La religion, en tant que phénomène social, ne se réduit pas à un simple ensemble de croyances erronées sur le monde. Elle joue un rôle fondamental dans la structuration des sociétés, en particulier dans les sociétés de classes, où elle devient un véritable instrument d’oppression sociale. Cette fonction oppressive ne peut être pleinement comprise si l’on ne considère que la dimension idéologique de la religion, car ses croyances fausses sont continuellement renforcées par une tradition ancestrale d’habitudes, de rites et de normes établies. Cette tradition est soutenue par une organisation sacerdotale puissante et bien structurée, dont le rôle est central dans le maintien et la diffusion des dogmes religieux.

Dans une société fondée sur l’exploitation, le clergé et l’appareil ecclésiastique forment une force sociale organisée, intimement liée aux intérêts de la classe dominante. Leur influence dépasse le simple champ des idées : la religion agit directement sur la conscience individuelle, apportant un soutien psychologique crucial à ceux qui la pratiquent, notamment face aux échecs ou aux malheurs. Cette profonde ancrage dans la mentalité collective confère à la religion un rôle conservateur immense, qui s’étend bien au-delà du domaine purement idéologique, touchant la loi, la politique, l’économie et les relations sociales.

Les guerres et persécutions religieuses, souvent sanglantes et prolongées, témoignent de la nature conflictuelle et divisive de la religion. Même si les causes matérielles dominent fréquemment ces conflits, les motifs religieux les exacerbent, rendant la violence plus féroce sous le masque de la foi. L’appel à « tuer les infidèles » ou à « anéantir les ennemis de Dieu » illustre combien la religion peut être un facteur de division et de haine, loin d’unir les hommes.

La religion impose aussi de lourds fardeaux économiques, puisque la superstition pousse les individus à effectuer des sacrifices coûteux dans l’espoir d’obtenir l’appui des forces surnaturelles dans leurs entreprises matérielles. Ces sacrifices, souvent au prix de grands renoncements, reflètent l’emprise de la peur superstitieuse et du poids des coutumes sur les comportements économiques.

Sur le plan théorique, la religion est un reflet déformé des conditions matérielles de la vie sociale, une vérité reconnue non seulement par les marxistes mais aussi par des chercheurs indépendants. Cependant, il ne suffit pas de constater ce fait dans son abstraction : chaque croyance et chaque rite religieux trouvent leurs racines dans des contextes historiques et sociaux précis qu’il importe d’étudier en profondeur pour comprendre leur origine réelle. Cette quête dépasse la simple description des rites et des dogmes ; elle cherche à dévoiler la chaîne historique qui relie ces pratiques à leur fondement matériel.

Il serait simpliste de croire que chaque élément religieux découle directement de circonstances économiques immédiates. Les idéologies religieuses possèdent une certaine autonomie relative : une fois formées, elles tendent à persister et à se transformer de manière complexe, influencées par de nouvelles conditions sociales tout en conservant leur essence. Cette dynamique explique la complexité et la longévité des croyances religieuses.

Prenons l’exemple du baptême chrétien par immersion ou aspersion d’eau. Bien que l’eau soit naturellement purificatrice, ce rite spécifique ne s’explique pas uniquement par cette qualité physique. Son origine se trouve dans des pratiques anciennes empruntées à des sectes mandéennes du Proche-Orient, elles-mêmes héritières de cultes babyloniens dédiés au dieu de l’eau, Ea. Cette généalogie montre combien il est indispensable d’examiner les racines historiques multiples d’un rite pour comprendre sa signification réelle.

De même, le rite de la circoncision chez les Juifs et les musulmans, souvent justifié par des arguments hygiéniques, prend son sens véritable en le comparant aux pratiques de peuples moins développés, où il est effectué à l’adolescence pour marquer l’entrée dans la maturité et pour imposer des restrictions sexuelles. Cette origine souligne la fonction sociale de ce rite, bien plus que son explication superficielle.

Enfin, la croyance chrétienne en la conception immaculée de Jésus illustre une aspiration à distinguer le fondateur de la foi comme un être extraordinaire, une idée partagée par de nombreuses cultures antiques pour leurs héros ou figures sacrées. Ce dogme révèle comment les croyances religieuses s’inscrivent dans des logiques culturelles plus larges de construction du sacré.

Il est crucial de saisir que la religion, bien que fondée sur des illusions, forme un système cohérent et durable, qui puise dans des racines historiques profondes et se nourrit de l’organisation sociale. Son étude ne peut donc se limiter à une critique idéologique, mais doit intégrer l’analyse historique, sociale et psychologique. Comprendre ces mécanismes éclaire les raisons de sa persistance et de son rôle paradoxal, à la fois consolateur pour l’individu et instrument de domination sociale.

