Dans la pénombre d’une hutte à la toiture de chaume, l’étrangeté d’un monde inconnu se révélait dans ses plus petits détails. Il ne s’agissait pas simplement d’une différence de mœurs ou de nourriture, mais d’une logique sociale totalement étrangère, où le simple fait de dire son nom pouvait bouleverser l’équilibre d’un village entier. Le nom, dans cet univers, n’était pas une simple étiquette — il était une dette potentielle, un acte d’engagement, une offrande de soi à l’ordre collectif.

Arpad, jeune étranger venu d’un vaisseau, ne comprenait pas encore les règles non écrites du lieu. Sa faim le poussait à accepter la nourriture qu’on lui offrait, son éducation à répondre à celui qui lui parlait. Lorsqu’un vieillard lui demanda qui il était, il répondit — sans malice, sans stratégie, sans soupçon. Et dans cette réponse, il commit l’irréparable : il donna son nom.

Ce geste, anodin pour lui, déclencha une réaction de panique et de désapprobation. Ce n’est pas que les villageois étaient suspicieux par nature. C’est que le nom, ici, engage. Le nom oblige. Et le nom reçu crée une dette qu’on ne peut ignorer. Dans cette société, on n’est pas libre de se dire sans assumer les liens que cette parole forge.

Le vieil homme, incapable de supporter l’idée d’une nouvelle dette, s’insurgea : il n’avait rien demandé. Il avait simplement voulu savoir ce que faisait ce garçon ici. C’est que poser une question n’est pas forcément en demander la réponse — pas lorsqu’il s’agit de noms. Le nom n’est pas un mot. Il est un contrat.

Bill — ou plutôt “le Bill” qu’Arpad connaissait — tenta d’arranger les choses. Il expliqua, ou plutôt tenta de le faire avec une logique fondée sur l’évidence implicite, qu’ici, tout le monde s’appelait Bill jusqu’à nouvel ordre. Le nom personnel ne venait qu’après l’acceptation du groupe, et même alors, il ne se donnait pas sans prix. Nommer, c’était s’inclure dans une chaîne d’obligations réciproques, de créances et de loyautés. Chaque nom portait l’écho de toutes les relations passées, des dettes assumées et des serments tenus ou rompus.

Lorsque Arpad fut conduit devant le conseil des cinquante Bills, il comprit que son intégration passait non par une parole spontanée, mais par un rite. On ne demandait pas simplement son nom : on l’invitait à entrer dans le cercle, à prendre sur soi les conséquences de ses mots. Être nommé, ici, c’était être lié.

Cette société n’était pas simplement prudente. Elle avait construit tout un système de protection autour de l’identité personnelle. L’usage des noms était soumis à des règles de convenance, de nécessité, et de dette. D’où cette tension entre l’individu et la communauté : tant que l’on reste "Bill", on est neutre, interchangeable, libre de ses dettes. Mais dès que le vrai nom est prononcé, on devient quelqu’un. Et être quelqu’un, dans ce monde, c’est appartenir — dans la dette, dans le devoir, dans le regard des autres.

Cette logique n’est pas si étrangère à celle de nombreux systèmes symboliques dans l’histoire humaine. Le nom est pouvoir. Dans bien des cultures, connaître le nom véritable d’un être ou d’une chose, c’est acquérir sur lui une forme d’autorité. Ici, cette autorité s’inverse : c’est celui qui donne son nom qui se lie, qui se livre. C’est celui qui se nomme qui s’expose à devoir.

Ainsi, le nom devient une monnaie d’échange. Une parole précieuse, dont la valeur dépend du contexte, du moment, de la relation. Une parole qu’on ne doit jamais prononcer à la légère.

Il est essentiel de saisir que dans ce type de société, l’éthique de la parole est fondée sur les conséquences sociales de ce qu’on dit. Parler, c’est faire. Et nommer, c’est engager — comme un contrat oral, dont le poids moral dépasse celui de nombreux traités écrits.

Il est aussi crucial de comprendre que cette dynamique du nom n’est pas un archaïsme folklorique. Elle constitue la structure d’un ordre relationnel où chaque individu est à la fois protégé et contraint par le tissage invisible de dettes partagées. L’autonomie individuelle y est définie non par l’absence de lien, mais par la capacité à assumer les engagements nés de ces noms prononcés ou retenus.

