Les images ont une influence importante sur la manière dont nous percevons et croyons les informations qui nous sont présentées, même lorsqu'elles sont non probantes. Ce phénomène, surnommé « vérité apparente » (truthiness), désigne la tendance des individus à accepter comme vraies des informations qui sont accompagnées d'images, même lorsque ces images ne fournissent aucune preuve réelle de la véracité de l'information. Des recherches ont montré que l'ajout de photos sans valeur probante peut perturber notre jugement et influencer nos croyances de manière significative.

Dans une série d'expériences réalisées par Newman et ses collègues (2012), les participants ont été confrontés à des affirmations de culture générale, certaines étant accompagnées de photos non probantes, tandis que d'autres ne l'étaient pas. Par exemple, une affirmation comme « Les girafes sont les seuls mammifères qui ne peuvent pas sauter » était accompagnée d'une photo d'une girafe. Bien que cette photo ne fournisse aucune information pertinente concernant la véracité de l'affirmation, la simple présence de l'image incitait les participants à croire que l'affirmation était plus probable. Ce biais de « vérité apparente » se manifestait clairement, même lorsque les participants étaient confrontés à des affirmations avec des photos qui ne leur apportaient aucune information supplémentaire.

Une autre expérience, également menée par Newman et ses collaborateurs (2012), a impliqué un jeu intitulé « Mort ou Vivant », où les participants devaient juger si un célébrité était vivante ou morte, simplement en voyant son nom accompagné d'une photo. Là encore, même si la photo n’apportait aucune preuve sur le statut de la célébrité, sa présence incitait les participants à juger plus favorablement l’affirmation que la célébrité était vivante. De manière surprenante, le même phénomène a été observé lorsque l'affirmation opposée – « Cette personne est morte » – était présentée avec une photo. La photo non probante semblait donc influencer les croyances dans les deux sens, rendant plus probable aussi bien l'affirmation que la célébrité soit vivante que l'inverse.

Ce phénomène ne se limite pas à des tests triviaux ou à des jugements sur des célébrités. Dans une étude sur les prédictions de marché, Newman et ses collègues (2018) ont montré que l'ajout de photos non probantes sur des matières premières, telles que le benzène, biaisait les participants vers des affirmations positives. Par exemple, si une photo de la matière première était ajoutée, les participants étaient plus enclins à croire qu'elle augmenterait en prix, même si la photo n’apportait aucune information pertinente. Ce biais est particulièrement fort lorsqu'il s'agit de prévisions optimistes, ce qui peut refléter une tendance cognitive générale à croire en des événements positifs à venir.

Le phénomène de la « vérité apparente » s'étend également aux évaluations de produits. Dans une autre expérience, des participants ont été plus enclins à croire qu’un vin était de haute qualité lorsqu'une image non probante était associée à l'étiquette du vin, même si la photo ne montrait aucun lien direct avec la qualité du vin. Ce biais s'est maintenu même lorsque les participants avaient la possibilité de goûter les vins en question, ce qui démontre l'influence persistante des images sur nos jugements, même face à une information sensorielle directe.

Le phénomène de la vérité apparente s'étend également à la mémoire. Dans une étude menée par Cardwell et ses collègues (2016), les participants ont été exposés à des photos non probantes pendant une tâche de mémoire où ils devaient se souvenir des actions qu'ils avaient réalisées. Les résultats ont montré que les participants étaient plus enclins à croire qu'ils avaient effectué une action donnée, simplement parce qu'une photo non probante de cette action leur avait été montrée, indépendamment du fait qu'ils l'aient réellement accomplie ou non.

Pourquoi ces photos non probantes exercent-elles une telle influence sur nos jugements ? Plusieurs explications théoriques sont envisagées. Une première hypothèse est que les photos, en raison de leur nature visuelle et de leur capacité à capturer des instants réels, sont perçues comme plus fiables que les mots seuls. L'effet de vérité apparente pourrait donc être lié à la confiance innée que les gens accordent aux images. Une autre explication pourrait être liée à la « fluidité cognitive » : l’ajout d’une photo pourrait faciliter le traitement sémantique de l'information, rendant ainsi une affirmation plus facile à comprendre et donc plus crédible. Enfin, la présence de photos pourrait créer une illusion de preuve, renforçant l’idée que l’affirmation est fondée, simplement parce qu’elle est visuellement accompagnée de quelque chose de tangible.

Ce phénomène de la vérité apparente est particulièrement pertinent à une époque où les images sont omniprésentes, notamment sur les réseaux sociaux et dans les médias. Les gens sont constamment confrontés à des informations accompagnées d’images, mais il est important de comprendre que ces images ne sont pas toujours des preuves fiables. Elles peuvent être manipulées ou simplement non liées aux affirmations qu'elles accompagnent. D'un point de vue critique, il est essentiel de développer une attitude plus sceptique face à ce type d'information visuelle et de faire un effort pour distinguer les éléments qui apportent réellement des preuves des éléments qui sont uniquement là pour influencer nos croyances.

