Le lien entre décroissance, écologie politique et économie écologique s’inscrit dans une dynamique qui remet en cause les fondements du système économique dominant, notamment à travers des réseaux internationaux comme le Feminisms and Degrowth Alliance (FaDA), apparu en 2016. Cette alliance illustre une nouvelle génération de chercheurs et d’activistes engagés dans une critique radicale, visant à rapprocher les approches féministes et écologiques pour repenser les relations sociales, économiques et environnementales. Pourtant, malgré la montée en puissance de l’économie écologique, les questions de genre restent marginales dans ce champ, alors que l’économie féministe, elle, peine à intégrer pleinement les préoccupations environnementales. Ce décalage peut s’expliquer en partie par le rejet, dans certains cercles féministes, de l’écoféminisme, perçu à tort comme une forme d’essentialisme naturaliste qui attribuerait aux femmes une proximité innée avec la nature, renforçant ainsi les stéréotypes patriarcaux. Or, le cœur de l’écoféminisme ne repose pas sur cette essentialisation, mais plutôt sur la reconnaissance des rapports similaires d’exploitation et de domination subis à la fois par les femmes et par la nature dans le cadre des économies capitalistes patriarcales.

Cette approche critique souligne la réduction des valeurs multiples à une unique valeur monétaire, ainsi que la tendance à transformer toute chose en marchandise, phénomène intrinsèquement lié à la logique dominante. Intégrer une perspective féministe dans les débats écologiques et économiques permet de révéler des dimensions souvent négligées, notamment le rôle central du soin, de la reproduction sociale et du bien-être collectif, qui sont au cœur de l’économie féministe politique. Pourtant, cette dernière demeure marginalisée même au sein des écoles hétérodoxes, confinée dans ses propres revues et réseaux, ce qui limite la diffusion et l’influence de ses concepts dans le champ économique plus large.

Des figures importantes, telles que Bina Agarwal et Sabine O’Hara, ont tenté de faire émerger une économie écologique féministe, mais leur travail reste encore peu intégré dans les courants dominants de l’économie écologique. Les débats théoriques récents, notamment ceux portés par Dengler (2022), insistent sur l’importance d’une métathéorie fondée sur le réalisme critique, combinant réalisme ontologique, relativisme épistémologique et rationalité critique. Cette philosophie des sciences, qui correspond à la théorie des points de vue féministes, offre une base solide pour une économie écologique féministe intégrée, articulant ontologie, épistémologie, méthodologie et éthique. Elle rejoint ainsi les approches de l’économie écologique sociale, qui prennent en compte la complexité relationnelle des systèmes humains et naturels, ainsi que la nécessité d’une justice sociale et environnementale.

La marginalisation de l’économie féministe révèle également les difficultés rencontrées pour faire reconnaître la dimension éthique et relationnelle dans l’analyse économique. Ce déficit reflète une réduction excessive de la science économique à des modèles mathématiques abstraits et décontextualisés, qui négligent les réalités sociales, notamment celles liées au genre et à la reproduction de la vie. Par ailleurs, la philosophie des sciences appliquée à l’économie féministe critique les conceptions naïves du réalisme économique, soulignant la nécessité d’une prise en compte des rapports de pouvoir et des arrangements institutionnels qui influencent la production de savoir.

Par ailleurs, cette réflexion rejoint les débats autour de l’économie post-keynésienne, qui critique la transformation des idées de Keynes en modèles néoclassiques mathématiques, perdant ainsi des dimensions cruciales comme la psychologie des acteurs économiques ou les « esprits animaux ». Cette critique illustre plus largement la difficulté pour des approches critiques et hétérodoxes d’imposer des visions alternatives face à un mainstream économique rigidifié.

Au-delà de la simple critique, ce champ de recherche et d’action met en lumière l’importance d’une approche holistique, intersectionnelle et postcoloniale, qui reconnaît la pluralité des valeurs, la complexité des systèmes socio-écologiques, et la centralité de la durabilité de la vie. En articulant théorie et pratique, science et éthique, féminisme et écologie, il devient possible de repenser les finalités de l’économie non plus comme une quête de croissance illimitée ou de maximisation monétaire, mais comme une construction collective du bien-vivre, fondée sur le respect des êtres humains et de la nature.