Est-il possible de confondre une démangeaison avec un tic ?

Les phénomènes psychologiques de la « démangeaison mentale » sont des sujets complexes, souvent mal compris par ceux qui n’y sont pas sensibles. Un tic, dans sa forme la plus simple, peut sembler anodin, voire exagéré aux yeux d’un observateur extérieur. Mais ce qui se cache derrière ces gestes apparemment irrationnels peut en dire bien plus sur la psychologie d’un individu que ce qu’il montre en surface. Cela est particulièrement pertinent dans le cas de certaines personnalités qui, en raison de leurs troubles internes, se retrouvent à excuser leur comportement par des théories ou des justifications qui semblent rationnelles, mais qui relèvent plus du mécanisme de défense que d’une réelle explication logique. Prenez l'exemple de Hector Leith.

Hector Leith, bien qu'il soit un personnage relativement discret dans son entourage, incarne cette dynamique fascinante. A première vue, il semble être un individu « en retard » sur son développement. Ses excuses, qu’il a patiemment répétées à plusieurs reprises, sont d'une simplicité trompeuse : il se considère comme étant en retard par rapport aux autres, et pense sincèrement que son corps et son esprit sont dans un processus de développement qui n’est pas celui de ses pairs. Si Hector en croit ses propres dires, il pense qu’il grandit encore physiquement, ce qui aurait des conséquences directes sur son comportement. Mais tout ceci n’est qu’un miroir de ses propres insécurités et de son incapacité à se mettre à niveau par rapport aux attentes sociales et personnelles. Le reflet de ses marqueurs de « croissance » n’est qu’une illusion soigneusement entretenue, manipulée sans qu’il s’en rende compte.

Il est facile de tomber dans le piège de rationaliser un tel comportement. Après tout, pourquoi un homme de vingt-sept ans aurait-il l’air d’un adolescent de quinze si ce n’était pas pour une raison véritablement physiologique ? Pourquoi cette tension intérieure, ce malaise permanent, ne pourraient-ils pas avoir une base biologique ? C’est là que réside le défi : différencier l'apparence de la réalité, comprendre que parfois, derrière une excusabilité évidente, il y a une profonde détresse psychologique qui mérite une attention plus nuancée.

La véritable question ici n’est pas celle de l’excuse ou de la justification du comportement. Il est évident que, pour Leith, la croyance qu’il grandit est sa manière d’expliquer son échec à s’intégrer dans la norme. C’est une échappatoire mentale qui lui permet de supporter la douleur d’être différent, et de se donner l’illusion qu’il est encore dans un processus évolutif. Mais ces illusions ne peuvent durer éternellement. Elles créent un fardeau qu’il porte sans même en être pleinement conscient. Et c'est ce fardeau qui, au final, est à la fois le déclencheur et la conséquence de son comportement erratique.

En observant un tel phénomène, il devient clair qu’il est crucial de ne pas simplement se contenter de lire des signes et de les accepter tels quels. Nous devons aller au-delà des apparences. Le comportement humain est souvent un enchevêtrement complexe de mécanismes de défense, de peurs refoulées et de stratégies d’adaptation. Ce que nous pouvons percevoir comme un simple tic est souvent une manifestation de quelque chose de plus profond, un cri silencieux que nous devons apprendre à entendre.

Il est aussi important de noter que ce type de défense psychologique, bien que difficile à admettre pour ceux qui en sont victimes, peut paradoxalement les maintenir dans une certaine stabilité. Dans le cas de Leith, son tic – sa croyance en une croissance inexpliquée – lui offre une sorte de sécurité illusoire. Cette illusion est sa bouée de sauvetage face à l’insécurité de ne pas correspondre aux attentes des autres. Mais en même temps, cette illusion l'empêche de faire face à la réalité de sa situation, de prendre des mesures concrètes pour se réconcilier avec son identité et ses objectifs.

Il est également essentiel de comprendre que ces manifestations psychologiques, bien qu’elles puissent paraître absurdes ou exagérées pour un observateur extérieur, révèlent souvent une profonde quête d’identité et d’acceptation. Le comportement de Leith n’est pas seulement une simple réponse à des attentes sociales qu’il ne peut atteindre, mais aussi une manière de se protéger d’un vide émotionnel plus large. Le refus de grandir n’est pas tant un rejet du monde extérieur qu’un refus de se confronter à une réalité trop accablante.

