La politique américaine à l’égard d'Israël repose sur une rhétorique particulière qui lie les deux nations par un ensemble de valeurs partagées. Ces valeurs sont présentées comme un ciment moral et idéologique, une justification des liens stratégiques, et parfois même comme une forme de légitimation divine ou messianique. Un exemple frappant de cette approche se trouve dans les propos de Josh Earnest, porte-parole de la Maison Blanche en 2014, à la suite de la critique modérée de Barack Obama sur la politique de colonisation israélienne en Cisjordanie. Earnest ne mentionne ni les intérêts géostratégiques ni les enjeux politiques immédiats. Il préfère invoquer les "valeurs américaines", celles-là mêmes qui, selon lui, justifient un soutien inébranlable à Israël, notamment par le financement de mesures de sécurité telles que le système de défense antimissile "Iron Dome". Cette rhétorique place ces valeurs américaines au centre de l’alliance, comme une forme de principe indiscutable.

Il est intéressant de noter que la manière dont Earnest défend cette position repose sur une émotionnalité palpable. Ses déclarations semblent plus être une forme de dévotion que de simple argumentation politique. En mettant l’accent sur les valeurs, plutôt que sur des intérêts de pouvoir ou de sécurité traditionnels, il cherche à émouvoir son auditoire et à solidifier un lien perçu comme spirituellement et moralement justifié. Cependant, ces "valeurs" sont ambiguës, souples et ont des implications plus complexes qu’elles ne le laissent paraître au premier abord.

Les "valeurs américaines", selon cette ligne de discours, sont fréquemment décrites comme universelles et éternelles, mais elles sont également imbriquées dans un contexte d’impérialisme colonial. Une analyse des liens historiques entre la colonisation américaine et israélienne montre des parallèles saisissants. Les deux nations partagent une mythologie fondée sur des récits bibliques de salut violents et de destin glorieux, des récits qui servent de fondement à leurs politiques expansionnistes respectives. Ces récits de rédemption, pourtant en apparence humanistes, cachent souvent des pratiques violentes et destructrices, notamment la colonisation des terres autochtones et l’exploitation systématique de populations considérées comme "inférieures".

La question des valeurs dans le discours politique et diplomatique ne se limite donc pas à une simple opposition entre idéaux et pratiques, mais implique également des considérations éthiques complexes. Ces valeurs, lorsqu’elles sont invoquées pour justifier des actions concrètes, sont loin d’être neutres. Elles sont des outils d’affirmation de pouvoir et de légitimation de l’oppression, qu’il s’agisse des peuples autochtones en Amérique ou des Palestiniens en Israël et Palestine.

L’analyste Glen Coulthard, dans ses réflexions sur la justice universelle, met en lumière une critique des valeurs coloniales, soulignant l’importance d’une solidarité réciproque entre les peuples opprimés. Selon lui, la solidarité ne devrait pas être une simple question de soutien unilatéral, mais une relation mutuelle, fondée sur une compréhension partagée des luttes et des injustices. Le concept de solidarité, s’il est authentique, nécessite une écoute attentive des diverses réalités locales et des dynamiques historiques spécifiques.

Coulthard appelle également à une approche plus inclusive et moins imposante des solidarités internationales, en particulier lorsque des communautés comme les Natives et les Palestiniens sont amenées à collaborer. Cela devient d’autant plus pertinent lorsqu’on examine les tensions internes au sein des communautés autochtones elles-mêmes. Par exemple, la controverse entourant la décision de la poétesse Muscogee Joy Harjo de participer à un programme universitaire en Israël, malgré l’appel au boycott, soulève des interrogations sur la manière dont les solidarités sont formées et comprises.

La critique de son acte de solidarité, venant de certains activistes et intellectuels Natives, a mis en lumière la difficulté d'établir des solidarités qui ne soient pas perçues comme une forme de trahison, particulièrement lorsque des symboles historiques comme le "Trail of Tears" sont invoqués. Pourtant, une telle approche risque de réduire les enjeux politiques à une simple appropriation symbolique, sans prendre en compte la diversité des contextes locaux et la complexité des trajectoires historiques des peuples impliqués.

Ce débat sur la solidarité inter-nationale, à travers les relations entre Natives et Palestiniens, montre que cette solidarité, bien que motivée par des principes nobles, peut aussi être tendue et source de division. Au lieu d’assimiler aveuglément les luttes d’un peuple à celles d’un autre, il est crucial de comprendre les subtilités de chaque combat, de respecter les divers héritages historiques et de reconnaître les formes spécifiques de résistance. C’est dans cette reconnaissance de la différence et dans un engagement conscient avec les réalités locales que la solidarité véritable peut s’épanouir.

