Le système de crédits universels (Universal Credit, UC) mis en place au Royaume-Uni a été conçu avec l’ambition de simplifier et d’unifier l’ensemble des prestations sociales, afin de les rendre plus réactives aux fluctuations des revenus et d’encourager l’insertion professionnelle, même à temps partiel ou pour des emplois peu rémunérés. L’objectif était noble : offrir aux personnes pauvres un système plus équitable, incitant au travail et évitant les pièges des allocations multiples et complexes. Toutefois, les difficultés administratives et l’application stricte des sanctions ont mis en lumière des défauts importants du projet.

L’un des principaux problèmes du système UC réside dans sa gestion chaotique. Bien que l’objectif soit d’unifier les diverses allocations pour les rendre plus simples et plus équitables, les retards dans le versement des prestations ont eu des conséquences dramatiques. De nombreuses familles se sont retrouvées en situation de crise financière, leurs dettes ayant quadruplé par rapport à celles des autres régions du pays. En 2018, près de 20 % des bénéficiaires attendaient plus de cinq semaines pour recevoir leurs paiements, et ceux qui recevaient des avances devaient les rembourser à hauteur de 40 % de leurs droits. Ce désastre administratif a conduit à des critiques de plus en plus fortes, y compris de la part des Nations Unies, qui ont dénoncé une situation intolérable dans une nation riche.

Cependant, au-delà des erreurs administratives, le cœur du système UC repose sur une logique de conditionnalité de plus en plus autoritaire. Les bénéficiaires devaient signer un « engagement des demandeurs », un contrat les obligeant à accepter des emplois à temps partiel, sous peine de sanctions sévères. Cette approche coercitive, qui impose des conditions strictes d’emploi aux personnes les plus vulnérables, est perçue comme injuste et oppressante, renforçant la stigmatisation des pauvres et exacerbant la perception qu’ils sont déconnectés du reste de la société. En conséquence, de nombreux citoyens voient leur situation comme irrémédiablement bloquée, incapables de répondre aux exigences d’un marché du travail fragmenté et peu favorable aux plus démunis.

En outre, la transformation du secteur des services, à la suite de la révolution technologique, a créé de nouvelles dynamiques sur le marché du travail, modifiant les types d’emplois disponibles. L’avancée rapide de l’intelligence artificielle et des robots, initialement centrée sur les emplois de bureau, touche désormais tous les secteurs à l’exception des emplois les plus bas de gamme et mal rémunérés. Or, cette évolution technologique n’a pas été prise en compte dans la conception du système UC, ce qui rend encore plus difficile l’accès à des emplois stables pour les personnes vivant dans les zones les plus touchées par la désindustrialisation.

Dans ce contexte, les promesses d’un avenir meilleur, reposant sur l’éducation, la formation et l’effort individuel, semblent de plus en plus illusoires. Les régions les plus pauvres, comme les vallées du Pays de Galles, ont vu leur économie se dégrader au cours des dernières décennies, malgré les fonds alloués par l’Union européenne. En réalité, l’impact de ces investissements sur la création d’emplois a été minime, avec des usines créant parfois moins de 300 emplois dans des zones où des dizaines de milliers de postes avaient été perdus dans les années précédentes. Face à cette situation, le Brexit est apparu comme une forme de rejet du système en place, un mouvement de mécontentement qui trouve ses racines dans un sentiment d’abandon et de frustration.

Ainsi, malgré l’intention de réduire la dépendance aux allocations sociales, le système UC a, dans de nombreux cas, exacerbé les inégalités et la marginalisation des plus pauvres. En imposant des conditions de travail et de soutien de plus en plus strictes, tout en négligeant l’impact des transformations économiques et technologiques, il a conduit à une résignation générale et à une perte de confiance dans les institutions.

Enfin, cette situation n’est pas propre au Royaume-Uni. Les politiques autoritaires appliquées aux populations les plus vulnérables, notamment les migrants ou les minorités, connaissent des développements similaires dans d’autres régions du monde. Des figures politiques comme Donald Trump ou Viktor Orbán ont mis en avant des approches de plus en plus répressives vis-à-vis des populations marginalisées, exploitant les divisions sociales et économiques pour renforcer leur autorité et légitimer leur pouvoir. Dans ce contexte global, la question du traitement des plus démunis et de l’autoritarisme d’État devient une problématique essentielle pour comprendre l’évolution des sociétés contemporaines.

Quel est le rôle de l'hégémonie économique allemande dans l'instabilité sociale et politique en Europe ?

Le processus de transformation de l'économie mondiale au XXIe siècle, marqué par l'avènement d'une forme de capitalisme globalisé, a modifié les rapports de force entre les classes sociales et donné lieu à des dynamiques politiques nouvelles. Un facteur clé dans cette évolution a été le renforcement de l'hégémonie économique de l'Allemagne en Europe, en particulier après la réunification du pays et la consolidation de son pouvoir économique sur le reste du continent. L'analyse de cet phénomène met en lumière les tensions croissantes qui résultent d'une inégalité accrue et de la dérégulation des marchés du travail.

