Les adorateurs de Trump, souvent qualifiés de sécuritariens, expriment une sensibilité particulière aux menaces extérieures, mais cette sensibilité ne se manifeste pas toujours sous la forme classique d’un sentiment direct de danger. Par exemple, si 80 % des libéraux se sentent menacés par les racistes, seuls 40 % des adorateurs de Trump partagent ce sentiment. De même, ils sont nettement moins enclins à ressentir une menace liée aux inégalités de revenus ou aux conservateurs, comparés aux libéraux. Ce qui caractérise avant tout les sécuritariens, c’est leur préoccupation constante à protéger un groupe d’« insiders », qu’ils considèrent comme menacé non seulement par des étrangers, mais aussi par ceux qui, selon eux, abusent des ressources destinées à ce groupe, comme les bénéficiaires d’aides sociales non méritées.

Ce paradigme explique la méfiance envers les politiques redistributives ou celles offrant des soins de santé aux plus démunis, perçues comme profitant aux « outsiders » et affaiblissant les « insiders ». Par exemple, l’administration Trump a proposé en 2019 de limiter l’immigration aux personnes capables de se prendre en charge financièrement, modifiant ainsi symboliquement le message de la Statue de la Liberté pour exclure les « fatigués » et les « pauvres » incapables de ne pas devenir une charge publique.

Ce qui différencie fondamentalement les adorateurs de Trump des autres groupes politiques, c’est que leur peur se concentre sur des menaces humaines et identifiables, en particulier les immigrants, plutôt que sur des menaces abstraites ou impersonnelles telles que les catastrophes naturelles ou les inégalités économiques. Ainsi, alors que 40 % des conservateurs non adorateurs de Trump se sentent menacés par les immigrants, ce chiffre atteint 75 % chez les adorateurs de Trump.

Pourtant, ce sentiment de menace n’est pas la seule motivation de leur désir de réduire l’immigration. Même ceux qui ne se sentent pas directement menacés par les immigrants souhaitent majoritairement limiter leur entrée aux États-Unis. L’analyse des données révèle que 89 % des adorateurs de Trump qui ne ressentent pas de menace immédiate sont pourtant favorables à une réduction de l’immigration. Cela traduit une position idéologique profondément ancrée : les sécuritariens considèrent qu’il est de leur devoir de limiter l’influence des étrangers, indépendamment d’un sentiment subjectif de peur.

De plus, la perception des immigrants joue un rôle central. Les répondants ayant une opinion négative sur les immigrants, quel que soit leur camp politique, tendent à vouloir réduire l’immigration. Mais là où les adorateurs de Trump se distinguent, c’est par leur volonté forte de restriction même en l’absence d’une perception favorable des immigrants. Cette attitude révèle que pour eux, la lutte contre l’immigration est un impératif idéologique, fondé sur la protection de l’identité et des ressources du groupe intérieur, plus que sur une évaluation rationnelle ou émotionnelle des menaces.

En somme, le discours sécuritaire des adorateurs de Trump illustre un mécanisme psychologique où le rejet des étrangers ne dépend pas uniquement du ressenti de menace immédiate, mais s’appuie sur une vision du monde où ces étrangers représentent une source de chaos et d’anarchie. Cette vision est moins une peur contingente qu’une conviction identitaire. La peur est ainsi orientée vers des « outsiders » perçus comme intrinsèquement dangereux, et cela conditionne des positions politiques fermes, notamment en matière d’immigration.

Il est important de comprendre que cette dynamique ne peut être réduite à une simple peur irrationnelle. Elle s’inscrit dans une construction idéologique plus vaste où la défense d’un groupe intérieur, défini par des frontières symboliques et culturelles, devient prioritaire. Ce cadre mental explique pourquoi les politiques de limitation de l’immigration sont soutenues même en l’absence d’une menace perçue, car la lutte contre les « outsiders » est vue comme une mission quasi morale.

Enfin, il faut garder à l’esprit que cette approche sécuritaire s’accompagne souvent d’une défiance vis-à-vis des élites établies, perçues comme corrompues ou distantes des préoccupations des « insiders ». Ce sentiment amplifie l’impression d’un monde dangereux, mais dont la menace principale viendrait non pas des catastrophes naturelles ou des crises systémiques, mais bien des forces humaines extérieures, souvent personnifiées par les immigrants et ceux qui les soutiennent.

Pourquoi certains soutiens de Trump veulent-ils réduire l'immigration, même s'ils estiment que les immigrés sont bénéfiques ?

Il existe une contradiction flagrante, mais révélatrice, dans les attitudes de certains fervents soutiens de Donald Trump à l’égard de l’immigration. Même lorsqu’ils reconnaissent que les immigrés ne constituent pas une menace économique ou criminelle et qu’ils contribuent positivement à la société américaine, ils soutiennent néanmoins fermement la réduction de l’immigration. Ce paradoxe met en lumière une logique profondément enracinée, non pas dans la réalité perçue des faits ou des statistiques, mais dans une conception identitaire du monde social.

