Dans la théorie traditionnelle de l'apprentissage, si quelqu'un vous dit "Attention au tigre !", vous ne devriez pas ressentir de peur à moins d'avoir effectivement vu un tigre au moment où la phrase est prononcée. Pourtant, en réalité, ce n'est pas aussi simple. Dès notre jeune âge, nous apprenons à prononcer et à épeler des mots, comme "tigre". Ce mot est associé à des images d'animaux, parfois même à des peluches mignonnes. Il est donc possible que vous ressentiez une sensation agréable à l'écoute de ce mot. Mais, plus tard, en regardant une vidéo d'un tigre dévorant une antilope, votre cerveau relie désormais le mot "tigre" à cette image de prédateur en action, ce qui crée une réponse émotionnelle de peur. Ce processus d'association d'idées et d'émotions à des mots, même sans expérience concrète, est au cœur de la théorie de la "fusion cognitive". Notre cerveau est capable de tisser des liens internes entre des pensées et des émotions, nous faisant parfois réagir de manière disproportionnée, sans que la réalité physique soit présente.

Les mots, bien que puissants, ne sont que des sons. Prenons l'exemple du mot "eau". Si je vous demande "Pouvez-vous me donner une bouteille d'eau ?", et que vous me la donnez, je ressens la satisfaction de désaltérer ma soif. Ce lien entre un mot et une action réelle, comme boire de l'eau, est un exemple classique de conditionnement. Mais parfois, ce que nous oublions, c'est que l'eau, en tant que substance liquide, est bien différente du mot "eau". Ce dernier n'est qu'une représentation sonore de la réalité. Lorsque nous confondons une représentation mentale, comme un mot, avec la réalité, nous risquons de nous perdre dans une interprétation erronée de notre environnement.

Cela devient problématique lorsque nous attribuons trop de pouvoir à nos pensées, notamment lorsqu'elles génèrent de l'anxiété. Par exemple, lorsqu'un individu se répète inlassablement "Je suis un mauvais parent", il s'identifie à cette pensée, la prenant comme un fait incontestable. Pourtant, cette pensée n'est qu'un son qui se répète dans son esprit. Il existe des exercices pour démontrer cette idée. Par exemple, imaginez une situation où vous tenez un citron devant vous. Vous commencez à le couper et, en visualisant ce processus, vous pouvez presque sentir le goût acide et l'odeur du citron, bien qu'il n'y en ait pas réellement devant vous. Ce phénomène montre bien comment les mots peuvent créer une réponse physiologique sans qu'aucune situation réelle n'ait lieu.

Une autre façon d'explorer cette dynamique est d'inciter une personne à répéter un mot de manière incessante. Prenez par exemple le mot "citron". Si vous le répétez pendant trente secondes, vous finirez par le percevoir simplement comme un bruit, sans lien réel avec ce qu'il représente. Ce phénomène de "défusion cognitive" consiste à observer une pensée sans s'y identifier ni lui accorder plus de valeur que celle d'un simple son. Ce processus peut être particulièrement utile dans le traitement de l'anxiété. Si vous êtes obsédé par une pensée négative, vous pouvez la répéter jusqu'à ce qu'elle perde toute sa charge émotionnelle et devienne un bruit indifférent, ce qui vous permettra de vous en détacher.

Dans l'approche thérapeutique, il est essentiel d'enseigner aux clients à "détacher" leurs pensées de leurs émotions. Cette méthode, qu'on appelle "détachement cognitif", consiste à reconnaître que les pensées ne sont pas des faits. Elles ne sont que des événements mentaux, des bruits dans notre tête. En prenant du recul par rapport à elles, nous pouvons apprendre à ne pas leur accorder plus d'importance qu'elles n'en ont réellement. Une petite fille de trois ans, par exemple, peut comprendre que, bien qu'elle ait une pensée intrusive qui lui dit d'ouvrir la porte de la voiture en pleine circulation, elle n'a pas besoin d'agir en fonction de cette pensée. Elle peut simplement la laisser passer, sans lui attribuer un sens particulier.

Il est crucial pour les individus anxieux de comprendre qu'ils n'ont pas à lutter contre leurs pensées. L'anxiété les pousse à s'opposer à certaines pensées, à les rejeter ou à les fuir, ce qui renforce paradoxalement leur pouvoir. Au contraire, en les accueillant comme des phénomènes mentaux passagers, ils peuvent réduire leur impact sur leurs comportements et leurs émotions. Ce n'est pas une question de supprimer les pensées, mais plutôt de les observer sans leur attribuer une signification envahissante.