Les actions de solidarité doivent être formulées avec précaution, en tenant compte des différents impératifs éthiques et politiques propres à chaque situation. Parfois, la solidarité, même lorsqu’elle est menée de bonne foi, peut devenir problématique si elle ne prend pas en compte les spécificités des luttes et des histoires. Ce qui est essentiel dans ces contextes, c’est de ne jamais oublier que derrière les valeurs affichées, il y a des pratiques concrètes qui peuvent entraîner des effets négatifs, et que la solidarité véritable doit toujours se baser sur une compréhension approfondie et réciproque des luttes de chaque peuple.

Qu'est-ce qui caractérise la dynamique coloniale et ses effets sur les peuples indigènes et les processus de décolonisation ?

Les peuples indigènes ont longtemps été confrontés à des dynamiques de colonisation qui ont profondément marqué leurs identités, leurs cultures et leurs territoires. Ces processus ne se limitent pas uniquement à la dépossession matérielle, mais s’étendent également à la destruction de mythes et de récits ancestraux. Les sociétés colonisatrices ont souvent cherché à effacer ou à redéfinir ces mythes fondateurs pour légitimer leur propre domination. Le pouvoir psychologique du récit colonial, amplifié par la violence physique et symbolique, a joué un rôle essentiel dans l’effacement des identités indigènes, tout en imposant des valeurs coloniales.

Dans ce contexte, le mythe de la « terre promise » a été instrumental dans la construction d’une légitimité pour les colonisateurs, qui ont fait usage de la terre comme un moyen de revendiquer la domination et de justifier l'occupation. En effet, la notion de terre n'est pas neutre dans les récits coloniaux. Elle devient un symbole de pouvoir, un élément central dans la configuration des sociétés dominantes. Dans le cas du colonialisme israélien, par exemple, l'appropriation de la terre palestinienne a été accompagnée par une narrative de purification et de refaçonage des lieux, où la colonisation se manifestait aussi bien à travers les pratiques militaires que les discours idéologiques.

L’idéologie du sionisme, notamment, a joué un rôle crucial en justifiant l'occupation des territoires palestiniens, en présentant la terre comme un espace sacré à revendiquer, dans une logique de rédemption religieuse et historique. De même, dans d’autres contextes de colonisation, comme en Amérique du Nord, les processus de dépossession ont été accompagnés par une rhétorique de « destin manifeste » et d’éradication des peuples indigènes, perçus comme des obstacles à l’accomplissement de la mission civilisatrice des colonisateurs.

Le lien entre colonisation et racisme systémique apparaît clairement dans la construction des identités nationales et des structures étatiques. Les colonisateurs ont souvent promu des théories raciales et pseudo-scientifiques pour justifier la domination sur les peuples autochtones, en les considérant comme inférieurs et incapables de gouverner leurs propres terres. Ces idéologies ont également trouvé leur expression dans les pratiques de violence structurelle, où la mise à l’écart des peuples indigènes s’est traduite par une marginalisation économique, politique et sociale.

Les formes modernes de résistance, comme le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), cherchent à renverser ces récits dominants et à établir une solidarité internationale avec les peuples opprimés. Ce type de mobilisation met en lumière non seulement la lutte pour la justice sociale et territoriale, mais aussi les dynamiques globales qui continuent de perpétuer des formes de domination. L’activisme autour de ces questions souligne l’importance de comprendre que la décolonisation ne se limite pas à un processus local ou national, mais implique également une réflexion sur les relations internationales et la manière dont l’injustice structurelle traverse les frontières.

Pour l’individu contemporain, il est essentiel de ne pas réduire la question coloniale à une simple question de territoires ou de possessions matérielles. Les effets de la colonisation se manifestent aussi à travers les mécanismes de contrôle symbolique, les récits d'identité, les relations de pouvoir et la manière dont ces histoires sont racontées. Il est crucial de saisir que l’objectif de la décolonisation ne réside pas seulement dans la restitution des terres ou des biens, mais dans une véritable transformation des rapports de pouvoir, de culture et de mémoire collective. La décolonisation passe par une remise en question profonde des structures sociales et des idéologies dominantes, une redéfinition des valeurs et des rapports d'appartenance, et une ouverture à des perspectives multiples sur l'histoire et la justice.

Il est donc fondamental de considérer les processus de décolonisation comme un chemin complexe et non linéaire, où chaque acte de résistance, chaque mobilisation sociale, chaque récit contestataire contribue à la redéfinition de l'identité et des droits des peuples indigènes et colonisés. Le défi réside non seulement dans la reconquête du territoire, mais aussi dans la reconstruction des liens sociaux, culturels et politiques qui ont été brisés par des siècles de domination.