L'empirisme logique, qui émerge du Cercle de Vienne au début du XXe siècle, a profondément influencé les méthodes scientifiques modernes et la manière dont nous comprenons la validation des théories scientifiques. Bien que ce mouvement soit souvent appelé "positivisme logique", cette dénomination est réductrice, car elle ne reflète pas la richesse des réflexions qui traversent le Cercle. Le terme "empirisme logique" est plus approprié, car il englobe une approche plus large et inclut les diverses contributions des membres du Cercle, tels que Carnap, Neurath, et Schlick. L'idée principale de cette philosophie était de rejeter toute forme de métaphysique et de fonder la connaissance scientifique uniquement sur des propositions vérifiables par l'expérience.
Le rejet de la métaphysique a conduit les empiristes logiques à se concentrer sur l'établissement de critères stricts pour déterminer ce qui constitue une déclaration scientifique valide. Pour eux, toute connaissance devait être testable empiriquement, et les théories scientifiques ne pouvaient être considérées comme valides que si elles étaient confirmées par l'expérience. Cette position s'accompagnait d'une forte conviction politique : le rejet des pseudo-sciences, souvent utilisées à des fins totalitaires, était vu comme une tâche essentielle pour l'émancipation sociale et la construction d'un monde plus juste. Dans ce contexte, l'épistémologie devenait une arme contre les idéologies répressives, comme le racisme, le sexisme, ou l'antisémitisme, qui se nourrissaient de discours pseudo-scientifiques.
Cependant, cette approche a rencontré des difficultés lorsqu'il s'agissait de traiter des entités théoriques non observables, comme les atomes. En effet, les avancées scientifiques reposent souvent sur l'existence d'entités qui échappent à l'observation directe, et l'absence de validation empirique immédiate de ces entités pose un défi épistémologique majeur. Face à ce problème, certains chercheurs du Cercle ont proposé une solution : reconnaître que la validation de la théorie en son ensemble permet de donner du sens aux éléments non observables qui la composent. Cette idée s'appuyait sur une méthodologie hypothético-déductive, où les éléments non observables et les axiomes fondamentaux étaient validés par les théorèmes dérivés et confrontés aux données expérimentales.
L'approche de l'empirisme logique cherchait également à établir une "unité des sciences". Cette idée suggérait qu'il existait une langue logique commune qui pouvait exprimer toute la connaissance scientifique, unifiant ainsi les diverses disciplines. De plus, cette vision de l'unité des sciences portait également un projet politique de réformes sociales. En effet, pour les membres du Cercle, l'empirisme logique pouvait favoriser une plus grande participation publique à la connaissance scientifique et promouvoir des idéaux de coopération internationale, caractéristiques du marxisme de l'époque.
En dépit de ses apports importants, l'empirisme logique a été critiqué, notamment en raison de sa propension à rejeter certaines affirmations scientifiques universelles comme "non vérifiables". Un exemple classique est celui de l'affirmation selon laquelle "tous les cygnes sont blancs". Cette proposition peut être vérifiée de manière répétée, mais une observation d'un cygne noir suffit à la rendre fausse. La question de la vérifiabilité a donc conduit à un débat central dans la philosophie des sciences : peut-on affirmer qu'une loi scientifique est universelle si elle peut être falsifiée par un seul contre-exemple ?
Les débats autour de la vérifiabilité ont conduit certains membres du Cercle, comme Neurath, à rejeter cette approche au profit de la falsifiabilité, une idée popularisée par Karl Popper. Popper, bien que partageant avec les empiristes logiques la conviction que la science devait se baser sur des critères rigoureux, proposait une méthode différente. Pour lui, la clé de la science résidait dans la falsification des hypothèses, et non dans leur vérification. Selon lui, une théorie scientifique ne peut jamais être prouvée de manière définitive, mais elle peut être mise à l'épreuve par des expériences susceptibles de la réfuter. Ce point de vue a eu une influence majeure sur la manière dont nous concevons aujourd'hui la méthode scientifique.
