Les décisions sont prises pour nous. Si nous ne faisons rien, nous sommes sur la bonne voie. Mais pour la majorité des pauvres, si ils ne font rien, ils se trouvent sur la mauvaise voie. Le message chrétien primitif, dès ses débuts, pose une exigence fondamentale : "Prenez des offrandes pour les pauvres." La transmission de l'Évangile à tous est essentielle, mais il est aussi crucial de ne pas oublier les plus démunis. Cette exhortation à se rappeler des pauvres, enracinée dans la tradition juive, trouve son écho dans le Psaume 22 : « Les pauvres mangeront et seront rassasiés ». Les collectes de Paul pour les pauvres de Jérusalem, entreprises lors de ses voyages missionnaires, furent intégrées dans la pratique liturgique au IIe siècle, chaque liturgie se concluant par l’appel « Souvenez-vous des pauvres ». Cette mémoire n'est pas simplement mentale, mais s’incarne dans une action concrète, comme le rappelle Jésus lors de la Cène : « Faites cela en mémoire de moi. » L’action de se souvenir des pauvres devient ainsi un acte liturgique, mais aussi un service rendu, comme le souligne Gordon Lathrop, dans son ouvrage The Pastor: A Spirituality. Le pasteur, dans cette vision chrétienne, n’est pas un simple prédicateur, mais celui qui "sert", qui attend à table et qui se fait le porteur de cette mémoire des plus démunis. La théologie chrétienne, de ce point de vue, se forge autour de l’expérience émotionnelle de ceux qui se reconnaissent eux-mêmes comme étant dans le besoin, un besoin qu’un Dieu incarné dans la pauvreté entend combler.
Le concept de dépendance est, paradoxalement, au cœur de cette tradition. En apprenant à dépendre de Dieu, à lui faire confiance, les croyants entrent dans une relation communautaire où la grâce, l'un des termes clés du Nouveau Testament, se déploie dans toute sa dimension sociale. Il ne s'agit pas seulement d'une notion spirituelle, mais d'un appel à une redistribution des biens, un appel à la solidarité. Les chrétiens américains, par exemple, ont souvent du mal à relier cette grâce divine aux implications sociales et économiques de leur foi. L’idée que tout être humain soit issu de la grâce, qu’il ne soit pas l’architecte de sa propre réussite, semble contraire à la culture du self-made man, qui trouve son écho dans des figures comme Horatio Alger. En dépit de cela, les célébrations liturgiques cristallisent cette grande "échange" où les croyants échangent leur misère contre l’abondance de Dieu. Le pain et le vin de l'Eucharistie deviennent les symboles tangibles de la pauvreté dans le monde, un monde que Dieu, à travers le Christ, entend nourrir.
Cependant, dans le contexte mondial actuel, il est évident que cette vision chrétienne d’une économie fondée sur la grâce et la solidarité est ignorée par les pouvoirs politiques. Selon Oxfam International, en 2012, les 100 plus grandes fortunes du monde ont vu leur richesse augmenter de 240 milliards de dollars, une somme suffisante pour éradiquer la pauvreté mondiale quatre fois. Cette dynamique montre qu’un petit nombre bénéficie des fruits d’un système économique qui perpétue la pauvreté pour la grande majorité. Une réalité cynique émerge alors : la pauvreté n’existe pas parce que nous ne savons pas nourrir les pauvres, mais parce que nous ne savons pas satisfaire les riches.
Cela nous amène à la question de la charité. En mars 2019, un groupe chrétien de pression, Bread for the World, a rapporté que chaque congrégation religieuse des États-Unis devrait collecter un supplément de 400 000 dollars par an pendant dix ans pour compenser les réductions des programmes fédéraux de lutte contre la faim et la pauvreté. Ces programmes fédéraux apportent dix fois plus d'aide alimentaire que toutes les églises et organisations caritatives réunies. Ainsi, une seule mauvaise décision politique à Washington peut anéantir une année entière d'efforts chrétiens en matière de charité. Il existe une tendance aux États-Unis à lier la charité à des actions individuelles et privées, comme une forme de générosité des plus privilégiés envers les plus démunis. Toutefois, cette approche ne doit pas remplacer la quête de justice sociale. La charité, bien qu’essentielle, peut facilement se muer en une solution de surface, qui masque les vrais problèmes structurels de notre système économique.