Ce travail invite donc à dépasser les cloisonnements disciplinaires et idéologiques, à reconnaître que la science économique ne peut être neutre ni déconnectée des enjeux de pouvoir et d’injustice. La reconnaissance des savoirs situés et des rapports sociaux spécifiques à chaque groupe social enrichit la compréhension des crises écologiques et sociales actuelles. Enfin, intégrer une économie féministe écologique c’est aussi ouvrir la voie à des pratiques économiques et politiques capables de conjuguer équité sociale et préservation environnementale, dans un monde marqué par la complexité, la vulnérabilité et l’interdépendance des formes de vie.

Comment juger une théorie scientifique dans un monde de systèmes ouverts et d’hypothèses auxiliaires ?

Dans le domaine des sciences, naturelles comme sociales, le critère de falsifiabilité tel que proposé initialement par Popper a longtemps été perçu comme un repère décisif pour distinguer les affirmations scientifiques des non-scientifiques. Mais ce modèle s'est révélé inadéquat face à la complexité réelle de la pratique scientifique. La falsification se heurte en effet à de sérieuses limites, notamment dans un monde constitué de systèmes ouverts, où les variables interagissent selon des mécanismes multiples et souvent inobservables.

Chaque théorie scientifique est enchâssée dans un réseau dense d'hypothèses, dont certaines sont implicites. Lorsqu’une prédiction échoue, il devient extrêmement difficile de déterminer si c’est la théorie principale qui est en cause, ou l’une de ces nombreuses hypothèses auxiliaires. L’expérimentation elle-même repose sur une série d'assomptions tacites sur les instruments, les conditions expérimentales et les théories secondaires utilisées pour interpréter les résultats. Un télescope, par exemple, ne fournit une observation « valide » qu’à condition que les hypothèses relatives à sa fabrication, sa précision optique, ou encore les lois de la réfraction soient acceptées comme fiables. Ainsi, ce qui est testé n’est jamais une hypothèse isolée, mais un système de croyances entremêlées — ce que le problème de Duhem-Neurath-Quine met en évidence.

Karl Popper lui-même a fini par nuancer sa position initiale, évoluant vers un rationalisme critique intégrant l’analyse situationnelle et la corroboration plutôt qu'une simple falsifiabilité stricte. Ce déplacement méthodologique est souvent ignoré dans les interprétations simplistes de son œuvre. Caldwell souligne qu’un rationalisme critique admet l’évaluation empirique, mais aussi la critique logique, en particulier dans les sciences sociales, où les conditions d’expérimentation contrôlée font souvent défaut.

L’ajustement ad hoc d’hypothèses auxiliaires pour sauver une théorie est un problème récurrent. Neurath et Frank en ont dénoncé les abus, remarquant que ces ajustements peuvent devenir des outils de défense rhétorique, plutôt qu’un véritable progrès scientifique. L’acceptation ou le rejet d’une hypothèse n’est jamais strictement empirique, mais implique des jugements sur la pertinence des facteurs perturbateurs invoqués, lesquels sont parfois simplement écartés comme « non pertinents » pour préserver le cœur d’une théorie. Hempel, après avoir défendu pendant des décennies le modèle déductif-nomologique, a reconnu l’impossibilité de spécifier une clause de sauvegarde exhaustive excluant tous les facteurs perturbateurs. Cela signifie qu'aucune observation ne peut, en soi, forcer l'abandon d'une théorie.

Neurath, en particulier, a proposé une vision plus radicale : aucune donnée ne peut falsifier un système d’hypothèses ; elle peut au mieux affaiblir la confiance en ce système. Ce qui importe n’est pas la vérité comme correspondance au réel, mais la cohérence interne des énoncés et leur fonctionnalité dans un système donné. Dans cette perspective holiste, la science est une construction conventionnelle, structurée par des décisions collectives conscientes, fondées sur des critères pragmatiques.

L'empirisme logique, loin d'être un positivisme monolithique, s’est avéré être un espace de débats internes, d’évolutions critiques, et de tensions entre réalisme, conventionnalisme et pragmatisme. Il a rejeté l’idée de tester séparément chaque énoncé d'une théorie, préférant soumettre l’ensemble du système à l’épreuve des faits. Le réalisme naïf y est contesté, mais la recherche de confirmation reste présente, dans un cadre révisable, faillibiliste. La cohérence entre les énoncés devient un critère de validité, sans pour autant exclure toute dimension empirique.

Le rejet des affirmations métaphysiques, central dans les premières formulations, a été progressivement nuancé. La métaphysique n’est pas simplement évacuée, mais reconsidérée dans son rôle structurant des cadres de pensée scientifiques. Neurath reconnaît finalement que ces cadres ne sont pas neutres : ils résultent de processus historiques, sociaux, voire politiques. Ce sont des conventions stabilisées, qu’il faut analyser de manière concrète, à l’aide d’outils conceptuels aiguisés.