Cependant, cette démarche a ses limites. Comme Popper l’a lui-même admis, les théories scientifiques peuvent être adaptées de manière à survivre à toute tentative de falsification. Par exemple, Marx a été accusé d’avoir modifié sa théorie de manière à la rendre compatible avec les faits, ce qui soulève la question de la validité de telles modifications. Par ailleurs, certaines théories, comme celles liées à l'économie écologique, ne peuvent pas être validées de manière aussi simple que les théories physiques classiques. Celles-ci impliquent souvent des processus complexes, des mécanismes sous-jacents et des structures qui échappent à l'observation directe, ce qui complique leur validation scientifique.
C'est dans ce contexte que le réalisme critique, défendu par des penseurs comme Roy Bhaskar, se révèle pertinent. Le réalisme critique propose une approche épistémologique qui dépasse à la fois l'objectivisme naïf de l'empirisme logique et le relativisme radical du constructivisme. Selon cette perspective, la science ne se contente pas de raconter des histoires sociales ou culturelles, mais cherche à découvrir les mécanismes sous-jacents qui expliquent les phénomènes observables. Ce réalisme critique est particulièrement utile dans les sciences sociales et économiques, comme l'économie écologique, où les processus complexes sont souvent invisibles et difficiles à saisir par des méthodes empiriques traditionnelles.
Le réalisme critique suggère qu'il existe des structures et des mécanismes cachés qui influencent les phénomènes observables, mais que ces structures ne peuvent être comprises qu'à travers une analyse approfondie, qui relie les observations aux mécanismes sous-jacents. Cette approche permet ainsi de concilier l'observation empirique avec une compréhension plus profonde de la réalité, tout en restant attentive aux biais sociaux et culturels qui influencent la production scientifique.
Il est essentiel de comprendre que la méthode scientifique ne se limite pas à la validation empirique des théories, mais implique également une réflexion critique sur les structures et les mécanismes qui façonnent notre compréhension du monde. C’est ce type de réflexion qui permet de progresser dans des domaines comme l’économie écologique, où les interactions entre l’environnement, la société et l’économie sont multiples et souvent invisibles. La science ne doit pas seulement chercher à décrire les faits, mais aussi à comprendre les processus qui les sous-tendent, et ce à travers une méthodologie rigoureuse et critique.
Comment l'économie écologique peut-elle redéfinir la croissance et le bien-être humain ?
L'idée que la croissance économique est un processus linéaire et incontestable de progrès humain est profondément ancrée dans les paradigmes économiques dominants. Dans cette vision, les bienfaits de la croissance sont souvent mis en avant, tandis que les dégâts qu’elle engendre sont minimisés, voire ignorés. L’approche classique de l'économie considère les dommages collatéraux comme étant compensés par des bénéfices nets, faisant abstraction de l'incommensurabilité des valeurs et des impacts environnementaux. Toutefois, cette conception est de plus en plus remise en question, et un nouveau modèle d’économie, axé sur le bien-être durable, se fait jour.
L'économie écologique propose une redéfinition des objectifs économiques, mettant l'accent sur la satisfaction des besoins humains dans un cadre éthique qui préserve les écosystèmes de la Terre. Le bien-être humain ne doit pas être compris à travers la simple accumulation de biens matériels ou d’expériences hédonistes. Bien que des approches comme celle du mouvement pour une « économie du bien-être » aient tenté d’introduire une perspective plus humaine et durable, elles restent souvent coincées dans des conceptions traditionnelles qui mesurent encore le bien-être à travers des indicateurs de consommation. Le concept d’une « économie du bien-être » a notamment intégré des théories classiques du capital, comme celle de Dasgupta (2021), ce qui limite son potentiel à véritablement redéfinir ce que signifie une vie bonne et significative.
