Les discours populistes et fondamentalistes se fondent sur des récits puissants et émotionnellement chargés, où l’opposition entre "Nous" et "Eux" occupe une place centrale. Ces récits sont construits autour de la notion d’un conflit existentiel, menaçant l'identité, les valeurs et la sécurité du groupe. Pour les partisans de ces mouvements, ce n’est pas simplement une question de politique ; il s’agit d’une lutte pour la survie, une défense de l’essence même de ce qu’ils perçoivent comme leur monde, leur culture et leurs traditions.

Dans les discours de figures emblématiques comme Donald Trump, cette dynamique de "Nous contre Eux" atteint son paroxysme. Trump, par exemple, peint un tableau où les Américains de "base", souvent décrits comme travailleurs et honnêtes, sont oppressés par une élite politique et culturelle, perçue comme déconnectée et corrompue. Ce groupe d’élites n’est pas simplement distant, mais activement hostile aux valeurs et à l’identité de l’Amérique traditionnelle. En conséquence, une tension se crée, nourrie par des sentiments d’humiliation et de colère, mais aussi de peur face à la menace qu’une soi-disant invasion étrangère représente : les "criminels" et les "aliens" sont utilisés comme boucs émissaires.

L’élément narratif essentiel dans ces discours est l’élan vers un retour à un âge d’or, un temps mythifié où tout semblait plus simple, plus pur. Trump, en parlant de la renaissance de l’industrie de l’acier et du charbon, promet de restaurer cette époque révolue, perçue comme la période dorée des États-Unis. Sur le plan national, l’économie est présentée comme en plein essor, et sur la scène internationale, des politiques perçues comme audacieuses, comme le déplacement de l'ambassade américaine à Jérusalem, sont mises en avant comme des signes d'une Amérique retrouvant sa grandeur.

Toutefois, au-delà de cette promesse de victoire, la guerre narrative ne s'arrête pas là. Dans les discours populistes, la lutte ne se limite pas à la scène politique, mais s’étend à un conflit plus profond et plus personnel. "Eux" ne sont pas seulement les ennemis de "Nous" sur un plan politique, mais ils incarnent une menace existentielle pour ce que "Nous" sommes et pour ce que "Nous" représentons. L’ennemi, dans cette vision, est omniprésent et ses actions sont attribuées à un mal moral inhérent. Ces ennemis ne sont pas simplement en désaccord avec nous, ils sont les porteurs d’un danger fondamental et irrémédiable. Ce danger ne réside pas dans des divergences d'opinions politiques, mais dans des intentions malveillantes visant à détruire l’identité et la sécurité du groupe.

Le rôle de la peur et de l’angoisse dans cette dynamique est crucial. En activant ces émotions, les populistes et fondamentalistes réussissent à galvaniser leurs partisans, créant une atmosphère où la rationalité est remplacée par un besoin viscéral de défendre ce qui est perçu comme un ordre naturel et juste. L’élan narratif, souvent construit autour de la peur, de la colère et de l’espoir, sert à conforter les partisans dans leur croyance que leur vision du monde est la seule véritable et qu’elle mérite d’être protégée à tout prix.

Cette manipulation émotionnelle va de pair avec une promesse de rétablir un "ordre" perdu. Par exemple, dans les discours de Trump, l’idée d’un retour à l’indépendance industrielle et à une prospérité retrouvée est associée à la notion de justice : une justice qui rend à "Nous" ce qui nous revient de droit, qui permet à ceux qui ont été laissés pour compte de retrouver leur place. À travers cette vision, les partisans ne sont plus simplement des observateurs passifs de l’Histoire ; ils deviennent des acteurs d’une grande révolte contre un ordre qui les a trahis.

Ce qui distingue ces narrations, c’est la manière dont elles transforment les enjeux politiques en une bataille cosmique, une guerre de valeurs où chaque décision, chaque vote, chaque action devient une question de survie, non seulement pour l’individu, mais pour l’intégralité de la nation. Ce processus transforme les émotions de peur, d’espoir et de colère en un catalyseur d’action, propulsant les individus à se battre pour ce qu'ils croient être la vérité et la justice.

Il est important de souligner que, bien que ces récits servent à renforcer l’identité du groupe et à créer une unité face à une menace perçue, ils peuvent également avoir des conséquences dévastatrices. En entretenant des divisions profondes et en instaurant une dichotomie entre "Nous" et "Eux", ces récits alimentent la haine, la violence et la polarisation sociale. L'idée que "Eux" sont intrinsèquement mauvais et que "Nous" détenons la vérité conduit souvent à un rejet des principes démocratiques, de la négociation et de la coopération. La structure narrative des populistes et fondamentalistes fonctionne ainsi non seulement comme une réponse émotionnelle à des peurs et des frustrations légitimes, mais aussi comme un outil de manipulation qui peut mener à des ruptures sociales et politiques profondes.

Les dirigeants populistes ne se contentent pas de manipuler les émotions ; ils les exploitent pour créer une dynamique de groupe où l’émotion et la croyance se mêlent pour générer une loyauté inébranlable. La clé de leur pouvoir réside dans leur capacité à créer un récit où les partisans se voient comme les véritables défenseurs d’une cause noble, unis contre des ennemis qui menacent non seulement leur bien-être, mais l’essence même de leur existence.

