Les recherches sur la crédibilité de l'information ont montré que la plausibilité d'une déclaration est souvent évaluée à travers la fluidité cognitive des individus, c'est-à-dire la facilité avec laquelle une information est traitée. Cette fluidité influence des jugements tels que "Est-ce compatible avec ce que je crois ?" ou "Est-ce que l'information est cohérente en elle-même ?". Dans ce contexte, le biais de négativité, une tendance à accorder plus de crédibilité aux informations négatives, a été exploré sous différents angles. Des études antérieures ont démontré que les individus, lorsqu'ils sont confrontés à des informations mal formulées, sont plus enclins à accepter une déclaration négative comme vraie par rapport à une déclaration formulée positivement, même si les deux sont identiques sur le plan factuel.

Cependant, une réévaluation plus poussée de ce biais montre qu’il existe des facteurs modérateurs pouvant altérer l'ampleur de ce biais de négativité dans l'évaluation de la véracité des informations. Une étude menée par Jaffé et Greifeneder (2019) a révélé que, dans certaines circonstances, un biais de positivité, plutôt qu'un biais de négativité, pouvait se manifester. En effet, les participants ont jugé comme plus vraies les déclarations formulées positivement par rapport aux mêmes déclarations formulées négativement. Ce résultat va à l’encontre des attentes traditionnelles basées sur le biais de négativité, suggérant qu’il existe d'autres facteurs influençant nos jugements, qui méritent d'être explorés.

Les attentes des individus jouent un rôle central dans la manière dont ils interprètent l'information. Lorsqu'une déclaration est en contradiction avec les attentes d'une personne, cela peut modifier la perception de sa véracité. Par exemple, une affirmation comme "80 % des mariages durent plus de dix ans" peut sembler plus plausible ou plus vraie qu'une version "40 % des mariages durent plus de dix ans", simplement parce que le chiffre est plus cohérent avec les attentes des individus concernant la durabilité des relations. Ainsi, la manière dont une information est formulée peut influencer la manière dont elle est perçue, non seulement en fonction de la négativité ou de la positivité, mais aussi en fonction de la manière dont elle se rapporte à l'expérience personnelle ou à la connaissance préexistante des individus.

Cette idée est étayée par la théorie de la violation des attentes (Burgoon et Jones, 1976), selon laquelle une information qui dépasse les attentes positives entraîne une réaction moins négative que lorsque l'information est inférieure aux attentes. En d'autres termes, une information mieux que prévu ne suscite pas le même scepticisme qu'une information qui ne correspond pas aux attentes, ce qui peut également influencer la véracité perçue de l'information.

Les recherches de Jaffé et Greifeneder ont exploré en profondeur l’impact des attentes en modifiant les données chiffrées dans des déclarations formulées de manière négative ou positive. Leur étude a montré que les attentes influencent considérablement la manière dont l'information est perçue comme vraie ou fausse, même lorsque la déclaration en elle-même n'a pas changé. Si les attentes d'une personne sont modifiées, par exemple en présentant des chiffres qui ne correspondent pas à ses anticipations, cela peut changer son jugement, soit en renforçant le biais de négativité, soit en réduisant ce biais au profit d'une perception plus positive de l'information.

Une analyse plus approfondie de ce phénomène montre que la manière dont l'information est présentée, qu'elle soit positive ou négative, interagit avec l'expérience et les connaissances préalables des individus. Les informations qui dévient des attentes, qu'elles soient meilleures ou pires que prévu, influencent non seulement la crédibilité perçue, mais aussi la façon dont les individus réagissent émotionnellement à l'information.

En plus de la formulation des déclarations, il est crucial de considérer la source de l'information et le contexte dans lequel elle est communiquée. Par exemple, dans le cadre de la communication politique, les individus peuvent associer les informations négatives à des faits ou à des actualités objectives, tandis qu'ils peuvent percevoir les informations positives comme des tentatives de persuasion. Cette différence dans la manière de traiter l'information peut, elle aussi, modérer l'impact du biais de négativité. Un discours négatif d'un homme politique peut ainsi être perçu comme plus véridique qu'un message positif, qui pourrait être interprété comme une tentative de manipulation.

