Le Drifting, cette sensation d’être en équilibre précaire entre l’attaque et la fuite, devient particulièrement palpable lorsqu’il s’agit de la confrontation avec un être qui n’est ni tout à fait humain, ni tout à fait autre chose. C’est ce que j’ai ressenti en abordant Green Green. Il n’était ni un homme, ni un Pei’an – une entité déjà inquiétante en soi – mais quelque chose qui dépassait tout ce que l’on pourrait imaginer. Il portait un Nom, et ceux qui portent un Nom possèdent le pouvoir de manipuler, d’influencer, non seulement les êtres vivants, mais aussi les éléments qui les entourent, surtout lorsqu’ils s’élèvent pour fusionner avec l’ombre qui se cache derrière ce Nom. Ce n’est pas là un phénomène théologique à proprement parler, mais une réalité perçue dans toute sa complexité. Le monde des sculpteurs mondiaux, celui des manipulateurs de l’espace-temps, est fait d’années d’entraînement, et rares sont ceux qui parviennent à compléter ce parcours.
Face à ce défi, je n’ai jamais cessé de me demander dans quelle mesure Green Green avait modifié le monde avant de choisir ce lieu pour notre confrontation. Quelle était la nature de ce piège ? Et surtout, jusqu’à quel point pouvait-il être sûr de ses atouts ? Mais dans le combat des Noms, personne ne peut être certain de l’emporter, pas même moi.
L'analogie du combat des poissons bettas (Betta splendens) peut éclairer ce processus de confrontation. Les poissons, plongés dans un même environnement, déploient lentement leurs nageoires brillantes, gonflent leurs branchies, créant l'illusion d’un agrandissement immédiat, d’une transformation en quelque chose de plus grand. Puis ils s’approchent, ils dérivent ensemble, leur lente danse laissant place à des explosions de rapidité, un tourbillon de couleurs et de mouvements. Mais la lutte ne consiste pas uniquement en des heurts violents ; c’est aussi une période de calme, de flottement, où tout semble se figer, avant que le cycle de combat ne reprenne. Ce jeu de mouvements et de pauses est le même dans la confrontation avec un Nom.
Quand j'ai franchi la lune, lorsque l'énorme masse du monde se profilait devant moi, obscurcissant les étoiles, j'ai perçu une certaine lenteur dans ma descente. Chaque mouvement était mesuré, chaque décision calculée. La sensation de la chute, du glissement, faisait écho à l'idée même du Drifting : être sur le point de toucher la terre tout en étant encore suspendu dans l’immensité, à la merci des courants et des vents. À chaque instant, j’étais en train de mesurer les risques, de percevoir l’ombre de l’invisible, cette menace qu’il faut savoir appréhender sans jamais la voir clairement.
Quand je suis enfin arrivé près de la lac Acheron, l’île des Morts, mon esprit était tendu, calculant encore et toujours les variables invisibles qui m’entouraient. Les détections, la position des appareils, l’atmosphère elle-même semblaient offrir des défis invisibles à chaque étape. Le vent, la brume, la lumière… tout semblait conspirer pour désorienter ou déstabiliser ma trajectoire. Mais tout ce processus faisait partie du chemin. Les moments où la lumière éclaire ou disparaît soudainement, les périodes de calme et de turbulences, ces mouvements constants, ces ascensions et descentes, sont les mêmes principes qui régissent une telle confrontation.
La forêt d'Illyria, que j’ai retrouvée à mon arrivée, était comme un retour chez soi, un retour à un monde connu, mais teinté de l’étrangeté d'une longue absence. L’air empli de la fragrance des plantes en décomposition, des oiseaux virevoltant autour de moi, tout cela me rappelait un monde, et pourtant il semblait changé. Chaque pas, chaque souffle de vent me ramenait à une sensation ancienne, comme si la mémoire de la forêt elle-même s’éveillait à la simple présence de mon corps. Les images de ma jeunesse, de la rivière, des saules et des sifflets fabriqués à partir de branchages, m'envahissaient. Les sens étaient amplifiés, chaque détail semblait plus net, plus vibrant, comme si le monde devenait à la fois plus tangible et plus insaisissable.
Ce n’est qu’après avoir traversé un ruisseau, alors que les serpents aquatiques se déplaçaient lentement à mes côtés, que l’ambiance du lieu m’a véritablement frappé. Les airs étaient saturés de parfums étranges, et chaque plante, chaque animal semblait avoir une présence plus forte qu’en d’autres lieux. Le temps semblait se distordre ici, l’instant devenant aussi infini qu’éphémère.
