Le discours prononcé par Nixon sur la guerre du Vietnam a été un tournant majeur dans la politique américaine, non seulement pour ses implications directes concernant le conflit, mais aussi pour la manière dont il a utilisé la notion de « Majorité silencieuse ». Ce terme a d'abord désigné ceux qui soutenaient la guerre et s'opposaient aux protestations, mais il a rapidement évolué pour inclure une identité politique bien plus large, représentant des valeurs et des visions de l'Amérique considérées comme fondamentales par Nixon. Selon lui, la « Majorité silencieuse » souhaitait une victoire au Vietnam sans que cela ne donne l'impression d'une faiblesse américaine. En la présentant ainsi, Nixon visait à discréditer les protestataires qu'il accusait de vouloir « humilier les États-Unis ». À travers ce discours, il amorçait déjà une distinction nette entre les citoyens « loyaux » et ceux qu'il qualifiait de « traîtres » et de perturbateurs sociaux.
Ce concept allait se développer au fil du temps, notamment en 1972, et se chargerait progressivement d’une dimension raciale. Nixon commença à lier la « Majorité silencieuse » à des problèmes sociaux et économiques, en particulier ceux relatifs aux politiques sociales, telles que le bien-être social, la criminalité et l'intégration scolaire. Cette catégorisation s’est rapidement cristallisée autour de l’image des « Blancs travailleurs et de la classe moyenne », une base de soutien qui serait plus ou moins étendue selon les besoins politiques du moment. Cette stratégie visait à élargir l’appel du Parti républicain à une plus grande diversité d'Américains blancs et d’ethnies blanches, tout en maintenant un message sous-jacent de résistance à l'agenda progressiste des années 60 et 70.
Au-delà de cette transformation de la « Majorité silencieuse », Nixon allait rapidement utiliser des questions sociales comme la politique du bien-être pour renforcer ses messages politiques. En 1969, lors de l’annonce de son plan de réforme du bien-être, le Family Assistance Plan (FAP), Nixon dénonçait l’ancien système d’aide sociale, qu’il qualifiait d’« échec colossal ». Selon lui, le système précédent imposait une charge insoutenable sur les contribuables et favorisait des comportements irresponsables, en particulier parmi les bénéficiaires de l’aide sociale. Ces critiques du bien-être social étaient non seulement une attaque contre les institutions existantes, mais aussi une manière d’introduire des messages raciaux sous-jacents. Le bien-être, dans ce contexte, était présenté comme une menace aux valeurs traditionnelles américaines de travail acharné, de famille stable et de respect de la loi.
Il est important de comprendre que cette attaque n’était pas seulement une critique économique mais également une construction de stéréotypes sociaux qui associaient les bénéficiaires de l’aide sociale à des comportements déviants. Bien que Nixon ne fût pas parvenu à faire passer son plan de réforme dans un premier temps, la question du bien-être allait rester un thème central de sa politique. En 1972, alors que le FAP était toujours dans une impasse au Sénat, Nixon utilisa la question du bien-être comme un outil de campagne, renforçant ainsi les divisions raciales et sociales, tout en appelant à un changement radical dans la manière de penser la pauvreté et l’assistance sociale aux États-Unis.
Nixon avait aussi compris la nécessité d’élargir son appel politique aux « électeurs de la classe ouvrière » et aux « ethnies blanches » en associant des questions sociales sensibles comme la criminalité et les droits civiques à une vision conservatrice de la société. En 1970, il cherchait à préempter le discours démocrate sur les questions sociales en mobilisant un discours moral fort. Le but de cette stratégie était de donner aux électeurs blancs de la classe moyenne une alternative aux solutions progressistes proposées par les démocrates, notamment en matière de droits civiques et de politique d’intégration.
Il est intéressant de noter que cette stratégie reposait sur une manipulation subtile des sentiments raciaux, mais sans les exprimer directement. Nixon utilisait des expressions comme « ordre public » et « liberté face à la peur » pour signifier que ses politiques visaient à protéger les citoyens de la violence et de l’anarchie. Toutefois, cette rhétorique de « loi et ordre » avait des connotations raciales profondes. Bien que Nixon et ses conseillers aient soutenu que ces termes n’étaient pas des « mots de code » pour le racisme, il est difficile de nier la manière dont ils résonnaient auprès de l’électorat blanc qui, à l’époque, ressentait une certaine anxiété face aux mouvements sociaux et aux revendications des minorités.
L’approche de Nixon a donc consisté à construire une vision de l’Amérique où les « bons » citoyens étaient distincts des « mauvais » par un ensemble de caractéristiques morales et sociales : l’engagement pour la famille, le respect de la loi, et le travail acharné. Ce discours a permis de fédérer une large portion de la population autour de valeurs qui se présentaient comme essentielles pour la survie de la nation face à des menaces internes et externes.
