Dans un tournant inattendu des événements, Mussolini convoqua alors le président d'Agip, Umberto Puppini, et lui ordonna de vendre la totalité de la participation d'Agip aux Britanniques. La guerre éthiopienne venait de commencer et la Société des Nations avait imposé un embargo contre l'Italie fasciste. L'Italie semblait être dans un état d'urgence absolue. Toutefois, cette situation ne concernait que les biens de consommation, et non les matières premières nécessaires à la guerre, comme le pétrole. Le pétrole irakien, cependant, ne suffisait pas à alimenter le conflit. Mussolini s'était donc tourné vers les États-Unis, un pays non membre de la Société des Nations et isolationniste, qui fournissait volontiers à l'Italie le pétrole nécessaire.

L'Angleterre ne gênait pas l'entreprise abyssinienne ; elle permettait aux navires italiens de traverser le canal de Suez, sous contrôle britannique, transportant leurs troupes, matériels et approvisionnements sans opposition. Toutefois, un certain degré de compensation était nécessaire. C'est à ce moment-là que Mussolini décida de vendre la part majoritaire d'Agip dans BOD aux Britanniques, en échange d'un soutien tacite.

Les relations de Mussolini avec certains sionistes révisionnistes, notamment ceux dirigés par Zeev Jabotinsky, étaient assez surprenantes. Ces relations remontaient à juillet 1922, avant que Mussolini n'accède au pouvoir. Jabotinsky avait écrit une lettre à Mussolini dans laquelle il exposait la vulnérabilité des territoires arabes autrefois ottomans après la Première Guerre mondiale, avec la possibilité d'un retour d'une partie du peuple juif dans ces zones. Il proposait de travailler ensemble pour cet objectif, tout en suggérant que la langue italienne soit utilisée parmi les Juifs de la Méditerranée, car Jabotinsky l'avait apprise lors de ses études en Italie.

Avant que Mussolini n'adopte une politique raciale stricte, l'Italie était l'un des pays européens les plus libéraux à l'égard de sa population juive, et les leaders du mouvement sioniste mondial avaient d'innombrables espoirs que Mussolini puisse tempérer la politique antisémite de Hitler. En septembre 1926, Chaim Weizmann, alors président de la Fédération sioniste mondiale, rencontra Mussolini. Weizmann lui fit part des difficultés imposées par les Britanniques aux Juifs désirant immigrer en Palestine et demanda des passeports italiens pour faciliter cette immigration. Mussolini accepta, exigeant en contrepartie que la construction du port de Haïfa soit confiée à des entreprises italiennes.

L'année suivante, Mussolini accorda une audience au président de la Fédération sioniste mondiale, Nahum Sokolov. Il maintint sa position, même lorsque, en 1929, les tensions entre les Arabes et les Juifs en Palestine s'intensifièrent et qu'il signa les Pactes du Latran, qui réglaient la relation entre le Saint-Siège et l'Italie, faisant du catholicisme la religion d'État du pays. En 1933, Jabotinsky participa au dix-huitième Congrès sioniste mondial en tant que représentant de l'Italie. Ce rôle particulier de Mussolini, qui se présentait comme un ami du peuple juif, lui permettait de se différencier clairement des nazis et de se rendre crédible en tant qu'arbitre des affaires européennes, tout en attirant la sympathie du lobby israélien à travers le monde.

Lors d'une nouvelle rencontre avec Weizmann au Palazzo Venezia le 26 avril 1933, ce dernier lui demanda d'intervenir auprès de Hitler pour sauver 50 000 Juifs allemands, leur permettant de passer par l'Italie. Bien que l'ambassadeur italien à Berlin insista, l'Allemagne refusa. Néanmoins, la politique habile de Mussolini consistait à jouer également la carte pro-arabe, en tentant de se positionner comme un médiateur entre les deux groupes. L'entente avec Weizmann et Nahum Goldmann aboutit à un projet de création de deux États en Palestine, un juif et un arabe, pour affaiblir l'hégémonie britannique.

Dans une conversation du 17 février 1934, Weizmann renouvela sa demande de soutien pour l'immigration juive en Palestine. L'Italie intervint, aux côtés des Français et des Anglais, pour persuader les nazis de permettre à 7 000 Juifs de quitter la Sarre, un protectorat franco-britannique depuis 1920. Cependant, Mussolini échoua à persuader Hitler de modérer sa politique raciale et ne parvint pas à convaincre les Arabes d'accepter l'idée d'un État juif.

Della Seta, dans ses recherches, mentionne un détail fascinant : pendant ces années, le régime fasciste permit aux sionistes révisionnistes d'ouvrir une école navale à Civitavecchia (active depuis 1934), où les hommes formés deviendraient les premiers noyaux de la marine israélienne. L'importance pour Mussolini était évidente : il était essentiel de former un groupe de jeunes capables de devenir des propagandistes de l'Italie et du fascisme, surtout en Palestine, où les révisionnistes sionistes se montraient farouchement opposés aux Anglais.

