Sous l'administration Trump, l'immigration est devenue un axe central de politique intérieure, où les promesses faites pendant la campagne ont été mises en œuvre avec une rigueur extrême. La réactivation du programme "Secure Communities", mis en place sous l'ère Bush, a entraîné une intensification des expulsions. Ce programme visait à faciliter l'arrestation et l'expulsion des immigrés illégaux, une promesse de campagne de Trump qui cherchait à atteindre 2 millions d'expulsions en une seule année, bien au-delà des 800 000 immigrés illégaux déjà identifiés pour leur casier judiciaire. Cette politique de tolérance zéro visait principalement à éradiquer l'immigration illégale en encourageant les autorités locales conservatrices et les États désireux de réduire le nombre d'immigrants sans papiers, tout en menaçant les villes et États dits "sanctuaires" de coupures de fonds fédéraux.

La politique de "tolérance zéro", lancée en avril 2018, a eu des conséquences profondément inhumaines. Cette initiative stipulait que toute personne traversant illégalement la frontière sud des États-Unis, en dehors des points d'entrée officiels, serait incarcérée et poursuivie avant d’être expulsée. Ce qui était auparavant limité aux entrées répétées, considérées comme un "délit", a été étendu aux premières entrées. Cela a conduit principalement des familles fuyant la violence des gangs d'Amérique centrale à tenter cette traversée dangereuse. Cependant, la mise en œuvre de cette politique a pris une tournure tragique, avec la séparation de milliers d'enfants de leurs parents. Entre mai et juin 2018, près de 2000 enfants ont été séparés de leurs parents, dont certains étaient âgés de moins de quatre ans. Ces enfants ont été envoyés dans diverses installations, parfois à des milliers de kilomètres de leurs parents, rendant leur localisation inconnue et générant une confusion totale. Ce phénomène a déclenché une vague d'indignation publique, notamment suite à des comparaisons choquantes avec des images de l'Holocauste, une ironie soulignée par certains observateurs, qui ont dénoncé ce traitement comme un acte de kidnapping.

Malgré l'indignation, la politique de séparation a été défendue par des membres de l'administration Trump, y compris par le procureur général Jeff Sessions, qui a invoqué un passage de la Bible pour justifier cette action. Cependant, cette justification n'a pas fait oublier le véritable fond du problème : cette politique n'était pas imposée par une loi ou une décision judiciaire, mais était simplement le fruit d'un choix politique de traiter l'entrée illégale comme un crime. Cette approche contrastait nettement avec les administrations précédentes, qui avaient, face aux mêmes dilemmes, choisi de relâcher les parents et enfants ensemble.

Outre la question des expulsions, l'administration Trump a également ralenti l'immigration légale. En réduisant drastiquement les admissions de réfugiés, la politique migratoire a eu un impact direct sur les familles et les travailleurs qualifiés souhaitant rejoindre les États-Unis. L'ordre exécutif "Buy American, Hire American" de 2017 a affecté le programme de visa H1-B, une voie principale pour attirer les talents étrangers. L'administration a intensifié les refus des renouvellements de visas et a restreint la possibilité pour les conjoints de travailler. Cela a perturbé la compétitivité des États-Unis dans la course mondiale aux talents. Les nouvelles exigences de "vérification extrême" pour les demandes de carte verte, y compris des interviews personnelles et la fourniture d'un historique détaillé des voyages, des adresses résidentielles et des informations sur l'emploi sur plusieurs années, ont rendu le processus encore plus difficile et complexe. De plus, une nouvelle règle entrée en vigueur en 2019 a introduit un test de richesse, excluant les candidats ayant utilisé des aides sociales, ce qui a accentué les restrictions pour ceux qui se trouvent déjà sur le sol américain.

Cette politique restrictive a eu pour effet collatéral de réduire les ressources disponibles pour traiter les cas de criminalité réelle. En 2017, le nombre d'expulsions de criminels avérés a atteint son plus bas niveau depuis 2008. La politique de Trump a donc non seulement exacerbé les difficultés pour les immigrés sans papiers, mais a aussi limité les moyens de s'attaquer aux problèmes d'immigration qui nuisent véritablement à la société américaine, en concentrant ses efforts sur des actions de grande ampleur contre des populations vulnérables, tout en négligeant les problèmes structurels.

Enfin, cette approche populiste a révélé un paradoxe central : l'appel constant à la loi et à l'ordre, qui s'est opposé aux principes de la démocratie libérale, où les gouvernements doivent équilibrer les impératifs de sécurité avec le respect des droits humains. Trump, tout en mobilisant les mécanismes juridiques contre une immigration illégale perçue comme une menace, a profondément perturbé la relation entre le populisme et le respect des droits des individus. Bien que ses partisans aient salué cette approche sévère, elle a aussi mis en lumière une fracture dans la société américaine, entre ceux qui défendent la primauté de la loi et ceux qui soulignent la nécessité d'une plus grande humanité dans les politiques migratoires.