Il devient donc illusoire de penser qu'une observation puisse valider ou invalider une théorie de manière purement objective. Toute interprétation empirique repose sur un entrelacement de conditions, de choix méthodologiques, et de décisions souvent implicites. L’activité scientifique n’est pas un enchaînement neutre de tests mais une construction collective, dynamique, et traversée par des intérêts, des débats, et des conventions.

L’importance des critères sociaux et politiques dans l’acceptation des théories n’est pas un défaut de la science, mais un aspect constitutif de son fonctionnement. La rationalité scientifique n’est pas menacée par cette reconnaissance, elle en est au contraire renforcée, à condition d’être explicitement assumée. Le projet de Neurath, visant à ancrer la science dans des décisions collectives éclairées, reste un appel actuel à la lucidité critique et à la responsabilité épistémique.

Ce que l'on appelle aujourd’hui la “science” n’est pas une entité monolithique ni une simple application mécanique de méthodes. C’est un champ de pratiques, de structures discursives et d’institutions, traversé par des logiques diverses, où les critères de validité doivent être sans cesse interrogés, clarifiés et, lorsque nécessaire, redéfinis.

L'évolution des sciences : De l'étude des entités non humaines aux relations humaines

La conception de la science inspirée par la physique, qui définit celle-ci comme la résolution de problèmes, se révèle trop réductrice. Cette approche néglige en particulier l'importance de l'explication descriptive et de l'interprétation dans l'ensemble des sciences. Les sciences naturelles ont longtemps été perçues comme le modèle par excellence pour produire un savoir objectif, et les progrès scientifiques ont été définis principalement comme la résolution de problèmes quantitatifs. Cela a conduit à la marginalisation des explications qualitatives, bien qu'elles jouent un rôle crucial dans de nombreuses disciplines. Un tel focus sur le quantitatif, loin de faire avancer le savoir, présente des limites considérables, non seulement dans les sciences naturelles mais aussi dans les sciences sociales, où l'ignorance des aspects qualitatifs de la réalité est une caractéristique marquante, notamment en économie.

Le jugement de supériorité implicite dans les dichotomies établies entre sciences "dures" et "molles", objectives et subjectives, expérimentales et descriptives, quantitatives et qualitatives, suggère une division arbitraire qui mérite d'être interrogée. Selon Tait (2019), les sciences sociales ne peuvent pas répondre aux mêmes critères épistémiques que les sciences naturelles et ont donc un rôle distinct à jouer. L'idée que la naturalisation des sciences sociales exigerait l'adoption d'une approche trop étroite, inadaptée à leur objet d'étude, pourrait mener à un échec. Cela est particulièrement évident dans le cas de l'économie néoclassique, qui, en adoptant une méthodologie déductive et formaliste, se prive d'une véritable compréhension des dimensions humaines, politiques et sociales de ses objets d'étude.

Cependant, cette impossibilité d'adopter une méthodologie expérimentale en sciences sociales ne découle pas d'une faiblesse intrinsèque de ces dernières. Elle résulte plutôt de l'incapacité de créer des fermetures dans des systèmes ouverts. Benton (1998) souligne que la méthodologie expérimentale directe est rarement applicable aux sciences sociales, non seulement à cause des variables extrinsèques difficilement contrôlables, mais aussi en raison des contraintes éthiques et juridiques. Cette absence de méthode expérimentale semble limiter la possibilité d'atteindre une véritable compréhension de la réalité sociale, bien que des approches alternatives, comme la "rétroduction" et l'argumentation transcendantale proposées par Collier (1994) et d'autres réalistes critiques, offrent des pistes intéressantes pour aller au-delà de cette limitation.

Il est essentiel de comprendre que l'absence de méthode expérimentale ne condamne pas la création de savoir, car toutes les sciences naturelles n'y recourent pas systématiquement. Par exemple, des disciplines comme la biologie évolutive, l'écologie, la géologie et la paléontologie ne reposent pas sur des expériences en laboratoire, mais cela ne les empêche pas de produire un savoir scientifique rigoureux. De même, la théorie darwinienne de l'évolution, bien qu'elle ne repose pas sur des expériences contrôlées, reste une contribution majeure à la science. En abandonnant l'idée que l'expérimentation empirique définit ce qu'est une bonne science, les frontières épistémiques entre les sciences naturelles et sociales deviennent plus floues.