Les recherches sur le bonheur subjectif menées par Easterlin suggèrent que la satisfaction humaine pourrait être davantage liée à une consommation matérielle modérée et à une recherche de plaisirs alternatifs. Toutefois, une tension persiste entre la recherche de plaisirs hédonistes et la reconnaissance que ces plaisirs ne constituent pas la source principale d’une vie bonne et épanouie. Dans cette optique, il est nécessaire de repenser le bien-être au-delà du plaisir individuel. O’Neill (2006) critique ainsi l’approche hédoniste du bien-être, qui isole les plaisirs personnels des autres dimensions de la vie humaine, telles que les relations sociales et les objectifs moraux. Cette vision est plus en phase avec la philosophie aristotélicienne, où le bien-être ne se résume pas à la recherche de plaisirs sensoriels, mais à une vie de vertu et de fulfillment. La notion d’eudaimonia d’Aristote est fondée sur la réalisation de soi dans un cadre moral et collectif, loin des plaisirs individuels et éphémères. Cette approche définit le bien-être comme un épanouissement humain qui va bien au-delà de la simple satisfaction des désirs personnels.
Dans le contexte de l’économie écologique, cette vision du bien-être se conjugue avec une approche des besoins humains qui se concentre sur la satisfaction des nécessités fondamentales à travers des processus sociaux et institutionnels. Il devient ainsi crucial de redéfinir la croissance non plus comme une accumulation matérielle, mais comme un moyen de permettre à tous les individus de mener une vie significative, respectueuse de l’environnement et de la justice sociale. Cette transition nécessite de repenser la façon dont les sociétés modernes organisent la satisfaction des besoins humains, en se distanciant du modèle capitaliste consumériste qui a tendance à réduire les relations humaines et avec la nature à des transactions marchandes.
Ce modèle alternatif se réfère à des concepts comme l'« ubuntu » africain ou le « buen vivir » sud-américain, qui offrent des visions de la vie commune centrées sur la solidarité, la coopération et le respect mutuel. Il devient nécessaire de développer une économie qui ne soit pas seulement orientée vers la maximisation du profit et de la consommation, mais qui prenne en compte des valeurs comme l’équité, le soin de l’autre, et la préservation de l’environnement.
L’économie, dans ce cadre, pourrait être redéfinie comme l’étude des moyens sociaux permettant de pourvoir aux besoins humains dans une optique de justice et de bien-être pour tous, humains comme non-humains. Une telle économie ne se contenterait pas de la simple croissance ou de l'augmentation du produit intérieur brut (PIB), mais chercherait à atteindre des objectifs plus profonds et plus durables. Elle offrirait une alternative aux systèmes économiques actuels en mettant l’accent sur la qualité de vie et sur des processus sociaux organisés autour de la satisfaction des besoins humains fondamentaux, tout en respectant les limites écologiques de la planète.
Enfin, il est crucial de comprendre que cette révision de l'économie implique aussi un changement dans la manière de concevoir les relations sociales, qui ne peuvent plus être réduites à des rapports économiques basés uniquement sur l’échange monétaire. Les dimensions éthiques et relationnelles de l’existence humaine doivent être au cœur de tout modèle économique, et l’interconnexion entre l'humain, les autres formes de vie et la nature doit être reconnue comme un principe fondamental. Il est nécessaire de replacer l'économie dans un cadre plus large, qui inclut les notions de soins, de justice sociale et de durabilité écologique.
La contradiction de l’économie écologique face à la croissance et l’orthodoxie néoclassique
Les débats autour de l’économie écologique et de la croissance sont souvent marqués par des contradictions théoriques, notamment concernant la position vis-à-vis des modèles économiques traditionnels de croissance capitaliste. Par exemple, Victor (2008) défend l’idée d’une économie à croissance lente, tout en prônant un monde post-croissance. Cependant, cette approche ne permet pas de concilier une véritable transition vers des économies non capitalistes, en particulier dans les régions où la pauvreté monétaire reste omniprésente. En réalité, tant Victor que Jackson (2009b) soutiennent la nécessité de maintenir le modèle de croissance dans les sociétés les plus pauvres, jusqu’à ce que l’ensemble de la population devienne « riche en revenus ». Ce positionnement défend donc le modèle capitaliste traditionnel où croissance égale développement, tout en reconnaissant sa nature fondamentalement défaillante. Cette contradiction s’explique par un désir pragmatique de rester dans le cadre du système tout en prônant un changement systémique.