La citoyenneté en tension : allégeance, loyauté et la logique contractuelle de la dénaturalisation

La citoyenneté moderne, héritière d’un passé féodal, reste imprégnée de l’idée d’allégeance, cette fidélité que le sujet devait jadis à son souverain et qui trouvait en retour la promesse de sa protection. Si la démocratie a remplacé la monarchie et le citoyen a remplacé le sujet, la structure du lien demeure : l’obligation de loyauté, non plus envers une personne royale, mais envers l’État impersonnel représentant le collectif. Cette loyauté, aujourd’hui considérée comme une vertu civique fondamentale, entre pourtant en tension directe avec l’éthique universaliste du libéralisme, qui place l’individu et ses droits inaliénables au centre de l’ordre politique.

George Fletcher a mis en évidence cette contradiction en soulignant que la loyauté constitue le fondement de toute vie politique, opposée par nature à la morale libérale qui exige l’impartialité. Le citoyen loyal n’est pas un sujet abstrait, mais un « soi historique », lié par des engagements biographiques — envers ceux qui ont façonné son identité. Ainsi, la loyauté précède l’individu ; elle fonde le lien politique et l’obligation qui en découle.

Dans une tentative de conciliation avec le libéralisme, cette loyauté ne peut qu’être minimale : ne pas trahir, ne pas se battre pour l’ennemi. Une loyauté silencieuse, passive, à laquelle sont également astreints les immigrés. Toutefois, dans le contexte étatique libéral, la loyauté est également privatisée : l’État ne doit pas contraindre l’individu à renier ses engagements privés — qu’ils soient envers ses proches, sa foi, sa communauté. Même au paroxysme du nationalisme, lors de la Seconde Guerre mondiale, la Cour suprême des États-Unis a défendu ce principe dans l’arrêt Barnette, affirmant que nul pouvoir ne peut imposer l’orthodoxie politique ou contraindre l’expression des convictions.

Pourtant, un retour latent à une conception exclusive de la loyauté émerge, notamment dans le cadre des lois contemporaines de dénaturalisation. Celles-ci, bien qu’ancrées dans le droit international — telle la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie —, réactivent une conception univoque de la loyauté. Si la Convention prohibe en principe la déchéance de nationalité, elle l’autorise en cas de manquement au « devoir de loyauté ». Cette notion demeure floue, sans être clairement définie, sinon par les actes qui déclenchent la perte de citoyenneté : participation à des groupes terroristes, trahison, engagements incompatibles avec les valeurs de l’État.

L’ambiguïté s’accroît lorsque la plupart de ces législations ciblent exclusivement les binationaux. La logique implicite : une loyauté véritable ne saurait être divisée. La double nationalité est ainsi suspecte, car elle introduirait un partage d’allégeance. Même dans des États traditionnellement ouverts à la pluralité identitaire, comme l’Allemagne contemporaine, des responsables politiques plaident pour une nation fondée sur l’adhésion volontaire (Bekenntnisnation), mais une adhésion qui exige l’unicité du lien national. Le « Bekenntnis » — l’engagement envers la nation — ne saurait être divisible : la loyauté doit être claire, univoque.

Ce durcissement n’est pas l’apanage de traditions nationalistes anciennes. Il touche aussi les démocraties libérales, comme l’Australie, qui resserrent leur tolérance à l’égard des allégeances multiples. Le renforcement des mesures de dénaturalisation s’accompagne d’un glissement conceptuel important : la citoyenneté n’est plus simplement un statut octroyé par l’État, mais devient une relation contractuelle, sujette à rupture unilatérale en cas de trahison.

Ce modèle, issu d’une rationalité néolibérale, prétend que l’individu, en commettant certains actes — en rejoignant une organisation terroriste, par exemple —, renonce de facto à sa citoyenneté. Ce n’est plus l’État qui punit, mais l’individu qui s’auto-exclut. Ainsi, au Canada, la loi de 2014 présentée par le ministre de l’Immigration reposait sur l’idée que les terroristes avaient eux-mêmes retiré leur allégeance. En Allemagne, la loi de 2019 étend cette logique aux personnes ayant intégré des « milices terroristes », arguant que ces actes manifestent un rejet actif des valeurs fondamentales de la République.

Ce cadre juridique donne naissance à une fiction politique dans laquelle la citoyenneté devient révocable, non plus comme une sanction, mais comme la conséquence logique d’un manquement au contrat moral. Pourtant, cette approche masque une réalité plus dérangeante : le retour à une conception essentialiste de la nation et de l’allégeance, où l’identité citoyenne ne tolère plus l’ambiguïté ni la multiplicité.

Il est crucial de reconnaître que cette évolution du droit de la nationalité remet en question l’universalité des droits liés à la citoyenneté. L’idée que la citoyenneté peut être perdue — et ce, souvent de manière unilatérale, sans réelle possibilité de contestation — introduit une hiérarchie implicite entre citoyens « sûrs » et citoyens « conditionnels ». Cette dynamique fragilise le principe d’égalité et sape le fondement même d’une citoyenneté démocratique : la stabilité du lien civique.

Ce glissement mérite une vigilance particulière. Car il révèle une transformation silencieuse, mais profonde, du pacte républicain. Une transformation où la citoyenneté, censée garantir l’appartenance, devient un privilège révocable, soumis à des critères politiques, moraux ou culturels toujours plus restrictifs.