Mais il y a quelque chose de crucial à comprendre dans ce retour à Illyria, dans cette marche à travers la forêt, qui dépasse l’aspect sensoriel de l’expérience. C’est une confrontation avec l’invisible, une danse entre ce qui est et ce qui pourrait être. L’isolement dans un tel environnement, loin de toutes certitudes, permet une distillation du monde et de soi-même. Il ne s’agit pas uniquement d’observer les éléments ou de calculer les risques à chaque instant ; il s’agit de comprendre qu’on est au centre d’un processus bien plus vaste, un processus qui se nourrit de chaque instant de doute, de chaque choix incertain.
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Pourquoi la monnaie peut-elle acheter une vengeance?
Il est difficile de dire quand une situation devient suffisamment complexe pour faire en sorte qu'une personne perde sa capacité à juger avec clarté. Dans cet univers où la violence, la manipulation et l'argent sont les clés de la survie, il arrive que l'idée même de l'argent soit perçue différemment par ceux qui y sont accoutumés. Mais à un moment donné, on se rend compte qu’il existe des choses que l’on ne peut pas acheter, et d'autres que l'on achète sans même y penser.
La situation était devenue délicate. Shandon, cet homme d'une race que je croyais mieux comprendre, en était venu à un point où il représentait une menace, et ce, à plusieurs niveaux. Son besoin insatiable de richesse, ses choix maladroits, et son attitude envers ceux qui pouvaient lui offrir une issue étaient devenus évidents. Une réflexion s’imposa alors : pouvait-on acheter sa vengeance? La monnaie pouvait-elle suffire à acheter le silence d'un homme prêt à tout pour obtenir ce qu'il voulait?
La théorie selon laquelle tout a un prix, une idée née des mercenaires et des marchands, semble régir certaines vies. On parle ici d'un monde où même la vengeance peut devenir une marchandise, où chaque geste, chaque mouvement, peut être valorisé et mis sur un étal. Pourtant, dans ce contexte précis, l’argent ne semblait pas suffisant pour apaiser un cœur assoiffé de vengeance. Certes, il y avait une possibilité qu’une somme d'argent suffisante fasse taire Shandon pour un temps, mais il demeurait une certitude : cet homme, en dépit de tout, ne s'arrêterait pas là. Il n’était pas un membre de la classe marchande, qui peut parfois considérer tout ce qu’elle fait à travers le prisme de l’argent. C’était un être animé par une autre forme de vengeance plus profonde, une vengeance qui ne se satisferait pas de quelques pièces.
Cette réflexion sur l'argent, ce concept qui semble faire partie intégrante de l’existence des humains, est intéressante à plusieurs égards. D’abord, elle révèle quelque chose de très particulier sur la psychologie humaine. Les Pei’an, par exemple, ont une vision totalement différente des choses. Pour eux, la violence n’est pas nécessairement une solution à tout, mais dans un monde où tout a un prix, il devient difficile de savoir quand l'argent arrêtera d'être une solution. Pour Shandon, qui se nourrissait de richesse, il n’y avait pas de véritable valeur autre que l’argent lui-même, pas même la vengeance.
En réalité, ce qui distingue une société de l'autre, c’est sa capacité à traiter l'argent comme une monnaie d'échange dans des situations de vie ou de mort. Quand Shandon a agi de façon précipitée, cherchant à se venger sans mesurer l'ampleur de ses actions, il a ouvert une porte qui ne pouvait se refermer. L'argent, même s'il peut offrir une rédemption temporaire, est en fin de compte une illusion. Il est la clef d’une porte qui ne mène pas forcément à la liberté, mais à une nouvelle forme de servitude. Une somme, même si elle est exorbitante, pourrait-elle vraiment arrêter l'inexorable?
Ce paradoxe réside dans le fait que tout semble avoir un prix dans ce monde, sauf la rancune véritable. Cette idée de "paibadra", qui pourrait être interprétée comme un contrat d’actions futures fondé sur une dette de vengeance, montre bien qu'il existe des forces bien plus puissantes que l’argent. Si on peut acheter certains sentiments, pourquoi, alors, certaines rancunes seraient-elles insurmontables, et les vengeances inachevées jamais totalement effacées?
Les choix qui se posent à ce moment-là sont multiples. L’option la plus simple et la plus directe semble de se débarrasser de l'ennemi par des moyens brutaux, mais cela soulève d’autres questions sur la nature même du sacrifice. En fin de compte, quel est le véritable coût de l'acquisition de la paix? Est-ce que, dans une situation où l’on est acculé, l’argent pourrait bien être une illusion salvatrice, ou bien est-ce simplement une excuse pour retarder une confrontation inévitable?