Cette même réticence à remettre en question les fondements du capitalisme est observable dans les travaux de Daly, qui, malgré ses critiques acerbes de la croissance, ne rejette pas les marchés de prix et, par conséquent, soutient indirectement certains éléments essentiels de la théorie néoclassique. Ce phénomène démontre la difficulté de certains chercheurs à tirer les conclusions logiques de leurs propres travaux, par peur d’aller à l’encontre des structures politiques dominantes du capitalisme. Cette hésitation à rompre avec les paradigmes économiques établis peut également être observée dans le cadre de ce que l’on pourrait appeler le « nouveau pragmatisme environnemental », un mouvement qui combine des éléments de l’économie écologique et des théories écologiques sociales, mais qui reste parfois captif des limitations de la pensée économique dominante.
Un exemple notable de cette ambiguïté théorique se trouve dans l’utilisation des empreintes écologiques, développée notamment par Rees (2009) et Wackernagel (1996). Bien que cette approche repose sur des bases théoriques datant de l’utopisme écologique, elle reste cependant confrontée à des difficultés théoriques majeures, telles que la réduction du concept de valeur à des termes quantifiables. La simplification de la théorie en faveur de la communication sur les problèmes environnementaux et la contrainte des ressources peut être perçue comme une tentative pragmatique d’appeler à un changement politique face à des urgences écologiques croissantes. Cependant, ce faisant, elle risque de sacrifier la rigueur théorique au profit d’une approche plus accessible, mais potentiellement réductrice.
D’autres propositions de synthèse entre l’économie écologique et l’économie néoclassique des ressources ont été avancées. Par exemple, Ruth (2006) suggère une fusion des deux domaines sous le terme « économie naturelle ». Bien que certaines tentatives de rapprochement aient pour objectif de résoudre la fracture théorique entre ces deux écoles, elles ignorent souvent les raisons idéologiques profondes de cette séparation originelle, que ce soit en raison des principes de la critique de la croissance ou des différences fondamentales dans la vision de la valeur et de la richesse. Il est courant de rencontrer des propositions qui appellent à une pluridisciplinarité entre les modèles d’économie écologique et néoclassique sans réellement remettre en cause les principes dominants du second.
Le concept de « grande tente » a également été popularisé par certains chercheurs qui voient dans cette diversité méthodologique une forme d’ouverture nécessaire au développement de l’économie écologique. Cependant, ce modèle d’unité, qui englobe à la fois des approches hétérodoxes et orthodoxes, pose de sérieuses questions sur la cohérence et la viabilité du champ. Par exemple, Harris et Roach (2018) suggèrent que la fusion des économies écologiques et des théories économiques traditionnelles sous le prétexte du pluralisme ne fait qu’affaiblir la portée critique de l’économie écologique, la réduisant à un simple outil au service d’une économie verte. Cette position implique une normalisation des enjeux écologiques dans le cadre des modèles économiques traditionnels, tout en excluant des visions alternatives qui pourraient remettre en question les fondements mêmes de l’économie de marché.
La défense de l’idée d’une « grande tente » par certains membres influents du domaine, comme Howarth (2008), vise à promouvoir une approche transdisciplinaire, mais elle tend à effacer les lignes de démarcation entre l’économie écologique et les autres paradigmes dominants. Cette position, tout en cherchant à éviter le dogmatisme, réduit l’économie écologique à une simple plateforme de discussion, où toutes les voix sont acceptées sans un véritable examen critique des fondements théoriques. La pluralité méthodologique, dans cette optique, se transforme en une forme de relativisme épistémologique, qui ne permet pas de résoudre les contradictions internes de ces différentes écoles de pensée.
