La gouvernance gonzo se caractérise par une relation complexe entre les politiques numériques et l'évolution des institutions démocratiques. Ce phénomène émerge d'un paysage médiatique de plus en plus dominé par des logiques technologiques et des mécanismes de communication numériques. Les technologies d'information, notamment les médias numériques, ont radicalement transformé la manière dont les citoyens perçoivent et interagissent avec les événements politiques, rendant les figures publiques et leurs actions toujours plus visibles et médiatisées. Dans ce contexte, l'impact de la politique médiatisée n'est pas simplement une question de représentation, mais aussi un moyen puissant d'influencer les comportements sociaux et politiques.

L'ère numérique a favorisé la montée d'une politique de la peur, qui repose sur la manipulation des émotions et des perceptions des masses à travers des plateformes telles que les réseaux sociaux. Dans cette dynamique, Donald Trump apparaît comme une figure centrale de ce processus. Sa présidence a été marquée par l'utilisation habile des médias numériques pour créer une réalité alternative où la peur et la division étaient systématiquement exacerbées, à la fois comme stratégie politique et comme outil de contrôle social. L'exploitation des craintes collectives liées au terrorisme, à l'immigration ou à la criminalité a servi à galvaniser des soutiens tout en isolant les opposants dans des bulles de méfiance.

La "logique des médias" – un concept issu des travaux de chercheurs en communication – nous permet de mieux comprendre cette transformation. Elle désigne le processus par lequel les médias, en particulier les nouveaux médias numériques, influencent la manière dont les événements politiques sont construits, interprétés et perçus. Dans un monde où les plateformes numériques dominent, les médias jouent un rôle de plus en plus déterminant dans la formation de l'opinion publique, souvent en déformant ou en simplifiant des réalités complexes au profit de narrations qui captivent l'attention et suscitent des réactions immédiates.

Dans cette logique, le populisme numérique, tel qu'incarné par Trump, fonctionne à travers une amplification de l'inquiétude collective, exploitant des émotions fortes comme la peur, l'angoisse et la colère. Loin de se limiter à une simple communication politique, il s'agit d'un système de gouvernance qui repose sur une interaction constante entre le politique et le médiatique, un mélange de performance médiatique et de manipulation des attentes publiques. Les réseaux sociaux permettent une immédiateté et une personnalisation du message qui sont quasi inégalées dans l'histoire de la politique.

Le concept de gouvernance gonzo, un terme inspiré par l'écrivain Hunter S. Thompson, illustre cette situation. Il désigne un mode de gestion politique où l'idéologie et les institutions sont subordonnées à des impératifs médiatiques et à la volonté d'exploiter les mécanismes numériques pour obtenir des gains politiques à court terme. Dans une gouvernance gonzo, l'objectif n'est pas tant d'apporter des solutions concrètes aux problèmes sociaux que de contrôler le récit médiatique, d’orienter les perceptions et de maintenir une dynamique où l’apparence prime sur la substance. Cette tendance a été particulièrement évidente pendant la présidence de Trump, dont les décisions et les discours étaient souvent dictés par l’objectif de capter l'attention médiatique, renforçant ainsi une relation symbiotique avec des chaînes d'information et des plateformes comme Twitter, qui amplifiaient ses messages et étendaient son influence.

L'une des caractéristiques marquantes de ce phénomène est l'importance de la politique de la terreur. Après les événements du 11 septembre, cette politique a été exacerbée par l'usage de la peur comme moteur de la politique mondiale, avec des conséquences profondes sur les sociétés démocratiques. Le terrorisme est devenu un vecteur central de la gouvernance, utilisé à la fois comme justification pour des mesures de sécurité de plus en plus strictes et comme levier pour manipuler les électorats. Cependant, la peur ne se limite pas aux menaces externes. Elle trouve également un terreau fertile dans des enjeux internes, comme l'immigration ou les crises économiques, qui sont régulièrement présentés comme des dangers imminents nécessitant une réponse forte et immédiate.

Les médias numériques ont amplifié cette dynamique en permettant une diffusion instantanée de l'information, mais aussi des fausses informations. L'essor des "fake news" et de la désinformation a eu pour effet de brouiller les frontières entre faits et opinions, rendant les citoyens plus vulnérables aux manipulations. Dans un tel environnement, la véracité des informations devient secondaire par rapport à leur capacité à capter l’attention et à susciter des réactions émotionnelles immédiates. La manipulation des images et des récits devient alors une arme de pouvoir, utilisée pour modeler les comportements et les opinions au service d'intérêts politiques ou économiques.

Il est important de comprendre que cette évolution des médias et de la politique ne se limite pas à une simple question d'outils technologiques. Il s'agit d'un changement profond dans la manière dont les sociétés démocratiques fonctionnent et interagissent avec le pouvoir. Les frontières entre le public et le privé deviennent floues, les discours politiques se transforment en spectacles, et les figures politiques se font et se défont à travers leur présence médiatique. Cela soulève des questions fondamentales sur la nature de la démocratie et sur la manière dont les citoyens peuvent naviguer dans un environnement où la vérité est de plus en plus manipulée, et où la politique se joue davantage sur le terrain de l'image que sur celui des idées.

Quel est l'impact de la gouvernance gonzo sur les institutions démocratiques et la politique américaine ?

