Les mesures de durée de vie de fluorescence jouent un rôle central dans divers domaines scientifiques, qu'ils soient chimiques, physiques ou biologiques. La précision croissante des données de durée de vie a permis un développement significatif de ces méthodes au fil des années, principalement dans le but d'améliorer les interprétations des phénomènes liés à la fluorescence, tels que l'extinction, la polarisation et les transferts d'énergie de type FRET. Par exemple, la fluorescence des protéines, les déterminations de FRET et l'imagerie en microscopie sont des applications dont l'importance sera abordée dans les chapitres suivants, respectivement dédiés à ces domaines.

La connaissance de la durée de vie de l'état excité d'un fluorophore est cruciale pour comprendre quantitativement plusieurs types de mesures de fluorescence. En effet, la durée de vie constitue une donnée fondamentale qui influence directement la façon dont nous interprétons les phénomènes de quenching ou de polarisation des fluorophores. Cependant, il convient de s'interroger sur la véritable signification du terme « durée de vie » dans le contexte de la fluorescence. En pratique, les propriétés des fluorophores sont rarement étudiées isolément. Au contraire, on s'intéresse généralement à des populations de molécules, et les caractéristiques supposées de ces molécules types sont déduites des propriétés macroscopiques observées à l'échelle de la population.

L'importance de ces mesures a été mise en évidence par des avancées récentes, telles que les techniques de mesure sur une seule molécule. Celles-ci permettent désormais de réaliser des mesures de durée de vie pour des fluorophores isolés, en excitant ces derniers à de multiples reprises (généralement des milliers de fois) pour construire un histogramme des décroissances de fluorescence, de la même manière que les données sont obtenues pour des échantillons de grande taille. Ces progrès ouvrent des possibilités d'analyse plus fines et plus précises dans des contextes variés, comme la biologie cellulaire ou la chimie des matériaux.

Le concept de durée de vie de fluorescence n'est pas nouveau, et ses premières tentatives de mesure remontent à plusieurs siècles. Georges G. Stokes, à qui l'on doit la découverte du phénomène de la fluorescence, a été l'un des premiers à se poser la question d'une éventuelle « latence » entre l'absorption de la lumière et l'émission de fluorescence. Bien que Stokes ait exprimé des doutes quant à l'existence d'une telle latence, il n'en reste pas moins qu'il a ouvert la voie à une réflexion qui conduira, plusieurs décennies plus tard, à des travaux expérimentaux concrets sur la mesure de cette durée.

En 1921, l'expérimentateur R.W. Wood a tenté d'estimer la durée de vie de la fluorescence de colorants en utilisant un jet de liquide pressurisé. Bien qu'il n'ait pas réussi à mesurer précisément la durée entre l'absorption et l'émission, ses travaux ont permis de définir une limite supérieure à la durée de vie de la fluorescence, un concept qui serait par la suite approfondi par d'autres chercheurs comme Enrique Gaviola et Francis Perrin.

Les premières mesures précises de la durée de vie de la fluorescence ont été réalisées en 1926, lorsque Gaviola utilisa un dispositif à cellule de Kerr pour moduler l'intensité de la lumière d'excitation et obtenir des mesures de durée de vie dans le domaine de la fréquence. Ce dispositif permettait de mesurer les durées de vie des fluorophores comme la rhodamine et la fluorescéine, et ces travaux ont jeté les bases des instruments modernes utilisés aujourd'hui dans l'analyse de fluorescence.

Dans les années 1920, Francis Perrin, en développant des théories sur la diffusion rotationnelle, a également utilisé des données de polarisation pour calculer les durées de vie de fluorophores à courtes durées, comme l'éosine et l'érythrosine. Ces avancées théoriques ont permis de mieux comprendre le comportement dynamique des molécules excitées et de prédire plus précisément leurs durées de vie.

La détermination de la durée de vie d’un fluorophore repose souvent sur des modèles mathématiques. Un exemple typique est l’équation de taux qui décrit l'évolution de la population de molécules excitées au cours du temps. La durée de vie est définie comme le temps nécessaire pour que le nombre de molécules excitées diminue de 36,8% par rapport à sa valeur initiale, ce qui peut être représenté par une courbe de décroissance exponentielle. L'intégration des équations de taux permet de relier directement la durée de vie à un paramètre caractéristique des molécules étudiées.

La mesure de la durée de vie de fluorescence a longtemps été réalisée par des méthodes dites "temps-réponse", telles que la méthode à impulsion ou la méthode à réponse harmonique. Ces deux approches sont fondamentalement basées sur les mêmes principes et contiennent les mêmes informations, permettant ainsi de déterminer avec précision les durées de vie des molécules excitées.