L'influence des religions et des cultes populaires dans l'histoire de la Chine impériale

L'influence religieuse sur la politique et la société chinoise a toujours été un phénomène complexe, où le pouvoir spirituel et temporel se sont entrelacés de manière subtile. Les pratiques religieuses traditionnelles, notamment le confucianisme, le taoïsme, le bouddhisme et même l'islam, ont façonné les dynasties impériales tout au long de l’histoire de la Chine. En particulier, le taoïsme a joué un rôle central, notamment à travers ses prêtres qui jouissaient souvent d'une influence considérable dans les cours impériales, surtout sur la section féminine de la cour. Ces prêtres taoïstes, dont l'influence n'était pas seulement religieuse mais aussi politique, ont souvent joué un rôle crucial dans les intrigues de cour et dans l'organisation des révoltes populaires, comme en témoigne la rébellion des Turbans Jaunes en 184, dirigée par des taoïstes, qui a renversé la dynastie Han.

Dans les périodes où les dynasties étrangères ont régné sur la Chine, telles que les dynasties mongoles et mandchoues, l'influence des lettrés confucéens a été nettement plus marquée. Les dirigeants étrangers, souvent perçus comme moins légitimes par la population chinoise, ont cherché à solidifier leur pouvoir en s'alliant avec l’élite intellectuelle confucéenne. En revanche, les dynasties chinoises de souche, soutenues par les masses populaires, étaient bien plus influencées par les prêtres taoïstes, proches du peuple, que par les fonctionnaires confucéens. Cette différence d'influence a marqué un contraste profond dans la gestion politique de la Chine, selon qu'une dynastie était perçue comme étrangère ou chinoise.

Le bouddhisme, en particulier ses moines, a également trouvé une place privilégiée à la cour impériale à certaines époques. Les empereurs, en particulier sous certaines dynasties, ont favorisé le bouddhisme comme un moyen de renforcer leur pouvoir spirituel et d’élargir leur influence auprès des masses. Les pratiques bouddhistes se sont largement intégrées à la vie religieuse de l'empire, mais leur ascension n'a jamais été aussi puissante que celle du taoïsme, qui restait la religion la plus populaire parmi les classes paysannes.

Le culte ancestral a aussi occupé une place centrale dans la vie spirituelle et sociale des Chinois, et ce jusqu'à la Révolution de 1911. Ce culte, qui était fondamentalement un culte familial et clanique, faisait partie intégrante de la culture confucéenne. Chaque famille ou clan possédait un temple où l’on rendait hommage aux ancêtres et où les rituels étaient organisés par les membres de l'élite locale, notamment les gentry. La cérémonie des sacrifices aux ancêtres, bien qu'elle ait parfois pris une forme symbolique (avec des modèles en papier représentant des objets ou de la monnaie), était un élément fondamental du lien social et de la structure de pouvoir à l'échelle locale.

Dans cette société profondément marquée par les religions populaires, le taoïsme s'est également lié à d'autres pratiques mystiques comme le feng shui, qui joue un rôle fondamental dans la perception des forces invisibles qui influencent à la fois les vivants et les morts. Les prêtres taoïstes, souvent spécialisés dans l’étude du feng shui, déterminaient les lieux propices à la vie humaine, mais aussi à l'inhumation des défunts. Cette croyance en des forces naturelles, capables de déterminer le sort des individus, était si forte qu’elle incitait parfois des communautés entières à abandonner des villages ou à transférer des tombes, si le feng shui était jugé défavorable. Il ne faut pas sous-estimer l'importance de cette discipline, qui va bien au-delà d'un simple acte divinatoire, et qui influençait profondément l’urbanisme, la gestion des ressources et même les relations sociales.

À la cour impériale, les cultes et sacrifices étaient souvent utilisés pour légitimer l'autorité impériale. Les empereurs, qui se considéraient comme les médiateurs entre le ciel et la terre, avaient le monopole des sacrifices célestes. Seul l'empereur pouvait rendre hommage aux puissances célestes, un acte qui consolidait son pouvoir divin. Par contre, le peuple vénérait des divinités secondaires : les dieux locaux, les esprits des ancêtres, les dieux du commerce ou de l’agriculture. La société chinoise était ainsi structuré autour de multiples cultes, chacun adapté à une fonction sociale spécifique, avec une distinction entre les cultes impériaux et les cultes populaires.