Il n’est pas surprenant que, finalement, la solution réside ailleurs, là où l’argent n’a plus de valeur. Dans ce monde, la survie ne dépend pas seulement de la richesse ou de la brutalité, mais aussi d’une profonde compréhension de ce que l’on est prêt à sacrifier pour conserver son intégrité. Un homme peut-il acheter sa propre liberté en vendant sa dignité? Ou est-ce que la véritable libération provient de la capacité à rejeter les compromis, à ne pas se laisser enfermer par ce que l’on pourrait gagner en échange?
Le dilemme de la monnaie et de la vengeance, bien que complexe, offre un éclairage fascinant sur la condition humaine. L'idée que tout peut être acheté est à la fois une malédiction et une bénédiction. Mais, plus que tout, elle révèle ce qu’il en coûte de rester humain dans un monde où la monnaie et la vengeance se mêlent si intimement.
Qu'est-ce qui se cache derrière l'île des morts ?
Les nuages sombres dans l’ouest apportaient des présages. Le ciel était comme une toile d’ombre, parsemée de lumières tremblantes, alors que la nature semblait vibrer d'une énergie invisible. Au milieu de ce paysage étrange, je m’étais arrêté un instant, pris par l'intensité du moment. Je n’étais plus qu’une silhouette parmi tant d’autres, un reflet parmi les ombres mouvantes. Tout autour de moi, la scène était étrange, irréelle, mais d’une beauté mélancolique. L’atmosphère semblait me parler, bien qu’aucun son n’émergeât de sa bouche.
Les oiseaux qui chantaient, le chat gris qui frottait sa tête contre ma jambe, le vent qui portait avec lui l’odeur fraîche de la forêt, tout semblait me relier à un passé qui se dérobait peu à peu. Chaque souffle, chaque bruit, chaque mouvement avait une signification que je n’étais pas sûr de pouvoir comprendre. C'était comme si le monde, tout à coup, s'était ouvert à moi, mais dans une langue que je ne savais plus parler. Une pensée persistait dans mon esprit : c’était là, à cet instant, que le destin allait me rattraper.
La montée dans le vaisseau fut une autre scène de confusion, un enchevêtrement de créatures et de phénomènes qu’il me semblait avoir oubliés. Un petit ours noir, un serpent transparent, des singes, des oiseaux — toute une faune se mêlait à moi dans ce moment d’urgence, à la fois familière et étrangère. Ce n’était pas juste le paysage ou la vie animale qui semblaient m’englober, mais aussi les émotions et souvenirs des années passées.
Il y avait une urgence palpable à quitter cet endroit, cette sensation persistante de vouloir fuir sans jamais pouvoir vraiment s’échapper. J’avais vécu cela mille fois, et pourtant, chaque tentative semblait être plus vaine que la précédente. Lorsque le vaisseau prit son envol, le ciel se déchira sous le poids de l’orage. La violence de la tempête semblait vouloir me retenir, me forcer à revenir en arrière, mais je continuai. Au moment où l’orbite se brisa, un frisson étrange traversa ma peau. Qu'était-ce ? Ce n’était pas simplement la peur de l’inconnu, mais quelque chose de plus profond, une désillusion face à tout ce qui m’entourait.
Les heures qui suivirent furent celles d’une solitude, d’une quête de sens. La cabine semblait devenir plus sombre, les voyants du vaisseau n’étaient plus qu’un écho lointain, comme si tout avait perdu sa réalité sous la pression de l’isolement spatial. Pourtant, une voix, un chant ancestral, monta en moi. Un langage plus vieux que l’humanité, que j’avais oublié jusqu'à ce moment précis. C’était la première fois depuis longtemps que je me laissais emporter par ce rythme. Une sorte de libération mystique, comme si le voyage allait me mener au-delà de ce que je croyais connaître.
La vision qui suivit ne ressemblait à rien de ce que j’avais vécu auparavant. Des yeux d’animaux, des présences intangibles, une lumière pâle et irréelle comme un coucher de soleil figé dans l’éternité. J’étais pris dans un rêve éveillé, mais aussi dans une sorte de révélation. C'était comme si l’île des morts se trouvait devant moi, inaccessible, aussi belle que terrible. Je voyais des ombres, des figures qui semblaient avoir été perdues dans le temps, flottant entre les réalités. Parmi elles, des visages familiers, des souvenirs, des démons que j'avais cru vaincre.