Ce processus de "détachement" peut aussi s'appliquer à des situations de la vie quotidienne. Par exemple, une personne souffrant d'anxiété peut se retrouver paralysée par des pensées qui l'empêchent de faire des activités simples, comme aller se promener dans le parc. Bien qu'elle ait une envie forte de sortir, elle est littéralement bloquée par des pensées qui lui disent que c'est impossible. Pourtant, cette même personne parvient à accomplir des tâches importantes dans d'autres domaines de sa vie. Le problème réside dans l'identification excessive à une pensée, qui finit par bloquer l'action. En apprenant à considérer ces pensées comme de simples sons, sans leur donner plus d'importance que cela, il devient possible de se libérer de cette paralysie mentale.

Ce processus de défusion peut être long et demande une pratique régulière. Mais, une fois que l'on comprend que nos pensées ne sont que des représentations internes, il devient plus facile de ne pas leur accorder plus de pouvoir qu'elles ne devraient avoir. Au lieu de lutter contre elles, on apprend à les laisser être, et ainsi à se libérer de leur emprise.

Comment transformer votre relation avec les pensées anxieuses ?

Les pensées anxieuses, souvent perçues comme des intrus perturbateurs, sont fréquemment combattues, ignorées ou rejetées. Mais, et si ce processus constant de lutte contre ces pensées n'était pas la solution ? Et si, au contraire, accepter et comprendre ces pensées permettait d'en atténuer l'impact, voire de transformer notre manière de les vivre ?

Imaginez une situation où vous êtes confronté à une pensée anxieuse. Vous la ressentez, peut-être dans votre corps ou dans votre esprit. La question qui se pose est : que faites-vous avec cette pensée ? La plupart d'entre nous, instinctivement, cherchons à l'éloigner, à la repousser, à faire en sorte qu'elle disparaisse. Cependant, cette approche génère souvent plus de souffrance. Il est donc essentiel de se poser la question : cette pensée mérite-t-elle que vous consacriez autant de temps et d’énergie à la repousser ?

Si, par le simple fait d’accepter cette pensée telle qu’elle est, vous pouviez mener une vie plus épanouie, seriez-vous prêt à l’accepter comme une compagne, même si elle est inconfortable ? La question ici n’est pas de vous débarrasser de cette pensée, mais d’accepter sa présence, même si vous ne l’aimez pas. Imaginez que cette pensée soit un vieil ami ou un enfant, que vous aimiez profondément mais qui, aujourd'hui, est couvert de boue. Pourriez-vous l’accepter comme il est, sans chercher à le changer ?

Ce processus d'acceptation ne consiste pas à vous identifier à cette pensée, mais à la percevoir comme un élément extérieur à vous, quelque chose que vous pouvez porter avec vous sans qu'elle définisse qui vous êtes. Cela demande un changement de perspective, une réorientation de l'énergie que nous consacrons à repousser cette pensée, vers une reconnaissance de sa présence et de sa nature.

Prenez le temps d’observer la résistance que vous ressentez face à cette pensée. Quelle forme prend-elle dans votre esprit ? Est-elle immense ou petite ? De quelle couleur ? Est-ce une masse dense ou une légère brume ? Est-ce que cette résistance a un poids ? Un parfum ? Une vitesse ? Ce travail de visualisation, où vous imaginez la résistance comme un objet tangible, permet de prendre du recul et de constater qu’en réalité, cette résistance n’est pas une force indomptable, mais une construction mentale sur laquelle vous pouvez avoir un certain contrôle.

Lorsque vous commencez à percevoir cette résistance comme quelque chose de gérable, il devient plus facile de la traiter différemment. Vous n’avez plus à lutter contre elle. Au lieu de la repousser, vous pouvez choisir de l’accueillir, de la réduire à une taille plus petite ou de l’imaginer comme un objet que vous pouvez transporter, sans qu’il ne prenne le contrôle de votre vie.

Il est important de comprendre que ce processus ne consiste pas à supprimer la pensée anxieuse, mais à changer la relation que vous entretenez avec elle. La pensée anxieuse, loin d’être une ennemie à combattre, devient un compagnon que vous pouvez apprendre à connaître. La seule question qui importe est : êtes-vous prêt à changer votre manière de réagir face à elle ?