Populisme et fondamentalisme : une réaction contre la modernité

Dans un monde de plus en plus complexe et interconnecté, les citoyens sont souvent démunis face à la multitude de systèmes sociaux spécialisés qui régissent leur quotidien. Ils se retrouvent confrontés à une multitude d’intermédiaires nécessaires pour comprendre ce qui se passe autour d’eux. Les élus les représentent-ils véritablement ? Qui influence leurs décisions et dans quel but ? Quels projets à long terme le gouvernement propose-t-il ? Dans un tel contexte, la confiance devient un facteur clé. Si les citoyens ne trouvent personne en qui ils peuvent avoir confiance, ils se retrouvent souvent contraints de se débrouiller seuls pour comprendre et naviguer dans les méandres du pouvoir.

Le même phénomène se retrouve dans le domaine religieux. Les croyants peuvent être conscients du fonctionnement de leur mosquée, église ou synagogue locale, mais ils peuvent aussi se sentir démunis face à l'influence réelle qu'ils peuvent avoir sur ces institutions. Ils doivent non seulement faire confiance à leur imam, prêtre ou rabbin local, mais aussi à l'institution religieuse elle-même, qu’il s’agisse de leur dénomination, secte ou mouvement. Les institutions religieuses, cependant, ne sont pas toujours transparentes ou responsables, et cela devient de plus en plus difficile à mesure que les sectes se multiplient et échappent à tout contrôle centralisé. Bien que la foi en Dieu puisse prospérer, la confiance dans les autorités religieuses semble s'amenuiser.

Ce phénomène n’est pas simplement une réaction contre la différenciation structurelle des systèmes sociaux modernes, mais également contre certaines valeurs essentielles que ces systèmes véhiculent. L’énorme progrès que ces systèmes ont accompli a engendré une vision optimiste des capacités humaines à prévoir et à contrôler. L’importance de la rationalité et de l’évidence dans la prise de décision, de même que l’évaluation des expertises spécialisées, sont devenues des principes fondamentaux. Les explications scientifiques, techniques et empiriques sont désormais valorisées au détriment des explications surnaturelles ou morales. Les idéaux universels, tels que les droits de l’homme, ont pris le pas sur les loyautés locales. Par ailleurs, la modernité permet aux individus de se développer au sein de plusieurs systèmes sociaux et d’acquérir des identités multiples. Cela offre une plus grande liberté d’expression et de développement personnel, mais cela a également conduit à une remise en question de l'ordre social « naturel » et homogène du passé.

Face à ces changements, les populistes et les fondamentalistes réagissent, non seulement contre la crise actuelle de la modernité, mais également contre ses valeurs fondamentales. Les populistes, par exemple, dressent un mur entre les « véritables gens » et une élite cosmopolite déconnectée des préoccupations nationales. Ils défendent l'idée de frontières, de famille traditionnelle et de travail valorisé. De l’autre côté, les partisans d’une « société ouverte » prônent un monde sans frontières, de nouvelles formes de famille et un travail dévalorisé. Ce clivage se traduit par une critique acerbe de la démocratie, des droits de l'homme et des valeurs pluralistes.

Les fondamentalistes, quant à eux, réagissent contre la modernité de manière plus radicale. Ils désirent parfois revenir à des formes théocratiques de gouvernance, où la loi religieuse serait supérieure à la législation civile. Dans certains pays, comme l’Iran, cela s'est concrétisé, mais ailleurs, comme aux États-Unis, de nombreux fondamentalistes rêvent d’un retour à un pays régi par la loi biblique. De même, dans le domaine juridique, des mouvements extrémistes souhaitent remplacer le droit commun par la charia ou la Torah. Les populistes, pour leur part, rejettent les systèmes démocratiques pluralistes et préfèrent un pouvoir concentré entre les mains d'un leader charismatique, perçu comme le seul représentant authentique du peuple.

Dans le domaine des médias et des arts, ces deux courants idéologiques manifestent également leur hostilité. Les populistes et les fondamentalistes partagent une vision absolue de la vérité et cherchent à imposer leur propre interprétation des faits. Les populistes rejettent la presse libre, qu'ils qualifient de « fake news », et tentent d'exercer une influence sur les médias sociaux pour propager leur version de la réalité. Les fondamentalistes, eux, considèrent que leur texte sacré est la seule vérité absolue et rejettent toute interprétation scientifique ou artistique qui ne correspondrait pas à cette vision.

Les sciences elles-mêmes sont l'objet de méfiance. Pour les fondamentalistes, toute théorie scientifique qui contredit leur compréhension religieuse du monde est rejetée. Par exemple, l’âge de l’univers ou les théories sur les maladies mentales sont interprétés à travers le prisme de leur foi. De même, les découvertes scientifiques concernant le changement climatique ou les vaccins sont perçues comme des conspirations orchestrées par des élites secrètes.

Enfin, l’éducation des jeunes est un autre terrain de bataille. Dans les sociétés démocratiques modernes, l'éducation vise à promouvoir la pluralité et à préparer les jeunes à vivre dans un monde diversifié. Mais les fondamentalistes veulent que leurs enfants soient éduqués selon leur vision religieuse, et de préférence selon leur propre interprétation des textes sacrés. Beaucoup envoient leurs enfants dans des écoles religieuses ou les instruisent à domicile, loin de tout contrôle étatique. En revanche, les leaders populistes, qui s’identifient souvent à une classe populaire, n’hésitent pas à glorifier leur propre éducation, souvent vue comme une formation tirée de l’expérience de la vie.

Loin de représenter simplement une réaction contre certains aspects de la modernité, le populisme et le fondamentalisme incarnent une résistance profonde à l’évolution des sociétés démocratiques modernes. Ils défendent des valeurs et des structures de pouvoir alternatives qui remettent en question la division du travail social, l'expertise spécialisée et les principes de gouvernance pluralistes qui caractérisent la modernité.