Appeler Donald Trump « corrompu » présente certains avantages évidents, notamment pour ceux qui cherchent à voir une disparition rapide de Trump et du trumpisme. Le terme « corruption » semble, en effet, parfaitement adapté, du moins selon les définitions libérales de la corruption, comme celle de Transparency International qui la décrit comme « la violation de la confiance publique pour un gain privé ». Les paroles et actions de Trump pendant sa présidence, et même avant, semblent confirmer cette définition. Dès 2015, le candidat Trump annonçait son orientation future à l’égard de l’Arabie Saoudite, affirmant devant une foule : « Ils dépensent quarante millions de dollars, cinquante millions de dollars [dans mes propriétés]. Dois-je les détester ? Je les aime beaucoup » (Condon, Braun et Abdollah 2018). Il est clair que Trump entretenait une relation particulièrement favorable avec la famille royale saoudienne, allant jusqu’à défendre sans réserve sa version des événements après le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018 (Wright 2018).
L’impeachment de Trump en 2020 pour avoir sollicité le président ukrainien afin de fouiller dans les affaires de son rival Joe Biden illustre une autre violation du principe de séparation entre le public et le privé. Juste avant son acquittement par un Sénat dominé par les républicains, Trump répétait cet appel en incitant le gouvernement chinois à faire de même (Altieri et Della Rocca 2019). Ces actions s’inscrivent dans un schéma plus large, où Trump utilise fréquemment des accords de non-divulgation et adopte une méthode de travail de type « pas de mémos, pas de trace écrite » au sein de l’organisation Trump, méthode qu’il a ensuite importée à la Maison Blanche, où ses employés étaient contraints de signer des documents leur interdisant de faire des commentaires dénigrants à son sujet (Orecchio-Egresitz 2020).
Ces exemples suggèrent que Trump a normalisé, voire naturalisé, sa propre corruption. Mais à force de qualifier de « corrompu » quelqu’un qui semble se vanter de cet état, on pourrait bien jouer dans son jeu. L’argument ici est que les accusations de corruption contre Trump risquent de renforcer sa position morale telle qu’il se l’imagine, et ainsi de renforcer la légitimité des formes d’action qu’il s’arroge dans ce cadre. En d’autres termes, en dénonçant ce qu’il célèbre ouvertement chez lui-même, on pourrait involontairement alimenter la narration qu’il tente de bâtir autour de sa propre personne.
Il convient de réfléchir à la corruption non pas comme un fait de première main, comme une malversation, mais comme une représentation de ces actes à un niveau « meta » ou de second ordre. Appeler une action « corrompue » façonne notre compréhension de celle-ci, la présentant sous un angle moral spécifique : celui de la violation d’une hiérarchie sacrée dans la distribution des valeurs. Ce type de représentation implique qu’une personne bénéficie d’un accès à une sphère de valeur supérieure, qu’elle exploite illégalement pour transférer cette valeur vers des niveaux moraux inférieurs. En utilisant ce cadre, la corruption devient une sorte de mouvement de valeur dans une direction dégradée, un glissement moral souvent assimilé à la chute ou à la soumission à des forces incontrôlables, comme la gravité.
Cela rejoint la conception de Paul Kockelman, anthropologue linguistique, qui accorde une place centrale aux gradients, ces différences de hauteur ou d’intensité qui permettent de faire des comparaisons et de façonner des transformations sociales et morales. Selon Kockelman, les gradients sont à la source du pouvoir, car ils permettent aux individus de situer leurs actions dans un contexte de comparaison et d’évaluation. Dans cette optique, la corruption peut être perçue comme une sorte de mouvement moral descendant, un effondrement des structures morales, une soumission à des forces qui dégradent l’intégrité des valeurs.
En revanche, la bénédiction, qui est souvent opposée à la corruption, ne représente pas une chute, mais une forme autorisée de redistribution des valeurs à travers des lignes d’autorité puissantes. Là où la corruption est une violation, une appropriation illicite, la bénédiction est un acte sanctionné, une distribution des valeurs légitimée par la structure morale en place.
Cette conception de la corruption comme une dynamique de valeurs implique une compréhension de la « sacralité » de certaines sphères sociales. Ce qui est « sacré » — qu’il s’agisse de comportements, de symboles ou de principes mythiques — établit des frontières permettant de conserver des valeurs spécifiques à différents niveaux de la hiérarchie morale. Ces frontières, métaphoriquement appelées « digues », empêchent la diffusion anarchique des valeurs entre les différents niveaux moraux. Si la corruption contourne ces digues pour transférer des valeurs de manière illicite, les bénédictions œuvrent dans le cadre légitime de cette redistribution.