Pour les lecteurs, il est crucial de comprendre que cette stratégie de polarisation n'était pas seulement une réponse aux protestations sociales ou à la guerre du Vietnam. Elle faisait partie d’un programme politique plus large visant à remodeler l’identité américaine autour de nouveaux fondements, notamment un projet racialisé de ce que signifiait être un « citoyen respectable ». Cette redéfinition de l’Amérique sous Nixon, même si elle semblait s’adresser à la classe ouvrière et aux blancs ethniques, a eu des répercussions profondes sur les minorités raciales et sur la politique de la droite américaine dans les décennies suivantes.
La redéfinition de la politique américaine sous Bill Clinton : stratégies, discours et diversité
L’un des aspects les plus marquants de l’ère Clinton fut la manière dont le président démocrate a réagi à la montée en puissance du Parti républicain et à son influence croissante sur la scène politique américaine. Dans le cadre de la révolution républicaine de 1994, marquée par le "Contract with America", les républicains ont adopté une stratégie de communication précise et ciblée qui a radicalement redéfini les contours du discours politique américain. Cette approche, influencée par des experts en communication comme Frank Luntz et son ouvrage Words that Work, visait à établir un vocabulaire spécifique permettant de façonner les débats politiques. La communication claire, l’utilisation de phrases simples et l’ancrage des idées dans des valeurs fondamentales étaient au cœur de cette nouvelle manière de parler politique.
Cependant, la stratégie de communication des républicains n’a pas seulement affecté la manière dont ils se sont adressés au public ; elle a également contraint Bill Clinton à adapter son propre discours pour répondre aux attentes de ses électeurs. Face à cette nouvelle dynamique, Clinton a dû modifier son approche, non seulement pour se différencier des républicains, mais aussi pour gagner les électeurs hésitants, notamment ceux de la classe moyenne blanche, qui avaient soutenu les républicains de Nixon et de Reagan dans les décennies précédentes. Ainsi, Clinton a adopté une rhétorique qui, tout en se présentant comme une rupture avec les administrations passées, était paradoxalement marquée par de nombreux emprunts à ces mêmes stratégies politiques.
Un élément clé de cette transformation fut l’élargissement de la définition de la diversité ethnique et raciale en Amérique. Alors que Nixon et Reagan s’étaient concentrés sur des groupes ethniques spécifiques comme les Italiens ou les Latino-Américains, Clinton, lui, a élargi cette catégorie à une multitude de groupes raciaux et ethniques, évoquant "plus ou moins 200 groupes raciaux et ethniques" lors de ses discours. Ce changement reflétait une évolution dans la conception de la diversité américaine, à la fois plus inclusive mais aussi plus liée à des valeurs communes et à un certain modèle de réussite, symbolisé par le "travail acharné" et les "valeurs familiales", des thèmes chers aux républicains.
Loin d’être une simple question de rhétorique, cette redéfinition de la diversité visait à unifier sous une même bannière des groupes aux origines diverses, tout en conservant des références implicites aux valeurs historiques associées à la "Whiteness". En effet, bien que Clinton ait introduit un plus grand nombre de groupes dans son discours sur la diversité, ces groupes étaient toujours définis par opposition à des idéaux supposés "non américains", comme ceux associés à la pauvreté ou à l’immoralité, des codes politiques qui avaient été introduits par les républicains dans les années 1970 et 1980.
Le discours de Clinton lors du dîner asiatique-démocrate à Los Angeles en 1996 en est un exemple frappant. En attribuant la réussite des Américains d’origine asiatique à des valeurs familiales et à un travail acharné, Clinton empruntait une stratégie républicaine ancienne tout en tentant de la moderniser. Cette appropriation des stratégies républicaines par un président démocrate souligne l’évolution des rapports de pouvoir entre les différents groupes ethniques et raciaux, et la manière dont la politique américaine s’est progressivement construite autour de notions de "diversité" tout en maintenant des distinctions implicites.
En matière de politiques publiques, la question du bien-être social a constitué un autre terrain stratégique important. Après les réformes mises en place par les républicains dans les années 1980 et 1990 pour réduire l’assistance publique, Clinton a dû se réorienter pour ne pas perdre le soutien des électeurs qui prônaient une réduction de l’État-providence. Bien qu’il ait, au départ, soutenu une réforme du bien-être, Clinton s’est vu contraint, pour préserver sa popularité, de passer à l’action en 1996. Ce tournant stratégique a eu un double effet : tout en satisfaisant les attentes de la majorité, Clinton réussit à passer des législations qui marquaient une rupture avec le New Deal, notamment en ce qui concerne l’assistance sociale.
Cependant, contrairement aux présidents républicains qui avaient précédemment cherché à stigmatiser certains groupes par des discours politiques codés, Clinton a dû naviguer dans un contexte de plus en plus polar
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