Les préjugés raciaux et les inégalités économiques s’entrelacent souvent de manière insidieuse, affectant non seulement les perceptions sociales, mais aussi les structures politiques et juridiques d’une société. Ces dynamiques ont des conséquences profondes sur le droit de vote et l’exercice de la démocratie, notamment en ce qui concerne la manière dont les individus sont traités en fonction de leur origine raciale ou ethnique.

Des études ont démontré que des personnes portant des noms typiquement masculins et blancs ont davantage de chances d’obtenir une réponse favorable à une demande de mentorat par rapport à celles dont les noms sont associés à des groupes raciaux ou ethniques minoritaires. Cette tendance est également visible dans le domaine médical où des recherches ont révélé que les personnes blanches font preuve de moins d’empathie lorsqu’elles sont confrontées à des personnes noires en souffrance. De plus, le personnel des urgences a tendance à administrer des doses de médicaments antidouleur plus faibles aux personnes de couleur, sous l’effet de l’idée erronée que les Noirs ressentent moins la douleur que les Blancs. Cette croyance commence à se former dès l'âge de sept ans chez les enfants blancs. Cette perception, profondément ancrée dans la société, influe non seulement sur le traitement des individus dans des contextes quotidiens, mais aussi sur des systèmes plus larges comme la justice pénale, où les Noirs, en moyenne, purgent des peines de prison plus longues que les Blancs pour des crimes identiques. Lorsqu’on demande à des personnes blanches de soutenir une réforme de la justice pénale, leur soutien diminue souvent lorsqu’on leur explique que de telles réformes bénéficieraient davantage aux populations noires.

Cela souligne un aspect fondamental du racisme structurel : même quand il est inconscient, il perdure dans les comportements et les décisions collectives, exacerbant les inégalités. À l’échelle politique, cette dynamique se transforme en un outil de manipulation, où des politiciens cyniques exploitent ces divisions raciales pour servir des intérêts particuliers, souvent ceux des élites économiques. L’utilisation de la race comme levier, que ce soit par des discours haineux comme ceux de Donald Trump, ou par des campagnes plus subtiles, comme celles de Richard Nixon avec sa stratégie "loi et ordre", sert à mobiliser une base électorale blanche en cultivant la peur de l’autre et en exacerbant les divisions raciales.

À un autre niveau, l’influence des grandes fortunes est essentielle pour comprendre l’évolution des politiques raciales. Les milliardaires, notamment ceux issus de milieux blancs, jouent un rôle central dans la manière dont les droits de vote sont manipulés. L’histoire des Koch et de leur soutien à des organisations comme la John Birch Society, qui s’opposait à toute forme de redistribution des richesses et prônait une politique contre l’intégration raciale, en est un exemple flagrant. En parallèle, la philosophie de l’individualisme radical promue par Ayn Rand, dont les idées ont profondément influencé les générations suivantes, défend une vision où la solidarité sociale et les politiques publiques destinées à protéger les plus vulnérables sont perçues comme une forme de "socialisme". L’influence de cette pensée dans les cercles politiques américains a eu des répercussions directes, notamment dans les politiques néolibérales des années 1980, qui ont favorisé la dérégulation et l’accumulation de richesses entre les mains d’une minorité.

Cette élite économique, aidée par des mouvements idéologiques comme le libertarianisme, a constamment cherché à affaiblir les protections sociales et à restreindre l’accès à la démocratie pour les populations plus modestes et racisées. Le rôle des Koch, des libertariens et des grandes entreprises dans la politisation du système électoral montre que, sous couvert de défendre des valeurs de liberté individuelle, ces groupes poursuivent en réalité des intérêts de classe qui servent à renforcer leur pouvoir et à garantir la concentration de la richesse.

Dans ce contexte, le droit de vote est non seulement une question de participation civique, mais également une lutte pour la redistribution des pouvoirs et des ressources. Les politiques visant à restreindre l’accès au vote, en particulier dans les communautés de couleur, sont souvent justifiées par des arguments liés à la fraude électorale ou à des préoccupations de sécurité, mais leur véritable objectif est de préserver un statu quo où les intérêts des élites sont protégés. La notion de "majorité silencieuse", comme celle avancée par Nixon, n’est en réalité qu’une stratégie pour maintenir le pouvoir des groupes privilégiés en manipulant les perceptions et en divisant les citoyens selon des lignes raciales et sociales.

