La course présidentielle démocrate de 2020, marquée par un nombre impressionnant de candidats, a mis en lumière des dynamiques complexes au sein du parti. Dans un effort pour canaliser ce vaste champ de prétendants, le Comité National Démocrate (DNC) a mis en place des critères stricts pour déterminer la participation aux débats. Ces critères ont été conçus pour éviter le spectacle embarrassant des débats républicains de 2016, où les candidats les moins populaires étaient relégués à des débats secondaires, sans grande audience ni importance. Le DNC, tout en cherchant à éviter cet écueil, a cherché à réduire la taille du champ des candidats de manière subtile et non partisane, afin d’éviter d'apparaître comme un acteur influent de l'élimination de candidats.

Les candidats doivent ainsi atteindre un seuil minimal de soutien dans les sondages ou récolter un nombre significatif de contributions pour participer aux débats. Ces critères, fondés sur des mesures objectives comme les sondages ou le nombre de contributeurs, visent à concentrer l’attention sur les candidats qui jouissent réellement d'un soutien populaire. Si ces exigences étaient relativement accessibles au début, elles se sont durcies à mesure que la compétition avançait. Par exemple, les candidats devaient obtenir 2 % de soutien dans quatre sondages et récolter 130 000 contributions, dont un nombre minimal provenait de différents états. Ces règles ont un impact direct sur la manière dont les candidats sont perçus par le public et peuvent affecter leur capacité à continuer à rivaliser au sein du même champ électoral.

Cependant, cette approche a aussi pour but de s'assurer qu'aucun candidat ne soit inutilement défavorisé. En rendant ces critères transparents et objectifs, le DNC minimise l'apparence de favoritisme et laisse peu de place à l'interprétation. Si un candidat ne parvient pas à atteindre les critères nécessaires, cela devient difficile à ignorer, même s’il peut théoriquement poursuivre sa campagne. En effet, l’absence d’un candidat aux débats de septembre peut être le signe d’une campagne en déclin, ce qui soulève la question de savoir comment un tel candidat pourrait rebondir.

Le système des débats primaires met également en évidence les divergences internes au sein du Parti démocrate, notamment sur la manière de traiter Donald Trump et son impact sur la politique américaine. Une division importante se profile : certains candidats, comme Joe Biden, ont opté pour un ton plus conciliant et pragmatique, mettant en avant leur capacité à travailler avec les républicains. D’autres, comme Bernie Sanders et Elizabeth Warren, adoptent une position plus radicale, critique de l’inégalité économique et des dérives du système politique américain. Cette distinction est cruciale, car elle reflète non seulement les priorités des candidats mais aussi la manière dont ils envisagent l’avenir de l’Amérique post-Trump.

Une autre dimension importante des primaires démocrates de 2020 réside dans la composition démographique des candidats. Le champ de prétendants est remarquablement diversifié, avec des femmes, des Afro-Américains, le premier candidat présidentiel ouvertement gay, ainsi que des candidats latinos. Cependant, il inclut également une proportion importante de candidats blancs et masculins. Ce phénomène soulève des questions sur la représentation des minorités et sur l’importance relative accordée à la diversité par les électeurs démocrates. Dans un contexte où la diversité a pris une place croissante au sein du parti, la dynamique des primaires pourrait permettre de comprendre à quel point les électeurs démocrates privilégient une représentation descriptive de la société ou, au contraire, des engagements politiques spécifiques.

Enfin, il est intéressant de noter que, bien que la campagne présidentielle de 2020 semble avoir favorisé une multiplication des candidatures, les outils technologiques ont considérablement facilité l'accès au processus électoral. Là où les candidats devaient autrefois se contenter de rencontrer des électeurs dans des hôtels et lors de rencontres locales, les réseaux sociaux et les levées de fonds en ligne ont permis à des candidats moins connus de se faire un nom et de se faire entendre. Cela a changé la nature même de la campagne, permettant à des figures comme Pete Buttigieg de faire une percée importante grâce à des interviews dans des émissions en direct, comme les town halls télévisés. Ce phénomène, bien qu’encore en développement, montre à quel point les candidats peuvent désormais se faire connaître indépendamment des grands médias traditionnels.

Cette évolution technologique n’est pas simplement un changement dans les moyens de communication. Elle transforme également la dynamique de la campagne, en offrant à une plus grande variété de candidats la possibilité d'atteindre une audience nationale et d’élargir leur base de soutien, souvent en dehors des canaux de communication conventionnels.

Comment Trump est devenu une figure de proue grâce à la télé-réalité et comment cela a façonné son image politique

Donald Trump n’a pas toujours été vu comme un leader politique. En 2000, lorsqu’il annonça sa candidature à la présidence des États-Unis, nombreux étaient ceux qui le considéraient comme un homme d’affaires arrogant, dont la richesse et la célébrité ne suffisaient pas à faire de lui un candidat viable. Selon Jesse Useem, dans son article pour Fortune, Trump pensait que son statut social et sa fortune en faisaient un « homme du sommet », digne d’accéder au bureau ovale. Mais, malgré ses ambitions, l’élection présidentielle de 2000 échappa à Trump. Toutefois, une nouvelle opportunité se profilait à l’horizon.