Ce phénomène se manifeste par une critique de la charité à travers l’économie libérale, qui en fait un substitut à une répartition équitable des ressources. Les conservateurs américains, notamment au sein du mouvement chrétien évangélique, louent la charité pour plusieurs raisons : elle montre à quel point les Américains sont généreux, elle repose sur le secteur privé et permet aux églises de se distinguer, et surtout, elle minimise la responsabilité du gouvernement dans la lutte contre la pauvreté. Mais ce modèle est profondément problématique, car il évite toute remise en question du système économique qui génère cette pauvreté en premier lieu. À travers la charité, les individus peuvent faire des dons sans jamais interroger les structures qui produisent ces inégalités. Ainsi, la charité devient une manière de soigner les symptômes de l'injustice sans en traiter la cause profonde.
Le rôle de la religion dans une société juste ne peut donc se limiter à un simple soulagement des souffrances infligées par un système économique impitoyable. Il doit aussi, et avant tout, revendiquer une critique radicale de ce système. Loin de se contenter de pallier les souffrances, la foi chrétienne doit inspirer une lutte pour la justice sociale, en réclamant la redistribution des ressources et la libération des opprimés, comme le soulignent les prophètes dans la tradition hébraïque. Jésus lui-même, fidèle à cette tradition, ne sépare pas son message de cette exigence de justice sociale et de redistribution des richesses.
En fin de compte, la charité, bien qu'importante, ne doit pas être un palliatif. Elle doit devenir une forme de militantisme, une advocacy pour ceux qui en ont besoin, et un moteur pour revendiquer un système économique plus juste. L'amour chrétien, quand il se fait sage et réfléchi, doit tendre vers la justice, qui elle-même est la forme sociale et structurelle de l’amour. La charité ne doit pas se contenter de panser les plaies, elle doit aussi s’attaquer à ceux qui les infligent.
Quels types de communautés le début du troisième millénaire exige-t-il ?
Les grandes idées utopiques qui ont dominé la pensée sociale à la fin du second millénaire ont progressivement cédé la place à une pensée utilitaire, vantant la liberté individuelle, l’autonomie et l’épanouissement personnel, tout en oubliant l’essentiel : une société juste, et encore plus une nouvelle Terre, ne naîtra que de communautés nouvelles qui uniront leur capital social pour le bien de tous. Cela commence par des villages. Ces petites communautés peuvent devenir un modèle de transformation, à condition qu’elles fassent naître un capital social commun et un but collectif. Mais, la question reste : pouvons-nous devenir une communauté véritable ? Les lecteurs de ce livre, notamment, sont-ils prêts à s’unir pour créer une force collective ? Cette interrogation fait écho aux doutes d’un auteur qui, en pensant à ses lecteurs, se demande si ceux-ci pourraient même parvenir à se tolérer et à dialoguer, sans parler de s’unir.
Prenons l'exemple d’un livre qu’une épouse m’a offert, Le Dictionnaire des Khazars, qui existait en deux versions, l’une pour les hommes et l’autre pour les femmes. Nous l’avons lu séparément, dans deux endroits différents, avant de les rassembler sur une étagère, comme si cette juxtaposition suffisait à créer l’unité. Ce geste anodin illustre pourtant une dynamique plus profonde et plus complexe : celle des identités séparées, des versions du monde, qui se heurtent mais peuvent aussi se rapprocher. Il en va de même avec les différentes communautés, qu’elles soient religieuses, politiques ou sociales. Pourquoi ne pourrions-nous pas, comme à la Pentecôte, écouter et comprendre des voix différentes, parlant des langues diverses, pour créer une véritable communauté ?
À l’aube du troisième millénaire, le défi est de faire converger ces différences pour former une coalition capable de porter un nouveau message. Il existe aujourd’hui un enthousiasme croissant dans les sciences sociales autour de l’idée de point de bascule, selon lequel un changement peut être amorcé dès que 10 % de la population saisit et commence à agir sur une nouvelle idée. Il suffit de faire basculer ce pourcentage pour que toute une société suive. Les politiques, toujours en retard, se joindront au mouvement dès que les masses s’éveilleront et se mettront en marche. Ce processus, même s’il semble abstrait, s’applique aussi au christianisme social. Nous avons tous, d’une manière ou d’une autre, ce rôle à jouer : il nous faut faire entendre notre voix, attirer l’attention sur des idées nouvelles et former un mouvement capable d’engendrer des changements réels.
