L'exigence de tests urinaires pour l'accès aux soins ou la collecte de preuves via des tests de sang, d'urine ou de selles a été observée comme une méthode qui pourrait être justifiée par un intérêt constitutionnel, notamment celui de promouvoir la moralité, la santé maternelle et d'autres préoccupations sociétales. Ces tests, rapports, arrestations et poursuites continuent d'être menés dans de nombreux États, bien que ces mesures puissent être perçues comme étant de plus en plus constitutionnalisées à travers la protection de la santé publique et des intérêts moraux.

Au niveau des États, jusqu'en 2022, seuls trois États avaient formellement criminalisé les actions des femmes enceintes concernant leur propre grossesse, à savoir la Caroline du Sud, l'Alabama et le Tennessee. Chaque État a adopté une approche différente concernant la criminalisation : certains ont développé des précédents juridiques par étapes, d'autres ont fait des ruptures plus dramatiques avec la loi, tandis que d'autres encore ont introduit des lois criminelles avec une date d'expiration de deux ans. Ces trois voies de criminalisation illustrent l'importance non seulement des juridictions, mais aussi des législateurs dans la création de crimes de statut pour les personnes enceintes, rendant les actions liées à la grossesse susceptibles de sanctions légales.

La Caroline du Sud a été le premier État à criminaliser officiellement les actions des femmes enceintes en 1997. Ce processus graduel s'est développé au sein du système judiciaire, en commençant par le droit civil, où des lois de "protection" ont été utilisées comme fondement pour une législation plus punitive. Dans l'affaire Fowler v. Woodward (1964), la Cour suprême a statué en faveur de l'indemnisation des dommages causés par une fausse couche résultant d'une blessure. Ce jugement a marqué un tournant en reconnaissant qu'un fœtus viable, une fois séparé du corps de sa mère, pouvait être considéré comme une entité légale susceptible de réparation. Cette vision a été renforcée vingt ans plus tard dans l'affaire State v. Horne (1984), dans laquelle un homme, après avoir blessé une femme enceinte, a été jugé coupable de meurtre involontaire pour la mort de l’enfant à naître, soulignant ainsi l'application croissante de la législation pénale à la vie fœtale.

Les choses ont pris un tour particulier avec l'affaire de Cornelia Whitner, une femme noire de la Caroline du Sud, qui en 1991, après avoir développé une dépendance à la cocaïne, a été accusée de négligence envers son enfant à naître après que celui-ci ait montré des traces de drogue dans son urine. Bien que l'affaire ait été contestée, le système judiciaire a persévéré dans sa décision, argumentant que le fœtus, bien qu'il ne soit pas encore né, devait être protégé au même titre qu'un enfant postnatal. Whitner fut condamnée à huit ans de prison après avoir été reconnue coupable de négligence criminelle.

Cette évolution légale s'est intensifiée au fil du temps, notamment avec l’adoption d’une loi en 2006 en Caroline du Sud, qui avait pour but d'étendre les protections juridiques du fœtus, créant ainsi une "victime potentielle" du crime. Bien que cela ait ouvert la voie à des décisions légales de plus en plus rigoureuses à l'égard des femmes enceintes, la législation a également établi des exceptions dans le cadre des accusations criminelles, excluant explicitement les femmes enceintes de certaines poursuites. Une dynamique similaire a été observée en Alabama, où l'État a promulgué une législation dans le cadre de la loi de Brody en 2006, octroyant un statut de "victime" au fœtus en cas de maltraitance ou de meurtre, à la suite de la mort d'une femme enceinte dans une fusillade.

Cependant, au-delà des questions légales, ces évolutions soulèvent des questions profondes concernant les droits reproductifs des femmes, le respect de leur autonomie corporelle et l'impact que ces décisions ont sur les femmes, en particulier celles issues de communautés marginalisées. Alors que certains plaident pour la protection de la vie fœtale, d'autres soulignent les dangers d'une criminalisation excessive, qui peut exacerber les inégalités sociales et économiques, ainsi que limiter l'accès à des soins médicaux adéquats pour les femmes enceintes. Il est donc essentiel de ne pas uniquement s'attacher à la dimension juridique de ces affaires, mais aussi de comprendre les implications sociales et politiques de la criminalisation de la grossesse.

Pourquoi criminaliser les femmes enceintes consommatrices de drogues ne protège pas les enfants

La criminalisation de l’usage de drogues pendant la grossesse s’est imposée comme une réponse politiquement avantageuse, moralement rassurante, mais médicalement inefficace. Loin d’assurer la protection de l’enfant à naître, elle aboutit trop souvent à la séparation brutale des mères et de leurs enfants, avec des conséquences délétères sur les deux.

