La sagesse d'Aristote sur les tyrans et leurs courtisans n'a cessé de résonner au fil des siècles, car elle reste profondément pertinente dans notre monde moderne. Aristote observait que le tyran, par nature, est un être privé de vertu, et par conséquent, il n’a pas la véritable force qui découle de la sagesse et de la moralité. Au lieu de cela, il doit manipuler, flatter et entourer de gens faibles et incompétents pour maintenir son pouvoir. Cette analyse, à la fois politique et psychologique, dépeint un portrait inquiétant du pouvoir et de ses mécanismes, que l'on peut aisément appliquer aux figures politiques modernes.

Le tyran, selon Aristote, n'a pas seulement besoin de flatter ses partisans ; il a également besoin d'ennemis pour galvaniser sa base et maintenir l'illusion de sa grandeur. En créant des divisions au sein du peuple, il alimente les rancœurs et l'hostilité, renforçant ainsi son pouvoir en apparence. La flatterie joue un rôle clé dans ce processus. Le tyran, souvent entouré de sycophantes, se nourrit de compliments et de dévotion, mais ces adulateurs ne cherchent rien d'autre que de profiter des miettes du pouvoir. Loin de servir le bien commun, leur rôle est de maintenir l’illusion de la grandeur du tyran, tout en contribuant à l’asservissement des masses. Aristote souligne que ceux qui ne se soumettent pas à ce système – les « esprits libres » – sont souvent vus comme des menaces, des ennemis à éliminer.

Les masses, quant à elles, sont prises dans une dynamique de divertissement et d'excitation, aveugles aux implications éthiques et politiques de ce qui se déroule sous leurs yeux. Le spectacle de la politique, qu’il s’agisse de guerre, de manipulation médiatique ou de scandales, devient un jeu pour elles. Elles sont comme ce que Platon appelait la « multitude bigarrée », réagissant émotionnellement, mais sans discernement. Le tyran et ses courtisans, par des manipulations subtiles de l'opinion publique, nourrissent cette ignorance, et l'influence des médias, des « fake news » et de la propagande contribue largement à l'aveuglement général. Les forces en présence, qu’elles soient de droite ou de gauche, sont toutes perverties par ce même système, où la lutte pour le pouvoir occulte la quête de la vérité et du bien-être général.

Les tragédies politiques auxquelles nous assistons aujourd'hui – que ce soit sous la forme de dirigeants autoritaires, de scandales gouvernementaux ou de conflits idéologiques – ne sont en rien inédites. Les luttes pour le pouvoir et les manipulations politiques sont aussi anciennes que la civilisation. L'exemple de Donald Trump, avec sa rhétorique incendiaire, ses ennemis désignés, ses flatteries constantes, et son mépris pour les voix dissidentes, illustre cette dynamique avec une précision frappante. Cependant, il n’est pas le premier à incarner ce type de tyrannie : des figures historiques comme Richard Nixon et Bill Clinton ont également marqué l’histoire politique américaine par des scandales et des abus de pouvoir. Dans cette dynamique, les individus moralement vertueux et les opposants au pouvoir sont souvent considérés comme des menaces à l'ordre établi, et il n’est pas rare que la répression ou l'exclusion se substitue à la véritable justice.

Les tragédies politiques ne se limitent cependant pas à l'individu ou à un seul régime. Elles révèlent aussi les failles profondes du système politique et de la nature humaine. La quête d’un héros – celui qui, comme un Tiresias, Antigone ou Socrate, viendrait remettre de l'ordre dans ce chaos – reste une aspiration, mais une aspiration qui, selon les écrits de Platon, reste une chimère. Le philosophe-tyran, capable de gouverner avec sagesse et vertu, reste une utopie. La politique moderne, avec ses compromis et ses institutions, nous rappelle que l'idéal d'un gouvernant éclairé est devenu une illusion, au profit d’une solution plus pragmatique : un gouvernement mixte, avec des équilibres de pouvoir, mais qui repose aussi sur la vertu et l'éducation des citoyens.

Ce que nous propose Aristote, c’est une réflexion sur la gouvernance qui dépasse le cadre d’un simple régime politique. Le problème de la tyrannie ne réside pas uniquement dans le pouvoir d’un individu, mais dans la faillite collective des principes moraux et de la sagesse. Un gouvernement, qu'il soit monarchique, oligarchique ou démocratique, n’est pas viable sans l'engagement moral des individus qui le composent. Et cet engagement ne peut exister sans une éducation qui incite à la justice, à la vertu et à la sagesse.

