Lors de ses discours, Donald Trump n’a cessé de souligner une idée centrale : il avait "sauvé" l'Amérique. Cette notion, qu'il a développée tout au long de son mandat et surtout lors de ses rassemblements, a joué un rôle majeur dans la construction de son image présidentielle. Trump répétait fréquemment que sans lui, la nation se dirigeait droit vers la faillite économique, l’invasion d’immigrants illégaux, l'effondrement des systèmes de santé et la montée de la criminalité. Cette rhétorique, alimentée par ses nombreuses déclarations sur la "restauration" de l'Amérique, contribuait à forger une vision du pays où seule sa présence à la Maison-Blanche pouvait maintenir l'équilibre.

Les discours de Trump étaient empreints de certitudes absolues quant à la nécessité de sa réélection, souvent accompagnés de mises en garde apocalyptiques. Lors de ses rassemblements, il peignait un futur catastrophique où, sans lui, les États-Unis sombreraient dans le chaos. Par exemple, en 2019, il affirmait que si le pays n’était pas gouverné par ses soins, les marchés financiers s’effondreraient, les frontières seraient ouvertes aux migrants, et le pays serait envahi par la drogue et la criminalité. De tels discours étaient systématiquement accompagnés de déclarations où il se disait indispensable pour éviter la destruction de tout ce qu’il avait accompli.

Une autre facette de cette construction d’un récit héroïque était la narration d'anecdotes personnelles lors de ses rallies. Trump racontait fréquemment des histoires de "grands" hommes, forts et parfois émouvants, qui venaient le remercier de "sauver" le pays. Ces rencontres, qu’il décrivait de manière presque théâtrale, étaient souvent ponctuées de détails hyperboliques : des hommes massifs, apparemment insensibles à l’émotion, pleurant en lui disant qu’il avait sauvé l’Amérique. Que ces interactions aient eu lieu ou non devenait secondaire. L’objectif était de renforcer l’idée d’un héros qui redonne vie à une nation en crise.

Au-delà de ces récits, Trump a utilisé l'idée de la "chute" imminente pour mobiliser les électeurs. La menace de la perte de tout ce qu’ils avaient construit – des baisses d’impôts à la sécurité nationale – était constamment brandie pour justifier sa réélection. Lors de ses discours, Trump n'hésitait pas à affirmer que tout ce qui avait été accompli pourrait être "anéanti en un instant" si les mauvaises personnes arrivaient au pouvoir. Ce type de discours visait à attiser une peur profonde chez ses partisans : celle d’une Amérique dévastée sans lui à la tête.

Dans ce cadre, l’"exceptionnalisme" de Trump était le fil conducteur de sa stratégie de communication. Il s’efforçait de s’ériger en sauveur de la nation, un leader dont la présence en tant que président était la seule condition pour garantir la prospérité de l'Amérique. Pour lui, il ne s’agissait pas simplement de gérer le pays, mais de l'empêcher de se laisser "détruire" par ses adversaires politiques. La rhétorique de la survie – le pays se perdrait sans lui – était omniprésente.

Cette idée, déjà lancée dès son discours d’investiture en janvier 2017, s'est inscrite dans la continuité de ses engagements de campagne. Là, il avait lancé un appel aux "citoyens américains", promettant de restaurer la grandeur du pays. Il a souligné que des "défis" attendraient la nation, mais que, ensemble, ils les surmonteraient. En revanche, ce qui a suivi a pris une tournure bien différente : Trump n’a jamais cessé de parler en termes de confrontation et de victoire personnelle, où tout ce qu'il accomplissait relevait de son propre mérite. Cela allait au-delà de l’idée de gouverner pour le peuple ; Trump cherchait avant tout à établir une relation où lui-même et l’Amérique devenaient indissociables, deux entités destinées à se réussir mutuellement.

Il est important de comprendre que ce type de rhétorique joue sur une forme de dépendance psychologique à l’égard du leader. Trump a cultivé l’idée qu’il était non seulement un rempart contre la dégradation de la nation, mais aussi une incarnation de la nation elle-même. Son succès, ou son échec, allait définir l’avenir des États-Unis. Cela crée un dilemme pour ses partisans : dans une telle configuration, l’alternative à Trump devient non seulement un échec politique, mais une menace existentielle.

La manière dont Trump a présenté sa présidence n’était pas simplement une politique de division ou d’accusation de l’opposition. C’était une construction idéologique dans laquelle il se percevait comme l’indispensable garant du bien-être et de la sécurité de la nation. Il a habilement transformé la politique en une question de survie, où le peuple n’avait "pas le choix" que de le soutenir, sous peine de tout perdre. C’était une stratégie d’auto-valorisation, mais aussi de renforcement de son pouvoir, en minimisant les alternatives à sa gouvernance.