Le culte de l’agriculture était particulièrement important. L’agriculture constituant la base de l’économie et de la société, les cérémonies associées à cette pratique étaient parmi les plus solennelles. Chaque année, l’empereur participait à des rituels agricoles pour marquer le début de la saison des labours. Ces cérémonies symbolisaient l’harmonie entre l’empereur, le ciel et la terre. Mais ces pratiques religieuses étaient avant tout populaires, et c'était souvent les paysans qui tenaient les rituels de manière plus pragmatique et quotidienne.

Un autre élément essentiel réside dans la perception taoïste de l’au-delà, qui s’éloigne de l’idéologie confucéenne du respect des ancêtres. Selon le taoïsme, à la mort, une personne possédait deux âmes : le "qi" (la vie) qui demeure liée au corps, et le "ling" (l'âme) qui se sépare. Si le défunt est jugé digne, son "ling" devient un dieu (shen), sinon il se transforme en un esprit maléfique (gui). Cette idée du taoïsme sur l'après-vie est indissociable du culte des âmes des défunts, vénérées comme des entités ayant un pouvoir sur les vivants.

Les croyances taoïstes et les rituels de sacrifice ont donné naissance à une culture de symbolisme matériel. Par exemple, pour réduire les dépenses, les Chinois ont commencé à fabriquer des objets en papier symbolisant des biens réels (comme de l'argent ou de la nourriture). Bien que symboliques, ces sacrifices étaient perçus comme efficaces pour honorer les esprits et les divinités.

Enfin, la diversité des religions et des cultes dans la Chine impériale montre un paysage spirituel riche et dynamique, où l’empereur, les élites et le peuple s’engageaient dans des pratiques religieuses variées, souvent influencées par des dynamiques de pouvoir et de légitimité. Les croyances populaires, comme le culte des esprits et des divinités locales, formaient un cadre essentiel de l'organisation sociale et spirituelle, et ont profondément marqué l'histoire de la Chine impériale.

Comment la religion babylonienne a façonné le monde antique et son influence persistante

La religion babylonienne, avec ses racines profondes dans les pratiques et les croyances anciennes, a laissé une empreinte durable sur la civilisation humaine. L’un des aspects les plus significatifs de cette religion était son approche unique du temps et de l’espace. Les prêtres babyloniens attribuaient des valeurs sacrées à certains nombres, à des segments de temps et à des éléments spatiaux, un héritage qui a eu une influence directe sur la création du calendrier, notamment le système des douze mois, qui a ensuite été adopté par les Européens. Les nombres sacrés, comme 3, 7, 12 et 60 (5 × 12), étaient des éléments fondateurs de la cosmogonie babylonienne, et ces concepts ont été empruntés par d’autres civilisations à travers l’histoire.

Les mythes cosmogoniques étaient également essentiels dans cette religion. L'un des textes les plus fascinants est celui qui raconte l'origine du monde, écrit sur sept tablettes d'argile et dont les premières paroles signifient littéralement « quand au-dessus ». Ce mythe raconte l’histoire de la lutte des dieux contre le chaos primordial personnifié par Apsu et Tiamat. Apsu représente les eaux souterraines masculines, tandis que Tiamat est la personnification féminine du même abîme ou océan primordial, dépeinte comme un monstre à quatre jambes et à ailes. Le combat contre ces forces chaotiques, mené par le dieu Marduk, aboutit à la victoire de ce dernier, qui divise le corps de Tiamat pour créer le ciel et la terre. Cette mythologie a été créée pour justifier la suprématie de Marduk, en particulier face aux autres dieux des cités subordonnées.

Les Babyloniens croyaient aussi que l’humanité avait été créée par les dieux, une vision du monde que l’on retrouve dans le mythe d'Adapa, le premier homme. Façonné par le dieu Ea, Adapa perd l’immortalité, un fait tragique dû à une erreur qu’il commet en refoulant la proposition d’un dieu qui lui offrait l'immortalité. Cette histoire de la chute humaine a été un thème récurrent, avec des implications profondes sur la condition humaine et la mortalité.

Dans l'épopée de Gilgamesh, un autre mythe majeur de la littérature babylonienne, on trouve un autre aspect intéressant de la cosmogonie et de la spiritualité babyloniennes. Gilgamesh rencontre son ancêtre Utnapishtim, qui lui raconte l’histoire d’un déluge universel déclenché par les dieux, un événement qui rappelle la célèbre histoire biblique de Noé. Ce mythe, et les détails individuels qui l’accompagnent, montrent l’influence des Babyloniens sur les traditions religieuses des peuples voisins, y compris les Israélites, qui ont vraisemblablement adopté cette histoire à partir des traditions babyloniennes.

