La vérification des faits, en tant que méthode pour établir la véracité des informations, a pris une importance croissante au fil des années, particulièrement avec l'essor des réseaux sociaux et de l’Internet. De plus en plus de techniques sont mises en place pour lutter contre la propagation de la désinformation. Une approche de plus en plus populaire est le crowdsourcing de la vérification des faits, qui repose sur un consensus agrégé d’utilisateurs du public. Des applications comme Fiskkit ou le compte LINE "For Real" permettent aux utilisateurs de suggérer et de commenter des informations, ce qui peut aider à évaluer la véracité des nouvelles en s'appuyant sur la masse critique des réactions populaires. La blockchain, en particulier, offre un potentiel considérable pour organiser ce processus en assurant la transparence et la traçabilité des informations vérifiées. Cependant, cette méthode présente des limites : elle dépend d'une participation active et d’une capacité à mobiliser un nombre suffisant de personnes pour atteindre une vérification fiable.
Les graphes de connaissances, comme DBpedia ou le Google Knowledge Graph, représentent une autre manière d'aborder la vérification des faits. Ces réseaux, qui montrent les liens entre des entités réelles telles que des personnes, des lieux ou des objets, permettent de croiser les informations contenues dans des récits d’actualités avec celles présentes dans ces bases de données. La vérification peut ainsi être automatisée en comparant les relations entre les entités mentionnées dans un article de presse et celles répertoriées dans ces graphes. Bien que cette méthode soit rapide et précise, elle se heurte à une contrainte majeure : elle repose sur des sources d'information qui ne peuvent pas couvrir l’intégralité de la réalité, ce qui en limite l’efficacité.
Une autre méthode de vérification consiste à analyser le contenu linguistique des nouvelles. L'analyse linguistique examine des caractéristiques lexicales, comme le nombre de mots, la longueur moyenne des mots, ou le nombre de mots uniques, ainsi que des caractéristiques syntaxiques, telles que les n-grams ou les parties du discours. Les liens externes, la présence de tableaux et de graphiques, ou encore les éléments visuels, peuvent aussi jouer un rôle important dans cette vérification. Les images, en particulier, sont connues pour susciter des réponses émotionnelles (colère, choc), ce qui peut augmenter la probabilité qu'une information soit jugée crédible, malgré son caractère potentiellement faux.
L’un des grands défis de la vérification des faits réside dans le contexte social de diffusion des informations. L'impact des réseaux sociaux est fondamental dans cette dynamique. Ces plateformes permettent de recueillir des données précieuses sur la façon dont les informations sont consommées et partagées. Sur des sites comme Twitter, des caractéristiques telles que le nombre d'amis ou d'abonnés d'un utilisateur, l'âge du compte ou le nombre de tweets publiés peuvent fournir des indices sur la véracité d’une information. L'analyse des réactions des utilisateurs, telles que les retweets ou les commentaires sur des publications Facebook, peut aussi donner des informations essentielles. Ces réactions peuvent être exploitées pour en extraire des caractéristiques linguistiques, mais aussi pour étudier les débats et contestations qui entourent certains articles d'actualités. Par ailleurs, l'analyse des réseaux sociaux permet de détecter des schémas de diffusion de l'information, comme les cascades de retweets, ce qui peut également indiquer la propagation de fausses informations.
Le rôle des experts en vérification des faits est également crucial. Depuis une dizaine d’années, des sites spécialisés tels que Politifact.com et Factcheck.org ont émergé pour vérifier la fiabilité des affirmations et des nouvelles, en particulier dans le cadre d'événements politiques où la désinformation peut avoir des conséquences importantes. Ce processus de vérification a gagné en importance lors des élections présidentielles américaines de 2016, où des sites comme Factcheck.org ont joué un rôle essentiel pour contrer les fausses informations diffusées pendant la campagne. De nombreux pays ont suivi cette tendance, en développant leurs propres institutions de vérification des faits. En Australie, par exemple, des plateformes telles que RMIT University-ABC Fact Check et The Conversation’s FactCheck ont vu le jour pour s’attaquer à la désinformation politique.
Bien que la vérification des faits ait montré une efficacité indéniable dans la lutte contre les informations erronées, elle n'est pas sans ses critiques. Certains auteurs, comme Uscinski et Butler (2013), estiment que la pratique de la vérification des faits repose souvent sur une présupposition tacite selon laquelle il ne peut exister de véritable débat politique sur des faits. Selon eux, la vérification réduit la complexité des questions politiques à un ensemble de faits unidimensionnels, ce qui omet souvent la diversité des interprétations et des opinions. Les faits peuvent être présentés de manière simpliste, ignorant les nuances liées à la politique, l'économie ou l’histoire. Une telle approche peut, selon certains, aboutir à des erreurs méthodologiques, comme la sélection biaisée des faits ou l'omission de certains éléments contextuels qui nuisent à une évaluation juste.
Cela dit, la vérification des faits reste une arme puissante contre la désinformation, même si son efficacité dépend de l’utilisation appropriée de multiples méthodes, allant de l’analyse linguistique à l’exploitation des réseaux sociaux et des technologies de blockchain. Une approche véritablement complète nécessitera une coopération entre les différents acteurs de la société : les citoyens, les experts, les entreprises technologiques et les institutions politiques. Chaque outil, chaque technique, contribue à rendre le processus de vérification plus précis et plus accessible, ce qui est d’autant plus crucial à une époque où les fausses informations se propagent plus vite que jamais.
Comment la mémoire et les biais cognitifs influencent notre capacité à distinguer la vérité des fausses informations ?