La fusion entre l’économie écologique et l’économie néoclassique, loin d’apporter une solution, semble au contraire renforcer les incohérences au sein du champ. En effet, la tentative de maintenir unité et pluralité sous un même toit — le « grand chapiteau » — peut mener à une dilution des enjeux critiques liés à la durabilité environnementale et sociale, qui sont au cœur de l’économie écologique. Si l’économie écologique se réduit à une simple branche de l’économie verte, elle perd son pouvoir de transformation et son rôle dans la refonte du paradigme économique mondial.
Il est donc crucial de comprendre que les défis théoriques et méthodologiques rencontrés par l’économie écologique ne sont pas simplement des obstacles à surmonter, mais des révélations fondamentales des tensions internes à l’intérieur même de la pensée économique. Ces tensions, qui sont souvent maquillées sous des termes comme pluralisme ou interdisciplinarité, montrent l’incapacité de certaines approches à aller jusqu’au bout de leurs implications logiques, notamment en ce qui concerne le rejet de la croissance capitaliste. Ainsi, il est impératif de remettre en question non seulement la validité des modèles néoclassiques, mais aussi les tentatives de les intégrer dans des discussions écologiques sans une critique approfondie des structures de pouvoir sous-jacentes.
Comment les limites biophysiques redéfinissent l'économie écologique et la transformation sociale
Les économistes écologiques sociaux ont toujours fait partie intégrante de la création de l'ISEE (International Society for Ecological Economics) et ont constitué l'approche principale au sein de l'ESEE (European Society for Ecological Economics). Ces penseurs reconnaissent l'importance des rapports de pouvoir et du rôle des institutions dans les systèmes économiques, ce qui transforme l'économie en une économie politique. Ils maintiennent la distinction entre la nature et la société, tout en étudiant leurs interactions grâce à une intégration sérieuse des connaissances interdisciplinaire provenant des sciences sociales et naturelles. La nature et la société sont distinctes, mais indissociables. Ces économistes insistent sur la nécessité d'une transformation sociale et écologique radicale, fondée sur une connaissance scientifique solide, tant dans les domaines naturel que social.
L'économie écologique sociale, pour beaucoup, constitue l'approche paradigmatique essentielle de l'économie écologique. Daly, Farley et Washington ont affirmé : « Nous soutenons l'appel de Spash (2012, 2013) pour une économie socio-écologique, que nous considérons comme un retour aux principes fondamentaux de l'économie écologique » (Farley et Washington, 2018 : 448). L'économie écologique a été fondée sur l'idée primordiale de placer l'économie dans ses limites biophysiques, tout en reconnaissant la nécessité d'une conduite éthique de la société humaine à l'égard d'autrui, aussi bien des générations présentes que futures, humaines ou non-humaines.
Les préoccupations majeures comprennent les échecs des politiques économiques à prendre en compte les impacts environnementaux, ainsi que la structure économique et les institutions existantes, incapables de répondre à des normes minimales de conduite éthique. Cependant, différentes forces ont façonné la manière dont ce champ de connaissance a combiné les thématiques et abordé ces divers problèmes. En particulier, la néolibéralisation progressive mais persistante de la société depuis les années 1980 a poussé un discours de politique environnementale informé écologiquement dans le langage de l'économie et de la finance. Le résultat a été une « institutionnalisation » de l'environnementalisme en général et de l'économie écologique en particulier. L'économie est désormais identifiée à ce que Polanyi (1957) qualifiait d'« économie formelle », un modèle où l'échange sur le marché domine et où l'histoire du marché, du commerce et de la monnaie est déformée, rendant aveugle aux formes alternatives d'intégration et d'organisation sociale.