Dans la période qui suit la réunification allemande, l'Allemagne adopte une série de réformes qui, en dépit de leur prétendue intention de modernisation économique, ont conduit à une répression systématique des salaires et à une augmentation des inégalités. En déprimant le coût du travail, l'Allemagne réussit à maintenir une compétitivité économique élevée, notamment par le biais de ses exportations massives, surtout vers le sud de l'Europe. En parallèle, les banques allemandes jouent un rôle crucial dans l'économie européenne, en prêtant de grandes sommes d'argent aux gouvernements des pays périphériques de l'UE, tels que la Grèce, le Portugal, l'Irlande et l'Espagne. Ce modèle financier a permis à l'Allemagne de conserver sa position dominante, mais a également conduit à une dépendance accrue de ces nations vis-à-vis du capital financier.

La dépendance des pays périphériques vis-à-vis des prêts allemands et la précarisation du marché du travail dans ces régions ont provoqué des crises économiques sévères dans les années 2010. Les salaires dans ces pays ont chuté, et la part des travailleurs dans la richesse nationale a diminué. Ce phénomène peut être compris comme une conséquence directe de la domination des banques allemandes et de leurs politiques impérialistes visant à maintenir un contrôle économique sur les pays de la périphérie européenne. L'analyse des économistes comme Lapavitsas montre clairement que les crises de la dette qui ont secoué l'UE ne sont pas seulement une question de mauvaise gestion financière, mais plutôt un reflet de la structure économique inégalitaire imposée par l'Allemagne.

Les auteurs qui examinent cette question, tels que Zuboff, Dyson, Fouskas, Gokay et Lapavitsas, partagent une perspective commune sur les effets de la concentration du capital. En particulier, ils soulignent l'impact de cette évolution sur la classe ouvrière, qui se trouve de plus en plus marginalisée dans le processus de production de richesse. En écho aux travaux de Thomas Piketty, qui a démontré que le capital se développe plus rapidement que la production, réduisant ainsi la part des travailleurs dans la richesse globale, ces auteurs proposent une analyse du capitalisme où la redistribution des revenus devient un enjeu crucial.

En outre, cette évolution économique a des conséquences politiques profondes. Le modèle néolibéral, associé à l'hégémonie allemande, a contribué à une division croissante de la classe ouvrière, alimentant des sentiments de frustration et de désillusion. Cette situation a ouvert la voie à l'émergence de régimes autoritaires, en particulier en Europe, où des gouvernements populistes exploitent ces divisions pour gagner en pouvoir. Ce phénomène est étroitement lié à l'effritement de la démocratie libérale et à la montée des formes de « démocratie illibérale » où les droits individuels sont progressivement érodés au profit de l'autorité de l'État.

Un autre aspect essentiel de cette transformation économique et politique est l'impact de la répartition des bénéfices de la croissance économique. Tandis que les élites économiques, en particulier les technocrates et les milliardaires, ont vu leur richesse se multiplier, une grande partie de la population a vu ses conditions de vie se détériorer, contribuant à une diminution du bien-être subjectif dans les pays développés. Il est intéressant de noter que malgré des niveaux de croissance économique relativement élevés, la satisfaction générale vis-à-vis de la vie a stagné depuis plus de 30 ans. L'insécurité de l'emploi, la mauvaise santé et la séparation conjugale se sont révélées être des facteurs bien plus déterminants du bien-être que les seuls critères économiques. Cela renvoie à un paradoxe où, malgré une prospérité matérielle croissante, les individus éprouvent une insatisfaction générale qui peut engendrer des conflits sociaux et politiques.

Dans ce contexte, les propositions de réformes sociales, comme l'introduction du revenu de base inconditionnel, deviennent de plus en plus pertinentes. Cette idée, popularisée par des auteurs comme Rutger Bregman, envisage un système où chaque citoyen reçoit un paiement universel, indépendamment de sa situation économique. Cela permettrait de réduire les inégalités, de renforcer la solidarité et de redonner du pouvoir aux travailleurs. De plus, une telle réforme pourrait offrir une réponse aux défis de la modernisation technologique et de l'automatisation qui menace les emplois dans de nombreux secteurs.

Ainsi, le lien entre l’hégémonie économique allemande, l’augmentation des inégalités sociales et la montée de l’autoritarisme en Europe doit être compris dans une perspective globale où les transformations économiques, politiques et sociales s’entrelacent. La question de savoir comment réagir à cette nouvelle configuration du capitalisme et de la démocratie reste ouverte, mais elle nécessite une réflexion sur les alternatives possibles à l’ordre existant. Dans un monde où l’individualisme semble l’emporter, les réponses collectives et solidaires deviennent des pistes essentielles pour imaginer un avenir plus équitable et plus démocratique.