L'immigration mexicaine aux États-Unis a longtemps été un sujet de débat, souvent exacerbée par des perceptions erronées de la concurrence entre immigrants et travailleurs natifs. Cependant, une analyse plus approfondie révèle que, au contraire, l'immigration mexicaine, notamment en période de croissance économique, n'a pas eu d'effets négatifs significatifs sur l'emploi des natifs. L'essentiel réside dans la dynamique des marchés du travail et des politiques économiques, plutôt que dans une simple approche binaire de compétition entre travailleurs nationaux et étrangers.

Depuis les années 1980, la croissance économique des États-Unis a largement surpassé la croissance démographique, réduisant ainsi la concurrence pour les emplois. En effet, la population des États-Unis a crû à un rythme inférieur à 1 % par an depuis cette période, même en prenant en compte l'immigration légale et non autorisée. Ce faible taux de croissance démographique, couplé à une forte croissance du produit intérieur brut (PIB) avant la récession de 2008, a permis la création de millions d'emplois, bien au-delà des besoins liés à la simple augmentation de la population. En outre, les périodes de croissance économique normale ont vu un nombre de créations d'emplois bien supérieur à celui nécessaire pour absorber l'augmentation de la population, qu'elle soit liée à l'immigration ou à l'excédent naturel des naissances.

Même durant la récession de 2008, qui a provoqué une perte massive d'emplois, l'impact sur les travailleurs peu qualifiés n'a pas été causé par l'immigration, mais par la contraction générale de l'économie. En effet, au plus fort de la crise, le taux de chômage des travailleurs avec un niveau d'éducation inférieur au secondaire était nettement supérieur à celui des travailleurs diplômés, ce qui met en évidence le lien entre le niveau de compétence et la vulnérabilité aux fluctuations économiques. Ce phénomène a été particulièrement marqué parmi les travailleurs noirs et hispaniques, dont une grande proportion étaient nés à l'étranger.

Les critiques souvent émises à l'encontre de l'immigration moins qualifiée reposent sur une idée fausse, celle d'une "pénurie de travail", une notion réductrice qui présuppose qu'il y a une quantité fixe de travail disponible. En réalité, l'immigration génère de nouveaux emplois grâce à la consommation accrue des immigrants, à la demande pour des services spécifiques tels que l'entretien des pelouses ou les soins à domicile, ainsi qu'à la baisse des coûts de biens et services pour les natifs, stimulant ainsi la production et la création d'emplois supplémentaires. Ce phénomène est particulièrement vrai pour les secteurs où le travail des immigrants est complémentaire à celui des travailleurs natifs, comme dans les soins aux enfants et aux personnes âgées.

Cela ne signifie pas pour autant que l'immigration ne comporte aucun défi. En particulier, les travailleurs peu qualifiés, qu'ils soient natifs ou immigrés, peuvent se trouver confrontés à une concurrence accrue, notamment en période de récession ou lorsque des migrants non autorisés arrivent sur le marché du travail. Toutefois, cette concurrence est souvent exagérée, car elle ne prend pas en compte les effets indirects de l'immigration sur l'ensemble de l'économie, tels que l'augmentation de la productivité globale et la création de nouveaux postes dans d'autres secteurs.

Une distinction importante doit être faite entre les types d'immigrants et les secteurs où ils sont employés. Les immigrants hautement qualifiés, par exemple, semblent avoir un effet bénéfique global sur l'économie en stimulant la croissance et l'innovation. En revanche, les immigrants moins qualifiés, en particulier ceux en situation irrégulière, peuvent exercer une pression à la baisse sur les salaires et les perspectives d'emploi de certains travailleurs natifs peu qualifiés, en particulier ceux qui n'ont pas terminé leurs études secondaires. Mais ces effets sont généralement faibles et compensés par les autres avantages économiques générés par l'immigration.

Les études se sont montrées assez unanimes sur le fait que l'immigration mexicaine, bien que composée en grande partie de travailleurs moins qualifiés, n'a pas de conséquences désastreuses pour le marché du travail américain. Au contraire, elle semble compléter le travail des natifs et des immigrés légaux, augmentant la productivité générale du pays et créant une croissance supplémentaire dans divers secteurs économiques. L'impact économique positif de l'immigration est donc largement sous-estimé dans les débats publics, et il est crucial de remettre en question les idées reçues concernant la concurrence pour l'emploi.

Cela étant dit, il est important de souligner que l'immigration mexicaine a des conséquences démographiques et sociales à long terme. L'un des aspects les plus significatifs de cette migration est son rôle dans le vieillissement de la population américaine et dans l'adaptation de la main-d'œuvre aux besoins croissants des secteurs de soins et de services. L'immigration a en effet permis de maintenir une force de travail jeune et dynamique dans un contexte de baisse de la natalité. L'impact des migrations internationales est donc aussi essentiel à comprendre dans une perspective globale de changement démographique et de réformes économiques, qui devront nécessairement s'ajuster pour intégrer ces dynamiques de manière plus structurée et équitable.

