L'un des enjeux majeurs contemporains réside dans la compréhension du rôle de la Nature et de ses acteurs non-humains dans le cadre des sociétés humaines modernes. L'idée d'une vie bonne et pleine de sens, qu'Aristote qualifiait de "eudémonisme", implique une connexion profonde et réfléchie avec l'altérité de la Nature (Hailwood, 2000). Cette démarche va au-delà d'un simple respect instrumental de la Nature, cherchant à rétablir un équilibre où les intérêts des non-humains sont pris en compte de manière sérieuse et non réductrice.
L'intervention humaine en faveur de la Nature est un sujet de plus en plus pertinent, illustré par des débats contemporains comme celui du "rewilding" (réensauvagement) des territoires (Drenthen, 2018). Cette approche questionne la manière dont l'Homme doit intervenir dans les processus naturels pour restaurer des écosystèmes dégradés. Cependant, ces actions, bien qu'ayant une intention écologique, soulèvent des questions éthiques et pratiques sur la place de l'Homme dans ces dynamiques. D'autres pratiques, telles que l'ingénierie génétique des cultures et des animaux, ou encore la promotion du projet éco-moderniste du "Anthropocène", exacerbent l'interrogation sur l'impact de nos actions sur la Nature et les formes de vie non-humaines (Baskin, 2015).
L'une des dimensions les plus cruciales réside dans la définition de ce que l'on entend par "valeur de la Nature" et "naturel". De nos jours, cette question devient essentielle à mesure que les sociétés humaines sont confrontées à des crises environnementales d'une ampleur sans précédent (Deckers, 2021). Les écologistes politiques, comme Knudsen (2023), révèlent que les débats actuels sur l'autonomie des non-humains échouent souvent à reconnaître pleinement l'agency des animaux et des écosystèmes. En réifiant systématiquement ces derniers sous le prisme des relations humaines, ces théories occultent les véritables dynamiques interspécifiques et les potentiels d'autodétermination de la Nature.
Ainsi, dans la réflexion éthique, la question du "bien" devient un problème moral pour les non-humains eux-mêmes. Selon O'Neill, peu de considération morale est accordée à l'autonomie des formes de vie non-humaines ou des collectifs biologiques, leur permettant d'atteindre leur propre épanouissement selon leurs propres termes. Les arguments utilitaristes ou en faveur des droits sont souvent limités aux individus humains délibératifs et se concentrent sur la manière dont ces derniers doivent traiter d'autres êtres dotés de valeur morale (Benton, 1993). Une telle vision individualiste néglige la nécessité de construire une communauté nourrissante et un environnement propice au développement de cette sensibilité morale pour autrui.
Le manque de prise en compte de la qualité des relations sociales et des interdépendances au sein de nos sociétés modernes fait écho aux positions écoféministes et écologistes qui mettent en avant le respect de la Nature et l’attention à autrui (Spash et Aslaksen, 2015). Ces approches soulignent que l’humain ne doit pas envisager la Nature uniquement en termes utilitaires ou instrumentaux au service de ses propres fins. Au contraire, elles appellent à une révision des institutions et à un changement radical des structures sociales afin de permettre un véritable respect pour la Nature et pour les formes de vie non-humaines.
Pour que ces changements se produisent, il est impératif de repenser les institutions sociétales et les processus décisionnels. Les institutions qui articulent les valeurs écologiques doivent favoriser une gouvernance plus participative et inclusive, permettant aux valeurs environnementales profondes d’émerger, même dans des systèmes économiques où la valorisation monétaire prévaut (Lo et Spash, 2013). Ce processus de délibération implique de réexaminer les tensions entre l’action volitive d’un agent individuel et la structure institutionnelle qui façonne cette action. Par exemple, le modèle libéral-individualiste, qui place l’individu au centre du processus moral et social, ignore souvent les implications systémiques de ces choix dans le cadre des institutions de marché.