Comment les croyances en les théories du complot sont façonnées par le besoin de certitude et d'unicité

Les théories du complot, tout comme de nombreuses croyances psychologiques, sont le produit complexe de facteurs cognitifs, sociaux et motivationnels. La théorie épistémique laïque (Kruglanski et al., 2010) suggère que notre façon de former des croyances n’est pas uniquement dictée par des preuves rationnelles, mais également par des besoins internes de certitude, de sécurité et de distinction personnelle. Ces besoins sont souvent inconscients, mais déterminants dans la façon dont les individus interprètent les informations et acceptent des idées qui, autrement, paraîtraient irrationnelles ou infondées. L’importance du besoin de certitude, exprimé à travers le besoin de fermeture cognitive (Leman & Cinnirella, 2013; Marchlewska et al., 2017), est manifeste dans le contexte des théories du complot, où des explications simplistes sont souvent préférées à des analyses complexes et nuancées.

Les individus recherchent des réponses définitives, surtout dans des situations ambiguës ou incertaines. Cette quête de clarté peut amener à adhérer à des théories qui semblent fournir une explication cohérente, même si elles sont basées sur des informations fragmentées ou erronées. Le phénomène de « croyance en un monde juste » (Lerner, 1980) joue également un rôle crucial. Les théories du complot apportent souvent l’illusion de la justice en fournissant une explication qui donne un sens à l'injustice apparente, comme si tout ce qui se passe dans le monde pouvait être expliqué par une volonté cachée.

Le besoin d’unicité est également un facteur important dans l’adhésion à ces théories. Selon Lantian et al. (2017), ce besoin peut pousser certains individus à croire en des vérités secrètes ou à se percevoir comme détenteurs de connaissances que la majorité ignore. Cette croyance en des savoirs exclusifs peut renforcer l’idée d’appartenir à un groupe supérieur ou éclairé, tout en maintenant la distance avec une majorité considérée comme ignorante ou manipulée.

Les théories du complot sont souvent utilisées comme un mécanisme d’adaptation face à l’incertitude. Les individus ayant une faible tolérance à l’incertitude (Moulding et al., 2016) sont particulièrement enclins à adopter des explications conspiratoires, car ces dernières offrent des réponses simples et des schémas d’interprétation rigides. La fermeture cognitive, ce désir intense de mettre fin à l'incertitude, se conjugue parfaitement avec ce besoin de maintenir une vision du monde stable, et c'est ainsi que des croyances extrêmes prennent racine.

Cependant, il est important de comprendre que ces croyances ne se développent pas uniquement à cause de la recherche de certitude. Elles sont aussi façonnées par des influences sociales. Par exemple, la dynamique de groupe et les comportements d’adhésion peuvent jouer un rôle majeur. L'appartenance à un groupe partageant des croyances similaires offre un confort psychologique, renforçant ainsi l'engagement envers ces idées (Mikulincer et al., 2003). Les individus peuvent également rechercher la validation de leurs croyances auprès de sources externes perçues comme légitimes, ce qui renforce encore la pérennité de leurs convictions (Kunda, 1990).

Il est aussi crucial de prendre en compte les mécanismes de défense psychologiques qui interviennent dans ce processus. Les individus peuvent être poussés à adopter des croyances en réponse à des menaces perçues à leur identité ou à leur vision du monde (Steele, 1988). Dans des situations où leurs valeurs ou leurs croyances fondamentales sont remises en question, certaines personnes chercheront à maintenir un sentiment de cohérence en s’accrochant à des explications alternées, parfois complotistes, qui confirment leur vision du monde.

Les médias jouent également un rôle dans la propagation de ces théories. L'essor des "fake news" et la multiplication des plateformes de désinformation ont facilité l’accès à des contenus qui renforcent les croyances en les conspirations (Rolling Stones, 2017). Ces théories sont souvent présentées comme des vérités cachées que seuls les initiés peuvent comprendre, exacerbant ainsi les sentiments de marginalisation et de "révélation".

Le lien entre les croyances en les théories du complot et la psychologie sociale est également manifeste dans les travaux sur la paranoïa politique (Robins & Post, 1997). La perception de l’élite comme étant manipulatrice ou malveillante nourrit un cycle où les théories du complot se justifient elles-mêmes par leur rejet des autorités ou des vérités établies. Les individus dans ces situations ne cherchent pas simplement à comprendre, mais à se protéger contre un monde qu’ils perçoivent comme hostile.

Les théories du complot ne sont donc pas seulement une question de désinformation; elles sont liées à des besoins psychologiques profonds et à des mécanismes de défense face à l’incertitude et à la peur de l’incompréhensible. Comprendre ces dynamiques est essentiel pour aborder ce phénomène non seulement sur un plan cognitif, mais aussi sur un plan social et émotionnel.