L’attachement des "Trump venerators" à l’idée d’un espace national homogène, stable, moralement unifié, est tel que la simple présence de personnes perçues comme "extérieures" — même bienveillantes, utiles ou intègres — est vécue comme une forme de dissolution du tissu social. L’hostilité à l’immigration ne repose donc pas principalement sur la peur explicite de la criminalité ou de la compétition économique, mais sur un réflexe de clôture culturelle, morale et identitaire. Il ne s’agit pas tant de rejeter des individus, que de rejeter l’altérité elle-même.

Ainsi, le sentiment de menace n’est pas nécessairement rationnel ou lié à une expérience directe. Il se structure autour d’une volonté de préservation d’un "nous" idéalisé, soudé, où l’uniformité est perçue comme garante de sécurité. Refuser l’immigration, même bénéfique, revient à préserver l’intégrité symbolique de la communauté imaginée. D’une certaine manière, la menace ressentie n’est pas celle que représentent les immigrés, mais celle que représente le fait même de devoir coexister avec l’altérité.

Ce même schéma mental se retrouve dans les niveaux de méfiance déclarés à l’égard des "outsiders" : une majorité significative de ces partisans considère qu’il faut par défaut se méfier de ceux qui ne font pas partie de leur groupe. La confiance, dans leur vision du monde, ne se mérite pas a posteriori, elle se refuse a priori. Une telle posture n’est pas seulement stratégique ou défensive, elle est idéologique. L’idée que "personne ne peut être digne de confiance" devient alors un principe structurant de l’ordre moral. L’étranger — l'immigré, l’autre racial ou culturel — devient l’incarnation abstraite d’un désordre potentiel, même sans preuve de ce désordre.

Ce rejet de l’altérité se prolonge aussi dans les attitudes raciales. Les données montrent une forte corrélation entre l’intensité du soutien à Trump et la tendance à attribuer les inégalités raciales non pas à la discrimination systémique, mais à un manque d’effort individuel de la part des Noirs américains. Plus le soutien est fort, plus la croyance selon laquelle "les Noirs n’essaient pas assez" est acceptée. Ce déplacement des causes, du structurel vers le personnel, permet de nier la légitimité des revendications d’égalité tout en se drapant dans une rhétorique de mérite et d’effort.

Parallèlement, la croyance dans l’infériorité intrinsèque des Noirs, bien qu’ouverte­ment minoritaire, augmente nettement chez les fervents partisans de Trump : près d’un sur quatre affirme que les Noirs sont moins talentueux ou capables que les Blancs. Ce chiffre, bien qu’en minorité relative, reste frappant dans sa constance à travers les différents indicateurs de racisme explicite.

En ce qui concerne les femmes, les attitudes sont plus ambivalentes. Si une certaine nostalgie d’un ordre hiérarchique traditionnel entre les sexes demeure — notamment via le sexisme bienveillant, qui prône la protection des femmes comme justification de leur subordination — le rejet des droits féminins semble moins généralisé que le rejet des minorités raciales. On constate néanmoins que l’adhésion à des idées selon lesquelles les droits des femmes seraient allés "trop loin" est bien plus fréquente parmi les soutiens de Trump, témoignant d’une conception du progrès social comme menace à l’ordre naturel ou moral perçu.

Ce qui transparaît au travers de ces attitudes n’est pas une hostilité circonstancielle ou un simple désaccord politique. Il s’agit d’une structure de pensée profondément enracinée, dans laquelle la cohésion morale du groupe passe par l’exclusion ou la dévalorisation symbolique de l’autre. L’attachement à l’ordre, à la pureté, à la stabilité sociale perçue, prime sur toute considération d’équité, d’ouverture ou de reconnaissance des apports extérieurs. Ainsi, même lorsque les faits ne justifient pas la peur, la peur pers

Les divisions idéologiques : Sécuritaires contre Unitaristes dans l'ère post-Trump

De plus en plus, les conflits mondiaux ne se construisent plus autour de simples oppositions entre ceux qui sont à l'extérieur et ceux qui sont à l'intérieur, mais plutôt entre ceux qui soutiennent les insiders et ceux qui soutiennent les outsiders. Bien sûr, les affrontements entre sunnites et chiites, hutus et tutsis, pashtounes et hazaras, ou encore yooks et zooks perdureront encore longtemps ; néanmoins, de plus en plus de conflits se concentrent non pas sur la question de savoir qui est ou non un outsider, mais sur la manière dont les individus soutiennent les causes des outsiders.