L’idée de consumer sovereignty (sovereignty du consommateur) est particulièrement mise en question dans le contexte de ces réflexions. Le modèle néolibéral, qui suppose un marché autorégulé et des consommateurs capables de faire des choix éclairés, est hautement trompeur. Les institutions de marché, loin d’être des entités naturelles ou spontanées, sont en réalité des constructions sociales qu'il est nécessaire de réguler et de reformer de manière substantielle (Fellner et Spash, 2015).
Les recherches critiques sur l’économie révèlent comment des réformes institutionnelles doivent prendre en compte les luttes de pouvoir inhérentes à la société. Dans ce contexte, l’oubli du rôle de l’État et des mécanismes de pouvoir dans l’économie produit des recommandations politiques déconnectées des réalités sociales, politiques et écologiques (Stör, 2017). Cette analyse met en lumière la nécessité de repenser l’économie non seulement en termes de croissance et de compétitivité, mais aussi en fonction des besoins sociaux et environnementaux.
Dans cette dynamique, une des questions cruciales concerne la représentation des voix "silencieuses". Comment les non-humains, les générations futures, ou encore les populations marginalisées par le système démocratique peuvent-ils voir leurs intérêts représentés dans les processus décisionnels ? L’un des moyens pour surmonter cette limitation réside dans la reconnaissance de la Nature comme un sujet de droit, ce que certains pays ont commencé à institutionnaliser. Le concept des droits de la Nature, par exemple, a été inscrit dans les législations de pays comme le Brésil, l’Équateur, la Nouvelle-Zélande, ou encore les États-Unis, où la Nature est désormais considérée comme porteuse de droits inaliénables. Toutefois, cette approche a montré ses limites dans des contextes où elle a été instrumentalisée à des fins économiques, comme en Équateur où ces droits ont été utilisés pour justifier des projets d'exploitation minière à grande échelle (Valladares et Boelens, 2019).
Comment parvenir à une unité scientifique dans le contexte des sciences sociales et écologiques ?
L'une des questions centrales du débat sur l'unité des sciences est la manière dont les différentes disciplines peuvent être reliées entre elles par un langage commun d'observation et de vérification. La position d'Otto Neurath, qui refuse les divisions méthodologiques a priori entre les sciences naturelles et sociales, s'inscrit dans une démarche visant à connecter ces sciences pour résoudre des problèmes sociaux et écologiques complexes. Les sciences écologiques sociales partagent une forte affinité avec la position de Neurath, notamment en ce qui concerne l'unification du savoir pour aborder les systèmes ouverts et les problèmes socio-écologiques. Toutefois, cette approche se heurte parfois aux abstractions de Rudolf Carnap, qui cherchait à réduire la logique des énoncés testables à une source primaire simple, contrairement à Neurath, qui aspirait à une collecte exhaustive des subtilités des langages scientifique et social dans une grande encyclopédie multivolume.
Le projet d'une encyclopédie unifiée des sciences a cependant fini par devenir une collection quelque peu dispersée d'écrits sur la philosophie des sciences, mélangeant des contributions d'exilés du Cercle de Vienne, du pragmatiste américain John Dewey et de la sociologie des sciences de Thomas Kuhn. Dans une ère postmoderne, l'idée même d'une unité des sciences semble quelque peu archaïque. Les discours actuels privilégient l'inclusion de toutes les perspectives sur leurs propres termes, sans chercher à établir une comparabilité ou une cohérence entre elles. L'inclusivité, la tolérance et le pluralisme sont les maîtres mots autour desquels un champ unifié devrait se constituer sous une bannière relativiste radicale. Pourtant, l'unité par l'éclectisme pluraliste peut sembler un oxymore, ce qui ne semble pas déranger ses défenseurs.