Comment le secteur automobile au Mexique a redéfini la chaîne de production mondiale ?

L'industrie automobile au Mexique a connu une transformation majeure depuis les années 1980, catalysée par l'accord de libre-échange nord-américain (ALENA) signé en 1994. Ce processus a été marqué par une montée en puissance des technologies avancées, des pratiques organisationnelles de pointe et un environnement de travail flexible, favorisé par une main-d'œuvre jeune et qualifiée. Des géants de l'industrie automobile tels que Ford, General Motors, Volkswagen, et Fiat Chrysler ont ainsi établi des usines et des centres technologiques au Mexique, faisant du pays un acteur clé dans la production automobile mondiale. Ces entreprises ont non seulement investi dans des installations de production de véhicules et de moteurs, mais ont également créé des clusters technologiques à la pointe, permettant au Mexique de devenir l'un des principaux producteurs de pièces automobiles au monde.

Aujourd'hui, trois grands clusters industriels dominent la production automobile du pays : le Norte, le Bajío et le Centro. Ces régions concentrent la majorité des usines, des emplois et des entreprises d'approvisionnement, à la fois étrangères et mexicaines. Le cluster du Norte, par exemple, abrite près de la moitié des usines automobiles, avec des sites majeurs à Monterrey et à Tijuana. Ces zones sont des foyers de production non seulement pour les véhicules légers, mais aussi pour les pièces détachées, et elles jouent un rôle essentiel dans l'approvisionnement des usines d'assemblage en Amérique du Nord.

L'une des caractéristiques essentielles de ce modèle de production réside dans la diversité des fournisseurs. En effet, le Mexique abrite 91 % des principaux acteurs mondiaux du secteur des pièces automobiles, dont près d'un quart sont des fournisseurs de niveau 1, les plus proches des fabricants d'équipement d'origine (OEM). Cette structure a créé une chaîne de production fortement intégrée, dans laquelle le Mexique ne joue pas seulement un rôle de sous-traitant, mais devient également un acteur clé dans l'innovation technologique et la fabrication de produits complexes comme les moteurs et les systèmes de connectivité. La présence de centres technologiques tels que ceux établis par Continental et Bosch témoigne de cette évolution vers des processus de fabrication de plus en plus sophistiqués.

Cependant, cette transformation ne se fait pas sans paradoxes. L'un des plus frappants est celui des conditions de travail. Bien que la productivité du secteur automobile mexicain ait augmenté de manière significative depuis les années 1990, les salaires des travailleurs restent bien en deçà de ceux des pays voisins, comme les États-Unis et le Canada. En 2017, le salaire horaire moyen des travailleurs mexicains de l'industrie automobile était environ sept fois inférieur à celui de leurs homologues américains, ce qui a conduit à des accusations de dumping social. Ce phénomène s'accompagne d'une segmentation accrue du marché du travail, où les travailleurs peu qualifiés occupent les positions les moins rémunérées et les plus précaires, tandis que les cadres supérieurs bénéficient de rémunérations bien plus élevées.

De plus, le secteur de l’automobile au Mexique connaît une stratification complexe entre les différents niveaux de la chaîne d’approvisionnement. Bien que des entreprises mexicaines aient réussi à se positionner comme fournisseurs, elles se trouvent principalement dans les niveaux 3 et 4 de la chaîne, bien en dessous des géants mondiaux qui dominent le secteur. Cela souligne une caractéristique particulière du marché mexicain : bien que le pays soit un centre de production majeur, il ne possède pas d'OEMs nationaux capables de rivaliser avec les grands acteurs internationaux. Cette absence d'OEMs locaux et la domination des fournisseurs étrangers font que le Mexique dépend largement des décisions et des stratégies des multinationales, ce qui limite la capacité du pays à capitaliser pleinement sur son potentiel de production.

Enfin, malgré les réformes introduites par l'Accord Canada–États-Unis–Mexique (USMCA), qui visent à réduire les écarts salariaux entre les travailleurs mexicains et leurs homologues nord-américains, les tensions restent vives. Le paradoxe qui persiste est celui de l'augmentation de la qualification des travailleurs, de l'introduction de technologies de plus en plus avancées, et pourtant de la précarité croissante des conditions de travail. Les travailleurs mexicains sont de plus en plus formés et qualifiés pour traiter des technologies de pointe, mais ils continuent de faire face à des emplois instables, des bas salaires, et une faible protection sociale. Cela soulève des interrogations sur la durabilité de ce modèle de croissance, qui repose sur la compétitivité des coûts de production au détriment du bien-être des travailleurs.