Les recherches actuelles indiquent que les individus n’évaluent pas la véracité d'une information de manière uniforme. Leur jugement est modulé par des facteurs complexes, tels que leurs attentes vis-à-vis du contenu, le contexte dans lequel l'information est présentée, ainsi que la façon dont elle s'aligne ou s'écarte de leurs connaissances et croyances préexistantes. Cette compréhension plus nuancée du biais de négativité permet de mieux appréhender les subtilités des jugements de vérité et la manière dont ils sont influencés par des éléments cognitifs, émotionnels et contextuels.

Comment les identités sociales influencent les choix et les actions : le rôle des motivations identitaires dans les campagnes de désinformation

Lorsqu'une action est perçue comme étant sans lien avec l'identité personnelle ou même contraire à cette identité, les individus sont susceptibles d'interpréter les difficultés à démarrer ou à poursuivre cette action de manière différente. Dans ces cas, la difficulté suggère que l'action n'est pas destinée à « moi » de toute façon (Elmore & Oyserman, 2012 ; Oyserman, 2019b). Les recherches antérieures se sont concentrées sur l'interaction entre les identités sociales et l'engagement dans des actions liées à l'école – étudier, participer aux discussions en classe, prêter attention, demander de l'aide, aller à la bibliothèque pour des révisions (par exemple, Oyserman et al., 2012 ; Oyserman, 2019b). Bien que cela n'ait pas été directement évalué, l'implication est que l'action en accord avec l'identité est renforçante, tandis que l'échec à la réaliser constitue une menace pour l'identité. Par exemple, si les bons élèves étudient, étudier devrait affirmer que l'on est un bon élève ; échouer à étudier implique qu'on n'est pas un bon élève. Dans le cas de la campagne du Brexit, des identités sociales, comme être britannique ou écologiste, étaient liées à l'action spécifique de voter pour le « leave ». L'implication ici est que si cela correspond à ce que « nous » faisons, une personne qui échoue à voter « leave » pourrait ne pas appartenir à ce groupe identitaire, et pire, pourrait contribuer à la disparition du groupe et de ses valeurs.

Ce processus d'interaction complexe entre les composants de la motivation basée sur l'identité (construction dynamique de l'identité, préparation à l'action et création de sens de manière congruente avec l'identité) fonctionne de manière complémentaire. Cela signifie que les déclencheurs d'action n'entraînent pas seulement des actions, mais génèrent également des significations et influencent l'identité. Ainsi, si une identité devient saillante dans un contexte donné, ses implications pour la construction de sens et l'action deviennent également pertinentes. De même, si une action devient saillante, ses implications pour l'identité et la création de sens sont également activées.

Bien que la construction dynamique de l'identité soit une caractéristique essentielle de la motivation basée sur l'identité, les individus ne perçoivent pas nécessairement leur identité ou leurs processus motivationnels de manière aussi flexible. Au contraire, ils tendent à vivre leur identité comme stable dans le temps et l'espace (Oyserman, 2019b). Cette stabilité apparente est utile pour plusieurs raisons. Elle permet aux individus de faire des prédictions sur leurs préférences futures en se représentant le « moi » actuel et futur comme étant essentiellement le même. De plus, elle facilite le choix entre différentes alternatives d'action, rendant la prise de décision pour le « moi » futur plus cohérente. Enfin, elle réduit l'incertitude, minimisant ainsi la nécessité de rechercher des informations supplémentaires pour justifier des choix et des interprétations liés à l'identité.

Cependant, il n'est pas toujours nécessaire de recourir à un raisonnement basé sur l'identité. Les individus peuvent choisir de raisonner en fonction de l'information disponible, ce qui est plus direct et plus rapide dans des situations où les données sont facilement accessibles et claires. Ce type de raisonnement, dit basé sur l'information, peut être utile pour des décisions simples comme choisir un itinéraire plus rapide ou comparer les prix de produits. Pourtant, lorsque les choix sont plus complexes et ont des conséquences à long terme, un raisonnement basé sur l'information peut devenir difficile à appliquer efficacement. C'est dans ce contexte que l'on propose l'idée que l'encadrement culturel des informations facilite le passage d'une question difficile à traiter par le raisonnement basé sur l'information à une question plus facile à aborder par le raisonnement basé sur l'identité.