L'exemple d'Alexandre le Grand, dont Aristote fut le précepteur, illustre ce dilemme. Lorsque le jeune roi, sous l’influence de son pouvoir grandissant, adopta des pratiques tyranniques en forçant ses sujets à se prosterner devant lui, il trahit les principes que son maître lui avait enseignés. L’histoire de Callisthène, le philosophe grec qui refusa de se soumettre à cette soumission servile, démontre tragiquement que la vertu et la liberté de l’esprit sont souvent écrasées par la tyrannie, même lorsque celle-ci est incarnée par un grand conquérant.

Ce n’est donc pas dans un roi-philosophe que réside la solution, mais dans une population éduquée, une société de citoyens philosophiques, engagés à défendre la vérité, la justice et la vertu, tout en étant vigilants face aux dérives du pouvoir. La sagesse d’Aristote sur la tyrannie et la flatterie est une mise en garde contre l’aveuglement des masses et la corruption des dirigeants, mais elle contient aussi une réponse : l'éducation, la vertu et la sagesse restent les véritables remèdes pour un gouvernement juste et une société florissante.

Comment la Hubris et l'Orgueil Mènent à la Tyrannie : L'Équilibre Fragile entre Grandeur et Morale

La tradition occidentale enseigne que l'hubris, l'ambition démesurée et la vanité sont les sources des crimes et des ruines. Dans "Macbeth" de Shakespeare, nous rencontrons l'ambition démesurée qui se "sautille" au-delà de ses propres limites. Dans le livre des Proverbes de la Bible (16:18), il est précisé que "l'orgueil précède la chute". Cette idée, symboliquement et moralement, renvoie à une vérité vieille comme le monde : l'orgueil conduit à la destruction. Le mot grec "hubris" fait référence à un excès de fierté, souvent traduit par "superbia" en latin, qui implique une arrogance ou une présomption exagérée. L'hubris, qui se nourrit de cette "hauteur" morale et sociale, représente ce complexe de supériorité où l'individu se place au-dessus des autres, au-delà de ses mérites réels.

Cependant, il est crucial de distinguer l'orgueil sain de l'hubris destructeur. L'orgueil juste résulte d'une évaluation honnête de soi-même. Il est légitime de ressentir de la fierté après un accomplissement, comme remporter une course, découvrir quelque chose d'important ou avoir vécu une vie vertueuse. Un tel orgueil n'est pas qu'un sentiment passager mais une reconnaissance méritée de son travail, de son effort ou de ses principes. C'est l'estime de soi dans sa forme la plus pure, la reconnaissance de la grandeur intérieure et de l'honneur mérité. L'orgueil juste s'appuie sur la vérité de ce que l'on est et de ce que l'on a accompli, dans une humilité qui ne se laisse pas corrompre par la flatterie ou la vanité.

Toutefois, l'hubris se distingue de cet orgueil vertueux par son déni de la réalité et son illusion de supériorité. Il s'agit d'une surestimation de soi-même, où l'individu se croit non seulement au-dessus des autres, mais méritant des privilèges ou du pouvoir qui lui échappent. Ce phénomène peut conduire à la tyrannie. Le tyran, pris par cette illusion de grandeur, pense qu'il mérite un pouvoir absolu. Il se nourrit de flatteries, mais sa vision déformée de lui-même et de ses droits est fondamentalement erronée. Là où un homme juste pourrait jouir d'une estime légitime, le tyran s'enivre d'une estime fausse et aveugle, souvent nourrie par des courtisans ou des partisans serviles qui ne cherchent qu'à flatter ses défauts.

En psychologie, l'estime de soi se distingue du respect de soi. Le respect de soi résulte de la reconnaissance de sa dignité en tant qu'individu autonome, capable de choix moraux. À l'inverse, l'estime de soi découle de l'évaluation de ses propres actions et de la croyance en sa propre vertu. Alors qu'un criminel pourrait maintenir un certain respect de soi en reconnaissant sa dignité humaine, son estime de soi devrait être faible en raison de ses actions répréhensibles. Paradoxalement, certains criminels possèdent une estime de soi excessive, alimentée par une fierté mal placée et un complexe d'infériorité non reconnu. En revanche, un tyran peut développer une estime de soi grandement exagérée, car il se voit comme au-dessus des autres, souvent sans aucune conscience de ses failles morales.

