Les études d'association du génome entier (GWAS) ont récemment émergé comme un outil fondamental dans la compréhension des bases génétiques des maladies complexes, y compris les maladies neurodégénératives (ND). Ces recherches permettent d'identifier des variantes génétiques associées à des maladies, offrant ainsi une voie prometteuse pour repérer des cibles biologiques spécifiques et des voies moléculaires impliquées dans le processus pathologique. Par exemple, les approches telles que la liaison des loci génétiques à des voies pharmacologiquement modifiables, les études d'association au transcriptome, et les analyses d'association par ensembles de gènes, permettent de découvrir de nouvelles cibles thérapeutiques pour des médicaments existants, et même d'envisager des opportunités de repositionnement de médicaments.

Les stratégies telles que la randomisation mendélienne, qui infère la causalité à partir des données génétiques, et l’utilisation de scores polygéniques, qui évaluent l’effet cumulatif de variantes génétiques multiples, ont également un potentiel significatif pour guider l’identification de médicaments susceptibles d’être efficaces dans de nouvelles indications. Intégrer les résultats des GWAS dans les stratégies de repositionnement de médicaments permet d’accélérer la découverte de nouveaux traitements en tirant parti des agents thérapeutiques déjà existants, ce qui représente un grand espoir pour les traitements des maladies neurodégénératives.

Un exemple concret de l’utilisation des GWAS dans le repositionnement de médicaments est le candidat clinique Biib-033 (Biogen Idec), un anticorps ciblant le LINGO-1 (leucine-rich repeat and immunoglobulin domain-containing 1), qui a été initialement développé pour la sclérose en plaques. Deux études GWAS ont révélé que le LINGO-1 pourrait également être une cible pour traiter les tremblements essentiels, une maladie neurologique caractérisée par des tremblements involontaires. Cette découverte illustre la manière dont les approches génétiques peuvent éclairer de nouvelles utilisations pour des traitements déjà existants.

Les réseaux de neurones convolutionnels (CNNs) représentent une autre avancée technologique majeure dans le domaine du repositionnement des médicaments. Ces réseaux, qui sont capables d'analyser des structures chimiques complexes et d'extraire des motifs et des similitudes entre les médicaments, ont un grand potentiel dans l’identification de nouvelles applications thérapeutiques pour des médicaments déjà disponibles. Les CNNs sont également capables d'intégrer des données sur les cibles des médicaments, les voies biologiques et les interactions enzymatiques pour prédire des applications thérapeutiques nouvelles, ce qui ouvre la voie à une approche plus sophistiquée et plus précise pour l’identification de médicaments.

L'utilisation des CNNs dans le repositionnement des médicaments repose sur leur capacité à traiter des données multimodales, combinant des informations sur les sous-structures chimiques des médicaments avec des données sur leurs cibles et leurs voies d'action. Cette approche améliore la précision des prédictions et permet de découvrir de nouvelles opportunités de repositionnement. Bien que l’application de cette technologie n’ait pas encore été pleinement exploitée dans le domaine des maladies neurodégénératives, elle apparaît comme une méthode prometteuse pour traiter ces pathologies complexes.

Les maladies neurodégénératives, qui touchent à la fois le système nerveux central et périphérique, englobent un large éventail de conditions, notamment l’épilepsie, les tumeurs cérébrales, la maladie de Parkinson, et les accidents vasculaires cérébraux. Actuellement, on dénombre plus de 600 types différents de maladies neuropathologiques. Avec le vieillissement de la population mondiale, le nombre de patients souffrant de telles pathologies augmente, ce qui représente un défi majeur pour les systèmes de santé du monde entier. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les maladies neurodégénératives affectant la fonction motrice devraient dépasser les maladies cardiovasculaires comme deuxième cause de mortalité dans les vingt prochaines années. En raison de la complexité des bases moléculaires de ces maladies, il n'existe actuellement aucun remède curatif pour ces pathologies, et les traitements disponibles ne servent qu'à gérer les symptômes ou ralentir la progression de la maladie.

Le repositionnement de médicaments (DR) s'avère être une stratégie prometteuse pour le développement de traitements efficaces contre les maladies neurodégénératives. Les médicaments déjà existants ont l’avantage d’avoir des caractéristiques pharmacocinétiques et pharmacodynamiques bien comprises, ce qui réduit considérablement le temps et le coût nécessaires pour leur réutilisation dans d'autres indications thérapeutiques. De nombreuses études ont exploré le potentiel des médicaments plus anciens dans le traitement des maladies neurodégénératives majeures, telles que la sclérose en plaques, la maladie d'Alzheimer, la maladie de Parkinson, la maladie de Huntington et la sclérose latérale amyotrophique.