Les églises, en particulier, doivent jouer un rôle fondamental dans ce processus. Comment rendre les églises indispensables aux communautés d’aujourd’hui ? Le théologien Brian McLaren suggère que ceux qui veulent faire avancer les institutions doivent d'abord se poser des questions essentielles : quelles sont les problématiques non résolues par les institutions actuelles ? Quels effets négatifs ces institutions créent-elles ? Que faire pour qu’elles puissent dépasser leurs limites ? La réflexion sur le rôle de la foi dans la société doit aller au-delà des apparences : ce n’est pas une simple question de maintenir des habitudes religieuses ou de s’en remettre à des formes de charité qui, souvent, masquent les injustices systémiques. Les initiatives religieuses doivent s’affranchir de ce rôle de pansement et devenir des forces capables de réformer profondément la société, tout en répondant aux besoins de justice sociale.
Les initiatives basées sur la foi, lorsqu’elles sont utilisées à bon escient, peuvent être très efficaces, mais elles ne doivent pas être perçues comme un prétexte pour contourner la justice sociale dans le secteur public. Celles-ci doivent être appliquées dans une perspective plus large, au sein de laquelle la diversité des idéologies et des motivations est prise en compte. Il est essentiel que ces initiatives, bien que religieuses, ne deviennent pas un moyen de réduire la responsabilité de l'État envers ses citoyens. Elles ne doivent en aucun cas remplacer les politiques économiques publiques, ou faire abstraction des inégalités systémiques qu’elles sont censées résoudre.
En effet, la séparation de l’Église et de l’État, souvent invoquée dans le débat public, ne doit pas exclure la voix des croyants dans la sphère publique. Multiculturalisme ne doit pas signifier seulement l’acceptation de différences ethniques, mais aussi une ouverture aux diverses expressions spirituelles et religieuses. Ce débat sur la place de la religion dans la société publique est devenu d’une importance capitale. Si nous voulons que la société moderne progresse, il nous faut une vision plus nuancée de la relation entre le religieux et le politique. Il ne s’agit pas de cloisonner les idées, mais de faire émerger des approches multiples pour répondre aux défis contemporains.
Aujourd’hui, la société demande des communautés capables de répondre à ces défis collectivement. Dans un monde où les institutions échouent à combler les attentes sociales, la tâche des croyants et des institutions religieuses est de redéfinir leur rôle. Si l’Église a un rôle fondamental à jouer, il ne peut plus se réduire à une simple fonction rituelle. Le christianisme, et plus généralement la foi, doit se projeter dans le monde de manière active, créant des communautés qui ne se contentent pas d’exister, mais qui transforment profondément la réalité sociale, économique et politique.
Le Mouvement Religieux et la Vision Chrétienne du Monde dans la Politique Contemporaine
Le mouvement religieux, en particulier dans le contexte chrétien et juif, s'oppose à la politique partisane, qu'elle soit de droite ou de gauche. L'exode, symbolisant la fuite de l'oppression, devient le fondement d'une vision qui permet aux chrétiens et aux juifs de se comprendre eux-mêmes, non pas comme des alliés inconditionnels de partis politiques, mais comme des mouvements de résistance, des voix dissidentes, des communautés contre-culturelles. Ces derniers ne cherchent pas à se fondre dans l'ordre établi mais à offrir une alternative radicale, un contrepoids moral à la société dominante. Dans ce sens, le rôle premier de l'Église n'est pas l'activisme politique, mais l'imagination prophétique, une vision alternative de la réalité sociale et une projection de ces nouvelles réalités sur l'écran de l'imaginaire collectif. À travers cela, de nouvelles communautés, de nouvelles institutions, peuvent émerger.
À l'aube du troisième millénaire, l'inaction de l'imagination fait défaut alors que les temps exigent de nouvelles voies pour une action morale. Il n'est pas nécessaire que les mouvements religieux soient subordonnés à des partis politiques, comme l'histoire l'a démontré à travers des mouvements comme l'abolitionnisme, le mouvement des droits civiques, le féminisme, ou encore la libération gay. L'idée de mouvement, dans ce contexte, privilégie l'action et la flexibilité sur l'ordre rigide et l'institution, même si parfois ces dernières peuvent renforcer les premières. Les mouvements contemporains se forment aujourd'hui par la rue et les réseaux sociaux, unissant des individus partageant des idéaux similaires et provoquant un changement structurel par l'effet de masse.