Ainsi, le véritable enjeu n'est pas que les scientifiques sociaux soient incapables de pratiquer les méthodologies des sciences naturelles, mais plutôt que ces dernières ne se limitent pas à l'empirisme expérimental classique. Benton (1998) fait remarquer que les sciences naturelles et sociales partagent de nombreuses méthodes et approches similaires, comme les méthodes de terrain utilisées par les éthologues animaux et les ethnographes sociaux, ce qui montre qu'il existe des points de convergence dans les pratiques des deux domaines.

Un aspect ontologique important à considérer concerne l'objet d'étude en sciences sociales : l'humain, qui possède des croyances et des opinions et interprète le monde. Les sciences naturelles, quant à elles, se concentrent principalement sur des objets qui ne s'engagent pas dans ce type d'auto-interprétation. En revanche, les sciences sociales doivent non seulement interpréter les individus, mais aussi comprendre comment ceux-ci conceptualisent le monde (ce que l'on appelle la "double herméneutique"). Cette nécessité de comprendre les conceptualisations humaines a conduit à l'émergence de l'herméneutique et à un "tournant linguistique" dans les sciences sociales, qui a introduit des modes littéraires d'analyse sociale dans le cadre du postmodernisme. Toutefois, une focalisation exclusive sur l'herméneutique ne permet pas de saisir pleinement l'objet d'étude des sciences sociales, en occultant les dimensions matérielles de la privation humaine, de l'oppression et de la souffrance, qui ont longtemps constitué le cœur de nombreuses approches critiques en sciences sociales.

Par ailleurs, la dichotomie entre le comportement humain et celui des animaux non humains s'est progressivement effondrée. Par exemple, des oiseaux utilisent des outils, des chimpanzés apprennent des éléments du langage des signes, et de nombreuses espèces animales font preuve de coopération sociale et d'émotions. Ces découvertes montrent que les biologistes, écologistes et éthologues animaliers se confrontent à des problèmes méthodologiques similaires à ceux des chercheurs en sciences sociales, notamment en ce qui concerne les objets d'étude.

Pour que la science progresse de manière cohérente et pertinente, il est nécessaire de renoncer à des jugements relativistes qui affirment qu'il est impossible de distinguer entre les différentes conceptions et théories. Ceux qui plaident pour un pluralisme éclectique s'auto-contrarient, car leur position n'est en réalité ni ouverte ni inclusive. La vérité est qu'il est possible et nécessaire de faire des jugements rationnels, en évaluant dans quelle mesure une théorie permet de mieux comprendre la réalité et d'en améliorer les pratiques. Par exemple, en économie, la théorie de l'agent parfaitement informé et rationnel, qui fait des choix optimaux sur la base de modèles formels mathématiques, s'avère insuffisante face à la réalité complexe de l'humain. Les individus, loin d'être des agents atomistes et rationnels, sont des êtres sociaux, émotionnels, et faillibles, dont les actions reposent sur des heuristiques. Ce décalage entre théorie et réalité montre les limites de l'approche formaliste et justifie la recherche de modèles plus descriptivement réalistes.

En fin de compte, la création de connaissances ne doit pas se limiter à des méthodologies étroites ni à des approches simplistes. Les sciences sociales, tout comme les sciences naturelles, doivent développer des méthodes adaptées à la complexité de leurs objets d'étude, et ce processus nécessite une remise en question constante des épistémologies et méthodologies dominantes.

L’interaction entre économie, biologie et la quête de l'efficacité : Une réévaluation des paradigmes économiques modernes

L’approche traditionnelle de l’économie s’est longtemps centrée sur la question de la gestion des besoins d’une communauté ou d’une nation, visant à atteindre le bien commun ou le bien-être de tous. Cependant, avec l'évolution du temps, cette notion a été réduite à une accumulation de richesse, où la notion de "bien-être" s'est concentrée uniquement sur l'augmentation des capitaux et la recherche de profits. La science économique, telle qu’elle est conceptualisée aujourd’hui, a vu sa portée se limiter principalement à l’étude de l’accumulation du capital par l’intermédiaire de l’argent et des prix de marché, rejetant ainsi des questionnements éthiques profonds liés à la justice sociale et à la répartition des ressources. L’optimisation des choix individuels, sous l’influence de l’école néo-autrichienne de Robbins, est devenue le pilier de l’analyse économique, et la solution au problème économique de la société s’est transformée en une répartition "efficace" des ressources à travers un système de marché.