De plus, il est crucial de prendre en compte le fait que ces justifications sont souvent des moyens d’éviter la confrontation avec soi-même. Plutôt que de reconnaître ses propres échecs ou ses propres faiblesses, la personne choisit une voie plus simple, celle de la dénégation ou de la distorsion. Mais ce qui pourrait paraître comme une simple illusion de croissance physique, par exemple, est en réalité un symptôme de la difficulté à accepter son propre développement, qu’il soit intellectuel, émotionnel ou social.

Tout ceci, mis ensemble, nous amène à une conclusion importante : bien que les tics et les justifications qui les accompagnent puissent sembler une forme de déni ou de défense, ils sont en réalité des signaux qu’il est nécessaire de comprendre en profondeur. Pour ceux qui observent de l’extérieur, il est facile de minimiser ces comportements, de les considérer comme des simples excentricités ou des traits de caractère particuliers. Mais en réalité, ce sont souvent les indices d’une quête beaucoup plus complexe et douloureuse de sens et de place dans le monde.

Peut-on vraiment hâter son propre éveil ou n’est-ce qu’une illusion de révolte intérieure ?

Dans le couloir, au moment de se séparer, il avait lancé cette phrase comme une proclamation intime : « Je suis vraiment un révolutionnaire. Je travaille pour la révolution. » C’était plus qu’un aveu, c’était un étendard qu’il brandissait dans le silence d’un bâtiment aux couloirs froids. Elle avait répondu avec une légèreté apparente mais un fond de vérité partagée : « Moi aussi. » Et, dans un élan soudain de joie, alors qu’il disparaissait au tournant du couloir : « Nous le sommes tous. » Mais cette déclaration soulevait déjà la question lancinante : y a-t-il vraiment une révolution ou ne sommes-nous que des milliers à faire semblant ? Et qu’adviendra-t-il lorsque ce semblant se sera joué assez fort et assez longtemps pour devenir une réalité ?

Autour d’une simple bougie, une nuit de printemps, ils étaient cinq — et deux chats — à se tenir serrés, à réfléchir dans le vacillement d’une flamme fragile. Si cette révolution existait, étaient-ils ses chefs ? Était-il possible que le simple fait de prétendre, de désirer assez, finisse par créer un monde nouveau ? Dans combien d’autres pièces, derrière combien d’autres murs, des êtres inconnus étaient-ils penchés sur la même flamme, caressant les mêmes rêves ? L’intuition était partagée : il faut de nouvelles voies, il faut des voies meilleures, et nous le savons tous.

Cette impatience qui les travaillait n’était pas seulement politique ou existentielle ; elle avait son miroir dans l’âme d’un autre personnage, Little John, éternel apprenti, « élu » mais encore enfant. À trente ans, il brûlait du désir de finir ses leçons, de mûrir enfin, d’être délivré des apprentissages du passé et de rejoindre les rangs des « dieux adultes ». Plus que le talent — qu’il avait —, c’était l’idée qui lui manquait : comprendre que l’accumulation des notes ne mène pas à la transformation si elle n’est pas appliquée. Son Guide, Samantha, le laissait se débattre dans cette impatience comme dans une mer lente : elle savait que nulle leçon ne peut être donnée sans être d’abord vécue.

Il revenait de ses voyages temporels, notamment de l’année 1381, persuadé qu’il pourrait y « vivre en dieu », qu’il suffisait d’endurance, qu’il suffisait de supporter. Mais Samantha insistait, patientait, le ramenait encore et encore dans cette époque, sous un autre angle, avec un autre rôle : tantôt paysan impuissant, tantôt noble cerné par ses privilèges. Elle cherchait à lui faire voir que le renoncement au pouvoir, lorsque le pouvoir est perçu comme un droit de naissance, est un acte plus difficile que de supporter l’oppression. Mais il ne retenait qu’une chose : son impatience à en finir.