Qui représente réellement la volonté du peuple américain ? Trump et l'illusion d'un gouvernement "par le peuple, pour le peuple"

Donald Trump, une fois devenu président, a habilement consolidé une stratégie populiste qui le présentait comme l'unique représentant légitime de la volonté du peuple américain. Selon cette logique, ceux qui s'opposaient à lui, qu'ils soient membres du Congrès ou journalistes, incarnaient l'opposition à cette volonté populaire. L'argument était simple : si Trump était l'incarnation du peuple, ses détracteurs étaient des ennemis de ce même peuple.

Il est important de souligner que cette stratégie n'était pas nouvelle. Dès ses premiers pas dans la course à la présidence en 2016, Trump avait déjà ciblé l'élite politique de Washington, qu’il désignait comme la cause principale des maux de l'Amérique. Cependant, cette idée de s'assimiler au peuple se cristallisa véritablement après sa nomination officielle en tant que candidat républicain. Le point culminant de cette transformation fut son discours d'acceptation à la Convention nationale républicaine le 21 juillet 2016. Là, Trump fit une déclaration marquante : "Je choisis de réciter un autre serment. Mon serment est celui-ci : 'Je suis avec vous — le peuple américain'. Je suis votre voix."

Dès lors, Trump se positionna systématiquement comme l'unique voix des citoyens, affirmant qu'il n'était pas un simple politicien, mais un catalyseur de changement. Cette affirmation de pouvoir par le peuple se traduisit par des slogans puissants tels que « Nous allons assécher le marais à Washington » ou encore « Nous allons avoir un gouvernement de, par et pour le peuple ». Ses messages se multipliaient à travers des déclarations et des hashtags comme "Make America Great Again" et "I’m with you". Il se présentait alors comme un homme de l’action, celui qui, après avoir pris le pouvoir, allait restaurer l'Amérique à sa grandeur passée, débarrassée des élites corrompues et des intérêts spéciaux.

Cependant, ce discours populiste soulève plusieurs questions essentielles. En se déclarant le seul représentant légitime du peuple, Trump omettait délibérément de préciser de quel peuple il parlait. Sa vision de l'Amérique semblait s’imposer comme une vérité incontestable, où les voix dissidentes ou les divergences d’opinions politiques étaient systématiquement rejetées comme étant l'œuvre de l'élite déconnectée du peuple. Ainsi, dans ses discours et ses tweets, il ignorait souvent la pluralité d'opinions et d'intérêts qui existent réellement au sein de la population américaine.

La notion de "gouvernement par le peuple" que Trump prônait ne semblait pas intégrer la réalité complexe d'un système démocratique, où la gouvernance repose sur un dialogue continu entre les représentants élus de différents partis. Loin de favoriser la discussion et la coopération entre les diverses forces politiques, Trump prétendait, au contraire, incarner seul la volonté populaire. C'était là une simplification dangereuse, qui éliminait toute nuance dans le débat politique et rendait difficile toute forme de compromis nécessaire au bon fonctionnement d'une démocratie.

Un exemple de cette approche fut son discours du 30 janvier 2019, lors de son adresse à la nation, où il déclara : « L'agenda que je vais exposer ce soir n'est pas un agenda républicain ou démocrate. C'est l'agenda du peuple américain. » Il présumait ainsi que sa vision était celle de tous, gommant les différences entre les citoyens et les groupes d'intérêt. Pourtant, il n'était pas un reflet fidèle de la diversité des attentes du peuple, comme le démontrait la réalité des élections de 2016, où il avait perdu le vote populaire tout en remportant le collège électoral.

Une autre facette de cette stratégie résidait dans son rapport aux médias et à ses opposants. Trump n’hésitait pas à les désigner comme des ennemis du peuple. En qualifiant les médias de « fake news » et de « l’ennemi du peuple », il cherchait à délégitimer toute forme de critique ou d’opposition. Pour lui, les journalistes et les politiciens qui ne le soutenaient pas étaient de facto contre le peuple, une stratégie qui alimentait la polarisation et renforçait son image de défenseur des intérêts populaires face à un système supposé corrompu.

Enfin, la promesse de "restaurer le pouvoir au peuple" se heurtait à la réalité des pratiques politiques de Trump. Bien qu'il clame être l'outil d'une révolution populaire, ses actions, en particulier ses décisions de politique intérieure et étrangère, ont souvent mis en lumière des choix unilatéraux, dictés par ses propres convictions plutôt que par un véritable processus démocratique impliquant tous les citoyens. Son gouvernement était également marqué par une forte concentration de pouvoir, avec des décisions qui semblaient refléter avant tout ses propres intérêts ou ceux de ses alliés, plutôt que ceux du peuple dans son ensemble.

Il est essentiel de comprendre que la démocratie américaine, comme toute démocratie, repose sur un équilibre des pouvoirs, la diversité des opinions et un dialogue constant entre différentes voix. Le populisme tel que promu par Trump, bien qu'efficace pour mobiliser certaines franges de la population, a souvent eu pour effet de diviser davantage la société américaine et de remettre en question les fondements mêmes de sa gouvernance démocratique. La tentation de simplifier à l'extrême des problématiques complexes sous prétexte de représenter le peuple, tout en éliminant les dissensions, est une dérive qui mérite d’être scrutée avec attention.