Il est également crucial de comprendre que ce travail de transformation de la pensée prend du temps et nécessite de la patience. Vous avez probablement passé des années à repousser ou à combattre vos pensées anxieuses, ce qui rend difficile un changement immédiat. Cependant, chaque petit pas compte. Ce n’est pas un processus « à réussir » ou « à échouer », mais un exercice de pratique et d’expérimentation. Vous pouvez répéter cette démarche avec toutes les pensées anxieuses qui surgissent, et voir si, en modifiant votre relation avec elles, vous parvenez à en réduire l’intensité et à mener une vie plus sereine.

Dans cette perspective, la pratique du « défusion » devient un outil précieux. Cela consiste à passer du contenu des pensées (ce qu’elles disent ou ce qu’elles nous poussent à croire) au processus même de la pensée. Lorsque vous vous concentrez sur la manière dont une pensée se forme, comment elle surgit et comment elle se déploie dans votre esprit, vous créez une distance entre vous et cette pensée. Vous n’êtes plus capturé par son contenu, mais vous en devenez un observateur, ce qui vous permet de la traiter de manière plus consciente et plus réfléchie.

Ce déplacement du contenu au processus est un mécanisme central dans de nombreuses approches thérapeutiques, y compris la thérapie de groupe. Par exemple, dans un cadre thérapeutique, un thérapeute peut aider un groupe à se concentrer non pas sur le contenu spécifique d'une histoire personnelle difficile, mais sur la manière dont cette histoire est partagée et perçue dans l'espace du groupe. Ce faisant, il permet aux participants de se concentrer sur le processus de communication plutôt que sur le contenu exact de ce qui est partagé, facilitant ainsi une prise de conscience et une transformation.

Ainsi, en changeant votre relation aux pensées anxieuses, vous ne les supprimez pas, mais vous apprenez à vivre avec elles de manière différente. Plutôt que de vous engager dans une lutte interminable, vous choisissez de les observer, de les accepter comme elles sont et de reprendre votre pouvoir. La clé est de ne pas se laisser dominer par elles, mais de les percevoir comme des éléments passagers, des compagnons temporaires qui n’ont pas à définir votre réalité ou à diriger vos actions.

Comment l'Anxiété Renforce le Comportement de Vérification et Comment Sortir du Cycle d'Évitement Interne

Beaucoup d’entre nous ressentiraient une certaine anxiété en ayant cette pensée et continueraient à conduire sans y prêter attention. Mais Clarice, qui n’appréciait guère l’anxiété, savait que si elle faisait demi-tour pour vérifier, elle saurait avec certitude. Lorsqu'elle se retournait pour vérifier, il n'y avait personne, et l'anxiété diminuait, renforçant négativement son comportement de vérification. Puisque son action réduisait l'anxiété, cela la rendait plus encline à recommencer. Après chaque vérification, Clarice continuait de conduire, mais une nouvelle pensée surgissait, comme : « Peut-être que je regardais à gauche, et le corps était en réalité du côté droit ! » Elle se disputait alors avec elle-même, en se disant : « Oh, arrête, c’est ridicule ! J’aurais bien aimé ne pas avoir cette pensée ! » Même en sachant que ces pensées étaient absurdes, elles provoquaient de l’anxiété. Comme elle n’aimait pas cette sensation, elle retournait vérifier, et l'anxiété diminuait temporairement. Cela lui prenait tellement de temps pour avancer qu’elle évitait de conduire autant que possible.

Pour comprendre le comportement d'Clarice, il est important de voir comment l'anxiété et les comportements compulsifs s'alimentent mutuellement. Ces pensées obsessives se nourrissent de l'évitement temporaire de l'anxiété, ce qui rend plus probable leur réapparition, souvent renforcée par la vérification répétée.

En thérapie, nous avons utilisé l'exposition imaginaire pour traiter son trouble obsessionnel compulsif (TOC). Alors que certains clients ont des difficultés avec l’imagerie, cette approche a bien fonctionné pour Clarice. Je lui ai attaché un moniteur de fréquence cardiaque pour évaluer son niveau d'anxiété et l'ai guidée dans une simulation mentale. Elle s’imaginait marchant vers sa voiture, y montant et commençant à conduire. Au début, sa fréquence cardiaque augmentait légèrement, mais la pensée de conduire seule ne la perturbait pas vraiment. Cependant, dès qu’elle s’imaginait renverser quelqu’un, son cœur accélérait fortement.