Pour les chercheurs, il est crucial de comprendre non seulement comment mesurer la durée de vie de la fluorescence, mais aussi de savoir interpréter les résultats dans le contexte spécifique des systèmes étudiés. Par exemple, une durée de vie plus courte peut suggérer une interaction rapide avec d'autres molécules, entraînant un quenching de la fluorescence, tandis qu'une durée de vie plus longue peut indiquer une fluorescence moins perturbée, voire un transfert d'énergie efficace dans un processus comme le FRET. Ces détails sont essentiels pour les applications pratiques, que ce soit en biochimie, en biologie cellulaire ou en matériaux nanoscopiques.

Quelle est l'importance des points de phasor et des images FLIM dans l'étude des complexes protéiques et des interactions biologiques ?

Les points de phasor changent de direction à mesure que la concentration en potassium augmente. L'observation de la fluorescence du tryptophane, en présence d'un ligand suivi de l'ajout d'un deuxième ligand, révèle un phénomène intéressant : lorsque l'ordre de liaison des ligands est inversé, la distribution des points de phasor dans le graphique change, mais aboutit à un point unique et commun sur ce graphique. Ce déplacement des valeurs de phasor à un point spécifique indique la présence de quatre conformations uniques, chacune correspondant à un état particulier du complexe protéique. Les résultats montrent que la complexité des systèmes biologiques dépasse les modèles traditionnels à deux états (par exemple, MWC). En l'occurrence, l'approche thermodynamique de Weber s'avère être plus adaptée pour décrire ce système, apportant des informations cruciales sur la diversité conformational des complexes formés par les protéines.

Le modèle classique de deux états, qui cherche à décrire les interactions entre un substrat et un inhibiteur, se trouve ici limité. En effet, dans ces systèmes complexes, il existe plusieurs conformations qui ne peuvent pas être capturées par des modèles simples. C'est pourquoi l'analyse à travers la méthode de phasor devient un outil puissant pour démystifier ces processus dynamiques. En étudiant les complexes ternaires, l'approche de phasor révèle un point de phasor unique, indépendamment de l'ordre de titration des ligands, suggérant la présence de quatre conformations distinctes, chacune caractérisée par un point de phasor unique.

L'approche FLIM (Fluorescence Lifetime Imaging Microscopy), qui permet de mesurer les durées de fluorescence à chaque pixel d'une image, a transformé les études de fluorescence en biologie cellulaire. Développée à partir de 1959 par Benjamin D. Venetta et affinée dans les années 1980, FLIM fournit des images où chaque pixel contient des informations cruciales sur la durée de vie des états excités. Cela permet d'obtenir des informations détaillées sur les processus cellulaires, sans être influencé par la concentration de fluorophores dans un volume donné. Cette technique est particulièrement utile dans les études de FRET (Fluorescence Resonance Energy Transfer), où l'on cherche à identifier la formation de complexes protéiques en observant une diminution de la durée de vie de la molécule donneuse.

Le FLIM a gagné en popularité dans les systèmes biologiques vivants, où la dynamique des protéines et leur interaction sont observées en temps réel. Cependant, il existe des défis techniques importants : le nombre limité de photons dans un pixel, la présence de composants de durée de vie multiples, ainsi que l'auto-fluorescence des cellules, rendent l'analyse précise des signaux de durée de vie complexe. C'est dans ce contexte que l'approche de phasor, introduite en 2004 par Andrew Clayton, Quentin Hadley et Peter Verveer, a trouvé une utilité croissante. En utilisant un algorithme basé sur les principes thermodynamiques de Weber, cette méthode permet de résoudre plusieurs composants de durée de vie dans une image FLIM à partir d'un seul signal de modulation de lumière.

En 2005, un autre développement important a été introduit par Enrico Gratton, qui a proposé une nouvelle manière de relier les pixels d'une image FLIM aux points de phasor correspondants. Cette approche permet une interprétation plus intuitive des données FLIM et facilite l'identification des différentes dynamiques moléculaires au sein des cellules vivantes. Grâce à cette approche graphique, il est désormais possible d’explorer et de visualiser les différences de durée de vie au niveau cellulaire avec une grande précision, ce qui ouvre des perspectives nouvelles dans l’étude de la biologie cellulaire, en particulier pour analyser les interactions protéiques et leur évolution dynamique dans des conditions physiologiques complexes.

Les applications du FLIM se sont élargies au-delà des études de FRET, notamment dans l'analyse des systèmes biologiques où la compréhension des interactions entre les biomolécules est cruciale. Par exemple, des études ont montré l’utilité de la méthode pour étudier les changements de conformation des récepteurs cellulaires, comme le récepteur de l'activateur du plasminogène urokinase (uPAR), impliqué dans la régulation de la migrati