La compréhension de la manière dont les formes différentielles et les champs de vecteurs se transforment sous le changement de coordonnées est essentielle pour saisir la géométrie différentielle dans son essence. L’opération de pullback (ou "retrait") permet d’exprimer une forme différentielle définie sur un espace-cible en fonction des coordonnées de l’espace-source, via une application différentiable. Cette opération préserve la structure différentielle tout en l’adaptant à la nouvelle carte.

Considérons une forme différentielle simple telle que ω=ydx\omega = y\,dx. Supposons une transformation donnée par φ(u,v)\varphi(u,v), telle que x=u,y=vx = u, y = v. Le pullback φ(ω)\varphi^*(\omega) consiste à exprimer ydxy\,dx en fonction de dudu et dvdv. Par la règle de Leibniz, on obtient φ(ydx)=vdu+udv\varphi^*(y\,dx) = v\,du + u\,dv, illustrant comment les composantes de la forme se redistribuent sous la transformation.

Un autre exemple plus élaboré est fourni par la transformation sphérique ψ(φ,θ)=(sinφcosθ,sinφsinθ,cosφ)\psi(\varphi, \theta) = (\sin\varphi\cos\theta, \sin\varphi\sin\theta, \cos\varphi), mappant R2\mathbb{R}^2 dans R3\mathbb{R}^3. Soit ω=zdx\omega = z\,dx, une 1-forme définie sur R3\mathbb{R}^3. En calculant ψ(ω)\psi^*(\omega), on dérive les composantes selon φ\varphi et θ\theta, menant à une nouvelle expression de ω\omega sur R2\mathbb{R}^2, à savoir ψ(ω)=cos2φcosθdφsinφcosφcosθdθ\psi^*(\omega) = \cos^2\varphi\cos\theta\,d\varphi - \sin\varphi\cos\varphi\cos\theta\,d\theta. Ce calcul démontre la subtilité des interactions entre les coordonnées et les champs.

Un champ de vecteurs est formellement une section du fibré tangent. Il associe à chaque point de la variété une direction dans l’espace tangent. Par définition, tout champ XX agit comme un opérateur différentiel sur l’espace des fonctions différentiables f:MRf : M \to \mathbb{R}, en envoyant ff vers XfXf. Ce lien entre géométrie et calcul différentiel est fondamental : il permet de relier les vecteurs tangents à des processus de dérivation.

Les propriétés algébriques de ces opérateurs différentiels sont cruciales. Par exemple, si XX et YY sont des champs de vecteurs, alors leur crochet de Lie [X,Y][X,Y] est défini comme le champ associé à l'opérateur différentiel L(f)=X(Yf)Y(Xf)L(f) = X(Yf) - Y(Xf). Ce crochet vérifie la bilinéarité, l’antisymétrie, ainsi que l’identité de Jacobi :

[X,[Y,Z]]+[Y,[Z,X]]+[Z,[X,Y]]=0.[X,[Y,Z]] + [Y,[Z,X]] + [Z,[X,Y]] = 0.

Ces propriétés font du module des champs de vecteurs une algèbre de Lie, avec des implications profondes pour la dynamique des systèmes.

Lorsqu'on évalue le crochet de Lie de deux champs, tel que dans l’exemple A=(x2+y)x+(y2+1)yA = (x^2 + y)\partial_x + (y^2 + 1)\partial_y, B=(y1)xB = (y - 1)\partial_x, on trouve un nouveau champ en calculant les dérivées croisées, obtenant ici :

[A,B]=[2x(1y)+y2+1]x.[A,B] = [2x(1 - y) + y^2 + 1]\partial_x.

À l’origine, ce champ s’annule, indiquant une commutation locale entre AA et BB.

Les formes différentielles peuvent aussi être évaluées sur des champs pour produire des fonctions scalaires. Ainsi, la forme μ=(2xy+x2+1)dx+(x2y)dy\mu = (2xy + x^2 + 1)dx + (x^2 - y)dy, évaluée sur le champ AA, donne une valeur scalaire à chaque point, exprimant l’effet combiné de la direction du champ et de la forme. Cette opération donne un aperçu local de l’interaction entre direction (champ) et variation (forme différentielle).

L’un des résultats remarquables est que toute forme bilinéaire obtenue par l’évaluation de deux champs X,YX,Y sur une 1-forme μ\mu, soit μ(X,Y)=X(μ(Y))Y(μ(X))μ([X,Y])\mu(X,Y) = X(\mu(Y)) - Y(\mu(X)) - \mu([X,Y]), permet de mesurer une non-commutativité ou une courbure locale.

En s’élevant encore dans l’abstraction, on définit le produit extérieur ou wedge product vwv \wedge w, qui satisfait :

  1. vv=0v \wedge v = 0,

  2. vw=wvv \wedge w = -w \wedge v,

  3. (av1+bv2)w=a(v1w)+b(v2w)(av_1 + bv_2) \wedge w = a(v_1 \wedge w) + b(v_2 \wedge w).
    Ces règles définissent l’algèbre extérieure, où les formes différentielles s’organisent selon leur degré, et où les opérations algébriques capturent la structure antisymétrique naturelle des orientations dans l’espace.