Les recherches récentes ont démontré que, loin d'être un simple processus de stockage et de récupération, la mémoire humaine est profondément influencée par des biais cognitifs qui peuvent altérer notre capacité à distinguer la vérité des informations erronées. L’une des stratégies classiques pour sensibiliser les individus aux erreurs factuelles consiste à signaler l’information incorrecte, comme l'a tenté Marsh en 2011, qui a mis en évidence les erreurs en utilisant une police rouge pour attirer l'attention des participants. Cependant, cette approche a paradoxalement renforcé la tendance des participants à répéter ces erreurs lors de tests ultérieurs, suggérant que l'attention portée à l'erreur seule ne suffit pas à contrer l'impact de la désinformation. Ce phénomène est particulièrement problématique à une époque où les fake news circulent librement et sont souvent perçues comme des informations fiables, malgré leur fausseté.
Une approche plus prometteuse, selon les recherches menées par Rapp, Hinze, Kohlhepp et Ryskin en 2014, ainsi que Brashier, Eliseev et Marsh en 2020, consiste à inciter les individus à adopter le rôle de vérificateur de faits lorsqu’ils lisent de nouvelles informations. En agissant de la sorte, les personnes sont plus susceptibles d'identifier la désinformation et moins enclines à y faire confiance ou à la diffuser. Cette stratégie, bien que simple en apparence, s'appuie sur une prise de conscience active et critique du contenu informationnel, plutôt que sur une simple identification passive d’erreurs.
Un autre aspect fondamental de cette dynamique cognitive est le principe selon lequel la mémoire de connaissance diffère de la mémoire des événements personnels. Alors que la récupération de souvenirs personnels implique de se replonger dans un contexte précis et temporel, la récupération de connaissances se fait de manière plus abstraite. Par exemple, la connaissance que George Washington fut le premier président des États-Unis ne nous renvoie pas à un moment spécifique où nous avons appris cette information, mais à une simple "connaissance" qui émerge instantanément dans notre esprit. Selon Tulving (1972), les informations que nous détenons sont souvent décontextualisées par rapport au moment où nous les avons apprises, ce qui rend leur récupération moins fiable et plus sujette à des erreurs d’attribution.
Ce phénomène peut entraîner des biais importants dans l’évaluation de la véracité des informations. Bien que les gens soient généralement moins enclins à être influencés par des sources jugées non fiables, le problème se pose souvent quand la source d’information est oubliée après un certain temps, ou encore lorsqu’elle est rencontrée dans un contexte différent de celui de son origine (Watkins & Kerkar, 1985). Par conséquent, bien que les individus puissent évaluer correctement une source d'information comme étant fiable ou non au moment de la lecture, ils ont tendance à oublier cette évaluation et à se fier à l’information en elle-même, indépendamment de sa provenance. Ce biais cognitif conduit à un phénomène appelé "effet sleeper", où une information d'une source peu crédible peut, avec le temps, devenir persuasive simplement parce que l’origine de l’information a été oubliée (Underwood & Pezdek, 1998).
Une solution souvent suggérée pour lutter contre ce phénomène consiste à former les individus à mieux évaluer les sources d’information. Toutefois, cette approche repose sur une hypothèse souvent erronée : celle que la source d’une information peut être correctement mémorisée et que cette mémorisation influencera l’évaluation future de la véracité de cette information. Cependant, comme le montrent plusieurs études (Henkel & Mattson, 2011), la simple évaluation correcte de la source d’information n’empêche pas toujours les individus de juger une information comme vraie, même si elle provient d'une source douteuse. De plus, il est fréquent que l’information soit associée à plusieurs sources, ce qui rend l'évaluation de la crédibilité encore plus complexe : une information initialement considérée comme provenant d'une source non fiable peut être réévaluée à la lumière de sources plus crédibles, brouillant ainsi la distinction entre la vérité et la désinformation.
Il est également essentiel de souligner que la récupération d’informations ne se fait pas toujours de manière optimale. La mémoire humaine est faillible, et même lorsque des informations sont stockées, elles ne sont pas nécessairement récupérées ou appliquées lorsqu'elles sont nécessaires. L’exemple classique de l’effet de "lipsé de mot" (tip-of-the-tongue, TOT) montre comment, malgré une connaissance claire, une personne peut éprouver une difficulté à récupérer une information, comme un nom ou un terme spécifique, au moment de la nécessité. Cette incapacité à récupérer l’information lorsqu’elle est nécessaire peut être exacerbée par l’absence d’une application régulière de cette information, rendant l'accès à la mémoire moins fluide (Cantor, Eslick, Marsh, Bjork, & Bjork, 2015).
Enfin, même lorsque les individus disposent de connaissances exactes, ces connaissances ne sont pas toujours utilisées de manière appropriée. Un biais cognitif bien documenté, l’effet de vérité illusoire, montre que des informations fausses, répétées à plusieurs reprises, peuvent être jugées comme plus vraies que des informations nouvelles. Ce phénomène persiste même lorsque la personne possède déjà des connaissances précises sur le sujet. Par exemple, une fausse affirmation comme "le kilt écossais est un sari" peut être jugée plus vraie simplement parce qu’elle a été exposée de manière répétée, même si elle est factuellement incorrecte (Fazio, Brashier, Payne, & Marsh, 2015). Cela souligne l'importance de remettre en question l'exposition répétée à des informations et de renforcer la vigilance face à l’apparente facilité de traitement d’un message.
Dans ce contexte, il est crucial de comprendre que, pour contrer les effets de la désinformation, il ne suffit pas simplement de se concentrer sur la vérification des faits ou des sources. Une approche plus complète nécessite également de tenir compte de la manière dont l’information est mémorisée, récupérée et appliquée. Les stratégies visant à améliorer l'attention critique et à promouvoir une récupération d'information plus contextuelle peuvent être des outils puissants pour aider les individus à faire face à la prolifération des fausses informations.
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