En Afrique contemporaine, par exemple, des formulations similaires de la corruption prennent une forme plus « liquide », où les personnes corrompues sont vues comme des consommateurs vampiriques qui drainent la vitalité de la nation, ou encore comme des agents qui intensifient les flux vitaux parcourant le corps politique (Hasty 2005). Cette imagerie de la fluidité représente bien la manière dont la valeur, quand elle n’est pas correctement retenue, peut s’échapper ou se diluer dans des espaces illégitimes, un peu comme un liquide qui fuit à travers la moindre fissure.
Ainsi, bien que la corruption soit souvent décrite comme une dégradation morale, elle fonctionne dans des systèmes culturels et sociaux sous des représentations variées, mais fondamentalement similaires, qui témoignent d’une lutte pour la préservation ou la redistribution de la valeur selon des hiérarchies morales établies.
Il est donc essentiel de se rappeler que les accusations de corruption contre Trump, bien qu’elles puissent sembler appropriées selon un cadre libéral, risquent de renforcer, dans une certaine mesure, l’image qu’il se construit de lui-même : celle d’un homme qui, loin de se cacher, embrasse ouvertement les principes qu’il transgresse. Ces accusations peuvent ainsi devenir un outil de légitimation de son autorité, si elles sont formulées sans une compréhension fine de la manière dont il redéfinit les normes morales en sa faveur.
L'impact de la capture réglementaire et de la corruption dans l'administration Trump
Sous la présidence de Donald Trump, des figures controversées ont été placées à la tête de plusieurs agences gouvernementales, transformant ces institutions en instruments de capture réglementaire, ce qui a profondément affecté la gouvernance démocratique. En choisissant des individus dont les antécédents étaient souvent incompatibles avec les missions de leurs agences, Trump a ouvert la voie à une réorganisation systémique de l’administration fédérale. Des secrétaires d'État et d'autres hauts fonctionnaires ont souvent eu des liens étroits avec les secteurs qu'ils étaient censés réguler. Steven Mnuchin, par exemple, à la tête du Département du Trésor, avait été un acteur clé de Wall Street et avait acheté une banque en faillite durant la crise financière de 2008, une banque qui a ensuite bénéficié de l’aide gouvernementale. Jay Clayton, qui dirigeait la Securities and Exchange Commission (SEC), avait passé une grande partie de sa carrière à défendre des entreprises de Wall Street qu'il devait désormais superviser.
L'un des secteurs les plus touchés par cette dynamique a été l'industrie de l'énergie. Rick Perry, secrétaire à l’Énergie, a été impliqué dans des entreprises pétrolières et gazières, recevant des millions de dollars de contributions à ses campagnes politiques. Scott Pruitt, à la tête de l'Environmental Protection Agency (EPA), a entretenu des relations très étroites avec les dirigeants de l'industrie fossile, une relation qui a finalement conduit à sa démission suite à un scandale de corruption mineure. Ce type de gestion, où les conflits d'intérêts sont omniprésents, révèle une tendance inquiétante : la capture des agences par les industries qu'elles sont censées réguler, détruisant ainsi les bases de la gouvernance démocratique.
Au-delà des conflits d'intérêts évidents, il existe également une forme de corruption plus insidieuse, parfois qualifiée de corruption mineure, qui a pris une ampleur inédite dans l'administration Trump. De nombreux membres du cabinet ont montré une propension à éviter les vols commerciaux pour privilégier les vols privés, à dépenser de manière extravagante pour des rénovations de bureaux et à participer à des voyages à l'étranger qui ressemblaient davantage à des activités touristiques qu'à des missions officielles. En outre, des augmentations salariales ont été accordées à des alliés politiques proches, ce qui a exacerbé l'image de gaspillage et de népotisme. Cette attitude est paradoxale, car Trump avait fait campagne contre ces excès, se posant comme un champion du changement et de la réduction des dépenses publiques.
