La question de l'intégration des défis écologiques dans la macroéconomie reste l’un des enjeux les plus complexes dans les débats sur l’avenir économique. Le défi réside dans la possibilité de maintenir une croissance économique tout en respectant les limites environnementales. L’un des points de friction majeurs est l’approche traditionnelle qui lie la croissance économique à l'augmentation du bien-être, ce qui ne tient pas compte des externalités écologiques dévastatrices. En effet, comme le note Hardt et O’Neill (2017), l’idée d’une croissance économique continue, vue comme un moyen d’augmenter la prospérité, reste un dogme tenace chez de nombreux économistes post-keynésiens. Pourtant, une telle perspective, axée sur la croissance infinie, semble de plus en plus incompatible avec les contraintes écologiques de notre planète.
Harris (2013), dans son travail, tente de réconcilier l’économie écologique et la macroéconomie keynésienne en suggérant que la croissance puisse être compatible avec la réduction de l’empreinte écologique, à condition que cette croissance concerne des secteurs « non matériels » de la consommation. L’idée est de dissocier la croissance économique de l’utilisation excessive des ressources physiques, tout en soutenant des formes de croissance qui bénéficient à l’environnement. Cette tentative de déconnexion, influencée par l’optimisme technologique, suppose que la croissance économique ne devrait pas être remise en question, même si des limites peuvent éventuellement être nécessaires face à la crise climatique.
Toutefois, une telle position oublie souvent les réalités sociales et écologiques globales. L'idée que la croissance économique contribue à la création d'emplois, en particulier dans les secteurs comme la santé, ne prend pas en compte les formes de travail non rémunéré, comme celui des femmes dans les soins domestiques, qui sont essentielles à la reproduction sociale mais ignorées par les modèles économiques traditionnels. Par ailleurs, l’idéologie dominante qui lie développement économique et expansion d'une classe moyenne mondiale semble particulièrement problématique, non seulement du point de vue écologique, mais aussi en raison de ses effets sociaux et géopolitiques dévastateurs, tels que l’accaparement des terres et l’exploitation des peuples autochtones. Le modèle de croissance qui en découle repose sur une logique impérialiste et inégalitaire, comme le soulignent de nombreux chercheurs (Spash, 2021a).
Dans cette optique, une collaboration entre l’économie écologique et les courants de pensée post-keynésiens pourrait se révéler fructueuse, à condition de ne pas trahir les principes fondamentaux de l’une ni de l’autre. En effet, les principes du réalisme descriptif, de la prise en compte du temps historique et de l’incertitude, caractéristiques de l’économie post-keynésienne (Davidson, 1981), se retrouvent également dans l’économie écologique. Lavoie (2004, 2009) a ainsi souligné la nécessité d’une théorie du consommateur post-keynésienne qui reconnaît le rôle central des besoins humains et des choix non compensatoires, des concepts en résonance avec la notion de préférences lexicographiques développée par les économistes écologiques.
Cependant, l’économie post-keynésienne ne peut offrir qu’une partie de la solution. Sa vision de la croissance reste indissociable de l’idée de progrès, de consommation et de consommation matérielle, des principes qu’il est nécessaire de remettre en question pour parvenir à une économie réellement durable. Ce que propose l’économie écologique, c’est de repenser le rôle de l’économie dans la société, en dépassant le cadre de la simple production matérielle pour s’intéresser aux enjeux sociaux et environnementaux globaux.
L’un des aspects essentiels dans cette reconfiguration économique consiste à sortir du cadre national pour aborder les interdépendances mondiales, notamment en ce qui concerne les chaînes d’approvisionnement, le commerce des ressources incarnées et la gouvernance multilatérale. Il devient nécessaire de rompre avec des indicateurs comme le PIB, qui ne rendent pas compte de la diversité des besoins humains et de la réalité écologique. À cela s’ajoute la reconnaissance du travail de soin non rémunéré, essentiel à la reproduction sociale, ainsi que la remise en cause de la structure des marchés eux-mêmes, qui ne doivent pas être vus comme des arrangements uniformes, mais comme des processus institutionnalisés, à repenser et à réorganiser.
De plus, il est impératif de se pencher sur les alternatives monétaires, telles que les monnaies locales ou les systèmes financiers spécifiques, ainsi que sur les modes de provision non monétaires. Une attention particulière doit être portée sur les technologies, non plus comme des solutions techniques neutres, mais comme des vecteurs sociaux et écologiques ayant des impacts significatifs. Le lien entre l’industrie, le complexe militaro-industriel et les économies de croissance doit également être scruté, en analysant les effets à long terme de ces systèmes.