Les plateformes de médias sociaux sont des outils puissants dans cette dynamique. Conçues pour permettre aux utilisateurs de partager des contenus pertinents pour leurs identités sociales, elles semblent offrir une liberté totale dans le choix des interactions et des informations avec lesquelles les utilisateurs s'engagent. Cependant, en échange de cette liberté apparente, les utilisateurs fournissent à ces plateformes des données personnelles précieuses, qui sont ensuite exploitées par les entreprises pour créer des profils détaillés à des fins commerciales et politiques. Cette collecte de données, associée à l'algorithme de recommandation personnalisé, permet de diffuser des contenus adaptés aux croyances et identités des utilisateurs, ce qui peut être un terreau fertile pour des campagnes de désinformation ciblées.

Les campagnes de désinformation, comme celles observées lors du référendum du Brexit, illustrent parfaitement l'impact de ces stratégies. Pour réussir, la campagne du Brexit devait non seulement persuader certains électeurs de voter « leave », mais aussi convaincre d'autres de ne pas voter du tout. Cela a été accompli par l'utilisation de contenus manipulés et d'informations délibérément trompeuses, qui, grâce à une présentation culturellement fluente, ont renforcé des identités sociales spécifiques et ont détourné l'attention des électeurs de leur raisonnement critique. L'objectif était de rendre la manipulation de l'information difficile à détecter pour ceux qui étaient en accord avec l'identité collective renforcée par le message, réduisant ainsi les chances de réflexion systématique sur le contenu.

Ce phénomène est amplifié par la nature des médias sociaux, où les utilisateurs échangent librement des informations tout en fournissant des données précieuses sur leurs préférences, comportements et affiliations. Les plateformes comme Facebook, en permettant de collecter ces informations à grande échelle, sont devenues des outils puissants dans la diffusion de désinformation. L'exploitation de ces données par des entreprises permet de cibler des individus sur la base de traits psychologiques spécifiques, d'orientations politiques ou de préjugés culturels, ce qui rend les campagnes de désinformation non seulement plus efficaces mais aussi insidieuses.

Les mécanismes sous-jacents à cette interaction entre les identités sociales, les motivations et les actions sont cruciaux pour comprendre comment les individus peuvent être influencés dans leurs choix, notamment lors de campagnes de désinformation. L'activation de certaines identités sociales et l'utilisation d'informations culturellement adaptées facilitent des décisions souvent prises sans réflexion critique, renforçant ainsi les comportements d'affiliation ou de retrait selon les objectifs d'une campagne. La prise de conscience de ce processus est essentielle pour une meilleure compréhension des dynamiques sociales et des risques associés à l'usage des médias numériques.

Comment la perception de la consommation de fausses nouvelles varie-t-elle en fonction des groupes démographiques et des informations fournies ?

L'un des phénomènes les plus frappants liés aux fausses nouvelles réside dans l'écart entre les perceptions subjectives et la réalité des comportements de consommation des informations biaisées, particulièrement lorsque l'on analyse les différences de perception entre divers groupes démographiques. En effet, la manière dont différents groupes voient la consommation de fausses nouvelles varie considérablement, en fonction de leurs affiliations politiques, de leur niveau d'éducation et de leur tranche d'âge. De plus, l'introduction d'informations statistiques objectives, comme la quantité de fausses nouvelles réellement consommées, peut influencer ces perceptions, créant ainsi des ajustements de jugement qui méritent d'être analysés.

Les résultats d'une étude menée sur 980 participants révèlent une tendance marquée chez les partisans des différents candidats politiques lors des élections de 2016 aux États-Unis. Par exemple, les partisans de Clinton ont estimé que les partisans de Trump consommaient une quantité significativement plus grande de fausses nouvelles que leur propre groupe. Inversement, les partisans de Trump ont perçu une consommation plus importante de fausses nouvelles parmi les partisans de Clinton. Ce phénomène de projection n'est pas limité aux affiliations politiques : il s'étend aussi aux différences de niveau d'éducation et à l'âge. Les diplômés universitaires ont tendance à estimer que les non-diplômés consommaient plus de fausses nouvelles, tandis que les non-diplômés percevaient la situation de manière similaire, bien que dans une moindre mesure.

