Depuis les premières prises de conscience scientifiques sur l’impact des activités humaines sur l'atmosphère au XIXe siècle, il a fallu des décennies pour qu’une réponse politique formelle émerge face au changement climatique induit par l'Homme. Ce n'est qu'en 1992, lors du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, que l’adhésion des nations au cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) marque un engagement, même s’il était symbolique, à lutter contre le réchauffement global. Le texte de la CCNUCC stipulait que les pays signataires devraient « éviter un changement climatique dangereux », en fonction de leur « responsabilité commune mais différenciée et de leurs capacités respectives ».

Les divergences dans l’interprétation de ces engagements se sont intensifiées lors de la première conférence des parties (COP) à Berlin en 1995, où le Mandat de Berlin cherchait à renforcer les engagements des pays industrialisés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Ce processus aboutit, en 1997, à l’adoption du Protocole de Kyoto, qui accordait aux pays industrialisés une responsabilité accrue en raison de leur historique d'émissions. Cependant, bien que de nombreux pays, dont les États-Unis, aient signé ce protocole, les progrès réalisés en matière de réduction des émissions ont été faibles, et certains pays ont carrément échoué à honorer leurs engagements.

Dans ce contexte, il est frappant de constater qu’un petit pays comme le Costa Rica, situé au cœur de l'Amérique centrale, a réussi à se positionner en tête de la lutte contre le changement climatique, et ce malgré les défis mondiaux.

Le Costa Rica est un exemple intrigant de ce que l’on pourrait appeler un leadership climatique. Ce pays, qui abrite seulement un peu plus de cinq millions d'habitants, est une nation relativement modeste sur le plan géographique, comparable à l'État américain de la Virginie-Occidentale. Cependant, il est reconnu pour abriter environ 5% de la biodiversité mondiale et pour avoir mis en place une politique de préservation exceptionnelle de ses forêts et de son environnement naturel. Depuis les années 1980, le Costa Rica a inversé la tendance de déforestation massive qui caractérisait la région et est devenu un modèle de transition vers un pays à la fois reboisé et carboniquement neutre.

L’un des programmes pionniers du Costa Rica a été son initiative de paiements pour les services environnementaux, lancée en 1996. Ce programme incitait les propriétaires fonciers à protéger leurs terres en échange de compensations financières, et il est désormais reconnu comme le premier programme mondial à grande échelle de paiements pour services environnementaux issus des forêts tropicales. En parallèle, le Costa Rica a été l’un des premiers à mettre en œuvre des projets de réduction des émissions de GES financés par des pays du Nord, ce qui a renforcé son image de leader environnemental, bien que de nombreuses autres nations en développement aient refusé ces financements.

Un tournant majeur dans l'engagement climatique du Costa Rica a eu lieu en 2007, lorsqu'un ministre de l'Environnement a annoncé l’intention du pays de devenir "neutre en carbone" d'ici 2021. Cette décision a placé le Costa Rica parmi les rares pays ayant fait un pas significatif vers la décarbonisation. En 2015, à l'approche de la COP21, le Costa Rica a soumis sa contribution déterminée au niveau national (CDN), avec l’ambition de parvenir à des émissions nettes nulles d'ici 2085. Plus récemment, en 2019, le pays a annoncé un objectif encore plus ambitieux : parvenir à une décarbonisation totale de son économie d'ici 2050.

Cet engagement ne se limite pas à des promesses : les actions entreprises pour réduire les émissions de GES sont tangibles. Le Costa Rica a établi des records pour l’utilisation d'énergies renouvelables, avec des périodes prolongées où son réseau électrique fonctionne entièrement grâce à l'hydroélectricité, l'éolien et la géothermie. C’est un fait notable dans un monde où la plupart des pays ne parviennent pas à réaliser de tels progrès.

Cependant, il est essentiel de souligner que la trajectoire de Costa Rica n’est pas le fruit d'une simple volonté politique isolée. En réalité, le succès de sa politique climatique repose sur une combinaison de facteurs, tels que la stabilité politique, le soutien de la société civile, la coopération internationale, et une capacité à définir des objectifs à long terme clairs et réalisables. De plus, bien que ses initiatives aient souvent été soutenues par des financements externes, elles sont également le reflet d’une politique cohérente et visionnaire d'investissement dans la durabilité.

Pour le Costa Rica, la question de la décarbonisation ne se limite pas à une simple réduction des émissions de gaz à effet de serre : elle s’inscrit dans une stratégie globale visant à améliorer la qualité de vie de ses citoyens tout en renforçant la résilience face aux impacts du changement climatique. Cette approche holistique va au-delà des simples engagements et s'articule autour de la protection de ses forêts, de la promotion d’une économie verte, et de la mise en œuvre de mécanismes économiques novateurs, comme la tarification du carbone et les investissements dans l’énergie renouvelable.

Le modèle Costa Rica démontre qu'une petite nation peut effectivement faire preuve de leadership face à la crise climatique mondiale, mais il ne faut pas oublier que ces avancées sont liées à des choix stratégiques, à une vision à long terme et à une gestion efficace des ressources naturelles. Ces éléments sont cruciaux pour comprendre pourquoi certains pays, malgré leur taille modeste, parviennent à jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre le changement climatique.

Le lecteur doit saisir qu’en matière de changement climatique, la mise en place de politiques de réduction des émissions ne dépend pas uniquement des capacités économiques ou de la taille des pays, mais également de la capacité des gouvernements à instaurer des stratégies intégrées qui prennent en compte la durabilité environnementale, les équilibres politiques internes et les rapports de force internationaux. Le cas du Costa Rica illustre bien cette dynamique complexe.

Pourquoi certaines nations en développement, comme le Costa Rica, prennent-elles des engagements climatiques ambitieux ?