L'hubris, dans son essence, est une forme de délation interne, une croyance erronée en la supériorité qui déforme la réalité. Elle se caractérise par une violence morale et souvent physique. Elle n'est pas simplement un défaut de caractère, mais un danger social qui, lorsqu'il est couplé à la recherche du pouvoir, mène à des comportements tyranniques. Les tyrans se retrouvent ainsi plongés dans un état de déni total de la réalité. Ils se croient au sommet de la hiérarchie sociale et morale, refusant de reconnaître leurs faiblesses et abusant du pouvoir pour maintenir cette illusion.

Les manifestations modernes de l'hubris ne sont pas difficiles à trouver. Prenons l'exemple des slogans politiques qui glorifient la grandeur plutôt que la moralité. L'expression "Make America Great Again", par exemple, incarne cette tendance à confondre grandeur et vertu. La "grandeur" évoque une notion extérieure et mesurable, une quête de puissance qui se déconnecte des principes éthiques. La grandeur peut être comprise comme la recherche d'une puissance externe, un désir de reconnaissance publique et de supériorité sociale. Pourtant, ce que cette quête néglige, c'est que la véritable grandeur ne réside pas dans la puissance, mais dans la vertu. Il est possible d'être grand sans être moral, et cela n'est jamais plus évident que dans les comportements des tyrans modernes qui cherchent à renforcer leur domination par des promesses de grandeur tout en négligeant les valeurs morales essentielles.

Il est essentiel de comprendre que l'hubris n'est pas une simple fierté excessive, mais une distortion de la réalité qui altère la perception de soi et des autres. La véritable grandeur ne réside pas dans la domination ou l'acquisition de pouvoir, mais dans le respect de soi et des autres. Le tyran, obsédé par sa propre supériorité, oublie qu'il est, avant tout, un homme parmi d'autres, et que le pouvoir qu'il cherche à accumuler est, en réalité, fragile et illusoire. Seul celui qui base son existence sur des principes moraux solides et une compréhension réaliste de ses limites peut éviter le piège de l'hubris et conserver un équilibre entre grandeur et bienveillance.

La tyrannie de la grandeur : l’obsession des mesures extérieures et leur futilité

L’utilisation du langage par Trump peut être un point de départ utile pour comprendre certains aspects du caractère tyrannique. Tout au long de sa carrière publique, il a constamment mis en avant la taille des choses, des éléments mesurables et quantifiables : richesse, intelligence, taille, beauté. Il semble obsédé par l’apparence extérieure des gens. Les foules, les cotes d’audience télévisées, les abonnés Twitter, les évaluations boursières et les listes d’accomplissements – en particulier la richesse – sont autant de domaines dans lesquels il se compare sans cesse aux autres. Cette quête incessante de grandeur repose sur des critères superficiels et souvent fabriqués, ce qui mène à l’hyperbole et, dans de nombreux cas, au mensonge pur et simple.

Lorsque Trump était promoteur immobilier, il n’hésitait pas à gonfler sa propre richesse et à utiliser diverses techniques de relations publiques pour se donner l’air plus riche et plus puissant qu’il ne l’était réellement. Ce genre d’exagération fait partie intégrante de sa stratégie d’autopromotion, et il l’a clairement exposé dans son manifeste d’affaires, The Art of the Deal. Dans un passage clé de ce livre, il parle d’une « hyperbole véridique » comme forme de promotion de soi. L’hyperbole, l’arrogance et l’orgueil sont des outils essentiels pour ceux qui sont concentrés sur les mesures extérieures de la grandeur, et Trump l’a parfaitement compris.

Ce besoin de grandeur n’a rien à voir avec la vérité ou la vertu ; il s’agit d’une quête de grandeur à travers des critères visibles, tangibles et surtout spectaculaires. L’un des aspects fondamentaux de cette psychologie tyrannique réside dans la quête incessante de « plus » : plus d’argent, plus de pouvoir, plus de reconnaissance. Trump a souvent déclaré qu’il ne pouvait jamais être trop avide, ce qui reflète cette même logique de comparaison perpétuelle. La recherche de la grandeur, dans ce contexte, est infinie. Si quelqu’un d’autre possède plus que vous, il est impératif d’avoir davantage que lui. Plus d’argent, plus de biens matériels, plus de beauté, plus de pouvoir. Tout devient une compétition quantifiable.