Beaucoup se sont perdus, sous l'illusion de la nécessité d'adopter des concepts économiques formels, transformant la nature en capital, les fonctions des écosystèmes en biens et services, et la pollution en une marchandise échangeable. Le jugement éthique explicite a été remplacé par le dogme de l'efficacité économique, comme si cela n'avait aucune implication éthique. Un des effets de la néolibéralisation de l'environnementalisme, et de l'adoption des concepts de l'économie formelle, est la montée de la pseudoscience, notamment sous la forme de chiffres (c'est-à-dire, l'arithmomorphisme). Les chapitres précédents ont montré à quel point l'économie orthodoxe est restée une force invasive et impérialiste au sein de l'économie écologique. L'usage pragmatique de la théorie économique néoclassique et des méthodes de l'économie orthodoxe est évident, qu'il s'agisse de travaux affiliés à l'économie écologique, à la décroissance ou à la post-croissance.
Cette tendance est également évidente dans l'adoption par les scientifiques naturels de certains aspects des sciences sociales qui leur paraissent pratiques, ainsi que dans le transfert plus général des estimations de la valeur environnementale hors de leur contexte (Spash et Vatn, 2006). Les valeurs plurales et la complexité sont remplacées par des mesures monistes et des messages simplistes. Paradoxalement, l'usage politiquement naïf du langage, des concepts et des méthodes économiques formelles par les écologistes et les biologistes de la conservation a non seulement affaibli leur propre message, mais a également diminué la pertinence de leur politique, tout en nuisant au mouvement environnemental dans son ensemble (Spash, 2015a ; 2020a ; Spash et Aslaksen, 2015).
Loin de progresser dans l'unification de la compréhension des domaines biophysiques, sociaux et économiques, ce que l'on observe est la domination du social et du biophysique par un discours étroit qui réduit tout à un échange dans des marchés déterminés par les prix. L'économie écologique manque d'une théorie sociale cohérente et doit renforcer sa connexion avec d'autres scientifiques sociaux travaillant sur des problématiques similaires dans d'autres disciplines (telles que la science politique, l'écologie politique, la sociologie, la psychologie sociale, l'anthropologie sociale, la géographie humaine). Certains ont ressenti cette connexion avec le social comme menaçante et ont minimisé, voire ridiculisé, sa pertinence. Aux États-Unis, le social est rapidement associé au socialisme, ce qui, depuis le maccarthysme, a été lié au communisme et étiqueté comme anti-américain. Il y a même eu des tentatives pour supprimer ceux qui suivaient l'agenda de l'économie socio-écologique au sein même de l'économie écologique, tout en promouvant des économistes mainstream à leur place (Røpke, 2005 ; Spash, 2011). Cette tentative de suppression a échoué, non seulement parce que les problèmes sociaux et environnementaux sont indissociables, mais aussi parce que l'économie formelle ne constitue pas une solution.
La séparation historique de la nature et de la société a été remise en question de manière cruciale par les économistes écologiques sociaux. C'est cette vision qui est à la base d'une réorientation radicale de l'économie, redéfinissant la manière dont nous devons penser et structurer nos sociétés et nos économies. La transformation nécessaire est celle d'un changement institutionnel, en mettant fin aux pratiques économiques destructrices de l'environnement et en privilégiant une gouvernance fondée sur des principes écologiques, éthiques et sociaux. Ce défi impose de repenser profondément les structures actuelles, et de refuser la dictature des chiffres et des marchés, pour redonner une place centrale à la valeur de la nature, des écosystèmes et des relations humaines dans l’élaboration de nouvelles politiques économiques.
Quel rôle joue l'économie écologique face à l'économie capitaliste dominante ?
L'économie écologique se démarque de l'approche capitaliste dominante en proposant une vision radicalement différente de la manière dont les ressources naturelles sont perçues et gérées. Contrairement à la conception néoclassique de la croissance économique continue et du capitalisme de consommation, qui valorise l'accumulation et l'extension des biens matériels, l'économie écologique cherche à intégrer la durabilité écologique dans le processus économique. Cette approche repose sur une critique systématique de la manière dont les sociétés modernes traitent les écosystèmes, souvent comme des ressources à exploiter sans égard pour leurs limites intrinsèques.