Sa frustration culminait en listes de génies morts jeunes — Keats, Masaccio, Moseley — comme des preuves que l’accomplissement devait se faire avant trente ans. Mais il ne comprenait pas encore que l’éveil n’obéit pas aux âges ni aux calendriers, que ceux qui attendent d’être libres ne le seront jamais, et que la véritable révolution, celle qui transforme, n’est pas celle qu’on déclare mais celle qu’on incarne. Samantha, dans un trait d’ironie, le ramenait à cette évidence en évoquant Marlowe et Shakespeare comme si la durée, non l’urgence, était la véritable mesure de l’œuvre.

Ce qui se jouait là, dans les flammes des bougies et dans les voyages de Little John, n’était qu’un seul et même motif : la tentation de confondre le rêve et l’action, l’apprentissage et l’accomplissement. La croyance qu’on peut sauter les étapes du mûrissement, comme on franchirait un fleuve d’un bond, est une illusion persistante. Il n’y a pas de « 1970 » qui serve d’examen final et permette enfin de devenir ce que l’on rêve d’être. Il n’y a que le présent et l’usage qu’on en fait.

Qu'est-ce qui se cache derrière la vision du futur du métro de New York dans l'imaginaire de Woody ?

Woody se dirigea silencieusement vers le train, tandis que deux portes s’ouvraient devant lui. Il serra fort la main du robot, qui lui rendit un geste rassurant, et le guida sur la plateforme métallique, puis à bord du train. Un dernier regard en arrière, et la plateforme se retira, les portes se fermèrent comme un piège, et Woody était désormais engagé dans un voyage inéluctable. Il avait peur, comme vous pouvez l’imaginer. Il s’assit, nerveux comme un criquet, sur le siège à côté du robot. La noirceur filait derrière sa tête. Un bruit constant et modulé les accompagnait. Tous les passagers regardaient droit devant eux, feignant la solitude. Pourtant, ce train n’était pas un train de métro ordinaire, bien que maintenant il circulât sur une ligne locale obscure. Un panneau sur le mur en face de Woody portait une inscription : « Ce train, le Lyman R. Long, a été dédié lors de l'Exposition Universelle de New York, le 7 juillet 1939, comme le Train Métropolitain du Futur. »

En un clin d’œil, ils arrivèrent à la grande station centrale du métro de New York. Ils quittèrent le train du futur et s’aventurèrent dans l’agitation de ce monde souterrain aux plafonds élevés. Les murs étaient animés de textures et de couleurs vives. Tout en haut, dominant la station centrale, se trouvait une grande fenêtre en vitrail éclairée comme un panneau néon. Elle aussi célébrait les muses de la Science et de l'Industrie, mais dans une version bien plus imposante.

Cependant, Woody ne prêta aucune attention à cette merveille qui l'entourait. Il ignora les gens, les couleurs, la lumière, les magasins qui remplissaient les cavernes de la station. Il tenait fermement la main du robot et regardait droit devant lui. Tout autour de lui n’était qu’une distraction. Il se rendait à Brooklyn pour acheter à son père un Hersh 28K-916, afin qu’il puisse terminer son Redistributeur Dimensionnel et contrôler le monde. Si Woody se laissait distraire, il n’osait imaginer ce qui l’attendait. Ses directions disaient… et voilà qu’au bout du tunnel, le panneau indiquait : « À Brooklyn ». Dessous, une porte du train en plasteel était grande ouverte, attendant patiemment.

Le Lyman R. Long était la vision du futur de 1939, désormais relégué à une ligne locale. Mais voici la vraie modernité, l’avenir devenu présent. Ce train en apparence tranquille, immobile, semblait de plus en plus menaçant à chaque instant. Il était l’ultime seuil. Si Woody le franchissait, il serait englouti et emmené à Brooklyn. Il n’aurait plus de contrôle. Mais il n’avait pas le choix. Il devait rester sur le chemin, et ce chemin menait à Brooklyn. Passer la porte avait quelque chose de définitif, comme l’éclatement d’une bulle de savon. Ils s'assirent sur les deux derniers sièges disponibles. À peine assis, comme sur un signal, les portes se fermèrent automatiquement et silencieusement, et le train se mit en mouvement. Il s’enfonça sans bruit dans le tunnel sombre sous l’East River, plongeant dans l’inconnu.