Au début du XXIe siècle, un phénomène nouveau faisait son apparition : la télé-réalité. Le 30 mai 2000, CBS lança Survivor, un remake d’une série suédoise intitulée Expedition Robinson. Le concept était simple : 16 participants étaient abandonnés sur une île déserte et répartis en deux équipes. Ils devaient se mesurer dans des épreuves de survie et, à chaque épisode, éliminer un des leurs. Le succès immédiat de Survivor transforma les téléréalités en un genre incontournable, générant une frénésie parmi les chaînes pour produire d’autres programmes similaires. Ces émissions étaient non seulement populaires, mais aussi peu coûteuses et rapides à produire, comparées aux séries scénarisées. Très vite, les chaînes inondèrent le marché de concepts empruntant l’essence de Survivor, avec des variantes comme The Amazing Race, Hell’s Kitchen, ou The Bachelor.

En raison de l’énorme succès de ce type d’émissions, les producteurs cherchaient de nouveaux concepts. Mark Burnett, le producteur de Survivor, imagina une version urbaine du programme : des candidats s’affrontant pour obtenir un emploi chez un homme d’affaires célèbre. Ce personnage devait être Trump. À l’origine, il devait n’être qu’un figurant dans chaque épisode, mais après avoir vu les premiers épisodes, les producteurs insistèrent pour qu’il prenne plus de place, délaissant l’idée de changer de "mogul" chaque saison. Ainsi, The Apprentice vit le jour, avec Trump dans le rôle principal, un rôle qui ne tarda pas à devenir emblématique.

L’émission était pourtant un concept difficile à décliner en série : contrairement à d’autres téléréalités, qui faisaient appel à des lieux exotiques, des défis spectaculaires ou à des personnalités extravagantes, The Apprentice ne pouvait s’appuyer que sur des tâches simples liées au monde des affaires. Des sketches humoristiques, comme celui du duo britannique Mitchell et Webb, pointaient l’ennui potentiel de l’émission, soulignant qu’il n’y a rien de passionnant à voir des professionnels accomplir des tâches qu’ils maîtrisent. Le seul moyen de rendre l’émission captivante était de faire intervenir des candidats incompétents, qui échoueraient à accomplir ces tâches. C’est ainsi qu’une version de The Apprentice, intitulée The Celebrity Apprentice, fut lancée, avec des célébrités – souvent sans compétences particulières en affaires – en compétition pour un prix. Trump y jouait un rôle clé, à la fois juge et figure autoritaire, face à des célébrités telles que Clint Black ou Roseanne Barr.

Pour Trump, ce format était idéal. Bien que son salaire fût modeste comparé à celui des stars de séries à succès, l’émission lui offrait une exposition inouïe. À chaque épisode, il faisait la promotion de ses entreprises tout en cultivant une image de dirigeant compétent et impitoyable. Les téléspectateurs le voyaient sous un jour nouveau, celui d’un magnat qui, grâce à sa sagesse, pouvait juger des équipes et mettre fin à leurs espoirs d’un simple « You’re fired ». Cette image de Trump, celui d’un homme d’affaires sans faille, était soigneusement construite, au détriment de ses échecs et scandales passés.

Mais il ne faut pas oublier que l’image de Trump dans The Apprentice était avant tout une fiction. En réalité, les décisions de Trump concernant les éliminations étaient souvent basées sur ses propres préférences, parfois influencées par des éléments bien plus excentriques que des critères objectifs. Loin de se fonder uniquement sur la performance des candidats, ses choix étaient souvent motivés par ce qu’il pensait plaire à l’audience, comme garder un personnage divertissant malgré son incompétence. Les producteurs, eux, devaient ajuster le montage des épisodes pour que ces décisions semblent cohérentes. Pourtant, pour le public, ce Trump-là – celui qui observait, jugeait et décidait – semblait réel, et il devint rapidement une figure respectée dans l’imaginaire collectif.

En 2016, au moment de la Convention nationale républicaine, une déléguée affirmait que son soutien à Trump venait de l’image qu’elle s’était forgée de lui grâce à The Apprentice. Pour elle, l’émission avait montré un homme respecté par ses célébrités. Mais ce qu’ignorait une grande partie de l’élite politique, c’est que The Apprentice ne représentait pas simplement une émission de téléréalité : c’était une machine à créer une image de Trump comme un leader naturel. Ceux qui pensaient que The Apprentice n’était qu’un spectacle sans importance se sont rendu compte bien plus tard que cette émission avait été une des pierres angulaires de son ascension politique.

Pour bien comprendre l’impact de cette émission, il est essentiel de considérer le contexte de l’époque. L’élection d’Obama en 2008 avait déjà exacerbé des peurs raciales et sociales chez certains segments de la population. Trump savait que cette réalité, plus que toute autre, pouvait être exploitée. Les thèmes de l’émission, qui se concentraient sur l’autorité et la prise de décision ferme, résonnaient avec une frange de la population américaine en quête d’un homme fort face aux changements sociaux et culturels.