À Orlando, en Floride, les partisans de Donald Trump s'étaient installés dans un champ adjacent au centre Amway, en juin, prêts à affronter la seconde averse d'une série de tempêtes. Pourtant, ils portaient des lunettes de soleil et des sourires tandis que des haut-parleurs extérieurs diffusaient « Sweet Home Alabama » et « Hurts So Good ». Les questions concernant un éventuel démocrate capable de battre Trump suscitaient des hochements de tête et des rires condescendants. « Vous venez au spectacle, et vous savez exactement ce que vous allez obtenir – tous les grands succès et peut-être quelques surprises aussi… », affirmait un autre partisan. Ils n'étaient « pas riches au sens traditionnel », mais « riches de cœur pour leur pays et leur président », comme un autre ajoutait. L’apparente similarité entre ces rassemblements et les réunions de mégachurches est frappante, où des milliers de personnes se retrouvent non seulement pour des services religieux, mais aussi pour une expérience émotionnelle et sensorielle intense, alimentée par des concerts de rock, des activités familiales et des cafés.

La recherche en psychologie sociale sur les foules et sur l’effervescence émotionnelle dans les rassemblements politiques confirme ce phénomène. Une étude menée dans plusieurs mégachurches a noté l’utilisation d’expressions telles que « amour », « ressenti », « incroyable » ou « énergisant » pour décrire l’expérience de la messe. Un participant la comparait à un concert chaque dimanche, une expérience qui, selon lui, le « recharge » et lui donne l’énergie nécessaire. Ces éléments émotionnels sont essentiels à l’adhésion, et une expérience similaire peut être retrouvée dans le phénomène Trump, où ce n’est pas tant le programme ou les idées, mais l’image de Trump lui-même qui séduisait une grande partie de ses partisans. Le soutien ne résidait pas uniquement dans les politiques proposées, mais dans le charisme et la présence d’un leader capable de combler un vide émotionnel et symbolique.

En effet, l’adhésion à Trump reposait avant tout sur son image et sa capacité à incarner les frustrations et les préoccupations des électeurs. Il n’était pas nécessairement un modèle de politique économique ou sociale, mais il servait de symbole pour une lutte contre un système qu’ils percevaient comme déconnecté de leurs réalités quotidiennes. Cela a conduit à la montée en puissance de narrations populistes, mettant en avant des peurs collectives, des théories du complot, et des divisions sociales. Ce type de gouvernance – surnommé ici « Gonzo Governance » – ne se concentre pas uniquement sur des résultats politiques traditionnels, mais sur l’exploitation des émotions, des symboles et des divisions pour mobiliser une base électorale.

Cependant, la question de l’avenir de la gouvernance de ce type soulève des inquiétudes profondes, en particulier en ce qui concerne l’influence que ces leaders peuvent avoir sur la politique démocratique à long terme. Le style brut et provocateur de Trump a créé un précédent qui met en lumière la fragilité des institutions démocratiques face à un tel leadership. Paul Starr, sociologue de renom, a analysé dans son ouvrage Entrenchment: Wealth, Power, and the Constitution of Democratic Societies comment les changements sociaux fondamentaux peuvent devenir irréversibles, même en démocratie. Selon lui, la politique moderne est une lutte pour « l'enracinement » de certains changements qui, une fois effectués, deviennent extrêmement difficiles à inverser. Cela concerne autant les structures de pouvoir et de richesse que les principes démocratiques mêmes. Dans le contexte de Trump, la question n’est pas simplement celle de son élection, mais de la manière dont il a redéfini les normes politiques et sociales, et la façon dont ces transformations pourraient s’ancrer de manière durable dans la société américaine.

Le défi réside aussi dans le fait que la communication des partisans de Trump ne se fait plus en face-à-face, mais principalement à travers des plateformes numériques, ce qui modifie la nature même de l'engagement politique. L’interaction virtuelle, bien que puissante, n’est pas aussi émotionnellement contraignante que celle qui se produit dans un rassemblement en personne. Toutefois, la portée et la rapidité de diffusion des messages par le biais des médias numériques exacerbent les divisions, alimentent les narratifs polarisants et rendent plus difficile la réconciliation entre différentes visions du monde.

Dans cette optique, le danger est que la gouvernance gonzo, loin d’être un phénomène isolé, pourrait devenir un modèle dominant, où la politique se résume à une série de spectacles et de spectacles émotionnels, au détriment des principes démocratiques solides et des institutions qui assurent l'équilibre et la justice sociale. La capacité de Trump à mobiliser une base électorale par l'émotion et la division pourrait être perçue comme un symptôme d’une gouvernance plus large, où les valeurs de la démocratie sont réinterprétées à travers le prisme du populisme et des symboles.

L'impact de Trump sur les institutions démocratiques dépasse la simple question de son élection ou de son charisme. Il met en lumière un problème plus vaste : l’aptitude d'un individu ou d'un mouvement à redéfinir les fondements de la politique, des valeurs et des normes de société. Dans cette perspective, le véritable défi ne réside pas uniquement dans la résistance à un seul leader, mais dans la capacité des démocraties à protéger les principes de gouvernance qui garantissent la justice, la liberté et l'égalité pour tous. Cette gouvernance gonzo ne consiste pas uniquement en un changement de leader, mais en un changement profond et potentiellement irréversible des principes même de la démocratie.