Les inscriptions de Gadhwa, datant du règne de Kumaragupta I, témoignent d’investissements financiers réalisés au sein de deux guildes pour le maintien des "sattras" (maisons d'aumône). Ces archives offrent un aperçu de la gestion des biens et des rentes dans l’Inde Gupta, notamment à travers le financement de projets religieux et communautaires. Un autre exemple pertinent est l’inscription de Skandagupta à Indore (année Gupta 146, soit 465 après J.-C.), où un brahmane, Devavishnu, fait une dotation pour assurer l’entretien d’une lampe perpétuelle dans un temple de Surya. Ce temple, selon le texte, a été construit par deux marchands locaux, Achalavarman et Bhrikunthasimha. L'argent pour l’entretien des lampes a été confié à une guilde de fabricants d'huile, dirigée par Jivanta, qui devait garantir l'approvisionnement en huile pour l’éclairage du temple, même en cas de migration de la guilde.

Le critique économique R. S. Sharma soutient que la période Gupta et post-Gupta a connu un déclin de l’économie monétaire, malgré l'émission d'une grande quantité de pièces d'or par les Gupta, mais relativement peu de pièces d'argent et de cuivre. De plus, bien que l'on ait longtemps cru que les Vakatakas ne frappaient pas de monnaies, des découvertes récentes ont remis en question cette hypothèse. Bien que les pièces d'or et d'argent n'aient pas été retrouvées, plusieurs pièces de cuivre associées à cette dynastie ont été documentées. Celles-ci présentent des tailles, formes et poids variés, avec souvent le nom abrégé du roi sur l'avers et un motif géométrique ou animal sur le revers.

Le contexte économique de l’époque, en particulier celui des prêts et de l'usure, est également bien documenté. Les textes comme le Narada Smriti (1.46-47) évoquent la richesse acquise par l'usure, qualifiée de « richesse tachetée » ou « noire ». Ces textes sur les pratiques usuraires précisent des règles détaillées concernant les contrats de prêts, les taux d’intérêt, les types de garanties, ainsi que les implications des défauts de paiement. Par exemple, les prêts garantis peuvent comporter un taux d’intérêt annuel de 15%, tandis que les prêts non garantis sont assortis de taux beaucoup plus élevés. En outre, la Brihaspati Smriti (10.67) indique que lorsque la valeur d'un bien immobilier a dépassé le principal du prêt, le débiteur doit automatiquement récupérer le gage. Les conséquences d'un défaut de paiement sont graves, le débiteur étant même censé renaître en tant qu'esclave dans la maison de son créancier pour expier la dette par le travail, comme le stipule le Narada Smriti (1.7-8).

Le commerce maritime, un pilier de l’économie de l'Inde ancienne, est bien illustré par des textes tels que ceux de Cosmas, qui mentionne plusieurs ports de la côte ouest de l’Inde comme Calliena (Kalyan), Sibor (Chaul), et Malabar, ainsi que des villes importantes sur la côte est telles que Tamralipti en Bengale. Ces ports étaient non seulement reliés à la Perse, à l’Arabie et à Byzance, mais aussi à la Chine et au Sud-Est asiatique. Faxian décrit les dangers de la route maritime entre l'Inde et la Chine, tandis que les moines qui se rendaient en Chine suivaient probablement les routes des marchands caravaniers, via l'Asie centrale.

Les produits indiens qui ont voyagé jusqu'à la Chine et au-delà comprenaient des pierres précieuses, des perles, des textiles fins, du safran, des épices comme le poivre, ainsi que des aromates. La soie chinoise, malgré l’existence de la production locale de soie en Inde, continuait d’être largement importée, notamment en raison des différences techniques dans la production de la soie. En Inde, la soie produite à partir des cocons de vers sauvages était moins lisse et brillante que celle fabriquée à partir des vers de mûrier, une technique qui ne fut introduite en Inde que bien plus tard, au XIIIe siècle, par des immigrants d'Asie centrale. De ce fait, la soie indienne n’a jamais été un produit majeur d'exportation. La soie chinoise, en revanche, est restée un article de luxe, très prisé par les élites indiennes et présent dans les échanges diplomatiques.