La recherche d'une unité, notamment dans le mouvement de la décroissance, rencontre des contradictions internes. En effet, l'idée de variétés incommensurables s'oppose à la quête d'une unité. Le concept de "pluriversalité", qui vise à créer une communauté de compréhension commune des réalités socio-écologiques tout en affirmant des ontologies incommensurables, se heurte à cette contradiction. Il apparaît que les tentatives des partisans de la décroissance et du pluriversalisme pour créer une unité ressemblent étonnamment à celles de l'encyclopédie internationale des sciences unifiées de Neurath. La seule différence réside dans la dénomination de ces collections de termes comme "vocabulaire" ou "dictionnaire". Cependant, la nécessité d'un langage commun, avec une conceptualisation partagée et une compréhension mutuelle, semble incontournable.
De manière intéressante, l'économiste et philosophe social Kapp (1961) critiqua le projet du Cercle de Vienne, estimant qu'il était impossible d'unifier les sciences en raison de la diversité des langages. Il pensait qu'une unification par l'analyse logique et sémantique risquait de donner naissance à une super-science dominante, ce qui n'était pas l'objectif de la gauche du Cercle de Vienne. Kapp soulignait que la connaissance a priori pouvait être intuitive, alors que la connaissance scientifique occidentale était logique. Il pensait qu'il devait y avoir une place pour les deux. Par ailleurs, Kapp se rapprochait d'une approche participative, notamment dans le cadre de l'élaboration de minimums sociaux et dans ses expériences de planification en Chine et en Inde. Il proposait une vision pré-analytique, basée sur une ontologie (ou métaphysique) avant de procéder à un raisonnement analytique, ouvrant ainsi la voie à une forme de logique empirique enrichie.
Neurath, de son côté, rejetait l'idée qu'il existait un "système véritable de déclarations" applicable dans le futur, tout en défendant l'unité à travers le physicalisme. Kapp, quant à lui, semblait se concentrer principalement sur la position de Carnap, sans véritablement prendre en compte la critique de Neurath ou ses variantes. Neurath rejetait l'idée d'une unification des sciences sous l'égide des sciences physiques ou biologiques, et surtout, il rejetait la métaphysique.
Cependant, l'idée de Kapp se rapproche de celle de Neurath dans la mesure où les deux soutiennent la nécessité de créer une communication transdisciplinaire, en utilisant un langage commun pour le même objet d'étude. Neurath voyait les sciences sociales, comme la sociologie, non comme une discipline isolée, mais comme une partie intégrante d'un ensemble unifié de connaissances, capable de relier des domaines aussi variés que la chimie, la biologie, la psychologie, et la mécanique. Kapp partageait ce souci de renforcer la capacité à communiquer entre les disciplines grâce à une conceptualisation partagée.
Dans cette perspective, la question de la disciplinarité se pose inévitablement. Les sciences sont souvent considérées comme des domaines spécialisés, mais ces spécialités ne devraient pas créer de barrières entre les chercheurs. Le monde académique, cependant, favorise parfois l'isolement disciplinaire, surtout dans un contexte néolibéral où la différenciation des produits scientifiques devient un enjeu économique. Dans ce cadre, la collaboration interdisciplinaire est souvent vue comme un moyen de produire des résultats mesurables et privés plutôt que de favoriser une réelle compréhension commune.
Ainsi, bien que le discours sur l'interdisciplinarité soit souvent évoqué, il reste principalement une illusion dans la mesure où il manque les compétences nécessaires pour véritablement unir les disciplines de manière cohérente. Une approche multidisciplinaire, qui consiste simplement à regrouper des experts de différentes disciplines sans qu'ils communiquent réellement entre eux, n'est pas suffisante pour résoudre les problèmes complexes du monde contemporain. L'unité des sciences, que ce soit dans le contexte de la décroissance, de la crise écologique ou des sciences sociales, ne pourra se réaliser que si un langage commun est véritablement instauré, permettant une compréhension mutuelle et une collaboration efficace à travers les différentes branches de la connaissance.
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