Les relations entre les agents de Jabotinsky et le gouvernement italien, à travers le Consulat de Jérusalem, restèrent stables pendant la majeure partie des années 1930, au point d'exaspérer l'Angleterre. Cependant, cette harmonie se dissipa progressivement. La paranoïa croissante de Mussolini, d'abord socialiste, puis antisémite, reprit le dessus. L'odieuse législation raciale de 1938, qui priva les citoyens juifs italiens de leurs droits, leur imposa une discrimination intense, et dans bien des cas, les envoya vers les camps de concentration, provoquant ainsi un exode massif des intellectuels et scientifiques italiens, parmi lesquels le fameux physicien Enrico Fermi.

L'histoire de Mussolini et de ses rapports avec le mouvement sioniste est un témoin du jeu complexe de la politique internationale de l'époque, mêlant pragmatisme, idéologie et intérêts stratégiques. Il est fondamental de comprendre que ces alliances, aussi temporaires et contradictoires qu'elles aient été, s'inscrivent dans un contexte mondial marqué par une guerre imminente et des changements géopolitiques de grande envergure.

Quel rôle joue la manipulation de l'information dans l'ascension du fascisme et des régimes populistes modernes ?

Le contrôle de l’information a toujours été un instrument crucial dans la consolidation du pouvoir politique, particulièrement dans les régimes totalitaires et populistes. L’utilisation des médias, qu’ils soient traditionnels ou numériques, a une influence déterminante sur la manière dont les sociétés perçoivent la réalité politique et sociale. Dans le cadre du fascisme, cette manipulation a pris une forme systématique et idéologique, créant une culture de destruction des contre-pouvoirs et de l’autonomie de la pensée individuelle.

L’Italie fasciste de Benito Mussolini illustre parfaitement ce processus. Le Duce, dès ses premières années au pouvoir, a compris que la maîtrise de l'information était essentielle à la mise en œuvre de sa vision autoritaire. L’État fasciste a rapidement développé un réseau de propagande efficace, passant par les journaux, la radio, et les films. L’Istituto Luce, fondé pour contrôler la production cinématographique, en est un exemple emblématique. Ce dernier produisait des images soigneusement sculptées de la réalité, véhiculant les idéaux fascistes tout en écrasant les voix dissidentes. L'un des principaux objectifs de cette manipulation visait à unifier la population autour d'une vision nationaliste et à renforcer la centralisation du pouvoir, tout en éradiquant toute forme de contestation.

De manière similaire, les régimes populistes contemporains, comme celui de Donald Trump aux États-Unis, ont exploité les médias pour façonner une réalité parallèle. Trump, en particulier, a fait un usage stratégique de l’Internet et des réseaux sociaux, en particulier Twitter, pour contourner les médias traditionnels et s’adresser directement à ses partisans. Cette méthode a permis de diffuser des messages simples, clairs, et souvent falsifiés, tout en discréditant les journalistes et les institutions critiques. Le terme "fake news", popularisé par Trump, est devenu un outil puissant dans la construction de la méfiance envers les médias traditionnels et la vérité objective.

L'importance de cette manipulation médiatique réside dans le fait qu’elle crée une société où la vérité devient relative, et où l’opposition politique est perçue non seulement comme une alternative, mais comme une menace existentielle. Les régimes fascistes, qu'ils soient historiques ou modernes, utilisent cette stratégie pour réduire la complexité du débat politique à une dichotomie simpliste : le "nous" contre le "eux", l’État contre l’ennemi intérieur. Cette dynamique permet de maintenir une loyauté aveugle, en manipulant les peurs et les frustrations populaires.

Mais au-delà de la manipulation de l'information, il est essentiel de comprendre que le fascisme ne repose pas uniquement sur la suppression des libertés individuelles ou sur la répression politique. Il fonctionne aussi en exploitant les émotions collectives telles que la peur, la haine, et le ressentiment. Le fascisme s’alimente de l’idée que la société est en danger et que seule une centralisation autoritaire du pouvoir peut la sauver. En ce sens, le populisme moderne reprend plusieurs éléments du fascisme historique, bien que sous une forme souvent plus sophistiquée et technologiquement avancée. Les figures populistes contemporaines, tout comme Mussolini ou Hitler dans les années 1930, cherchent à polariser la société, à accentuer les fractures sociales et à canaliser l’agressivité des masses vers des boucs émissaires.

Il convient également de souligner que cette manipulation de l’information va de pair avec une transformation des structures sociales. Dans l’Italie fasciste, l'alignement de l’industrie et des classes moyennes avec le pouvoir fasciste a permis de renforcer l’emprise du régime. De même, le soutien d’élites économiques et médiatiques a été crucial dans l’ascension de leaders populistes modernes. Les similitudes entre ces processus historiques et contemporains ne sont pas seulement une question de propagande, mais aussi de restructuration des rapports de pouvoir dans la société.

Ainsi, bien que les formes de manipulation aient évolué avec la technologie et les nouveaux médias, les objectifs restent les mêmes : créer une perception unifiée de la réalité qui favorise l'agenda politique des régimes au pouvoir. Le contrôle de l’information reste une arme puissante dans la construction d’un État autoritaire ou populiste, et il est essentiel pour les citoyens de développer une conscience critique afin de ne pas se laisser emporter par la marée de récits falsifiés et simplifiés.