Le rôle de l'Inde dans les réseaux commerciaux maritimes du Sud-Est asiatique a été également fondamental. De nombreuses traditions sud-est asiatiques, notamment en Birmanie et au Cambodge, affirment que leurs premiers rois étaient d’origine indienne, voire descendants de sages et de brahmanes de l’Inde antique. Les échanges de langues, de religions et de systèmes d’écriture entre l'Inde et le Sud-Est asiatique remontent à plusieurs siècles, avec des inscriptions en sanskrit et en pali sur des pierres dès le IVe siècle, qui marquent le début de l’implantation de la culture indienne dans cette région. En effet, au-delà des influences religieuses et philosophiques, la sculpture et l'architecture du Sud-Est asiatique ont été profondément influencées par les styles indiens, tout en restant adaptées aux goûts et idiomes locaux.

Les ports du Sud de l'Inde ont donc joué un rôle clé dans ces échanges. Dans les épopées tamoules, comme le Silappadikaram, Madurai et Kaveripattinam sont des centres commerciaux prospères, où des tissus en coton, en soie et en laine étaient échangés, et où des marchands effectuaient des voyages en mer vers des destinations comme le Sri Lanka et Java. Ces récits commerciaux, bien que mythifiés, témoignent de la prospérité de ces ports, qui étaient des carrefours de biens et de cultures.

Les dynamiques économiques et commerciales de l'Inde ancienne, notamment les interactions entre monnaie, usure, commerce et religion, témoignent d’une société en constante évolution, façonnée par des pratiques commerciales sophistiquées et des échanges culturels transcontinentaux. Cette complexité économique et culturelle a jeté les bases des relations durables entre l'Inde et ses voisins d’Asie du Sud-Est, dont les traces sont encore visibles dans les paysages et les cultures actuelles de cette région.

Le Temple de Durga à Aihole et la Diffusion du Tantra au Moyen Âge

Le temple de Durga à Aihole, datant probablement des années 725–730, demeure un des monuments les plus mystérieux de l’architecture médiévale indienne. Bien que son nom évoque la déesse Durga, le temple ne lui est pas dédié. Sa structure, qui allie des éléments de l’architecture dravidienne et nagara, fait l’objet de débats parmi les historiens de l’art. L’absence de certains éléments caractéristiques, comme la présence d’un mandapa dédié au taureau Nandi, traditionnel dans les temples Shaiva, rend difficile l’identification du temple à une divinité spécifique.

Le temple présente un programme sculptural particulièrement varié, incluant des représentations de Shiva, Vishnu, et même des formes hybrides comme Hari-Hara, la fusion des deux divinités. Ce mélange de figures divines a conduit certains chercheurs à suggérer que le temple pourrait avoir été consacré au dieu solaire Aditya (Surya), une hypothèse qui trouve des appuis dans certaines inscriptions et représentations du dieu solaire retrouvées dans le temple. Toutefois, la singularité de sa forme apsidale, utilisée dans l’architecture religieuse de différentes sectes comme les Ajivikas, les Jaïns et certains courants hindous, complique la tâche des spécialistes dans l’identification définitive de sa fonction originelle.

Au-delà de son architecture, le temple de Durga à Aihole illustre la complexité du paysage religieux médiéval indien. Dans cette période de l’histoire, les cultes tantriques, et notamment ceux associés à Shiva, s’intègrent et s’adaptent aux structures politiques et religieuses déjà en place. La tradition Shaiva, qui se distingue par la diversité de ses pratiques et de ses sectes, offre un exemple frappant de cette dynamique. Les deux principales voies de l’initiation tantrique Shaiva sont l'Ati-marga et le Mantra-marga, chacune possédant ses spécificités et ses objectifs spirituels. Tandis que l'Ati-marga s'adresse exclusivement aux brahmanes et se concentre sur la purification et la libération spirituelle à travers l’ascétisme, le Mantra-marga, plus inclusif, est ouvert à tous les groupes sociaux, et ses pratiquants poursuivent la quête de pouvoirs surnaturels (siddhis), de transformation de l’âme, et de libération. Ce dernier inclut des traditions exotiques et ésotériques qui font la part belle à des pratiques ritualisées parfois très éloignées des rites brahmaniques classiques, telles que les rites sexuels ou les offrandes sanglantes.