Cependant, au fur et à mesure que l’économie s’est inscrite dans un cadre strictement libéral, des voix dissidentes se sont élevées pour interroger cette vision mécaniste et utilitariste. Des économistes écologiques, influencés par la biologie et l’écologie, ont cherché à briser les dogmes d’un paradigme économique dominé par l’idée de croissance infinie et d’efficience technique. Daly, en 1968, amorce ce réveil biologique dans l’économie en introduisant des concepts comme la durabilité, la résilience et le développement coévolutif. Ce paradigme, bien que novateur, n’a pas tardé à rencontrer des résistances. La transposition des idées biologiques et évolutionnistes dans le domaine économique a suscité des débats passionnés, notamment en raison de l’impact historique négatif que ces idées ont eu sur la société, à travers le prisme du darwinisme social et de l’eugénisme au début du XXe siècle.

Les métaphores biologiques, en particulier celles empruntées à la théorie de l’évolution, ont été perçues avec méfiance, voire rejetées, en raison de leur utilisation par des penseurs comme les économistes de la faculté de Chicago pour justifier des idéologies politiques comme le social-darwinisme, où la hiérarchie sociale et les inégalités étaient vues comme des phénomènes naturels. Cette idée d’une sélection naturelle appliquée aux comportements humains a permis à certains économistes d'étayer leurs théories d’une manière qui naturalise des inégalités économiques et sociales sous couvert de "lois naturelles". Les exemples les plus extrêmes de cette approche ont conduit à des idéologies racistes et sexistes, dont l’influence s’est manifestée jusque dans les politiques d’eugénisme. Aujourd’hui, cette utilisation des métaphores biologiques reste associée à des dérives idéologiques et fait que la biologie en tant que cadre théorique en économie demeure un sujet sensible.

L’adoption de modèles biologiques ou écologiques dans la réflexion économique n’a pas toujours pris une direction aussi controversée. Dans un autre registre, certains ont proposé d’imposer les conceptualisations économiques à l’écologie, donnant lieu à un "écologie économique", où les comportements des animaux sont interprétés comme des choix économiques, optimisant leur consommation ou leur stratégie de reproduction. Cette approche, bien qu'intéressante, ignore toutefois la complexité dynamique des relations écologiques, qui échappent largement aux modèles linéaires et optimisateurs de l'économie néolibérale.

Au cœur de cette remise en question des fondements économiques, il y a la nécessité de repenser le concept même d'efficience. L'efficience économique, telle que la conçoivent les économistes orthodoxes, repose souvent sur une vision utilitariste de la société, où l’objectif principal devient la maximisation du profit et l’optimisation de la consommation. Pourtant, dans la réalité, cette quête incessante de l’efficience, qu’elle soit technique ou sociale, semble non seulement insuffisante pour garantir le bien-être général mais même contre-productive dans un monde où les ressources naturelles sont finies et la capacité de la planète à se régénérer est limitée. Les idées de durabilité et de résilience, en revanche, mettent en lumière la fragilité de l'économie face à des crises globales, qu’elles soient écologiques ou sociales.

En conséquence, l'échec du paradigme économique dominant se manifeste clairement dans des situations où les valeurs humaines fondamentales, comme la justice sociale, l’équité et la préservation de l’environnement, sont sacrifiées au nom de l’efficience et de la croissance infinie. Par exemple, l’idée selon laquelle le changement climatique doit être traité comme un simple obstacle à surmonter pour "assurer la croissance économique" est une simplification grossière qui ne prend pas en compte les effets à long terme sur les générations futures, ni les limites de la biosphère. De même, considérer la nature comme un capital ou un service à exploiter est un abus de langage qui méconnaît les interrelations complexes et souvent imprévisibles entre les systèmes naturels et sociaux.

Ce renversement de perspective est crucial pour une réévaluation de ce que signifie réellement "efficacité" dans le cadre économique. L'économie doit s’engager sur une voie où la recherche du bien-être ne se limite pas à la maximisation des profits ou à l’optimisation des ressources. Les concepts de durabilité et de résilience doivent être intégrés dans la structure même des politiques économiques, non seulement comme des sous-objectifs, mais comme des objectifs primordiaux en soi. Il devient impératif de concevoir l’économie non pas comme une science des choix individuels et de l’accumulation de richesse, mais comme une discipline qui cherche à promouvoir le bien-être collectif tout en respectant les capacités de régénération des écosystèmes et des communautés humaines.