La transformation des médias américains : la montée du journalisme partisan et des "fausses nouvelles"

L’ère contemporaine des médias américains a subi une transformation radicale qui mérite une attention particulière. Les experts en journalisme et en technologie ont souvent abordé cette inquiétude croissante concernant l’état actuel du paysage médiatique. Le fossé entre les électeurs et les médias, l’émergence des "fausses nouvelles" et la prolifération des "faits alternatifs" sont des phénomènes qui ont redéfini la manière dont l’information est présentée et reçue. Cette mutation a été exacerbée par l’utilisation stratégique des réseaux sociaux par des figures politiques, comme Donald Trump, qui ont eu une influence décisive sur la perception publique des médias.

Le rôle de la télévision dans cette évolution est central. La série télévisée The Newsroom (HBO, 2012–2014), écrite par Aaron Sorkin, met en lumière la manière dont la communication a évolué aux États-Unis, de la fin des années 1980 jusqu’à nos jours. Le programme illustre une vérité préoccupante : la montée des "fausses nouvelles" domine le monde de l’information. Cette approche pernicieuse, basée sur une idéologie des chaînes d’information, a profondément modifié la nature même du journalisme. En particulier, les débats présidentiels de 2016 ont démontré l'ampleur de cette mutation, où les journalistes ont offert des perspectives radicalement divergentes sur les mêmes événements, souvent en fonction de la ligne politique des chaînes pour lesquelles ils travaillaient. Cela a eu des répercussions directes sur les sondages de sortie et sur l’électorat, qui a été influencé par ces récits biaisés.

Le comportement de Trump à l’égard de la presse a également joué un rôle majeur dans cette dynamique. Son attitude hostile et moqueuse envers la presse "libérale", qu’il accusait de le critiquer de manière injustifiée, a alimenté la méfiance envers les médias traditionnels. La rhétorique de Trump a ouvertement ridiculisé la liberté de la presse, exacerbant encore davantage la fracture entre les journalistes et le public.

L’iconique scandale de Watergate, qui a secoué les États-Unis et propulsé le journalisme d’investigation sous les projecteurs grâce au travail des journalistes du Washington Post Bob Woodward et Carl Bernstein, symbolisait autrefois l’indépendance et les principes éthiques du journalisme. Aujourd'hui, ces principes sont devenus de plus en plus fragiles, et la quête de la vérité s'est vue subordonnée aux enjeux politiques et économiques.

Un exemple frappant de cette dégradation des normes journalistiques a été l’affaire Roger Ailes. Ce dernier, fondateur et PDG de Fox News, incarne un tournant dans la manière dont l’information est consommée et produite aux États-Unis. Ailes a fondé Fox News en 1996 pour répondre à la domination de CNN, mais contrairement à cette dernière, il a transformé Fox en un canal résolument partisan, exclusivement aligné sur les intérêts républicains. Sous sa direction, Fox a incarné un journalisme d’opinion, hostile aux démocrates et à l’establishment politique traditionnel, et s’est distingué par une approche où la division et la confrontation ont été érigées en principes fondamentaux.

Cela a permis à Ailes d’attirer un large public, en particulier parmi les plus de 65 ans, qui privilégiaient la télévision pour leurs informations. Fox News a ainsi contribué à façonner la politique américaine, apportant des figures comme Sarah Palin et Newt Gingrich sur une plateforme qui leur était favorable. Mais cet héritage de division et de manipulation de l’information a également conduit à des accusations de harcèlement sexuel portées contre Ailes, mettant en lumière la dimension toxique de son empire médiatique.

Les critiques de cette dérive, telles que celles de Howell Raines, ancien rédacteur en chef du New York Times, soulignent la gravité de la situation. Il s’inquiète de la légitimation d’un journalisme biaisé et délibérément trompeur, capable de donner une fausse image de l’objectivité. En effet, pour la première fois depuis l’ère du "yellow journalism", un grand réseau d’information aux États-Unis, Fox News, s'est engagé dans une entreprise systématique de manipulation de l’information, en soutenant ouvertement un parti politique et en utilisant des méthodes de désinformation pour influencer l’opinion publique.

L’émergence de ce type de journalisme partisan et l'essor des "fausses nouvelles" ne se limitent pas à l’histoire de Fox News. Ils marquent un phénomène global dans lequel les informations sont souvent filtrées, interprétées, et redéfinies selon les intérêts d’une poignée de groupes puissants. Cette transformation soulève de nouvelles questions essentielles concernant l’éthique du journalisme, la véracité de l’information, et le rôle des médias dans la démocratie.

Il est crucial que les lecteurs prennent conscience de l’impact de cette mutation sur leur manière de consommer l’information. La pluralité des opinions et la diversité des sources doivent être préservées pour maintenir un journalisme équilibré et honnête. De même, les citoyens doivent rester vigilants face à la montée des "faits alternatifs", qui peuvent gravement compromettre leur capacité à discerner la vérité dans un monde saturé de manipulations médiatiques.