Il est important de comprendre que la lutte pour les droits de vote et contre le racisme structurel est indissociable d’une lutte plus large pour l’égalité sociale et économique. Les attaques contre le droit de vote des minorités ne sont pas simplement une question d’accès aux urnes, mais une forme de résistance contre une structure de pouvoir qui cherche à maintenir une hiérarchie raciale et économique. Les changements dans la politique électorale, comme les efforts pour restreindre le droit de vote par l’introduction de lois strictes sur l’identification des électeurs, ou les tentatives de gerrymandering, sont autant de tactiques visant à affaiblir les voix des populations historiquement marginalisées.

En fin de compte, la démocratie ne peut être pleinement réalisée que lorsque tous les citoyens, indépendamment de leur race ou de leur statut socio-économique, ont un accès égal et libre au droit de vote. Cette équité est essentielle pour garantir que le système politique reflète véritablement les intérêts de la population et non ceux d’une élite détentrice du pouvoir économique et raciale.

Pourquoi les votes ne comptent-ils plus vraiment dans la démocratie américaine ?

En apparence, le vote reste l’acte central de la démocratie. Pourtant, un examen plus attentif des mécanismes électoraux aux États-Unis révèle une réalité profondément altérée, où le droit de vote est vidé de sa substance par une combinaison de stratégies sophistiquées : suppression d’électeurs, gerrymandering, et corruption institutionnalisée par l’argent en politique.

Lors des élections récentes, des millions d’électeurs ont été radiés des listes électorales sous prétexte de "nettoyage" administratif. À titre d’exemple, dans l'État de Géorgie, plus d’un million de noms ont été retirés des registres avant même l’élection, et près de 50 000 inscriptions, principalement celles d’électeurs afro-américains, n'ont jamais été validées. Pourtant, beaucoup de ces citoyens se sont rendus aux urnes, pensant participer au processus démocratique, souvent en déposant des bulletins provisoires. Ce qu’ils ignoraient, c’est que ces bulletins ne seraient, dans la majorité des cas, jamais comptabilisés. Leur voix, bien que captée par les sondages à la sortie des bureaux de vote, n’a jamais pesé dans le décompte final. Le décalage entre sondages et résultats réels, souvent attribué à une "erreur d'échantillonnage", trouve ici une explication plus dérangeante : une partie des votes, tout simplement, n’a jamais été prise en compte.

Mais la dissimulation ne s'arrête pas là. Une fois les votes exprimés, leur portée peut être réduite à néant par une autre manœuvre : le découpage électoral partisan, ou gerrymandering. Cette pratique consiste à redessiner les circonscriptions électorales pour favoriser délibérément un parti politique, au mépris de la représentativité. En 2012, au Wisconsin, les Républicains ont obtenu 60 des 99 sièges de l’Assemblée de l’État alors qu’ils n’avaient remporté que 47 % des voix au niveau étatique. Dans d’autres États, comme en Caroline du Nord, où les votes sont quasi équitablement répartis entre Républicains et Démocrates, les résultats obtenus au Congrès sont outrageusement déséquilibrés : 10 sièges républicains contre 3 démocrates en 2018.

Cette manipulation n’est pas une dérive récente. Elle s’inscrit dans une tradition remontant à 1812, lorsque le gouverneur Elbridge Gerry adapta les cartes électorales du Massachusetts à son avantage politique. La Cour suprême américaine, malgré quelques tentatives d’encadrement, a récemment validé le gerrymandering partisan, tant qu’il ne repose pas sur des critères raciaux explicites. Ainsi, elle a ouvert la voie à une instrumentalisation sans limite de la cartographie électorale par les partis majoritaires, principalement républicains, soutenus par des financements massifs.

C’est là que l’argent en politique entre en scène. Depuis la décision Citizens United de 2010, la Cour suprême a abattu les barrières légales protégeant les institutions contre l'influence de l'argent privé. Les campagnes électorales sont désormais les terrains de jeu d’une poignée de milliardaires capables d'injecter des sommes illimitées dans le processus politique, souvent dans l’anonymat. Rupert Murdoch façonne l’opinion publique avec une chaîne d’information dédiée à ses intérêts. Le réseau Koch, Sheldon Adelson, les Mercers, entre autres, ont investi des centaines de millions de dollars dans les dernières élections, achetant l’orientation idéologique du débat, la fidélité des élus,

L'impact de l'évolution des droits de vote et de la politique électorale sur la démocratie

Le système électoral américain a évolué au fil des décennies, influencé par des luttes constantes pour l'égalité, la représentation et la lutte contre l'injustice systémique. Le droit de vote, d'apparence simple, est en réalité un domaine de tension politique et sociale intense, particulièrement en ce qui concerne les minorités, notamment les Afro-Américains et les Amérindiens. Le 20e siècle, marqué par des réformes législatives majeures, a vu une intensification des efforts pour garantir un accès plus large au suffrage, bien que ces tentatives aient souvent été confrontées à des résistances politiques subtiles ou explicites.