Cette logique se manifeste également dans les pratiques moins avouables de Trump. Dans le domaine du sport, par exemple, son désir de victoire à tout prix a mené à des comportements déloyaux et à des mensonges flagrants. Non seulement il exagère sa richesse, mais il va jusqu’à mentir sur des faits simples et vérifiables, comme le nombre d’étages de ses immeubles ou sa propre taille. Trump prétend, par exemple, mesurer 1,91 mètre, bien qu’il soit en réalité plus proche de 1,85 mètre. Ces petites exagérations semblent futiles, mais elles sont révélatrices de cette obsession du quantitatif, de l’extérieur, et de la comparaison permanente avec les autres.

Les flatteries de ses partisans, qu’il choisit soigneusement, viennent alimenter cette soif insatiable de reconnaissance externe. Le tyran, toujours en quête de validation, se nourrit des louanges de ses partisans, de ceux qui lui attribuent des qualités qu’il n’a pas forcément, mais qui lui sont indispensables pour maintenir son image de grandeur. Cela le pousse à répéter sans cesse ses exploits et à se présenter comme un modèle d’accomplissement, même si la réalité est bien différente. Le besoin de flatterie est permanent : le tyran ne peut se satisfaire de la grandeur qu’il prétend posséder, il a besoin de l’entourage pour la confirmer.

Cependant, cette quête de grandeur est vouée à l’échec. Les mensonges finissent par être découverts. Le cas des déclarations fiscales de Trump en est un exemple. Si ces informations venaient à être révélées, il est possible que sa richesse apparente se révèle bien moins impressionnante que ce qu’il a voulu laisser croire. En effet, la grandeur, telle que la conçoit Trump, n’est pas fondée sur des critères objectifs ou sur une valeur morale véritable, mais plutôt sur une accumulation de signes extérieurs qui, en fin de compte, n’ont pas de substance.

Ce type de comportement n’est pas sans conséquence. La tyrannie, à travers son obsession du quantitatif, engendre une instabilité inévitable. Le tyran doit constamment affirmer sa position par des signes extérieurs de grandeur, ce qui l’expose à l’instabilité. Toute personne ou élément qui pourrait ébranler cette image est perçu comme une menace. C’est cette fragilité qui se cache derrière l’apparente invincibilité du tyran.

À l’inverse, ceux qui ont une véritable grandeur ne se préoccupent pas de cette course incessante aux chiffres. Ils n’ont pas besoin d’être constamment flattés ou de cacher leurs faiblesses. La véritable dignité ne réside pas dans la reconnaissance externe, mais dans une vie qui repose sur la vérité et la vertu. Ceux qui vivent ainsi n’ont pas besoin de se défendre contre des rumeurs ou de fabriquer des histoires pour se donner une image de grandeur. Ils n’ont rien à cacher et sont prêts à faire face à la vérité, aussi dure soit-elle.

En fin de compte, la solution à la tyrannie réside dans l’introspection et la quête de la vertu. Se concentrer sur la véritable grandeur, qui est intérieure et qualitative, permet de se libérer de la tyrannie des signes extérieurs. Le remède à l’orgueil, à la flatterie des sycophantes et à l’adoration des idiots est l’examen de soi. Ceux qui prennent le temps de se scruter intérieurement, d’affronter leurs défauts et leurs faiblesses, découvrent que la grandeur externe n’a aucune importance. La véritable grandeur vient de la sincérité et de la vertu, et non des apparences.

L'usage du terme "grandeur" dans le discours politique et ses implications morales

L'emploi du terme "grandeur" dans le discours politique, en particulier dans celui de figures contemporaines comme Donald Trump, est révélateur d'une vision particulière du pouvoir et de la moralité. La célèbre devise de sa campagne, "Make America Great Again", en est un exemple frappant. Ce slogan, ainsi que celui de "America First", met l'accent sur l'idée de grandeur comme étant essentielle à l'identité nationale. Or, l'idée de grandeur, telle qu'elle est véhiculée dans ces discours, semble être indissociable d'une conception du pouvoir qui relève davantage d'une logique païenne et tyrannique que d'une vision démocratique et éthique du leadership.