En ce qui concerne les lobbyistes, l'administration Trump n’a pas été réticente à les intégrer, bien que cette approche semblait contredire la rhétorique populiste de Trump contre les lobbys et les politiques d'élite. Le phénomène de la "porte tournante", où les anciens membres du Congrès ou des responsables politiques rejoignent des cabinets d'avocats ou des entreprises de lobbying, s'est intensifié sous sa présidence. Plus de 180 anciens lobbyistes ont occupé des postes politiques clés sous Trump, et le Département de l'Intérieur en comptait au moins treize. L’attrait pour les lobbys s’est aussi accentué avec le recrutement de penseurs et de groupes de réflexion conservateurs qui œuvraient pour l’abolition des régulations, notamment au sein de l’administration Trump.
Une forme plus insidieuse de lobbying, connue sous le nom de "shadow lobbying", a également prospéré sous cette administration. Ces individus, bien que non enregistrés en tant que lobbyistes, exerçaient une influence importante sur les décisions politiques sans être soumis aux mêmes règles de transparence. Rudy Giuliani, par exemple, bien qu’étant un avocat personnel du président, avait des liens avec des entreprises et des États étrangers, ce qui soulevait des questions sur ses conflits d'intérêts. De même, Newt Gingrich, qui n'a pas pris de rôle officiel dans l'administration, a continué à jouer un rôle stratégique en tant que consultant rémunéré, mettant en avant ses liens avec des géants de l'industrie comme GE et Microsoft.
Ces pratiques soulignent une tendance alarmante dans laquelle les processus démocratiques sont mis à mal par des individus dont les intérêts personnels et financiers entrent en conflit avec les missions publiques qu'ils sont censés servir. La fusion de l'intérêt privé et de l’intérêt public devient ainsi une norme sous l’administration Trump, créant un environnement où les régulations sont systématiquement affaiblies au profit des élites économiques et industrielles.
Il est crucial de comprendre que cette situation ne relève pas uniquement de la gestion inefficace ou de la mauvaise conduite individuelle. La capture réglementaire et la montée de la corruption à petite échelle ont des conséquences profondes sur la structure même de la gouvernance. Elles affaiblissent l’État de droit, minent la confiance des citoyens dans leurs institutions et érodent les principes démocratiques qui devraient sous-tendre les actions gouvernementales. Il est essentiel que les citoyens, les médias et les autorités de contrôle restent vigilants face à ces dynamiques, afin de préserver l’intégrité des institutions publiques et la transparence dans le processus politique.
Comment la politique migratoire de l'administration Trump a exacerbé les exclusions raciales et les droits des migrants
La législation migratoire a toujours été un domaine particulièrement influencé par les pouvoirs politiques, souvent au détriment des droits des migrants. Les tribunaux, dans une large mesure, ont tendu à se plier à cette influence, sans exercer de véritable révision judiciaire ou appliquer des protections constitutionnelles ou des garanties procédurales significatives. Pourtant, tout au long de l’histoire de l’immigration, il y a eu une résistance, un contre-courant de contestation juridique par les immigrants et leurs défenseurs, qui ont cherché à réinterpréter les lois de manière à mieux refléter la réalité sociale et les principes de justice (Salyer 2020). Cependant, cette résistance n’a pas empêché les lois migratoires elles-mêmes d’être profondément marquées par des politiques anti-immigrants, construites dans un contexte social imprégné de racisme, de xénophobie et de peur. Ces politiques ont engendré des lois qui restreignent à la fois les droits substantiels et les procédures des migrants.
L’administration Trump n’a pas seulement amplifié cette dynamique ; elle a réussi à pousser plus loin les exclusions en établissant un état d'exception permanent qui s'est attaqué aux derniers droits et protections que les non-citoyens pouvaient encore revendiquer. L’attaque n’a pas résidé uniquement dans une application excessive des lois migratoires, mais dans la fabrication d’une condition constante d'exception. Cette dynamique a été visible dans des mesures comme l’interdiction d’entrée pour les musulmans, les tentatives de construction du mur à la frontière, la politique de séparation des familles, les décrets restreignant l'accès à l'asile, ainsi que l’affaiblissement de l’indépendance des juges de l’immigration. En utilisant une biopolitique raciale, l’administration Trump a cherché à éradiquer les derniers vestiges de justice et de procédure équitable dans le système d'application des lois migratoires. Durant ces quatre années de présidence, cet état d'exception n’était pas une simple abstraction théorique : il a concrètement miné les droits des migrants et mis leurs vies en péril.