Enfin, la refonte de l’économie doit viser à une « provision sociale » des besoins humains dans le respect d’un cadre éthique. Cet objectif doit aller au-delà des simples préoccupations de bien-être individuel et intégrer une vision qui inclut également les non-humains, dans une approche plus respectueuse de l’environnement et plus juste sur le plan social.
La vision pré-analytique et la transformation des sciences économiques écologiques : Schumpeter, Neurath et Kuhn
Dans les sciences sociales et économiques, il est parfois nécessaire de revenir à une réflexion fondamentale sur les bases de nos théories et nos approches. C’est ce que Schumpeter décrit comme l’acte cognitif pré-analytique, une étape essentielle dans la formation d’une nouvelle vision du monde scientifique. Pour Schumpeter, cet acte initial intervient particulièrement lorsqu'un champ disciplinaire échoue à expliquer certains phénomènes, lorsqu’il y a une incapacité à rendre compte de la réalité, ce qui engendre une réévaluation des paradigmes existants.
L’émergence de l’économie écologique moderne, comme l’a noté Daly en 1991 et Costanza en 1996, s’appuie directement sur cette idée de vision pré-analytique, citant Schumpeter pour soutenir leur appel à l’action. L’un des points cruciaux de cette vision est que l’économie doit être perçue comme un sous-système de l’écosystème global, une idée qui distingue l’économie écologique de l’économie dominante. Daly décrit cette relation de dépendance entre l’économie et la réalité biophysique, en soulignant l’importance de comprendre que l'économie ne peut se détacher de l'environnement naturel qui la soutient. Ce changement de perspective est effectivement considéré comme un grand tournant dans la manière de concevoir l'économie. Pourtant, malgré cette reconnaissance d'un « changement de paradigme », très peu de différences analytiques ou de modifications dans les outils d'analyse ont été explicitement formulées. Cela soulève une question : à quoi devons-nous nous attendre lorsqu'on invoque une vision pré-analytique et un changement de paradigme dans ce contexte ?
Kuhn, Neurath et Schumpeter abordent cette question sous des angles légèrement différents. Kuhn parle de rupture épistémologique lorsque les anomalies remettent en cause une théorie scientifique dominante, suggérant un changement radical dans la compréhension scientifique. Neurath, en revanche, voit les changements scientifiques comme un processus continu de réévaluation. Schumpeter semble se situer entre ces deux points de vue, en soulignant l'importance d'une transformation progressive et collective du savoir scientifique. Ce processus, que ce soit dans la vie quotidienne ou dans la recherche scientifique, implique de conceptualiser ce qui existe et les relations qui unissent les éléments du monde.
Dans le cadre des sciences écologiques, la vision pré-analytique inclut une clarification ontologique : que comprenons-nous comme existant ? Quelle est la réalité avec laquelle nous interagissons ? Ces questions ne sont pas uniquement philosophiques, mais ont des implications pratiques profondes. Par exemple, l’approche de Daly, qui met l’accent sur les systèmes ouverts et l’interdépendance entre l’économie et l’environnement, reflète un engagement explicite avec la biophysique, soulignant la nécessité de repenser l’économie en fonction des limites écologiques. Mais ce n’est pas seulement une question d’ajouter de nouveaux éléments au discours économique traditionnel. Cela nécessite également une remise en question des valeurs et des idéologies qui sous-tendent les théories économiques dominantes. Schumpeter, tout en étant favorable à un naturalisme épistémologique classique, reconnaît que la science n’est pas un processus totalement dénué de valeurs. En ce sens, l’émergence de nouveaux paradigmes scientifiques, comme dans l’économie écologique, implique une remise en cause de certaines valeurs et idéologies dominantes.
La place de l’idéologie dans les sciences économiques écologiques reste un sujet de débat. L’idéologie, pour Schumpeter, n’est pas un simple résidu de la science, mais un élément constitutif de la vision pré-analytique. C’est une partie intégrante de la manière dont les scientifiques conceptualisent leur domaine d’étude. En ce sens, il est nécessaire de clarifier ce que nous entendons par idéologie et de comprendre comment elle influence nos analyses. L’idéologie, loin d’être un aspect extérieur ou contaminant de la science, fait partie du processus de formulation théorique. C’est ce qui permet aux chercheurs de se connecter à la réalité sociale et écologique qu’ils étudient, en gardant à l’esprit que l’économie n’est pas une science purement objective, mais une science en constante interaction avec les préoccupations humaines et sociales.