Mais ce qui me frappa le plus, c’était cette image qui s’imposa à moi, celle de Kathy, tout en blanc, debout dans cette lumière étrange. Nos regards se croisèrent, et son nom résonna dans l’air. Pourtant, aucun mot n’atteignit mes oreilles. Un éclair, un fracas de tonnerre, et tout disparut. L’obscurité s’abattit sur tout, le silence s’installant brusquement.
Le réveil fut brutal. J’étais toujours dans la cabine, mais tout semblait avoir changé. L’île des morts, les ombres, l’appel de ces voix anciennes, tout cela était encore là, inscrit quelque part dans mes pensées. Je ne savais pas ce que cela signifiait, mais je savais que ce n’était pas une illusion. Ce voyage n’était pas seulement physique, mais aussi spirituel. L'espace extérieur et les phénomènes qui l’accompagnaient n’étaient que le reflet de ce que je portais en moi.
L’île des morts n’était pas un lieu, mais un état d’être, un lieu d’intersection entre le passé et l’avenir, entre le vivant et le mort. La frontière entre les deux était si ténue qu’il m’était impossible de discerner où l’un commençait et l’autre finissait. Ce qui m’attendait de l’autre côté de cette frontière était incertain, mais une chose était sûre : le voyage, avec ses obstacles, ses présences et ses échos, m’avait laissé plus conscient de ma propre existence que je ne l’aurais cru.
Il est essentiel de comprendre que le voyage décrit ici n’est pas une simple exploration physique. Il symbolise une quête intérieure, une exploration des limites de l’esprit humain face à l'inconnu, à la mort, à la mémoire et aux regrets. Les créatures, les phénomènes et les visions qui se manifestent ne sont pas seulement des éléments de la réalité extérieure, mais aussi des manifestations de la psyché humaine. Le passage de la frontière entre les mondes, qu’elle soit physique ou spirituelle, représente une confrontation avec ce que l’on a perdu, ce que l’on craint de trouver, et ce que l’on ne peut pas oublier. La véritable question n’est pas tant ce que l’on cherche dans ces espaces lointains, mais ce que l’on cherche à fuir en soi-même.
Qui est mon ennemi et pourquoi suis-je poursuivi ?
Là où la photo de Ruth avait été prise, le décor était tout autre, loin des pierres et du ciel bleu qui ornaient les autres clichés. J'avais cherché, mais sans rien trouver : aucune trace de violence, aucun indice quant à l'identité de mon ennemi. Je prononçai à haute voix les mots, "Mon ennemi", les premiers mots que j'avais dits depuis "Bonsoir" à l'avocat aux cheveux blancs soudainement coopératif, et ces mots sonnaient étrangement dans cet endroit immense, comme une bulle d'eau où tout reste suspendu. "Mon ennemi". Voilà ce qui était désormais posé ouvertement. J'étais recherché, mais pour quoi, je n'en avais aucune certitude. Si je devais supposer, je dirais la mort. Il aurait été utile de savoir quel ennemi parmi tant d'autres était derrière cela.
Je fouillais mon esprit. Je m'interrogeais sur le choix curieux de mon ennemi pour ce rendez-vous, ce champ de bataille. Je repensais à mon rêve de cet endroit. Il semblait incongru que quiconque m'y attire s'il voulait me nuire, sauf s'il ignorait tout de mes pouvoirs une fois que je posais le pied dans un monde que j'avais créé. Tout serait mon allié si je revenais en Illyrie, ce monde que j'avais mis là où je l'avais placé il y a des siècles, ce monde qui contenait l'Île des Morts, mon Île des Morts... Et j'y retournerais. Je le savais. Ruth, et la possibilité de Kathy... Ces deux éléments exigeaient mon retour dans cet étrange Eden que j'avais autrefois façonné. Ruth et Kathy... Deux images que je n'aimais pas juxtaposer, mais que je devais malgré tout. Elles n'avaient jamais coexisté dans mon esprit, et ce sentiment m'était désagréable maintenant.
J'irais donc, et celui qui avait tendu ce piège de cette manière ne tarderait pas à le regretter, mais cela ne durerait qu'un temps. Puis il vivrait éternellement sur l'Île des Morts.