La compréhension des formes extérieures est essentielle, notamment dans les théorèmes fondamentaux comme celui de Stokes, qui repose sur la structure antisymétrique du produit extérieur et du différentiel extérieur.

Pour que l’ensemble soit cohérent et exploitable, il faut impérativement comprendre que :

  • Le pullback est un outil fondamental de changement de variables, et s’applique à toute forme différentielle, pas seulement aux 1-formes.

  • Les champs de vecteurs ne sont pas de simples objets algébriques : ils modélisent des directions de déplacement et agissent comme des opérateurs différentiels.

  • Le crochet de Lie mesure la non-commutativité des champs, ce qui est intimement lié à la géométrie intrinsèque de la variété.

  • L’interaction entre les formes différentielles et les champs (via l’évaluation ou la contraction) est à la base du calcul tensoriel.

  • Le produit extérieur est le socle de la construction des formes différentielles de degré supérieur, essentielles pour la géométrie intégrale.

Quelle est la structure géométrique des formes différentielles sur les variétés en dimension trois ?

Lorsque l’on considère une base orthonormée σ1,,σn{\sigma_1, \ldots, \sigma_n} dans un espace vectoriel VV, on s'intéresse au comportement de la forme différentielle ω=σ1σp\omega = \sigma_1 \wedge \ldots \wedge \sigma_p. En introduisant l’opération de Hodge *, il devient clair que le produit extérieur ωσH\omega \wedge \sigma_H s’annule sauf si H={p+1,,n}H = \{p+1, \ldots, n\}, et ainsi on a ω=cσp+1σn*\omega = c\, \sigma_{p+1} \wedge \ldots \wedge \sigma_n, avec c=±1c = \pm1, selon l'orientation et la signature de la métrique. Cela permet une caractérisation explicite de l’étoile de Hodge comme transformation duale dans l’espace des pp-formes.

Le théorème 8.3 formalise deux identités fondamentales : premièrement, que l’application de * deux fois sur une pp-forme ω\omega donne (ω)=(1)p(np)+(ns)/2ω*(*\omega) = (-1)^{p(n-p) + (n - s)/2}\omega, où ss désigne la signature de la métrique ; deuxièmement, que pour deux pp-formes ω\omega et μ\mu, leur produit extérieur avec leurs images par * satisfait ωμ=(μ)ω=(1)(ns)/2(ω,μ)σ\omega \wedge *\mu = (*\mu) \wedge \omega = (-1)^{(n - s)/2} (\omega, \mu) \sigma, ce qui souligne le rôle central de l’opérateur de Hodge dans la formulation de produits scalaires généralisés.

Dans le cadre euclidien classique, ces formules prennent une forme simplifiée. Si ff est une fonction différentiable, alors df\mathrm{d}f est la 1-forme différentielle composée des dérivées partielles. L’étoile de Hodge de df\mathrm{d}f, df*\mathrm{d}f, produit alors une 2-forme qui encode la direction orthogonale dans l’espace. Le produit extérieur dfdg\mathrm{d}f \wedge *\mathrm{d}g est proportionnel au produit scalaire des gradients, multiplié par la forme volume dxdydzdx \wedge dy \wedge dz, ce qui lie directement le formalisme des formes différentielles à la géométrie classique.

Le lemme de Poincaré inversé affirme que si une pp-forme fermée ω\omega (c’est-à-dire telle que dω=0\mathrm{d}\omega = 0) est donnée, alors il existe localement une (p1)(p-1)-forme μ\mu telle que dμ=ω\mathrm{d}\mu = \omega. Cette existence n’est pas unique ; deux primitives diffèrent par une forme exacte. Ce résultat est essentiel pour généraliser des propriétés bien connues du calcul vectoriel : un champ de vecteurs sans rotation admet un potentiel scalaire, un champ de vecteurs sans divergence admet un potentiel vectoriel. Le langage des formes différentielles offre une unification élégante de ces faits.

Dans les applications, cette théorie permet de formuler les conditions d’intégrabilité d’un système en termes de fermeture des formes différentielles. Par exemple, si ω=f(x)dydz+g(x)dzdx+h(x)dxdy\omega = f(x)\,dy \wedge dz + g(x)\,dz \wedge dx + h(x)\,dx \wedge dy, alors il existe une 1-forme μ=Pdx+Qdy+Rdz\mu = P\,dx + Q\,dy + R\,dz telle que dμ=ω\mathrm{d}\mu = \omega si et seulement si dω=0\mathrm{d}\omega = 0, ce qui se traduit par la condition f/x+g/y+h/z=0\partial f/\partial x + \partial g/\partial y + \partial h/\partial z = 0. Cette condition, à la fois nécessaire et suffisante, reflète la cohérence locale du système.

Dans une autre direction, en considérant des variétés lisses plongées dans R3\mathbb{R}^3, la structure des formes différentielles permet de formaliser l’étude de la géométrie des surfaces. On introduit alors des repères mobiles (e1,e2,e3)(e_1, e_2, e_3), où e1e_1 et e2e_2 sont tangents à la surface et e3e_3 est normal. L’évolution de ces vecteurs est décrite par les équations structurelles de Cartan : dx=μiei\mathrm{d}x = \mu_i e_i, dei=γijej\mathrm{d}e_i = \gamma_{ij} e_j, avec μi\mu_i, γij\gamma_{ij} des 1-formes.