Woody était paralysé par la peur. Il lui semblait qu’une main tordait son esprit, une autre lui serrait la gorge, une autre encore jouait avec son cœur, manipulant sa vie et son assurance. Et la seule main réelle qui était là était celle du robot, solide et rassurante, que son père, Woody Asenion, avait conçu pour le garder à l’abri des dangers. Woody serra cette main familière avec force. Il regarda la carte et les instructions qu’il tenait entre ses mains. C’était son talisman. Il n’avait pas quitté la voie. Tant qu’il restait sur la voie, il serait en sécurité.

Le train entra dans un virage brutal et les lumières de la voiture s’éteignirent, puis se rallumèrent. La porte entre les voitures s’ouvrit avec fracas, laissant place à un grincement aigu des roues en caoutchouc sur les rails, et trois jeunes gens surgirent dans la voiture. Ils étaient étranges, inconnus, et donc potentiellement dangereux. Ils n’étaient ni apprentis, ni secrétaires, ni stagiaires. Ils n’étaient pas militaires, ni étudiants. Ni modernes, ni conformistes. L’un était un garçon grand, maigre et élégant, vêtu d’un costume blanc extravagant, jouant avec une chrysanthème jaune. L’autre était petit, foncé, avec des cheveux bouclés et une allure mignonne, portant une chemise orange sous un doublet marron. La fille était habillée d’un pourpre éclatant, la robe fendue jusqu'à la cuisse, avec des cheveux noirs sévères et dramatiques.

L’introduction de ces personnages troublants marquait la rupture d’un univers structuré. La fille tourna autour du poteau en riant, le garçon enjoué la suivit et l’embrassa spontanément. Le garçon au costume blanc s’avança, ferma la porte derrière lui, et bénit les deux autres d’un tapotement sur la tête avec sa fleur. Il ne dit rien. Puis, il se tourna vers les autres passagers et les fixa, menaçant, avec son chrysanthème jaune.

Il y avait quelque chose de fascinant dans leur insouciance, une liberté de mouvement qui contrastait avec l’angoisse palpable de Woody, qui se cramponnait à sa voie. Il se concentrait sur la publicité au-dessus de sa tête pour le livre de bonnes manières d’Amy Vanderbilt, tentant de retrouver un semblant de normalité dans ce tourbillon chaotique. Le train était un microcosme de la société, un lieu clos où les règles étaient en train de se redéfinir sous ses yeux. La question du changement devenait inexorable : ce qui semblait être une anomalie, une distraction, était peut-être un signe d’une nouvelle forme d’ordre, un ordre plus fluide et moins rigide.

Dans cette voiture de métro, la modernité n’était pas seulement technologique, elle était aussi sociale et comportementale. Ce qui effrayait Woody n’était pas simplement le voyage lui-même, mais la transformation radicale du monde autour de lui. C’était un monde où les conventions de la normalité, de l’étiquette et de la structure s’effondraient au moindre souffle de liberté.

Comment la science-fiction reflète la transition vers un nouvel âge de l’humanité

La science-fiction a longtemps été perçue comme un miroir de nos peurs et de nos désirs les plus profonds, un genre qui, selon l'écrivain Barry Malzberg, est profondément ancré dans la paranoïa. Ses récits, comme celui de ses astronautes fous dans Beyond Apollo, semblent souvent capturer la déroute de l'esprit humain face aux avancées technologiques et aux désastres spirituels. Pourtant, tout ne se résume pas à cette vision paranoïaque. Dans un monde en constante évolution, certains écrivains ont su imaginer un avenir bien différent, plus lumineux et plein de promesses.

Des auteurs comme R. A. Lafferty, Fred Pohl, Jack Dann et d'autres ont esquissé des visions de l'avenir où l'humanité pourrait non seulement survivre, mais aussi s'épanouir, un avenir où les erreurs du passé sont corrigées et où un monde nouveau se profile. Des titres comme When All the Lands Pour Out Again ou The Gold at the Starbow’s End signalent un tournant. Ces histoires ne parlent pas seulement de ce qui nous attend, elles nous incitent à dire adieu à un "hier" déjà révolu et à regarder avec espoir vers un "demain" totalement inédit.