Loin de se limiter à des slogans, cette idée de grandeur se retrouve dans de nombreux éléments du discours de Trump, notamment à travers des termes comme "le plus grand" ou "gagnant". Par exemple, dans ses tweets, "great" apparaît dans 361 d'entre eux, "huge" dans 169, et "win" dans plus de 1 000. Cette insistance sur la grandeur et la victoire est une constante dans sa communication. Dans son discours du 27 août 2020 à la Convention nationale républicaine, il mentionne le terme "great" pas moins de 32 fois, tant pour vanter ses propres réussites (comme ses négociations avec la Corée du Sud ou le Partenariat transpacifique), que pour dénigrer son adversaire, Joe Biden, qu'il présente comme un "destructeur de la grandeur de l'Amérique".

Cet usage répété de "grandeur" s'intensifie encore dans son discours du 6 janvier 2021, lorsqu'il évoque la "grandeur" de ses partisans. Il déclare que ce mouvement est "le plus grand mouvement politique de l'histoire de notre pays", un jugement qui s'appuie sur des arguments émotionnels plutôt que sur des raisons morales ou rationnelles. L'idée que la taille d'une foule ou l'intensité des émotions collectives puisse être le reflet de la "vérité" ou de la "justice" est un raisonnement fallacieux, car pour revendiquer ces valeurs, il faut des arguments éthiques et des actions fondées sur la justice, non sur l'effet de masse.

Une autre dimension importante dans ce discours est l'usage de la "grandeur" comme justification morale pour des actions politiques souvent douteuses. Par exemple, Trump qualifie Rudy Giuliani de "grand homme" non pour son intégrité ou son éthique, mais simplement pour son soutien à ses thèses fallacieuses. De même, l'appel à la grandeur de l'Amérique est souvent utilisé comme un levier pour excuser des pratiques politiques qui violent les principes de la démocratie et de l'État de droit.

Il est crucial de comprendre que derrière ce discours centré sur la grandeur se cache une vision du pouvoir qui n'a que peu de lien avec les idéaux de la démocratie moderne. La grandeur ainsi invoquée est une grandeur construite sur des notions de supériorité, d'unité d'intention et de force brute, plutôt que sur la dignité humaine, l'égalité ou la justice. Cette vision a des racines profondes dans des conceptions anciennes du pouvoir, comme celles des tyrans de l'Antiquité ou des figures historiques dont les actions ont été justifiées par des idéaux de grandeur personnelle ou nationale. Dans ce cadre, la morale devient secondaire par rapport à la recherche de la domination et de la victoire.

Il est essentiel que le lecteur comprenne la distinction entre une "grandeur" fondée sur des critères objectifs, comme la justice, la bienveillance et le respect des droits de l'homme, et une grandeur qui est simplement une étiquette apposée à des actions visant à consolider un pouvoir personnel. La notion de grandeur dans le discours politique actuel peut en effet être perçue comme une tentative de manipulation des masses, en exploitant des émotions fortes pour détourner l'attention des questions morales et éthiques essentielles.

La quête de la grandeur politique, particulièrement lorsqu'elle s'accompagne de démagogie et de rejet des principes démocratiques, pose des risques considérables pour la société. Il est donc important de remettre en question cette logique de grandeur qui, au lieu de promouvoir le bien commun, peut servir à légitimer des abus de pouvoir et à affaiblir les fondements éthiques d'une nation. Ainsi, une analyse critique de ces discours est indispensable pour ne pas tomber dans le piège de la superficialité de la "grandeur", qui souvent dissimule les manœuvres autoritaires et déstabilisatrices.

Comment comprendre la complicité du sycophante dans le cadre des jeux de pouvoir et de flatterie ?

L'attitude du sycophante trouve ses racines dans des pratiques anciennes, souvent entremêlées avec des stratégies de manipulation et d'escalade dans les structures de pouvoir. À la croisée de l'art de la flatterie et de la ruse, le sycophante se distingue par sa volonté d’obtenir des bénéfices personnels au moyen d'actions délibérément déloyales. Le terme même de « sycophante » évoque un type d’individu qui exploite sans scrupules les failles du système juridique ou politique. Dans l’Athènes classique, il était fréquemment associé à des comportements de délation, de fausses accusations ou de corruption dans le but d'obtenir un avantage financier ou politique. Ce phénomène n’était pas seulement moralement condamnable, mais il était aussi vu comme une subversion du contrat social et des valeurs démocratiques de l’époque.