Au cœur de ce combat se trouve la question de l'influence des droits de propriété, des structures de pouvoir et des partis politiques. Historiquement, les élites ont toujours cherché à limiter l'accès au vote afin de préserver un statu quo favorable à leurs intérêts. Ainsi, la question des droits de vote n'est pas seulement une question de législation mais aussi un enjeu fondamental pour la structure du pouvoir démocratique. Les réformes électorales, telles que l'extension du suffrage universel ou l'abolition des lois discriminatoires comme celles du Jim Crow, sont venues défier ce système inégalitaire, mais les défis ne disparaissent jamais totalement.

Un des aspects les plus significatifs de cette lutte est le redécoupage électoral ou gerrymandering, une technique qui consiste à manipuler les frontières des circonscriptions électorales pour favoriser un groupe politique spécifique. Ce phénomène a permis à certaines régions de rester sous le contrôle de certains partis, même en cas de désaveu populaire, rendant ainsi le système électoral biaisé et parfois non représentatif des préférences réelles des citoyens.

Les lois sur les identifications électorales, comme les cartes d'identité strictes, ou les pratiques de purges des listes électorales sont des exemples de stratégies mises en place pour réduire la participation électorale de certains groupes, en particulier les minorités raciales et les populations à faible revenu. Cette évolution a transformé l'accès au vote en une véritable bataille entre ceux qui souhaitent étendre la démocratie et ceux qui, au contraire, cherchent à en restreindre l'accès, notamment par le biais de lois de suppression des électeurs. L'élection présidentielle de 2016, où les débats sur la suppression des électeurs et la manipulation des votes ont pris une ampleur mondiale, a mis en lumière ces défis. Les accusations de fraude électorale, largement infondées mais populaires auprès de certains leaders politiques, ont exacerbé cette situation, détournant le débat de la véritable question : l'accessibilité et l'intégrité du vote pour tous.

Le contrôle de l'État et des institutions gouvernementales joue également un rôle crucial dans la mise en œuvre de politiques restrictives. Les gouverneurs républicains, par exemple, ont mis en place des mesures pour restreindre l'accès au vote, particulièrement dans les États du Sud. À l'inverse, la réponse des démocrates et de nombreuses organisations non gouvernementales a été de combattre ces restrictions par des réformes, telles que l'élargissement de la période de vote anticipé et la lutte pour un enregistrement automatique des électeurs.

Le rôle des médias, particulièrement les plateformes conservatrices, a également été un moteur dans cette dynamique, en diffusant des discours et des narratives favorables à la limitation du droit de vote. Ces récits, souvent associés à des thèmes de « fraude électorale », ont été utilisés pour justifier des lois et des mesures restrictives, tout en créant une atmosphère de méfiance envers le système électoral. Dans ce climat de division, des figures comme Donald Trump ont ouvertement questionné la légitimité des élections, exacerbant ainsi les tensions et l'hostilité politiques autour du droit de vote.

Un autre facteur crucial est la question de la représentation au sein du système électoral. Le système de représentation proportionnelle, qui pourrait mieux refléter la diversité des opinions et des intérêts, est souvent entravé par le système binaire du Parti Démocrate et du Parti Républicain. Cette polarisation rend plus difficile l'émergence d'une politique véritablement inclusive et représentative des divers groupes sociaux et ethniques. Dans ce contexte, les efforts pour réformer le système électoral, comme la proposition d'une journée électorale nationale ou l'introduction du vote par choix instantané (ranked-choice voting), représentent des tentatives significatives pour améliorer la démocratie et en étendre l'accès.

À l'heure actuelle, le système électoral américain continue de faire face à des défis qui remettent en question son efficacité et sa justice. Les inégalités raciales, économiques et sociales se manifestent dans l'accès aux urnes et à la représentation, limitant ainsi les possibilités de participation pleine et entière à la vie démocratique. Si ces questions ne sont pas abordées de manière systémique, le rêve d'une démocratie véritablement inclusive pourrait rester inachevé.