Un exemple de repositionnement pour la maladie d'Alzheimer (AD) montre l'importance de ces approches. La maladie d'Alzheimer, qui est responsable de 80 % des cas de démence chez les personnes âgées, est caractérisée par une perte progressive de la mémoire, une incapacité à apprendre et un déclin de la fonction comportementale. Bien que la physiopathologie exacte de la maladie d'Alzheimer reste floue, l'accumulation de plaques amyloïdes dans le cerveau est souvent associée à cette pathologie, entraînant la dégénérescence des neurones et des synapses. Les médicaments tels que le galantamine, le donepezil et la rivastigmine, des inhibiteurs de la cholinestérase, sont fréquemment utilisés pour traiter les déficits cognitifs associés à la maladie d'Alzheimer.

L’approche des anticorps monoclonaux dirigés contre l'amyloïde représente l’une des premières thérapies modifiant la maladie pour la maladie d'Alzheimer. Ces anticorps ont le potentiel de ralentir la progression de la maladie en ciblant les plaques amyloïdes et en inversant les processus pathologiques associés. Cependant, bien que prometteuse, cette approche n'est pas sans effets secondaires, notamment des anomalies liées à l'imagerie cérébrale (ARIA) et des réactions d'infusion. Les premiers traitements par anticorps monoclonaux, tels que l'aducanumab (Aduhelm), marquent une avancée significative, mais nécessitent une surveillance étroite des patients.

Les découvertes récentes, basées sur des techniques modernes comme les GWAS et les CNNs, ouvrent de nouvelles avenues pour accélérer le développement de traitements pour des maladies comme Alzheimer et Parkinson. L'intégration des approches génétiques et des technologies d'intelligence artificielle dans la recherche pharmaceutique pourrait bien transformer le paysage thérapeutique des maladies neurodégénératives.

Quel rôle joue le repositionnement des médicaments dans le traitement de la tuberculose multirésistante (MDR-TB) et de la tuberculose ultra-résistante (XDR-TB)?

Le traitement de la tuberculose multirésistante (MDR-TB) nécessite l'utilisation de médicaments de seconde ligne, qui sont généralement moins efficaces, plus nocifs et exigent une période de traitement prolongée, souvent de 18 à 24 mois. Ces traitements s'avèrent difficiles à administrer et peuvent entraîner une multitude d'effets secondaires graves. En parallèle, la tuberculose ultra-résistante (XDR-TB) représente une forme encore plus avancée et sévère de l'infection, où les bactéries ont développé une résistance non seulement aux médicaments de première ligne mais aussi à la plupart des médicaments de seconde ligne. Cette évolution limite considérablement les options thérapeutiques disponibles et complique encore davantage la gestion de la maladie.

La progression de la tuberculose, qu'elle soit latente ou active, est liée à la capacité de la bactérie Mycobacterium tuberculosis à persister dans l'organisme malgré la réponse immunitaire. Lorsque la tuberculose est latente, l'infection est contrôlée mais non éradiquée, la bactérie restant dormante au sein des granulomes. En revanche, une progression vers la forme active de la maladie entraîne des symptômes comme la toux persistante, la fièvre et la perte de poids. Si elle n'est pas traitée, la tuberculose active peut se propager par voie sanguine à d'autres organes.

Cependant, la lutte contre la tuberculose, notamment dans le contexte des formes résistantes, est entravée par plusieurs facteurs. Un des obstacles majeurs reste l'inefficacité ou l'insuffisance du traitement, l'usage de médicaments de mauvaise qualité, ainsi que la transmission de souches résistantes. En raison des conditions parfois précaires des systèmes de santé dans de nombreuses régions du monde, la gestion de la MDR-TB et de la XDR-TB se révèle particulièrement complexe, ce qui engendre de mauvais résultats et la propagation continue des souches résistantes.

Les recommandations récentes de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le traitement de la MDR-TB incluent l'utilisation de médicaments comme le bédaquiline, le linézolide, le clofazimine, ou encore la delamanide, dans des schémas thérapeutiques prolongés. Ces médicaments, bien qu'efficaces, ne sont pas sans inconvénients. Leur coût élevé et les effets secondaires potentiels limitent leur utilisation dans les pays à faibles et moyens revenus, où l'accès au traitement reste un défi majeur.