La flatterie et la tromperie, en particulier lorsqu'elles sont utilisées à des fins stratégiques, ne sont pas des phénomènes modernes, mais des phénomènes qui traversent l'histoire et qui remontent à la Grèce antique. Aristophane, dans ses comédies, nous en donne une image satirique mais révélatrice, et la figure du sycophante reste omniprésente dans les écrits des historiens et philosophes de l’époque. Ces comportements, souvent minorés ou ridiculisés, font néanmoins partie d’une réalité quotidienne qui montre comment certains individus cherchent à se placer en faveur du pouvoir, prêt à sacrifier leur intégrité au profit de leur propre ascension.

Jean Bethke Elshtain, dans ses réflexions sur la place des femmes dans la pensée sociale et politique, souligne que la manipulation de l’opinion publique et la soumission à l'autorité prennent des formes multiples dans l’histoire des sociétés humaines. En effet, que ce soit sous le couvert de la dévotion, de la loyauté ou même de l’amitié, le sycophante joue toujours sur les faiblesses humaines pour tirer profit de l’influence qu’il peut obtenir.

Les sycophantes sont souvent dépeints sous un jour négatif, mais il est essentiel de noter que leur rôle dans les sociétés antiques était également un reflet de la manière dont la politique et la justice se mêlaient. La pratique de l’accusation injustifiée ou de la manipulation juridique à des fins personnelles était non seulement un moyen de survie dans certains cas, mais aussi un symptôme d'un système qui favorisait les relations d'ombre plutôt que l'honnêteté. Les sycophantes étaient donc à la fois des produits et des instigateurs de ce système de corruption institutionnalisée.

Dans l’optique des relations sociales, le sycophante peut aussi être vu comme un acteur jouant avec les codes de la rhétorique, capable de manipuler les perceptions et de jouer avec les vérités relatives. L’exemple du sycophante dans la démocratie athénienne, qui utilisait le système juridique pour ses propres fins, est instructif : il nous rappelle comment la justice peut être détournée pour devenir un instrument de pouvoir. Les accusations de trahison ou d'infractions, souvent exagérées ou dénuées de fondement, étaient des armes pour renforcer l’autorité d’un individu en position de pouvoir.

De plus, la culture de la flatterie, qui accompagne souvent ces comportements, n’est pas simplement une question de complaisance envers un supérieur. Elle peut également devenir un mode de survie pour ceux qui cherchent à s'imposer dans des systèmes hiérarchiques rigides où les individualités sont effacées au profit de loyautés obligées. Le fait que des personnalités politiques ou médiatiques modernes, comme les partisans de certains régimes autoritaires, recourent aux mêmes stratégies de flatterie et de manipulation ne fait que souligner la continuité des mécanismes de pouvoir. Dans ce contexte, la figure du sycophante devient presque un archétype intemporel de l’arrivisme politique.

Mais que faut-il comprendre au-delà de cette figure traditionnelle ? Si l’on se penche sur des concepts plus modernes, comme ceux développés par Jonathan Haidt dans The Righteous Mind, la manière dont les individus se divisent sur des questions politiques ou morales peut nous éclairer davantage. Ce phénomène de « sycophantisme » politique, où les partisans se laissent emporter par des narratifs construits par des leaders ou des partis, peut nous faire réfléchir sur les dangers de la polarisation excessive et du manque de dialogue honnête.

Au-delà des phénomènes de flatterie, le sycophante contemporain est également lié à une forme de non-culpabilité politique : ce comportement contribue à une dynamique où les idées ou actions dénuées de raison et de véracité sont acceptées ou même valorisées. Cette « absence de raison », qui dans certains cas devient une méthode de gouvernance, est particulièrement dangereuse dans un monde où l'intégrité et l'équilibre des pouvoirs sont essentiels pour le maintien de la démocratie.

Ainsi, il est fondamental de comprendre que derrière l'apparente loyauté ou soumission des sycophantes se cache une manipulation consciente des mécanismes de pouvoir, une subversion des idéaux démocratiques et une appropriation de la justice. La tentation de flatter, d'abuser de ses relations de pouvoir ou d’exploiter les failles du système pour un gain personnel ne cesse d’être d'actualité dans toutes les formes de gouvernement, qu’elles soient antiques ou modernes. Mais ce qui rend ce phénomène particulièrement inquiétant dans les sociétés contemporaines, c'est la lente érosion des critères de vérité et d’intégrité, au profit d’un discours populiste qui divise plutôt qu’il ne rassemble.