Dans cette perspective, l’économie écologique ne se contente pas de se poser en alternative à l’économie néoclassique, mais cherche également à redéfinir les valeurs fondamentales qui gouvernent la relation entre l’humanité et la nature. La vision pré-analytique dans ce domaine exige une réflexion sur la manière dont les sociétés humaines doivent repenser leur développement et leur bien-être en fonction des limites écologiques et des réalités biophysiques de la planète. Pour cela, il est essentiel de revoir nos concepts économiques traditionnels, notamment ceux qui sous-tendent les notions de croissance, d’efficience et de capitalisme. Les théories qui émergent de cette vision doivent être à la fois critiques et pratiques, offrant des outils pour une transformation véritablement révolutionnaire dans la manière dont nous abordons les défis économiques et environnementaux de notre époque.
La réflexion sur le changement scientifique, tel que Schumpeter, Neurath et Kuhn l'ont abordée, met en lumière une dynamique constante entre les théories scientifiques et les valeurs sociales. Cette dynamique est particulièrement évidente dans le contexte de l'économie écologique, où la nécessité de repenser les paradigmes économiques implique également de repenser les idéologies sous-jacentes qui gouvernent nos sociétés. Le changement de paradigme en économie écologique ne réside pas uniquement dans l'introduction de nouveaux concepts ou outils analytiques, mais aussi dans la reconnaissance de l'importance des valeurs et des idéologies dans la construction scientifique du savoir.
Comment le néolibéralisme a façonné l'économie environnementale et la critique de la croissance
Le néolibéralisme, qui a pris son essor dans les années 1980, a dominé les théories économiques pendant plusieurs décennies. Ce système met en avant la croissance économique comme un impératif fondamental, tout en marginalisant les préoccupations environnementales. Après la crise économique de 2008, des questionnements autour du capitalisme ont commencé à refaire surface, mais sans véritable impact sur les politiques publiques (Mirowski, 2013). Le développement, dans ce cadre, est défini par l'exploitation des ressources naturelles et la dégradation de l'environnement pour favoriser les avancées technologiques et l'accumulation du capital. Ce processus est justifié par l’idée que l’être humain, en tant qu’hédoniste centré sur ses désirs personnels, doit rivaliser avec ses semblables pour satisfaire ses besoins de consommation. Ainsi, la croissance de la consommation de biens et de services, ainsi que de l’utilisation des ressources et de l’énergie, devient indispensable pour répondre à la demande croissante.
Les préoccupations environnementales sont souvent présentées comme une question moderne, spécifique aux pays riches, une préférence des nouvelles classes moyennes. Dans ce paradigme, la qualité de l'environnement est vue comme un luxe optionnel, secondaire face à des priorités telles que la croissance économique, la création de richesse, l’accumulation du capital et l’emploi de la population dans des activités productivistes rémunérées. Cette vision, bien qu’étant une fausse hypothèse qui ignore l’histoire et la dépendance humaine à la nature, a trouvé un terrain fertile dans les discours dominants qui relèguent les questions environnementales au rang de problèmes mineurs.
Le discours établi suppose que la croissance économique est un objectif indiscutable, que l'économie devrait être principalement préoccupée par l'atteinte de cette croissance, que cette croissance est synonyme de progrès humain, et que la consommation est intrinsèquement bénéfique, contribuant au bien-être général. Cette vision repose sur un ensemble de positions ontologiques implicites qui ne sont jamais remises en question. Selon cette approche, il n'existe pas de dommages environnementaux irréversibles (comme la perte d'espèces) car les théories économiques sous-jacentes se fondent sur une compréhension mécaniste du monde. Les affaires humaines sont considérées comme séparées de la réalité biologique et physique. L’économie est conceptualisée comme un système autonome, déconnecté des bases matérielles et énergétiques de l’environnement.
L'émergence de l'économie écologique à la fin des années 1980 a cherché à dépasser cette vision réductrice en prenant en compte les critiques radicales des économistes environnementalistes. Cependant, ceux qui exprimaient des critiques sévères de la croissance économique se sont retrouvés marginalisés au sein du courant économique dominant. Des penseurs comme Kapp (1970), Georgescu-Roegen (1971) et Daly (1977) ont proposé des visions alternatives, arguant que la croissance économique, dans un monde aux ressources limitées, était insoutenable. Georgescu-Roegen, par exemple, a souligné l’importance de l’entropie pour les processus économiques, concluant que la croissance économique à long terme était infaisable et que des réformes politiques fondamentales étaient nécessaires.