Je jeta ma cigarette, ferma la porte du château, et repartis en voiture vers le Spectrum. J'avais soudainement faim. Je me préparai pour le dîner et descendis dans le hall. Un petit restaurant, plutôt sympathique, se trouvait à ma gauche, mais malheureusement, il venait de fermer quelques minutes plus tôt. Je m'enquis auprès du réceptionniste de l'hôtel pour savoir où je pouvais encore manger à cette heure. "Les Bartol Towers, sur la baie", me répondit-il en étouffant un bâillement. "Ils sont ouverts encore plusieurs heures." Je pris donc ses indications et partis en quête d'un peu de nourriture.
Un mot plus juste que "étrange" serait "ridicule", mais après tout, tout le monde vit dans l'ombre du Grand Arbre, n'est-ce pas ? Je conduisis jusque là-bas, et laissai ma voiture au valet qui, comme à son habitude, se tenait avec son sourire toujours prêt à m’ouvrir des portes que je pouvais parfaitement ouvrir moi-même, à me tendre une serviette que je n'avais pas demandée, à saisir une mallette que je n'avais pas l'intention de confier... Cela faisait mille ans que ce type de personnage me suivait, et ce n’était pas vraiment l’uniforme que je détestais. Non, c'était ce sourire, ce sourire qui s'éclairait dès qu'il voyait un peu de métal, ou une pièce de monnaie. Il me suivait partout, une légion silencieuse, prête à offrir ses services, aussi inutiles soient-ils, tout en gardant ce sourire étrange. Voilà l’armée qui a conquis le monde. À une époque, les pourboires étaient donnés pour un service rendu efficacement. Aujourd’hui, tout est devenu un commerce où chacun, un peu partout dans le monde, est réduit au rang de touriste. Nous sommes devenus, par cette révolution silencieuse, des citoyens de seconde zone, à exploiter, sous ce sourire omniprésent.
Arrivé aux Bartol Towers, je montai dans un ascenseur qui m'emmena jusqu'au soixantième étage. Là, je réalisai que j'avais oublié de réserver, ce qui était bien sûr évident, puisque le lendemain était un jour férié. Le restaurant était bondé. La maîtresse de maison me prit mon nom et me dit qu'il faudrait environ vingt minutes. Je m’assis donc dans un bar et commandai une bière. Tandis que je sirotais, mes yeux se posèrent sur un visage que je trouvais familier. Je mis mes lunettes spéciales, qui agissent comme des télescopes, et scrutai le profil de cet individu. Le nez, les oreilles, étaient les mêmes. La couleur des cheveux, plus foncée, et le teint légèrement différent, mais cela se modifiait facilement. Je me levai et commençai à m'approcher quand un serveur m'arrêta, me disant que je ne pouvais pas sortir avec ma boisson. Je lui expliquai que j’allais de l’autre côté, et il me proposa de porter la boisson pour moi, tout en affichant ce sourire, cette attitude de service parfait.
Je décidais qu'il serait plus sage de commander une nouvelle bière plutôt que de débattre avec lui. Alors, je m’approchai de la table où se trouvait cet homme, et, dans une voix feinte, je lui demandai : "Puis-je m'asseoir, Monsieur Bayner ?" À peine l'avais-je dit qu'il tressaillit légèrement, et son visage se figea un instant. Il me jaugea, avec des yeux qui, déjà, scannaient chaque détail. Je savais que la machine derrière ses yeux était déjà en marche. "Vous devez vous tromper...", commença-t-il, avant de sourire puis de froncer les sourcils. "Non, vous avez raison, Frank, c’est bien toi, mais nous avons bien changé, n’est-ce pas ?"
"Oui", répondis-je, "en effet, en vêtements de voyage." Et c’est ainsi que nous commencions à discuter.
L'importance de comprendre cette scène réside dans plusieurs aspects qui nous échappent souvent au premier abord. D'abord, la nature même du piège tendu à l'homme narrateur révèle un aspect fondamental de l’existence humaine : nous sommes toujours à la recherche de repères, mais ces repères, une fois trouvés, peuvent devenir des pièges à leur tour. L'ennemi, au-delà de la simple identité, devient une idée mouvante, une force invisible qui façonne les événements autour de soi. Ensuite, la dynamique entre l'homme et le serveur met en lumière une vérité amère de notre époque : la soumission discrète aux normes imposées, où chaque geste, chaque sourire, devient un outil pour manipuler et exploiter.
Le lecteur doit aussi prêter attention à la façon dont l’auteur, à travers l’ironie et le sarcasme, critique la société du service et du tourisme. Le narrateur fait référence à une époque où ces services étaient naturels, et aujourd'hui, il les dénonce comme une forme d'exploitation insidieuse, où les "uniformes" et les sourires masquent une domination systématique.
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