L'une des pierres angulaires de cette critique est le rejet de l'idée que la croissance économique soit nécessairement bénéfique ou soutenable. Des théoriciens comme Herman Daly ont mis en évidence que l'idée d'une croissance infinie dans un monde fini est fondamentalement incompatible avec la conservation des ressources naturelles. Ainsi, l’économie écologique invite à repenser la notion même de « prospérité », en mettant l'accent non sur l'augmentation de la consommation, mais sur le bien-être durable des populations dans le respect des limites écologiques.
Dans cette perspective, la notion de « capital naturel » prend toute son importance. Au lieu de considérer la nature comme une simple matière première à exploiter, l'économie écologique reconnaît les services rendus par les écosystèmes – des services essentiels pour la survie de l'humanité, comme la régulation climatique, la purification de l'eau ou la pollinisation des cultures. Ces services, souvent invisibles dans les calculs économiques traditionnels, doivent être intégrés dans les décisions économiques à travers des mécanismes de valorisation tels que la comptabilité des flux et des stocks écologiques.
En outre, l'économie écologique soulève des questions fondamentales sur la justice sociale et la redistribution des ressources. Elle s'intéresse non seulement à l'impact environnemental des activités économiques, mais aussi aux effets sociaux et économiques de la dégradation environnementale. Les plus vulnérables, souvent les moins responsables de la crise écologique, sont également les premiers à en souffrir. Ce lien entre injustice sociale et dégradation écologique est un point central des théories économiques critiques, comme l'écoféminisme et l'éco-marxisme, qui insistent sur la nécessité d'une transformation sociale profonde pour dépasser les structures économiques dominantes.
Le modèle capitaliste, par sa logique d'accumulation sans fin et sa dépendance à la consommation, est en grande partie responsable de l'épuisement des ressources naturelles et des inégalités croissantes. En revanche, l'économie écologique propose une alternative qui repose sur la réduction des inégalités économiques, l'amélioration de la qualité de vie plutôt que l'augmentation de la production, et la préservation de l'intégrité des systèmes écologiques.
Cependant, il ne suffit pas de critiquer le capitalisme : il faut aussi proposer des alternatives concrètes. Parmi ces alternatives, on trouve des idées comme le « décroissance », qui propose de remettre en question le dogme de la croissance économique infinie et d'explorer des chemins de développement basés sur la soutenabilité écologique et la réduction de l'empreinte écologique des sociétés modernes. Ce modèle ne se contente pas de critiquer la surconsommation, mais cherche à redéfinir ce que signifie vivre dans une société juste et durable, en favorisant des modes de production et de consommation plus respectueux de la planète.
Enfin, l’économie écologique invite à repenser les rôles des institutions politiques et économiques dans la gestion des ressources naturelles. Des propositions telles que la gouvernance participative et délibérative mettent en avant la nécessité d’un modèle de gouvernance plus inclusif, où les décisions économiques sont prises en tenant compte des connaissances locales, des savoirs autochtones et des principes de solidarité intergénérationnelle. Ce modèle repose sur une reconfiguration des relations entre l'État, les citoyens et le marché, pour intégrer une dimension éthique et écologique à la gouvernance économique.
Dans le contexte actuel, marqué par des crises environnementales, économiques et sociales interconnectées, il est crucial que l'économie prenne en compte non seulement les équilibres économiques internes, mais aussi les interactions complexes avec l'environnement global. Cette approche de l’économie écologique, qui remet en question les fondements du capitalisme et de sa logique de croissance, est indispensable pour ouvrir la voie à une véritable transition vers une économie soutenable, équitable et respectueuse de l’environnement.
Quel est le rôle de la sénescence cellulaire dans le vieillissement et les maladies liées à l'âge ?
Comment plaider efficacement pour des services de santé mentale scolaires ?
Pourquoi la neutralité carbone de Costa Rica était-elle une stratégie politique et non une obligation légale ?

Deutsch
Francais
Nederlands
Svenska
Norsk
Dansk
Suomi
Espanol
Italiano
Portugues
Magyar
Polski
Cestina
Русский