Kapp a mis en lumière l’échec fondamental du système concurrentiel, qui déplace les coûts sociaux sur d'autres et les caractérise comme des « externalités ». Ce concept d’externalité est une tentative d’ignorer les dommages réels et délibérés infligés à l'environnement et aux sociétés humaines, en les présentant comme des anomalies dans un système autrement parfait. Ces théories ont ouvert la voie à des questions éthiques sur les systèmes économiques, comme la répartition des ressources et des opportunités entre les générations actuelles et futures.
L’option d'une économie en « état stationnaire », avancée par Daly, se distingue comme une réponse aux critiques du modèle de croissance infinie. Cette idée d'un modèle économique stable, plutôt qu'en expansion continue, fait face à une opposition farouche de la part des partisans du capitalisme néolibéral. Ces derniers continuent à considérer la croissance comme une condition sine qua non du progrès. Cependant, les économistes environnementaux radicaux, bien que marginalisés, ont pu voir dans l’émergence de l’économie écologique une lueur d’espoir, espérant que cette nouvelle discipline pourrait intégrer des éléments plus radicaux et réconcilier les tensions entre les impératifs économiques et environnementaux.
L’économie écologique a cherché à forger des liens entre l’économie et l’écologie, mais cette association n’a pas été sans défis. En effet, de nombreux économistes ont tenté de combiner des modèles économiques néoclassiques avec des approches écologiques, mais cette tentative a souvent échoué à aller au-delà des dissensions orthodoxes. Ainsi, bien que l'introduction de l’écologie dans les discours économiques ait été un premier pas vers un changement de paradigme, le manque de réformes profondes a limité l’impact de ces approches.
Il est essentiel de comprendre que la critique de la croissance économique ne se limite pas à une simple opposition idéologique. Elle touche des questions fondamentales sur la durabilité des systèmes économiques et la justice sociale. L’évolution de l'économie écologique montre qu'il existe un besoin urgent d'élargir la réflexion sur les relations entre les humains et leur environnement. La dépendance à l'égard des ressources naturelles et la capacité de l'environnement à assimiler les déchets produits par nos sociétés imposent des limites à la croissance telle qu’elle est envisagée par les théories économiques classiques. De plus, la croissance infinie dans un monde aux ressources finies est non seulement irréaliste mais également dangereuse pour l'équilibre de nos écosystèmes.
Comment l'économie écologique peut-elle dépasser l'orthodoxie néoclassique ?
L’économie écologique, telle qu’elle est souvent perçue par ses partisans les plus intégrés à la théorie économique dominante, ne représente pas un écart radical par rapport à l’économie conventionnelle. Au contraire, elle s’inscrit souvent dans une logique de continuité, où des instruments mathématiques formels sont utilisés pour relier les modèles d’analyse écologique à ceux de la gestion économique des ressources. Par exemple, certains économistes, comme Perrings, considèrent que le défi majeur de la durabilité est de développer des modèles prédictifs capables d'évaluer les conséquences des choix politiques. De manière générale, ils croient en la capacité de la modélisation mathématique à résoudre les dilemmes posés par la mondialisation et les changements climatiques. Ils envisagent une économie écologique principalement comme une science prédictive, empreinte d’objectivisme naïf, reposant sur des formalismes mathématiques monistes.
Cette vision est partagée par de nombreux économistes, y compris des figures emblématiques du néoclassicisme comme Karl Göran Mäler, Partha Dasgupta, et Kenneth Arrow, qui collaborent étroitement avec des écologues tels que Brian Walker et Paul Ehrlich. Leur démarche méthodologique est déductive, fondée sur un formalisme mathématique et la mise en lien de modèles, favorisant une approche pragmatique face aux enjeux environnementaux. Ces alliages entre économistes et écologues, soutenus par des institutions comme le Beijer Institute et le Stockholm Resilience Centre, dessinent une vision du monde où la solution à la crise environnementale repose avant tout sur des ajustements de marché, notamment à travers des mécanismes comme les échanges de permis d'émission ou la mise en place de marchés pour la nature.