Le tantrisme, loin de contredire directement les traditions védiques, cherche plutôt une forme de compromis. Tandis que les sectes tantriques reconnaissent l’autorité des Vedas et des textes smritis, elles soutiennent que la véritable libération ne peut être atteinte que par les voies spécifiques de Shiva ou de Vishnu. Le tantrisme s'illustre notamment par sa vision cosmologique où la déité divine est perçue comme l'union de principes masculins et féminins, incarnés respectivement par Shiva et Shakti. Cette vision dualiste se retrouve au cœur de la spiritualité tantrique, qui cherche à transcender les distinctions et à unir le pratiquant à la divinité par des rituels puissants et souvent déroutants pour l’extérieur.

À l’époque médiévale, la montée en popularité des cultes Shaiva et Vaishnava s’accompagne de la reconnaissance de diverses écoles philosophiques qui se développent autour de ces traditions. Les Agamas, considérés comme des textes sacrés dans les écoles de Shaiva Siddhanta et de Shivaïsme du Cachemire, sont l’un des piliers de cette pensée, mettant l’accent sur la dévotion (bhakti), la pratique rituelle (kriya), et la discipline yogique (charya). Pour les adeptes de ces traditions, la bhakti envers Shiva surpassait même la performance des sacrifices védiques, une position qui trouvait souvent écho dans les cercles politiques, où les rois se proclamaient dévots de Shiva ou de Vishnu tout en continuant à soutenir les brahmanes védiques.

Les temples de cette époque, y compris celui de Durga à Aihole, ne sont pas seulement des lieux de culte, mais aussi des symboles de cette fusion complexe entre les anciennes pratiques religieuses et l’émergence de nouvelles voies spirituelles. Les rois, qui soutenaient activement ces cultes, en faisaient souvent des instruments de légitimation politique, en multipliant les dons de terres aux brahmanes védiques tout en renforçant leur position à travers l’adoration de divinités populaires telles que Shiva ou Vishnu.

Ce contexte complexe des cultes tantriques et des dynamiques religieuses médiévales soulève des questions profondes sur les rapports entre politique, religion et spiritualité dans l’Inde ancienne. Le temple de Durga à Aihole, en tant qu’illustration de ces interactions, incarne non seulement les questionnements architecturaux, mais aussi les transformations profondes qui traversaient la société de l’époque.

Quel était le rôle de l’écriture dans la civilisation Harappéenne ?

La zone de la culture Harappéenne, riche en traditions artisanales variées et bien développées, a permis une large disponibilité des biens nécessaires à la vie quotidienne des Harappéens. Les matières premières et certains produits provenaient d’autres parties du sous-continent indien, ainsi que d’Afghanistan et d’Asie centrale. Cependant, très peu de produits essentiels devaient être importés de régions lointaines. Le commerce Harappéen a sans doute impliqué des groupes marchands hautement organisés, ainsi que des colporteurs nomades dans les régions montagneuses. L'étendue du contrôle de l'État sur ces activités demeure un sujet de débat parmi les chercheurs.

L’un des plus grands mystères de la civilisation Harappéenne est la langue (ou les langues) qu'ils parlaient et leur système d'écriture. Il est probable que les habitants des différentes régions de la zone Harappéenne parlaient des langues et dialectes distincts. L’écriture, retrouvée sur les sceaux, appartenait probablement à la langue de l’élite dirigeante. Certains chercheurs ont suggéré que cette langue faisait partie de la famille indo-aryenne, mais Iravatham Mahadevan et Asko Parpola ont fourni des preuves substantielles en faveur de l’hypothèse selon laquelle la langue Harappéenne faisait partie de la famille Dravidienne. Un argument avancé par Steve Farmer et al. (2004), selon lequel les Harappéens utilisaient des symboles non linguistiques sans véritable système d'écriture, a été réfuté de manière convaincante par Parpola en 2008. Plus de 6 000 objets inscrits ont été retrouvés sur les sites Harappéens, principalement à Mohenjodaro et Harappa, représentant environ 87 % de tout le matériel inscrit connu. La plupart de ces inscriptions sont courtes, avec une moyenne de cinq signes, et le plus long texte contient 26 signes.