Un autre facteur aggravant dans le traitement de la tuberculose est la toxicité des médicaments. Les effets indésirables graves, comme les lésions hépatiques ou les complications neurologiques, peuvent survenir avec l'utilisation prolongée de médicaments comme l'isoniazide et la rifampicine. Ces effets secondaires conduisent souvent à un non-respect du traitement par les patients, ce qui favorise le développement de résistances. De plus, le besoin d'une adhésion rigoureuse au traitement sur plusieurs mois (jusqu'à six mois pour la forme classique, voire deux ans pour la forme résistante) représente un fardeau considérable, notamment pour les populations vivant dans des conditions socio-économiques difficiles.

La durée prolongée du traitement, en particulier pour la MDR-TB et la XDR-TB, constitue donc une barrière supplémentaire. Les médicaments de seconde ligne sont non seulement moins efficaces mais aussi beaucoup plus chers. Leur administration prolongée met une pression énorme sur les systèmes de santé déjà fragiles, ce qui nécessite une surveillance constante et une assistance pour garantir l'adhésion au traitement. De plus, la gestion des effets secondaires et la prise en charge des complications liées au traitement restent des défis importants.

Dans ce contexte, le repositionnement des médicaments représente une approche innovante et prometteuse. Cette stratégie repose sur l'utilisation de médicaments déjà approuvés pour d'autres affections, dont les profils de sécurité et les propriétés pharmacologiques sont bien établis. Le repositionnement permet de réduire considérablement les coûts et le temps nécessaires au développement de nouveaux traitements, car il évite de repartir de zéro dans le processus de validation des médicaments. Cela ouvre la voie à des options thérapeutiques supplémentaires, particulièrement dans la lutte contre la tuberculose résistante, et pourrait accélérer l'accès à des traitements plus efficaces pour les populations vulnérables.

Les approches de repositionnement, par exemple en utilisant des médicaments déjà approuvés comme des antiviraux ou des agents anticancéreux, se révèlent efficaces pour combattre la MDR-TB et la XDR-TB. Ces médicaments ont déjà été évalués pour leur sécurité et leur efficacité dans d'autres contextes cliniques, ce qui facilite leur intégration dans de nouveaux schémas thérapeutiques. Le repérage de médicaments existants ayant un potentiel d'activité contre M. tuberculosis pourrait ainsi permettre de réduire la durée du traitement, diminuer les effets secondaires et élargir les options thérapeutiques disponibles, tout en réduisant les coûts.

La lutte contre la tuberculose, en particulier les formes résistantes, exige un investissement soutenu dans la recherche scientifique, l'infrastructure médicale et les initiatives de santé publique. Au-delà des traitements, il est essentiel d'adopter une approche globale qui inclut la prévention, l'éducation, la détection précoce et l'amélioration des conditions sociales et sanitaires. Sans cette approche intégrée, les efforts pour éradiquer la tuberculose risquent d’être entravés par l’émergence continue de souches résistantes et la difficulté de traiter efficacement ces formes complexes de la maladie.

Les Effets Non-Spécifiques des Vaccins Vivants: Une Analyse de l'OPV et de l'Immunité Innée

En 1975, une vaste campagne de vaccination contre la polio par le vaccin oral vivant (OPV) a été lancée en Bulgarie pour contenir une épidémie de type poliomyélite, non liée à l'Enterovirus 71 (Shindarov et al. 1979). Les effets protecteurs de l'OPV se sont révélés significatifs, avec une réduction de la mortalité infantile d'environ 32 % lorsque l'OPV était administré dès la naissance, d'après une étude randomisée contrôlée menée en Guinée-Bissau, en Afrique de l'Ouest (Aaby et Benn, 2019). Une autre étude a montré que la vaccination OPV annuelle et biannuelle à l'échelle nationale a conduit à une diminution de 19 % de la mortalité toutes causes confondues ; les campagnes suivantes ont entraîné une réduction supplémentaire de 13 % (Andersen et al., 2018). Ces résultats soulignent le caractère non spécifique de la protection induite par l'OPV, car ils ont été observés même en l'absence de cas de poliomyélite (Chumakov et al., 2020). Une étude randomisée contrôlée en Bangladesh a démontré que l'OPV réduisait significativement la morbidité liée aux infections bactériennes diarrhéiques chez les nourrissons, en comparaison avec le vaccin inactivé contre la polio (IPV) (Upfill-Brown et al., 2017). Une autre étude réalisée en Finlande a montré que les enfants ayant reçu l'OPV avaient un taux plus faible d'infections de l'oreille moyenne que ceux vaccinés avec l'IPV (Seppälä et al., 2011). Une analyse des études passées au Danemark a révélé que les admissions hospitalières pour infections respiratoires pédiatriques étaient plus faibles lorsqu'on utilisait l'OPV (Sørup et al., 2016).