Le religieux progressiste puise dans l'histoire des rituels juifs et chrétiens, où le culte ne se limite pas aux églises et aux temples, mais s'étend aux champs, aux rues et aux ondes. Le rituel devient performatif : il naît d'expériences communautaires, génère des mythes, et ces mythes sont ensuite incarnés dans la réalité. La libération, dans cette perspective, se fait dans et par la communauté, générant ainsi une transformation sociale visible et tangible, comme on l'a vu dans des moments historiques tels que Seneca Falls, Selma, ou Stonewall.
En pensant à des réformes profondes dans l'histoire du christianisme et du judaïsme, il apparaît que le mouvement le plus emblématique de libération est l'exode, soutenu par un Dieu libérateur. Le mouvement de Jésus a traversé tout le bassin méditerranéen, et plus tard, des mouvements comme la Réforme protestante ont joué un rôle similaire. Ce n'est pas la création d'un nouveau parti politique qui importe, mais plutôt le fait de faire sauter les verrous de l'ordre existant en formant des communautés nouvelles. Les chrétiens sont appelés à « défiler dans les rues », à manifester leur présence comme caractéristique indiscutable de l'espace public, à œuvrer pour le bien de tous, et à rappeler que cela fait partie du plan divin pour le monde. Cela suffit comme point de départ : être la « communauté » par excellence, sans compromis avec le système politique dominant.
Le véritable défi de l'Église, aujourd'hui, consiste en la manière dont elle comprend et incarne son appel. Le salut promis par Dieu ne se limite pas à la dimension spirituelle, mais porte sur la transformation sociale et la réorganisation de la société en faveur de la justice et de la paix. La véritable mission du chrétien est de collaborer avec Dieu dans l'accomplissement de ce projet eschatologique, une vision du monde transformée, où chaque pays devient une terre promise, chaque âme un ami de Dieu. Le rôle des croyants est donc de répondre positivement à cet appel, d'être partie prenante dans la création d'une « nouvelle Terre », d'une société renouvelée, où les principes de justice sociale et de solidarité règnent.
Les moments historiques d'après Trump, tout comme ceux d'avant, montrent la nécessité d’une nouvelle interprétation du message chrétien. Après Trump, la réponse chrétienne pourrait bien se traduire par une redéfinition du « gospel social » : un évangile qui prône la justice sociale, la solidarité entre les peuples et la nécessité de repenser les rapports humains à la lumière du message biblique. Ce n'est pas un retour à la politique traditionnelle ou à des partis spécifiques, mais une transformation radicale des valeurs sociales qui doit être au cœur de l'agenda chrétien pour l'avenir.
Cela met également en lumière la tension entre la foi chrétienne et les structures sociales contemporaines. L'Évangile n'est pas seulement une promesse spirituelle mais un projet politique et social, où l'appel divin à la justice sociale entre en confrontation avec les systèmes politiques qui cherchent à maintenir l'ordre existant. À une époque où les inégalités sociales et les injustices environnementales sont criantes, l’Église se doit de redéfinir son rôle dans la société non pas comme un simple acteur spirituel, mais comme un moteur de changement social et politique radical.
Dieu est-il vraiment libérateur, ou simplement trop exigeant ?
La certitude de Wall Street quant à sa propre légitimité ne laisse pas de place au doute. Mais ceux qui ont été esclaves, opprimés, marginalisés – ceux qui ont connu l’exode non comme mythe, mais comme mémoire charnelle – comprennent souvent mieux le récit biblique que ceux qui détiennent aujourd’hui pouvoir et privilège. À l’opposé, une certitude tout aussi radicale, mais dans un autre sens, s’exprime ainsi : la religion est une gêne publique, Dieu est une fiction, et nul esprit éclairé, nul scientifique ou rationaliste, ne peut sérieusement envisager que Dieu, l’humanité et l’univers partagent une mission commune. L’homme est ce qu’il est, et rien d’autre.