Une analyse plus approfondie à l'aide de la régression linéaire a montré que des facteurs tels que l'âge, le soutien politique et le niveau d'éducation étaient des prédicteurs significatifs de la perception de la consommation des fausses nouvelles. Par exemple, les jeunes participants (18-34 ans) estimaient que les personnes de plus de 60 ans consommaient plus de fausses nouvelles, alors que les plus âgés n'avaient pas cette perception inverse. D'autre part, un diplôme universitaire semblait jouer un rôle important : les diplômés estimaient qu'il y avait plus de consommation de fausses nouvelles parmi ceux sans diplôme, tandis que l'inverse était également perçu par les non-diplômés.

Lorsque ces perceptions sont croisées avec des données plus objectives, comme le pourcentage réel de fausses nouvelles consommées par les Américains en 2016, des ajustements intéressants apparaissent. Par exemple, l'information sur le pourcentage de fausses nouvelles consommées a réduit l'écart perçu entre les groupes ayant un diplôme universitaire et ceux n'en ayant pas. Cet effet de « correction » semble diminuer les préjugés existants, au moins partiellement, en présentant des données statistiques réelles. Toutefois, il est important de noter que cette correction n'est pas systématique et dépend fortement du groupe démographique observé.

Un autre aspect fascinant de cette dynamique est l'impact de l'information traitée. Par exemple, l'exposition à des statistiques sur la consommation des fausses nouvelles a augmenté la différence de perception entre les partisans de Clinton et de Trump. En effet, parmi les partisans de Clinton, l'information relative à la consommation des fausses nouvelles a amplifié la perception que les partisans de Trump consommaient davantage de fausses nouvelles, créant ainsi un écart encore plus marqué. Cette réaction suggère que des informations spécifiques peuvent servir de norme descriptive, renforçant ou modifiant les perceptions selon le groupe auquel on appartient.

Les résultats montrent que la manière dont l'information est présentée a une influence considérable sur la manière dont les individus perçoivent le phénomène des fausses nouvelles. Bien que les statistiques puissent aider à « corriger » les perceptions, il existe toujours une tendance forte à projeter des jugements sur l'autre groupe, qu'il s'agisse de partisans politiques, de groupes d'âge ou de niveaux d'éducation.

Il est également important de considérer la manière dont ces perceptions peuvent influencer les comportements futurs. La perception erronée de la consommation des fausses nouvelles peut aggraver les tensions sociales et politiques, car elle alimente la méfiance envers « l'autre » groupe. Par exemple, si un groupe perçoit que ses adversaires consomment plus de fausses nouvelles, cela peut renforcer l'idée que ce groupe est moins informé ou moins responsable dans ses choix politiques et sociaux. Cette dynamique crée un cercle vicieux de polarisation où chaque groupe est convaincu que l'autre est victime de désinformation, renforçant ainsi la fracture sociale.

L'étude suggère également que la perception des fausses nouvelles n'est pas une question simple de « vérité » ou « mensonge », mais dépend largement des contextes sociaux et politiques dans lesquels elle se déploie. Ce phénomène de perception biaisée souligne l'importance de l'éducation médiatique et de l'alphabétisation numérique dans la lutte contre la désinformation. Les individus doivent non seulement être exposés à des informations objectives, mais aussi apprendre à reconnaître et à analyser les biais cognitifs qui façonnent leurs perceptions des nouvelles.

Les différences entre les groupes démographiques sont également un indicateur clé de la manière dont les individus peuvent interpréter l'information de manière sélective. Ces différences soulignent l'importance de développer des stratégies de communication plus nuancées et adaptées à chaque groupe, afin de réduire l'impact des fausses nouvelles sur la société. L'un des principaux défis est de trouver des moyens efficaces pour corriger ces perceptions biaisées sans renforcer davantage les divisions existantes.