Le système d'écriture Harappéen semble être apparu sous une forme déjà pleinement évoluée et n’a montré aucun changement significatif au fil du temps. Cette observation pourrait cependant être le résultat des lacunes des fouilles antérieures, qui n’ont pas toujours pris en compte le contexte stratigraphique des objets, rendant difficile la distinction entre les échantillons anciens et récents. Le script Harappéen, principalement logo-syllabique, comptait environ 400 à 450 signes de base et était généralement écrit de droite à gauche, bien qu’il y ait quelques exceptions où l'écriture était de gauche à droite, ainsi que des inscriptions en style boustrophédon, où les lignes consécutives commençaient dans des directions opposées.

Quant aux objets inscrits, la plupart d’entre eux étaient des sceaux ou des empreintes de sceaux, souvent trouvés en grand nombre. Ces sceaux, qui semblaient parfois être utilisés pour authentifier les marchandises des marchands, servaient aussi à diverses autres fonctions, telles que des amulettes ou des marqueurs d'identité pour les personnes importantes comme les propriétaires terriens, les marchands, les prêtres et les dirigeants. Les sceaux brisés étaient probablement rendus inutilisables afin d’empêcher leur mauvais usage. L’utilisation de l’écriture pour des objets tels que les tablettes de cuivre, la poterie, et même les bijoux en or révèle un large éventail de contextes dans lesquels l’écriture était utilisée, notamment dans le domaine économique et rituel. Par exemple, l’inscription sur certains objets personnels, comme les bracelets, les outils ou les perles, pourrait avoir eu une signification religieuse ou magique.

Un autre élément intéressant est la découverte de la « planche de signes » de Dholavira, qui suggère une utilisation civique de l’écriture, bien qu’elle ne prouve pas nécessairement un haut niveau d’alphabétisation urbaine. En comparaison avec les civilisations mésopotamienne et égyptienne, le matériel écrit de la civilisation Harappéenne semble être considérablement moins abondant en termes de longueur et de volume, ce qui pourrait indiquer que seuls une fraction des écrits Harappéens nous ont été transmis, une grande partie de ces écrits ayant été réalisée sur des matériaux périssables.

En ce qui concerne les pratiques religieuses et funéraires, les éléments fondamentaux de ce que l'on pourrait appeler la « religion Harappéenne » ont été esquissés dès 1931 par John Marshall. Bien que certaines de ses interprétations puissent être critiquées, en particulier son inclination à relier certains aspects de la religion Harappéenne aux éléments du hindouisme plus tardif, Marshall a cependant réussi à identifier plusieurs traits significatifs de la religion Harappéenne. L’un des principaux traits observés est l’importance accordée aux déesses féminines associées à la fertilité, un élément essentiel pour les sociétés agricoles. Cette interprétation est renforcée par la découverte de nombreuses figurines en terre cuite représentant des femmes, ce qui suggère que le culte des déesses était central dans les pratiques religieuses de cette civilisation.

Il est essentiel de comprendre que l’écriture Harappéenne, bien que mystérieuse et largement incomplète, joue un rôle central dans la reconstitution de la vie quotidienne, des croyances et des structures sociales de la civilisation Harappéenne. Ce qui reste obscur, cependant, c'est la véritable étendue de l'alphabétisation et la portée des usages de l'écriture dans la société. Le lien entre les symboles, les motifs et les écrits sur les sceaux, ainsi que l’utilisation de ces objets dans le commerce, les rituels religieux, et même dans les pratiques funéraires, reste un sujet d’étude fascinant et toujours en développement.