Toutefois, cette approche rencontre des critiques profondes. L'idée selon laquelle l'écologie économique pourrait être simplement une sous-discipline de l'économie néoclassique est une vision que d’autres, comme Daly, ont fermement rejetée. Il considère que l’économie écologique ne doit pas se contenter de reproduire les modèles traditionnels mais doit remettre en question les principes de base du système économique dominant. D'ailleurs, en dépit de sa préférence pour les mécanismes de marché, Daly soutenait que ces derniers nécessitent des contraintes sociales et écologiques pour fonctionner de manière efficace et juste. Cependant, son soutien aux instruments néoclassiques, comme les marchés de permis d’émission, le place dans une position ambiguë, à la croisée des chemins entre la critique et la réaffirmation des postulats néoclassiques.
Cette perspective soulève la question de la véritable portée de l’économie écologique. Pour certains, cette discipline reste ancrée dans la pensée dominante, cherchant à intégrer l’environnement dans un cadre où le marché reste l’outil privilégié pour la gestion des ressources. Pour d’autres, l’économie écologique doit incarner un changement de paradigme, une révision en profondeur des fondements mêmes de l’économie, en abandonnant les hypothèses néoclassiques qui minimisent le rôle des externalités et des inégalités sociales. L’idée selon laquelle les problèmes écologiques peuvent être résolus simplement par une internalisation des externalités passe sous silence les complexités de la dynamique écologique et ignore les véritables relations de pouvoir et les structures sociales qui façonnent l’accès aux ressources.
Les économistes dits "nouveaux" en ressources, comme van den Bergh, se positionnent dans une vision qui s’apparente davantage à une dissidence orthodoxe. Bien qu’ils reconnaissent l’importance de la durabilité, ils tendent à considérer que la question de la croissance et de l’échelle de l’économie est résolue par les instruments économiques traditionnels. La critique que fait van den Bergh à des économistes comme Daly, qui préconisent des limites à la croissance, repose sur l'idée que des mécanismes comme le marché des droits d’émission sont suffisants pour aborder la question de l’échelle économique et environnementale. Selon cette perspective, l’économie traditionnelle aurait déjà intégré les éléments nécessaires pour une gestion optimale des ressources et la durabilité.
Cependant, cette vision oublie les dimensions profondes et systémiques de la crise écologique, notamment les effets de l’accumulation capitaliste sur les ressources naturelles et les inégalités sociales croissantes. Si les instruments de marché peuvent, dans certains cas, offrir des solutions techniques, ils ne sauraient suffire à résoudre les contradictions internes du système économique actuel. L’intégration des externalités dans le cadre de l’économie de marché suppose une abstraction des causes sociales, politiques et culturelles de la crise écologique, et tend à maintenir en place un système qui reste fondamentalement inégalitaire et insoutenable.
Pour aller au-delà de cette impasse, l’économie écologique sociale prend une approche distincte, où la critique de l’orthodoxie économique est couplée à une réflexion plus large sur les valeurs, les relations humaines et les structures sociales. Cette approche pluridisciplinaire fait le lien entre l’économie et des domaines tels que la psychologie sociale, la sociologie, la philosophie appliquée, et les sciences naturelles. Elle vise à dépasser la simple analyse des mécanismes économiques pour comprendre les dynamiques sociales et les interactions humaines au sein des systèmes écologiques.
Dans cette perspective, l’économie écologique ne se limite pas à la construction de modèles prédictifs, mais se veut un véritable levier de transformation des rapports sociaux et de l’organisation de l’économie mondiale. Les chercheurs qui s'inscrivent dans cette tradition militent pour un changement profond de paradigme, qui ne se contente pas de réformer l’économie traditionnelle, mais qui propose une rupture avec les fondements même de l’économie dominante. L’enjeu réside dans la capacité à redéfinir les relations entre l’homme et son environnement, en reconnaissant que la durabilité ne peut être atteinte que si l’on remet en question les bases mêmes de notre modèle économique et social.
Pourquoi l’économie dominante échoue et quelles alternatives existent ?
Les partisans du conventionnalisme soutiennent que la vérité réside dans l’adéquation des théories économiques avec la réalité. Cependant, c’est précisément là que réside le problème fondamental : la persistance d’une croyance aveugle en des théories économiques irréalistes, ainsi que le soutien pragmatique qu’on leur accorde, contribuent aux crises sociales et écologiques actuelles et en créent de nouvelles. L’économie actuelle est tout simplement inapte à faire face aux crises sociales, écologiques et économiques qui se multiplient. L’humanité ne peut plus se permettre de continuer à soutenir une profession économique obsolète, de la même manière qu’il est insensé de persister dans un système économique destructeur pour l’environnement et socialement déstabilisateur. Les économies de croissance basées sur l’accumulation du capital, telles qu’elles existent aujourd’hui, reposent sur la concurrence et l’exploitation, ce qui conduit l’humanité à se diriger vers des guerres des ressources de plus en plus graves et une inégalité toujours plus marquée.