Le secteur automobile au Mexique représente ainsi un microcosme des tensions globales qui existent entre la modernisation technologique et la réalité socio-économique. La poursuite de la croissance dans ce secteur repose sur une double dynamique : d'un côté, une compétitivité accrue grâce à l'introduction de nouvelles technologies et à une main-d'œuvre de plus en plus qualifiée, mais de l'autre, un creusement des inégalités salariales et des conditions de travail qui pourraient poser des problèmes de stabilité sociale à long terme. Les défis pour le Mexique sont nombreux : comment concilier ces avancées technologiques avec un véritable progrès social et une amélioration des conditions de vie des travailleurs ? Cette question est cruciale pour le futur du secteur automobile et pour l'équilibre socio-économique du pays.

Les Politiques Économiques dans l'Accord Commercial États-Unis-Mexique : Une Réflexion sur les Défis de la Croissance Durable et Inclusive

Les dernières années de l'administration de Peña Nieto (2012-2018) ont été marquées par une tentative de réformer la politique du salaire minimum, avec un objectif clair : garantir à tout travailleur un revenu suffisant pour couvrir les coûts d'un panier de biens essentiels pour lui-même et un membre de sa famille. Cette politique a été soutenue par Andrés Manuel López Obrador lorsqu'il a pris le pouvoir, cherchant à l'intégrer dans ses initiatives économiques. Cependant, les États-Unis, sous la présidence de Donald Trump, n'ont pas augmenté leur salaire minimum, malgré une vaste campagne visant à atteindre 15 dollars de l'heure. Bien que l'Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC) contienne des exigences pour renforcer les droits des syndicats de travailleurs, une mesure que l'administration López Obrador souhaitait mettre en place de toute façon, il reste évident que pour qu'un accord commercial puisse réellement contribuer au développement économique à travers l'Amérique du Nord, il devrait être accompagné de la création d'une banque de développement régionale bien financée, capable d'investir dans des secteurs industriels et éducatifs dans les régions défavorisées des trois pays.

En revanche, limiter les pratiques commerciales de la Chine, qui ont nui aux exportations mexicaines ainsi qu'aux travailleurs américains, exige une coopération active entre les membres de l'AEUMC et d'autres partenaires commerciaux clés, comme l'Union européenne. En outre, le Mexique, les États-Unis et le Canada doivent rendre leurs économies plus équitables et compétitives, principalement par leurs propres efforts internes. La transformation de l'ALENA en AEUMC n'apportera qu'une contribution marginale à ce processus. Malgré la réduction de l'incertitude créée par la présidence Trump en matière de commerce régional, l'AEUMC ne peut pas, en soi, résoudre les principaux obstacles à un développement économique durable et à long terme. Ces défis ne sont pas liés à des politiques commerciales spécifiques, mais plutôt à l'absence persistante d'une vision claire et partagée pour un développement inclusif et une croissance économique durable.

Pour le Mexique, bien que l'administration López Obrador ait mis en place des politiques importantes comme l'augmentation du salaire minimum et des réformes du marché du travail, elle ne semble pas avoir entrepris une refonte radicale du modèle économique qui pourrait positionner le pays sur une trajectoire dynamique de croissance à long terme, durable et inclusive. Le pays continue de suivre une politique néolibérale similaire à celle lancée dans les années 1980, après les premières réformes de marché. L'absence d'une politique industrielle active, d'une réforme fiscale progressive ou d'initiatives visant à créer un système de protection sociale universelle souligne les limites de l'approche actuelle. La politique monétaire reste axée sur l'objectif de contrôle de l'inflation, tandis que la politique fiscale s'engage sur une voie d'austérité stricte, ce qui limite les possibilités de stimuler l'économie, même en pleine récession. Cette politique de réduction des dépenses publiques, poursuivie par le ministère des Finances en 2020, risque d'aggraver les obstacles au développement durable et de rendre plus rigides les restrictions économiques qui freinent la croissance mexicaine.

Quant aux États-Unis, le panorama est encore plus complexe. L'avenir économique de l'Amérique du Nord dépendra bien davantage des résultats des élections présidentielles de 2020 que des décisions politiques prises sous l'administration Trump. En dépit des tensions commerciales, des politiques migratoires restrictives et de la montée du protectionnisme, les pays de l'AEUMC devront se concentrer sur la mise en place de politiques qui soutiennent le développement à long terme, au-delà des accords commerciaux eux-mêmes.

Il est essentiel de comprendre que le véritable moteur de la prospérité économique durable pour ces nations réside dans des réformes internes solides. Il ne suffit pas de signer des accords commerciaux pour garantir la compétitivité et la justice sociale. Le manque d'une vision commune et inclusive au sein des gouvernements, combiné à des stratégies économiques souvent axées sur des modèles de croissance à court terme, limite considérablement les opportunités pour les pays de la région d'atteindre un véritable développement équitable.

Le Mexique, par exemple, doit encore répondre aux défis de la modernisation industrielle, de la diversification de son économie et de l'inclusion sociale. Le gouvernement de López Obrador devra peut-être revoir ses priorités et adopter une politique plus active qui cible non seulement la justice sociale mais aussi l'innovation et la durabilité environnementale, éléments cruciaux pour une croissance pérenne.