Les recherches récentes ont commencé à expliquer ces effets non spécifiques des vaccins vivants par un mécanisme appelé "l'immunité innée entraînée". L'immunité innée, qui englobe des cellules comme les monocytes, les macrophages, les neutrophiles, les cellules dendritiques et les cellules tueuses naturelles (NK), représente la première ligne de défense de l'organisme contre les pathogènes. Ces cellules sont capables de reconnaître rapidement des motifs moléculaires associés à des pathogènes ou des dommages cellulaires grâce à des récepteurs de reconnaissance de motifs (PRRs) codés par le génome (Netea 2015). Les vaccins vivants, tels que l'OPV, induisent des modifications épigénétiques qui renforcent l'immunité face à des pathogènes non apparentés, et instruisent ainsi le système immunitaire inné. Par contraste, les vaccins inactivés semblent favoriser la "tolérance", ce qui pourrait rendre les individus plus vulnérables aux infections et aux maladies associées (Blok et al., 2020).

Il a été démontré que les vaccins vivants, comme l'OPV, la variole, le BCG et la rougeole, ont des effets protecteurs non spécifiques contre des maladies autres que celle pour laquelle ils ont été conçus (Aaby et al., 1995, 2006, 2010, 2011, Lund et al., 2015). Par exemple, des essais cliniques menés sur le BCG chez des adultes (Kleinnijenhuis et al., 2012, 2014) et des enfants (Jensen et al., 2015; Freyne et al., 2018) ont montré que ce vaccin active de manière non spécifique les cellules immunitaires innées. L'infection par le paludisme chez des individus vaccinés avec le BCG a entraîné une activation accrue des cellules NK et des monocytes, ce qui a permis de réduire le parasitisme dans leur sang (Walk et al., 2019). En outre, des études animales ont montré que le BCG réduit la parasitémie dans les modèles murins du paludisme (Clark et al., 1976; Matsumoto et al., 2000), et il a été associé à une réduction de la mortalité par paludisme dans les régions endémiques (Roth et al., 2005).

Une question pertinente qui a émergé ces dernières années est celle de savoir si les vaccins préexistants, notamment l'OPV, pourraient avoir une influence sur les infections sévères à SARS-CoV-2. Des études ont suggéré que les pays ayant utilisé l'OPV avaient une incidence plus faible de COVID-19 comparés à ceux qui utilisaient le vaccin inactivé contre la polio (IPV), ce qui laisse entendre que l'OPV pourrait aider à arrêter l'infection par le SARS-CoV-2 au niveau individuel ou ralentir sa propagation dans la population (Habibzadeh et al., 2022). Une étude randomisée menée dans une université médicale russe a comparé un groupe ayant reçu le vaccin OPV à un groupe placebo et a trouvé que, trois mois après la vaccination, il y avait significativement moins de cas confirmés de COVID-19 dans le groupe vacciné (25 cas contre 44 dans le groupe placebo, p = 0,036) (Yagovkina et al., 2022). Cependant, une autre étude a conclu qu'aucun effet bénéfique n'a été observé sur la morbidité sévère chez les personnes de plus de 50 ans (Fisker et al., 2022).

Les recherches rétrospectives sur la transmission du poliovirus chez les enfants vaccinés ont révélé que les mères, en contact avec les selles des enfants vaccinés, pouvaient bénéficier d'une certaine forme de protection contre l'infection à SARS-CoV-2. Lorsque les enfants reçoivent l'OPV, ils peuvent excréter le virus affaibli dans leurs selles pendant plusieurs semaines, et une exposition à ce virus atténué pourrait offrir une forme de protection aux adultes en contact avec ces enfants (Habibzadeh et al., 2021). Cette transmission indirecte représente un aspect important à considérer dans le contexte des campagnes de vaccination.

Il est donc crucial de reconnaître que l'OPV, au-delà de son rôle dans la prévention de la poliomyélite, pourrait jouer un rôle dans la réduction de la mortalité et de la morbidité de nombreuses autres maladies grâce à ses effets non spécifiques. Ce phénomène, bien que fascinant, souligne également la nécessité de repenser notre compréhension des vaccins et de leur impact potentiel sur la santé publique au-delà des maladies qu'ils ciblent directement.