En 1974, il devient évident que toutes nos anciennes certitudes n’ont plus cours. Un changement radical est en marche. L’économie d’abondance qui caractérisait les États-Unis semble aujourd’hui confrontée à une pénurie inattendue. L’énergie devient une ressource précieuse, et la crise dans l’approvisionnement en énergie transforme déjà l’immense machine américaine. Les épreuves politiques de l'ère Nixon se sont soldées par des échecs et, finalement, par le procès de Nixon lui-même. Ceux qui étaient jadis les héros du système – les technocrates, les agents secrets – sont désormais rejetés. Tout devient fluide. Le passé est une époque révolue. Nous entrons dans une ère nouvelle, mais elle reste floue, encore difficile à saisir dans sa totalité.

À cette époque de transition, ceux qui sauront voir les nouvelles opportunités ne se sentiront pas déstabilisés par la rupture avec l’ancien ordre. Au contraire, pour ceux qui s’adaptent et grandissent, cette époque sera marquée par des aventures inédites. Les révolutions scientifiques en cours – en astronomie, physique, géologie, psychologie – s’annoncent comme un bouleversement total de nos idées sur la nature et l’histoire de l’univers, l’évolution de la vie sur Terre, l’émergence de l’homme et ses capacités intellectuelles. Ces révolutions, bien que pour l'instant encore floues, vont redéfinir la manière dont nous percevons le monde.

Mais ce n’est pas seulement dans le domaine scientifique que les changements se produisent. Le monde politique et économique, lui aussi, connaît une réorganisation radicale. Les structures financières mondiales et les systèmes commerciaux seront redéfinis. La course aux armements, qui semblait interminable, sera abandonnée, perçue comme une relique du passé. Le contrôle de la population à l’échelle mondiale deviendra une réalité. Et l’Organisation des Nations Unies, loin d’être l’outil de la politique étrangère américaine, verra son rôle et son efficacité croître, loin des influences des grandes puissances. Dans quinze ans, nos modes de vie, nos priorités, nos systèmes éducatifs auront radicalement changé. Le rêve d'un avenir technologique utopique des années 40 semble désormais appartenir à un passé lointain.

Il est important de reconnaître qu’à l’image des années 1860 – époque de l’émergence du capitalisme d’entreprise et de l’impérialisme européen – et des années 1930, marquées par la Grande Dépression et le New Deal, la science-fiction de notre époque doit aussi se réinventer. Le genre n’est plus celui des années 1940, lorsque des auteurs comme Heinlein, Asimov et van Vogt imaginaient des empires terriens, des robots positroniques et des routes sans fin. Le futur d'hier ne ressemble plus à celui d’aujourd'hui. Le monde que nous vivons aujourd’hui est bien loin de celui rêvé par les écrivains de l’époque, et cette réalité ouvre de nouvelles perspectives.

La dernière fois que la science-fiction a connu un tel bouleversement remonte aux années 1930. C’est à cette époque qu’apparaît Astounding, un magazine qui a radicalement transformé le genre, en abandonnant la prétention de se vouloir une simple vulgarisation scientifique. Des auteurs comme E.E. Smith, John W. Campbell, Jack Williamson et Stanley Weinbaum ont commencé à explorer des idées plus audacieuses et des mondes bien plus fascinants que ceux de la science-fiction précédente. Ils ont créé des histoires où l’univers n’était plus un espace vide à exploiter, mais un lieu peuplé de races étrangères aux capacités extraordinaires, humaines ou non. L'époque des inventions utopiques s’est estompée pour faire place à une nouvelle vision, celle d’un cosmos peuplé de possibilités infinies et de mystères à explorer.

De même, aujourd’hui, la science-fiction doit réinventer sa vision de l’avenir. Il ne s’agira plus de décrire un univers à conquérir, mais un univers riche, complexe, dans lequel l’humanité devra se positionner non comme conquérante, mais comme un acteur en dialogue avec d’autres formes de vie, d’autres intelligences. Ce sera un futur où les mots clés sont synergie, écologie, et évolution. Il s’agira d’une époque de libération, de maturation, de créativité et de croissance. Ce que nous découvrirons au fil de ces changements, nous ne le savons pas encore, mais l’excitation de cette découverte est palpable.

Les écrivains de science-fiction, dans leur quête de comprendre et d’imaginer ce nouveau monde, joueront un rôle crucial. Loin d’être un simple reflet du monde tel qu’il est, la science-fiction de demain sera une clé pour comprendre les complexités et les défis de ce monde en mutation. L’avenir, bien que flou, est déjà là, et la manière dont nous l’imaginerons influencera directement la manière dont nous le vivrons.