radicalement modifié la manière dont nous consommons l'information, et le rôle des réseaux sociaux et des moteurs de recherche dans la diffusion des nouvelles – un phénomène qualifié de « plateformeisation de la distribution de l'information » – ne cesse de croître. La transformation de l’environnement médiatique, provoquée par les plateformes en ligne, a affaibli le rôle des journalistes en tant que gardiens de l'information, un rôle qui a désormais été transféré à des ingénieurs, des programmeurs et des concepteurs. Ce changement a conduit à un phénomène complexe, qualifié de « désordre informationnel », dans lequel se mélangent propagande politique, influences étrangères, désinformation, satire et autres phénomènes, mettant en crise les catégories juridiques classiques concernant les médias et les limites de la liberté d’expression et d'information.

Le problème principal de ce désordre est la difficulté à distinguer ces différentes catégories, ce qui perturbe les régulations en matière de médias et d'information. D'un côté, la liberté d'information peut être vue comme un droit d'accès aux données publiques, mais elle renvoie, dans le cadre de cette analyse, au droit de s’informer et de recevoir des nouvelles au sens large. Dans ce contexte, l’absence de régulation des plateformes en ligne et le fait que les règles du journalisme ne s’appliquent pas à ces plateformes ont conduit à une prolifération des fake news, autrement dit de la désinformation.

L’objectif de cette section est d'analyser l'action de l'Union Européenne (UE), en particulier le Code de Pratique sur la Désinformation (le Code), et ses limites. Le Code représente un instrument de droit souple qui incite ses signataires – parmi lesquels figurent les plus grandes plateformes Internet, telles que Google, Facebook et Twitter – à adopter certaines stratégies pour limiter la propagation des fake news. Ces actions comprennent : (1) éviter de générer des revenus par la publicité liée aux fake news ; (2) réduire la visibilité de la désinformation et favoriser la découverte de contenus fiables ; (3) privilégier les informations pertinentes, authentiques et autoritaires ; (4) garantir la transparence dans les publicités et les contenus sponsorisés ; et (5) supprimer les faux comptes et réguler l’activité des bots sur les plateformes. Ce cadre législatif, bien que pertinent, soulève des questions quant à l’impact qu'il peut avoir sur la liberté de la presse, c’est-à-dire sur le droit d'informer et de recevoir des informations.

En ce qui concerne la légitimité des actions entreprises par l'UE, la question est de savoir si elles respectent la Charte des Droits Fondamentaux de l'UE et la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH). Bien que l'article 11 de la Charte européenne des droits fondamentaux protège la liberté d'expression, son champ d’application est limité par l'absence de législation spécifique et par la nécessité d'adopter des mesures proportionnelles en matière de censure. La CEDH, par sa jurisprudence, a affirmé à plusieurs reprises le droit à l'information et a souligné l'importance du pluralisme médiatique. Elle a également précisé que les journalistes doivent respecter les principes de bonne foi et assumer leurs responsabilités en matière de diffusion de l’information. Toutefois, la question de savoir si les fake news peuvent être protégées par la liberté d’expression demeure plus complexe. En effet, la désinformation ne peut être considérée comme une expression protégée, notamment lorsqu’elle est diffusée dans un cadre journalistique.

Il existe cependant une zone grise lorsqu’il s'agit de la propagande politique. Ce phénomène, qui utilise parfois des mensonges, peut être couvert par certaines libertés, mais il est limité par les normes relatives à la diffamation et à la protection des droits des individus. Dans ce cadre, la presse joue un rôle crucial en tant que chien de garde de la démocratie : elle informe les citoyens, rend les gouvernements responsables et crée la base du débat public. Contrairement aux États-Unis, où la liberté d’expression s’étend largement à la propagande politique, les constitutions européennes cherchent activement à séparer la liberté d’expression de la liberté de la presse.

La situation se complique davantage dans le monde numérique, où il est difficile de distinguer clairement entre une information objective, un message politique ou une autre forme de communication. Cependant, la jurisprudence de la CEDH permet d'utiliser les catégories juridiques traditionnelles pour aborder certains des nouveaux phénomènes liés aux plateformes en ligne. La Cour a élargi la définition des médias et a pris en compte de nouveaux défis associés à la transformation numérique de l’espace public.

Au-delà des questions juridiques, le Code de Pratique de l’UE soulève une autre préoccupation importante : celle de la privatisation de la censure. En déléguant la régulation de la désinformation à des acteurs privés, l’UE risque de confier à ces entreprises une responsabilité colossale sur des sujets touchant directement les droits fondamentaux. Cette privatisation pourrait mener à des décisions qui échappent au contrôle public et judiciaire, avec des conséquences potentiellement néfastes pour la liberté d’expression. En effet, l’auto-régulation des plateformes, bien qu’indispensable dans un certain contexte, ne doit pas remplacer une régulation législative stricte et transparente.

La question de la privatisation de la censure est d’autant plus pertinente lorsque l’on considère l’énorme pouvoir des grandes plateformes numériques sur l’accès à l’information. Si la régulation de la désinformation repose uniquement sur des engagements volontaires des entreprises, il existe un risque de fausser les débats publics, de limiter l'accès à des informations diversifiées et de renforcer des biais idéologiques sous couvert de lutte contre les fake news. Un équilibre entre régulation publique et initiatives privées est nécessaire pour préserver l’intégrité de l’espace public.