Il est désormais nécessaire de mettre en place une économie sociale et écologique radicale qui puisse réformer et renouveler notre compréhension économique. Une telle transformation nécessite une remise en question profonde des principes fondamentaux des systèmes économiques dominants. Il s’agit de repenser ce qui compte véritablement, avec une approche explicitement sociale et éthique. Cela inclut la reconnaissance de l’importance des engagements idéologiques et de la discussion ouverte de ces engagements. L’économie sociale et écologique est avant tout une science émancipatoire. Pour imaginer ce à quoi pourraient ressembler les économies de demain, les options sont nombreuses : planification, propriété publique des moyens de production, économies socialistes, économies communautaires et locales, économies de solidarité, éco-villages, entreprises écologiques, et bien d’autres formes.
Les systèmes sociaux et économiques nécessitent des processus reproductifs impliquant un entretien non rémunéré, des échanges de dons et de réciprocité. Or, aujourd’hui, tout cela est ignoré ou nié sous la domination des modèles financiers, des grandes entreprises et du néolibéralisme, qui génèrent pourtant des problèmes sociaux et environnementaux de plus en plus graves. Face à ces enjeux, il est plus que jamais nécessaire de développer des économies alternatives et des formes de provision sociale qui brisent l’hégémonie de la croissance économique et du paradigme du marché de fixation des prix. Les besoins peuvent être satisfaits grâce à une provision en nature, au service des individus, et non du profit. La forme et la variété des institutions issues de cette démarche, y compris le rôle et la forme des marchés, constituent un champ de recherche crucial pour l’avenir.
Les tentatives des économistes écologiques de collaborer avec, de s'excuser ou de s’intégrer aux paradigmes dominants ont souvent produit des révolutions passives, sans parvenir à résoudre les problèmes structurels. En s’alignant sur les groupes de pouvoir existants, ces tentatives n’ont rien changé aux opérations substantielles des économies réelles. Elles ont au contraire légitimé les discours obsolètes de l’économie dominante et contribué à marginaliser les critiques radicales. La transformation dont il est question dans ce livre nécessite de créer des conditions favorables à l’émergence de nouvelles idées, ce qui implique de se concentrer sur l’exclusion des théories obsolètes et du savoir invalidé, plutôt que de les inclure sous le prétexte d’un pluralisme éclectique et pragmatique. Il n’y a rien à gagner, et beaucoup à perdre, en maintenant la croyance erronée qu’il est possible de discuter de manière fructueuse avec ceux qui défendent dogmatiquement le système même que l’on cherche à transformer en profondeur. L’opportunité réside dans la création d’une nouvelle compréhension économique à travers des conceptualisations communes parmi les diverses écoles de pensée hétérodoxes.
L’économie sociale et écologique, dans ce contexte, doit être une science sociale critique, réaliste et pragmatique. Elle explique comment et pourquoi le mode de production et de consommation actuel est socialement injuste et écologiquement insoutenable. Le prochain pas consiste à développer une base théorique pour la mise en place de structures alternatives, à travers une vision utopique scientifique et une transformation sociale et écologique radicale. Le mot d’ordre de l’économie sociale et écologique est le suivant : « Il n’y a que des alternatives ».
Un aspect crucial que beaucoup négligent dans cette discussion est que la simple adoption de modèles alternatifs n’est pas suffisante. Il faut également repenser la manière dont les besoins humains sont perçus et satisfaits dans ces systèmes. Il est essentiel de comprendre que l’économie ne doit pas être une fin en soi, mais un moyen de créer des sociétés plus justes, plus équitables et plus résilientes face aux défis écologiques. La révision des structures de propriété, la redéfinition de la valeur du travail et l’élimination de l’exploitation systématique des ressources naturelles et humaines sont des questions centrales qui devront être abordées dans toute démarche de transformation économique radicale. Il ne s’agit pas seulement de changer les mécanismes de production, mais aussi de repenser les fondements éthiques et sociaux qui sous-tendent nos interactions économiques et sociales.
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