Il est légitime de se demander si la rhétorique et les actions anti-immigrants de Trump étaient fondamentalement différentes des pratiques divisantes de longue date de la législation migratoire américaine, qui ont toujours engendré une vulnérabilité et une précarité structurelles pour les immigrants (Coutin 1996; De Genova 2002). Pour répondre à cette question, il est pertinent d’utiliser le concept de "ligne abyssale" développé par Boaventura de Sousa Santos. Cette ligne marque la division entre les individus supposés avoir droit à la reconnaissance et aux droits et ceux qui sont soumis à une "exclusion radicale et à la non-existence juridique" (Santos 2014 : 126). Santos interprète cette ligne comme une frontière entre les centres métropolitains et la périphérie colonisée, où "les invisibles deviennent la base des visibles" (Santos 2014 : 119). Selon cette pensée abyssale, des groupes peuvent être exclus, mais leur exclusion n’est pas radicale. Ils sont des êtres humains, souvent même citoyens, et peuvent revendiquer des droits. En revanche, les groupes de l’autre côté de la ligne ne peuvent pas revendiquer ces droits, puisqu'ils sont parfois considérés comme "pas totalement humains" (Santos 2017 : 251).
Cependant, cette exclusion abyssale n’est pas limitée aux pratiques coloniales formelles : elle se manifeste également dans des phénomènes contemporains tels que le néocolonialisme, le racisme, la xénophobie, et le traitement des terroristes présumés, des travailleurs migrants sans papiers et des demandeurs d'asile dans un état d’exception permanent (Santos 2015 : 2). Les revendications juridiques, basées sur des droits, jouent un rôle clé dans la division créée par la ligne abyssale : ceux qui se trouvent d’un côté peuvent revendiquer ces droits, alors que ceux de l’autre côté en sont privés.
Un exemple classique de cette dynamique se trouve dans la condition d’un travailleur musulman, victime de discrimination salariale. Bien que sa position en tant qu’employé soit déjà désavantagée, il reste en mesure de revendiquer des droits en raison de son statut juridique. Mais lorsqu’il quitte son lieu de travail, il devient potentiellement suspect et peut être traité comme un terroriste présumé, une situation dans laquelle ses droits sont pratiquement inexistants (Santos 2017 : 253).
Les politiques migratoires de l’administration Trump, enracinées dans cette pensée abyssale, ont accentué les divisions discursives, servant de fondement à des exclusions racialisées. Dès sa campagne présidentielle de 2015–2016, Trump a utilisé des termes tels que "alien", "animal", "criminel", "invasion", "meurtrier" et "prédateur" pour désigner les migrants et l'immigration, utilisant cette rhétorique plus de 500 fois (Fritze 2019). Cette rhétorique a peint un tableau de menaces pesant sur "les vrais" citoyens américains : des terroristes musulmans, des personnes de couleur venant de "pays de merde" (Dawsey 2018), des demandeurs d’asile frauduleux, des travailleurs migrants volant des emplois et des familles d'immigrants, présentées comme des fardeaux fiscaux. Ces attaques verbales ont pavé la voie à un ensemble de changements de politiques qui ont coûté des vies, infligé des souffrances à des individus et à des familles, et nié des droits légaux et un traitement équitable.
L’aspect souvent négligé de ces politiques est qu’elles n’ont pas seulement nuire aux migrants et à leurs familles, mais ont aussi contribué à la construction d'identités spécifiques, tant du côté des migrants que de celui des partisans de Trump. La rhétorique du "victime vengeresse", qui a d’abord été dirigée contre les migrants, a aussi servi à nourrir une vision rétrospective et violente des citoyens américains blancs, lesquels se sont vus comme des victimes d’un système légal qui protégeait indûment les migrants. Ce processus a légitimé les attaques contre les familles d'immigrants comme étant justifiées, et a permis aux partisans de Trump de se réjouir de ces actes répressifs. Cette dynamique s’est également manifestée dans d’autres domaines, comme la résistance aux appels pour la justice raciale et le soutien à la violence policière racialement ciblée. La présidence de Trump a ainsi révélé que le déni de l'égalité sociale des immigrants et la dépréciation de leurs droits juridiques peuvent être perçus comme un point de départ pour des pratiques de suprématie blanche.
Au cours de son mandat, Trump a multiplié les attaques contre la dignité humaine des migrants et les principes de l’État de droit, mais l’ampleur de ces attaques a eu pour effet de neutraliser la critique publique. Chaque violation des normes libérales modernes, même si elle avait des conséquences graves, n’a pas eu le temps de susciter une analyse approfondie, car l’enchaînement des événements empêchait toute réaction en profondeur.
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