Nous avons continué l'exposition en augmentant l'intensité de la scène : « Imaginez qu'un homme surgisse devant votre voiture. Vous appuyez brusquement sur les freins, mais vous savez qu’il est trop tard pour l’arrêter à temps… » La situation décrite devenait de plus en plus angoissante, mais Clarice apprenait à tolérer cette anxiété en ne cherchant pas à la fuir. Elle a finalement compris que la peur ne venait pas de la situation réelle de conduite, mais des pensées associées à l'acte de conduire.

L’exposition imaginaire a permis à Clarice de réaliser que l'anxiété qu'elle ressentait n'était pas quelque chose à fuir, mais quelque chose qu'elle pouvait « transporter » avec elle sans devoir y réagir de manière compulsive. Plutôt que de chercher à éviter ces pensées, elle a appris à les accepter comme faisant partie de son expérience, ce qui a profondément modifié son rapport à son anxiété.

L'évitement interne est un phénomène où les individus tentent de fuir les pensées, émotions et sensations désagréables en eux-mêmes. Ce mécanisme devient particulièrement problématique lorsqu’il empêche les gens de mener une vie pleine et flexible. Le fait de ruminer constamment sur des pensées anxieuses n'aide en rien à réduire l'anxiété ; au contraire, cela l’amplifie. La pensée obsessionnelle, loin de calmer, engendre un cercle vicieux : plus la personne pense, plus elle évite, et plus l’anxiété persiste.

Dans le cas de l’anxiété généralisée (TAG), il est souvent difficile d'exposer directement le patient à tout ce qui le stresse, car l’anxiété peut se manifester dans une multitude de situations quotidiennes. Ce qui caractérise le TAG, c’est l’anxiété de ressentir de l’anxiété. L’individu craint de ressentir de l’anxiété, ce qui lui fait éviter certaines situations : un événement social, la conduite, ou même la gestion de ses finances. Cette évitement perpétuel renforce le besoin de protection contre l’anxiété, mais réduit en même temps les choix possibles dans la vie.

Dans ces cas, la pratique de la pleine conscience, la diffusion et l'acceptation deviennent des outils précieux pour traiter l’évitement interne. Les exercices qui aident à prendre conscience de ses pensées et sensations corporelles sans chercher à les contrôler peuvent briser ce cycle. L’anxiété est une réponse physiologique, et en se concentrant sur les sensations corporelles sans chercher à fuir ces sensations, le patient peut apprendre à gérer l’anxiété sans recourir à des stratégies d’évitement comme la pensée compulsive.

Un autre exemple peut être pris dans le cadre de l'anxiété liée à la santé. Ce type d’anxiété est complexe, car il est souvent accompagné de pensées de catastrophes et de « et si… ». Les approches basées sur le processus, comme l’ACT, s’avèrent souvent plus efficaces que de simplement discuter du contenu des pensées anxieuses. Par exemple, un de mes patients, Jérôme, avait survécu à une crise cardiaque grave, mais après cet événement, il passait son temps à ruminations sur sa santé. Il avait développé une anxiété obsessionnelle à propos de chaque petit signe physique, se demandant constamment s’il allait avoir un autre problème cardiaque.

Lors de notre première séance, je l’ai invité à se concentrer sur ses sensations corporelles. Lorsqu'il a rapporté qu'il sentait une douleur dans la cicatrice de son opération et une accélération de son rythme cardiaque, je lui ai demandé de se concentrer sur ces sensations, plutôt que sur ses pensées. Il s’agissait d’une exposition interne, mais plus qu’une simple confrontation avec ses pensées anxieuses. En observant ses sensations sans les juger ni essayer de les modifier, Jérôme a commencé à accepter que l'anxiété fasse partie de son expérience, sans pour autant devoir être contrôlée.

Cette approche peut sembler contre-intuitive au début, car elle invite le patient à s’engager avec ce qu'il craint de ressentir. Cependant, c'est en faisant face à ces sensations, sans chercher à les changer ou à les éviter, que les individus peuvent réduire leur peur de l’anxiété et s'en libérer. Cela peut s’appliquer non seulement aux troubles anxieux, mais aussi à d'autres formes de phobies et d'obsessions.