Face à l’appel divin – « J’ai entendu leur cri, j’ai vu leur souffrance, je suis descendu pour les délivrer. » – beaucoup répondent : irréaliste, trop exigeant. Ce Dieu semble exiger une transformation totale, un engagement sans réserve, un don de soi permanent. L’Évangile ne se contente pas d’un Christ confiné dans les combles d’une vie surchargée ; il réclame une relation à haut entretien, un bouleversement existentiel.
Ce rejet silencieux de la vocation divine ne prend pas toujours la forme d’un non franc. Il se déguise en détachement ironique, en abstention métaphysique, en refus poli mais résolu d’un pari trop vaste. Le péché ne s’exprime plus dans la rébellion, mais dans la paresse spirituelle : ce que les anciens appelaient l’acédie – ce relâchement intérieur des monastères lorsqu’ils cessèrent de se réformer.
Et pourtant, le refus ne vient pas seulement des agnostiques. Il surgit au cœur même de la foi institutionnalisée, là où l’on devrait entendre l’appel prophétique à la justice, mais où l’on préfère substituer à la grâce gratuite un salut mesuré, distribué selon les règles d’une entreprise religieuse bien tenue. Le Dieu libérateur est vu comme une menace morale, trop susceptible d’attirer des « passagers clandestins ». Mieux vaut un Dieu distributeur de mérite que l’inquiétante gratuité d’une libération offerte aux exclus.
Ce que l’on rejette, finalement, ce n’est pas Dieu, mais un Dieu trop audacieux, trop généreux. Un Dieu qui choisit les pauvres, qui inclut les femmes, les homosexuels, les sans-pouvoir. Un Dieu qui semble aller trop loin. Ce rejet s’appuie sur une autre théologie, non biblique mais profondément américaine : celle du capitalisme libéral vu comme projet divin. Dans cette mythologie, le salut devient affaire individuelle, fruit d’un effort personnel et signe d’élection divine. Sur les trottoirs de l’Amérique, ce christianisme-là épouse une idéologie conservatrice qui nie l’interdépendance humaine, le bien commun, et l’appel à des institutions justes.
Cette autre « bonne nouvelle » n’est pas l’Évangile du Christ, mais celui du marché, de l’exceptionnalisme américain, de la réussite individuelle comme sceau de la faveur divine. Ainsi, les appels bibliques à la justice – « Que le droit jaillisse comme les eaux » – sont étouffés sous le vacarme d’un récit national où Dieu est patriote et l’Évangile, une justification morale de l’ordre établi.
Le cercle de ceux qui répondent « trop dur, trop exigeant » est vaste. Il inclut les agnostiques, les croyants fatigués, les déçus des Églises, et une large frange des pratiquants qui se sont résignés à un christianisme sans transformation. La révolution spirituelle semble leur appartenir à un autre siècle. On préfère la stabilité d’un quotidien sans heurts : le travail distrayant, les verres à quatre heures, les séries en continu. Autant d’occupations qui remplissent l’espace creux du sens.
Mais il faut bien le reconnaître : les prédicateurs les plus bruyants du moment ne sont pas les héritiers des prophètes bibliques. Ils ne viennent pas d’une longue fidélité théologique. Ils sortent des tranchées de la guerre culturelle. Leur Évangile est celui de l’identité, du rejet, du pouvoir. Et leur Dieu, un emblème parmi d’autres dans le panthéon national. Le Jésus qu’ils invoquent est rarement entendu ; il est utilisé. Comme l’icône vide d’une Amérique qui préfère Horatio Alger à Nazareth.
Ce christianisme fusionné avec le darwinisme social, ce puritanisme de la réussite, proclame que Dieu aime les gagnants, que la richesse est signe d’élection, et que la masse des 99 % n’a qu’à suivre – ou disparaître. Le message biblique de libération devient inaudible dans cette cacophonie morale. Le Dieu de l’exode, celui qui descend pour libérer, n’a plus droit de cité. Il dérange trop. Il demande trop. Il aime trop.
Il est essentiel de comprendre que le rejet du Dieu libérateur ne repose pas toujours sur l’incrédulité, mais souvent sur la peur d’un bouleversement radical. La libération divine ne consiste pas à conforter nos habitudes, mais à transformer notre monde, à redéfinir nos priorités, à nous unir aux opprimés, à remettre en cause les récits dominants. Elle exige une lecture biblique déliée des intérêts nationaux, un courage théologique, et une volonté de marcher – non à côté, mais avec – dans un chemin de justice, de solidarité, et de mémoire.

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