Pour un sécuritaire, la seule chose pire que les menaces venues de l'extérieur est l'attitude de certains insiders qui refusent d’embrasser sans réserve leur appartenance à ce groupe. Ce qui se joue aujourd’hui dans de nombreuses sociétés, ce n’est plus simplement la démographie, mais l’idéologie. Ce clivage devient d’autant plus marqué lorsque l’on observe les nouvelles lignes de fracture qui émergent entre ceux qui cherchent à intégrer les outsiders et ceux qui souhaitent les exclure. Ainsi, les sécuritaires, attachés à la sécurité des insiders et à l’homogénéité, se retrouvent souvent en conflit avec les unitariens, qui cherchent à défendre les droits des outsiders. En fin de compte, l’idée même d'outsiders devient secondaire par rapport à l’idéologie qui structure la vision de chacun sur ce sujet.

Les données présentées dans le chapitre 5 montrent que 75 % des partisans de Trump se sentent menacés par les immigrants. Ce chiffre est élevé, mais il est important de noter qu’un pourcentage quasiment identique de ces mêmes personnes, soit 74 %, se sentent menacés par les libéraux. Ce phénomène n’est pas propre aux partisans de Trump : 68 % des libéraux se sentent menacés par ceux qui n'ont pas accès aux soins de santé, et 69 % se sentent menacés par les conservateurs. Ce fossé idéologique, souligné par des chercheurs comme Shanto Iyengar et Sean Westwood, montre que de plus en plus de personnes préféreraient voir leurs enfants épouser quelqu’un d’une autre race plutôt que d’une autre idéologie. Qu'est-ce qui explique cette antipathie ?

Il est essentiel de comprendre que les sécuritaires et les unitariens ont des missions opposées, et ces missions sont rendues plus difficiles par l'existence de l'idéologie adverse. Les sécuritaires sont intolérants vis-à-vis des unitariens car ces derniers compliquent leur tâche de préservation des insiders. En revanche, les unitariens trouvent insupportable l'attitude des sécuritaires, qui rendent plus difficile la tâche d'accueillir et d'intégrer les outsiders vulnérables. Dans cette dynamique, le concept même d’outsiders devient une construction nécessaire pour chaque groupe, chaque côté se nourrissant de l’idée de l’existence de l’autre pour justifier sa propre position.

Imaginons qu'un sécuritaire soit confronté à deux options : la première, vivre dans un quartier extrêmement diversifié où tous les habitants sont fermement partisans des droits des armes, de l'augmentation des dépenses de défense, des murs à la frontière, des impôts plus bas, du patriotisme et de l'ordre public. La seconde, vivre dans un quartier composé uniquement de chrétiens blancs hétérosexuels, employés et respectueux des lois, mais tous fervents défenseurs de l’ouverture des frontières, des dépenses pour l’aide étrangère, des droits des criminels, des Nations Unies, du contrôle strict des armes et des taxes plus élevées pour les riches. Dans quel quartier croyez-vous qu'un sécuritaire choisirait de vivre ?

Il est fort probable qu'une majorité de sécuritaires choisirait le quartier diversifié, où les principes sécuritaires sont défendus, plutôt que celui où l’idéologie unitariste l'emporte, même si le quartier est homogène sur le plan racial et ethnique. Cela montre bien que les sécuritaires sont moins intéressés par la composition démographique que par la préservation d’une certaine vision idéologique du monde. Inversement, il est probable que les unitariens préfèrent vivre dans un environnement idéologique homogène, même si ce quartier est composé exclusivement de blancs et de chrétiens, plutôt que d'être entourés de sécuritaires intransigeants, quels que soient les aspects ethniques ou raciaux de ce groupe.

La question qui se pose alors est celle de la nature du projet politique : faut-il privilégier un profil démographique souhaité ou un profil idéologique ? À mesure que les années passent, on constate que les individus dotés de croyances politiques fortes se préoccupent de moins en moins des insiders et des outsiders en termes démographiques, et de plus en plus de la nécessité de confronter ceux dont les idéologies divergent des leurs. L’expérience Trump a précipité ce changement, et il est impératif de comprendre ses implications.

James Madison rêvait d’un système politique où les clivages croisés génèrent constamment de nouvelles coalitions, rendant plus difficile la formation de camps opposés et permanents. Cependant, dans un monde où les oppositions ne se font plus autour de multiples groupes ethniques, religieux ou économiques, mais de manière de plus en plus idéologique entre sécuritaires et unitariens, ces clivages deviennent de plus en plus rigides. Cela risque d’entraîner des conflits politiques de plus en plus féroces et moins tolérants. Cette évolution annonce une transition significative dans les principes démocratiques.

Il est important de comprendre que l’enjeu n’est pas simplement la préservation de la diversité ethnique et culturelle dans un cadre démocratique, mais plutôt la manière de gérer une démocratie biorientée, où les idéologies sécuritaires et unitaristes, bien définies et renforcées, peuvent coexister. Cette cohabitation, qui semblait autrefois possible dans une démocratie diversifiée, apparaît de plus en plus comme un défi majeur. Le véritable défi à long terme est de réussir à construire un modèle démocratique où ces deux idéologies, pourtant radicalement opposées, peuvent vivre ensemble tout en gouvernant.