L’un des enjeux clés de la politique climatique mondiale est de comprendre comment différents pays, avec des niveaux de développement variés, abordent la question cruciale de la mitigation du changement climatique. Le Costa Rica, souvent considéré comme un modèle en matière de politiques environnementales ambitieuses, s’est engagé sur la voie de la neutralité carbone, bien que sa situation économique et géopolitique diffère largement de celle d’autres pays de la région. Ce contraste soulève une question essentielle : qu’est-ce qui permet à un pays comme le Costa Rica de prendre de telles décisions, alors que d’autres, dans des contextes similaires, ne le font pas ?

Longtemps, une théorie dominante stipulait que les populations des pays en développement se souciaient moins des problèmes environnementaux mondiaux, tels que le changement climatique, tant que leurs besoins fondamentaux — nourriture, eau potable, soins de santé — n'étaient pas satisfaits. Cette idée, selon laquelle les pays du Sud global n'avaient ni les moyens ni l'intérêt d'adopter des politiques climatiques ambitieuses tant que des problèmes plus immédiats n’étaient pas résolus, a été largement disqualifiée par des études récentes. Nombre de ces recherches ont montré que dans certains pays, en particulier ceux d’Amérique latine, les préoccupations environnementales mondiales sont prises très au sérieux, et que les citoyens, parfois plus que dans les pays du Nord, sont sensibilisés à la crise climatique. Ainsi, une étude menée en 2011 (Brechin et Bhandari) a révélé que les citoyens de certaines régions du Sud global affichaient des niveaux d’inquiétude face au changement climatique bien plus élevés que ceux de leurs homologues dans le Nord.

Cependant, bien que le développement ne soit pas le facteur décisif qui détermine le degré de préoccupation des populations, il joue un rôle essentiel dans la capacité des nations à agir. Le Costa Rica, avec un indice de développement humain (IDH) relativement élevé, bénéficie de structures sociales et économiques qui lui permettent de mettre en œuvre des politiques climatiques ambitieuses. En comparaison, d'autres pays voisins, comme le Nicaragua ou le Guatemala, qui ont des niveaux de vie et des infrastructures moindres, rencontrent des difficultés similaires à celles de pays comme Haïti, souvent classé parmi les plus pauvres au monde.

Le cas du Costa Rica est particulièrement éclairant. Alors que d'autres nations d'Amérique latine adoptent des positions variées concernant la politique climatique — certaines, comme la Bolivie ou l'Équateur, optent pour des approches plus radicales, dénonçant la « dette climatique » des pays industrialisés — le Costa Rica a choisi un chemin plus modéré, préférant s'engager dans des initiatives de coopération internationale sans entrer dans des confrontations directes. Cette position est un reflet de son identité politique et de ses priorités, qui incluent la préservation de la biodiversité et le bien-être social.

L’engagement du Costa Rica envers la neutralité carbone peut aussi s’expliquer par son histoire et sa culture. Contrairement à d’autres nations en développement, le Costa Rica a construit une base de gouvernance relativement stable et une société civile dynamique qui favorisent des actions collectives en matière de protection de l’environnement. Le pays a également mis en place des politiques qui intègrent les préoccupations sociales et écologiques, telles que la promotion des énergies renouvelables, le développement du tourisme écologique et l’intégration des principes du développement durable dans les politiques publiques.

L’analyse des dynamiques sociales et politiques du Costa Rica révèle également qu’un facteur clé du succès de ses politiques climatiques réside dans l’implication d’élites nationales et internationales, souvent issues des milieux académiques et professionnels urbains. Ces élites, souvent formées à l’étranger, ont joué un rôle central dans la conception et la mise en œuvre des politiques climatiques du pays. Une étude approfondie de ces acteurs, réalisée par des chercheurs tels que Downey (2015) et Farrell (2020), met en évidence l'importance de comprendre comment les décisions des élites influencent l'issue des politiques environnementales. En effet, bien que les recherches sur la justice environnementale aient jusqu'à présent davantage mis l’accent sur les populations marginalisées et les communautés à faibles revenus, la participation de ces élites à la définition des priorités politiques est cruciale pour appréhender les mécanismes de mise en œuvre de la politique climatique.

En outre, une question sous-jacente à cette analyse est celle de la perception des responsabilités mondiales en matière de changement climatique. Dans de nombreux cas, les pays en développement, et en particulier les nations latino-américaines, s’efforcent de concilier leurs engagements climatiques avec des exigences sociales et économiques internes. Ils cherchent un équilibre entre la réduction des émissions de gaz à effet de serre et le soutien à la croissance économique, indispensable à la réduction de la pauvreté. Le Costa Rica, par son approche pragmatique, a réussi à intégrer ces dimensions dans sa stratégie climatique.

Il est essentiel de noter que l’engagement du Costa Rica ne peut être dissocié de la coopération internationale, notamment au sein des instances multilatérales comme la COP. Cependant, contrairement à d’autres pays, le Costa Rica adopte une approche non conflictuelle, cherchant à créer des alliances plutôt qu’à exacerber les tensions avec les nations du Nord. C’est là une dimension importante à prendre en compte pour comprendre pourquoi certaines nations du Sud choisissent de s'engager sur cette voie de la mitigation, tout en faisant face à des défis intérieurs complexes.

Le succès de telles politiques ne réside pas seulement dans la mise en œuvre de mesures techniques et environnementales, mais aussi dans la capacité d’un pays à mobiliser ses acteurs politiques, sociaux et économiques autour d’une vision commune. Le Costa Rica, avec son modèle de gouvernance inclusive, démontre que des actions ambitieuses en matière de politique climatique sont non seulement possibles, mais qu’elles peuvent être réalisées sans nécessairement appartenir aux pays les plus riches du monde.