Les tests de dépistage positifs sont fréquemment utilisés comme justificatifs pour retirer les enfants à leurs mères, malgré le fait qu’un test positif ne puisse déterminer ni la qualité parentale, ni les conditions de vie réelles de l’enfant. Le système punitif fondé sur ce type de preuve entraîne des décisions souvent irréversibles. Dans des États comme la Caroline du Sud, l’Alabama ou le Tennessee, des milliers d’enfants sont ainsi placés en famille d’accueil chaque année, parfois dès la naissance. Un pourcentage alarmant de ces enfants a moins d’un an, ce qui souligne à quel point le système agit de manière préventive sans considération suffisante pour le contexte social et médical.

L’argument officiel de la protection de l’enfant s’effondre dès lors que l’on examine de près les réalités du placement en foyer ou en famille d’accueil. Nombre d’enfants placés souffrent de négligence, de maltraitance, voire d’abus sexuels. Ils manquent de nourriture, de vêtements appropriés, et reçoivent moins de soins médicaux que les enfants non placés. La séparation elle-même constitue une source majeure de traumatisme, accentuée par la stigmatisation sociale et le sentiment d’abandon. Or, le traumatisme, l’isolement social, les violences interpersonnelles et les difficultés économiques sont précisément des facteurs reconnus dans le développement des troubles liés à l’usage de substances.

La réponse punitive engendre ainsi un cercle vicieux : en prétendant protéger l’enfant, elle aggrave les conditions de vulnérabilité de la mère, ce qui augmente les risques pour l’enfant. L’approche judiciaire se révèle incapable de saisir la complexité de la situation. L’image du "marteau de velours", utilisée pour désigner ces politiques apparemment douces mais réellement coercitives, illustre bien cette tension : sous couvert de bienveillance, on applique une logique répressive fondée sur la peur et la honte.

Certaines initiatives locales, à l’instar du travail de Della Bricker et Mauree Gimlet en Caroline du Sud, tentent de renverser cette logique. Ces professionnelles offrent un accompagnement global aux femmes enceintes dépendantes : soutien psychologique, conseils juridiques, formation professionnelle, aide à l'obtention du diplôme de fin d'études, assistance dans les démarches administratives. Elles permettent aussi aux femmes de vivre avec leurs bébés dans un cadre sécurisé et respectueux, tout en recevant des soins adaptés. Leur approche vise à rétablir le lien mère-enfant plutôt qu’à le détruire, à soigner plutôt qu’à punir.

Le procureur Peter Hermann, figure emblématique d’une justice auparavant intransigeante, a lui-même connu une transformation profonde. Initialement élu sur une plateforme "law and order", il a compris au fil du temps, notamment grâce à la collaboration avec Bricker, que l’incarcération ne répondait pas au problème. L’usage de substances pendant la grossesse n’est pas un choix criminel mais une pathologie, souvent enracinée dans des dynamiques sociales et psychologiques complexes. Le rôle du procureur, dès lors, ne devrait pas être de "pêcher des paniers dans la rivière", mais de "remonter la berge" pour comprendre et stopper ce qui pousse ces femmes dans des situations à risque.

Hermann a choisi d’orienter les femmes vers les centres de traitement au lieu de les poursuivre pénalement. Cette décision n’a pas été facile, et elle est survenue dans un contexte personnel douloureux, avec la perte d’un membre de sa famille à la suite d’une overdose pendant une grossesse. Cette expérience l’a confronté directement à l’échec des politiques punitives, et l’a amené à reconsidérer ses convictions initiales.

Simplifier une question aussi multidimensionnelle – médicale, psychologique, sociale – en un problème de justice pénale revient à utiliser un marteau pour jouer du piano. C’est une dissonance dangereuse, aux répercussions irréversibles. La reconnaissance de la toxicomanie comme maladie, et non comme déviance, suppose un changement de paradigme, un déplacement de la réponse sociale de la répression vers la compassion, l'accompagnement et la prévention.

Ce qu’il faut encore comprendre, c’est que les politiques prétendument bienveillantes sont souvent façonnées par des outils institutionnels intrinsèquement punitifs. Même les acteurs qui se montrent ouverts au dialogue et au soin n’échappent pas à la logique disciplinaire des mécanismes judiciaires. Le recours à des équipes pluridisciplinaires peut masquer les atteintes aux droits fondamentaux, en dispersant les responsabilités. Sous couvert de progrès, on construit des dispositifs de contrôle et d’exclusion d’une efficacité redoutable, mais d’une humanité vacillante.

Ce n’est pas seulement la réponse judiciaire qu’il faut revoir, mais l’ensemble du dispositif d’intervention autour de la grossesse, de la parentalité et de l’usage de substances. La maternité ne peut être un espace de surveillance généralisée. Elle doit redevenir un lieu de soin, d’autonomie, et de reconnaissance de la complexité des vécus féminins.