La religion babylonienne ne se limitait pas à la vénération des dieux célestes ou des héros culturels ; elle englobait également une large galerie de mauvais esprits. Ces entités, souvent destructrices, étaient considérées comme des manifestations des malheurs et des maladies. Pour se protéger, les Babyloniens utilisaient des sorts, des charmes et des amulettes. Un des moyens de défense contre ces esprits malveillants était de porter une image effrayante de soi-même, destinée à repousser toute entité nuisible. De même, les prêtres babyloniens pratiquaient des rituels magiques, des incantations et des traitements médicinaux, souvent en combinaison avec la médecine populaire, pour soigner les maladies et contrer les maléfices.

Le domaine de la divination était également très développé à Babylone. Les prêtres, appelés "baru", étaient des spécialistes en divination, non seulement consultés par les citoyens mais aussi par les rois. Ils utilisaient divers moyens pour prédire l’avenir : l’interprétation des rêves, la lecture des entrailles d'animaux sacrifiés, et même l’observation des formes des taches d’huile sur l’eau. La méthode de divination par l’inspection du foie des animaux sacrifiés (l’hépatoscopie) est devenue une forme d’art sophistiquée, dans laquelle chaque partie du foie avait une signification précise. Cette pratique sera plus tard adoptée par les Romains à travers les Hittites et les Étrusques.

Les croyances babyloniennes sur l’au-delà étaient assez sombres. Les âmes des défunts se rendaient dans un monde souterrain, un royaume lugubre et sans espoir, où les morts menaient une existence morne. Contrairement à d’autres cultures, comme celle des Égyptiens, les Babyloniens ne croyaient pas à une récompense ou à une rétribution après la mort. Leur religion était centrée sur la vie terrestre, sans promesse de consolation posthume. Ce manque d’aspiration à l’au-delà est un aspect qui reflète les contradictions sociales de l’époque, les visions religieuses de la vie après la mort émergeant plus tard dans les sociétés classistes.

Au cours de l’Empire assyrien, qui a dominé la région au 8e et 7e siècles avant notre ère, la religion babylonienne a largement conservé son influence. Bien que les Assyriens aient ajouté leurs propres dieux à la panthéon babylonien, comme le dieu guerrier Ashur, ils ont continué à vénérer les divinités sumériennes et babyloniennes. Cette fusion des croyances a duré jusqu'à la chute de l’Empire assyrien, lorsque les cultes locaux, y compris celui d’Ashur, ont été abandonnés.

Cependant, même après la chute des Assyriens, l’héritage religieux babylonien a perduré, notamment à travers la culture des prêtres babyloniens et leur expertise en astronomie, en métrologie et en calendrier. Leur influence s’est étendue au-delà des frontières de la Babylonie, touchant les religions des Juifs, des néoplatoniciens et des premiers chrétiens. L'influence des croyances babyloniennes, notamment en matière de démonologie et de pratiques magiques, a profondément marqué la culture médiévale européenne, où l'on retrouve une fascination persistante pour les esprits maléfiques et la chasse aux sorcières.

Les prêtres babyloniens, par leur savoir inégalé dans divers domaines scientifiques et religieux, ont été vénérés dans l'Antiquité et au Moyen Âge. Leurs rituels, leur calendrier et leur vision du monde ont non seulement structuré la vie religieuse dans la région, mais ont également influencé les fondements spirituels de nombreuses cultures, dont celles de l’Occident chrétien.

Quelle était la place des dieux mineurs dans la religion romaine ancienne et comment leur culte se manifestait-il au quotidien ?

Dans la religion romaine ancienne, la multitude de divinités mineures, les Indigitamenta, jouait un rôle crucial dans la vie quotidienne des citoyens. Ces divinités étaient des entités très spécifiques, chacune gouvernant un aspect précis de l'existence humaine, depuis la naissance jusqu'à la mort, en passant par les activités les plus banales. Bien que ces listes de divinités, mentionnées par des auteurs tels que Varron, Cicéron ou Augustin, ne nous soient parvenues que partiellement, elles révèlent un système de croyances extrêmement détaillé où chaque moment de la vie d'un individu était placé sous la protection d'un dieu ou d'une déesse.

Ainsi, à peine un enfant naissait-il que le dieu Vaticanus supervisait son premier cri. Le processus de son éducation, de son développement physique et même de sa parole était sous la protection de divinités spécifiques : Fabulinus, Farinus, et Locutius étaient responsables de l'apprentissage du langage, tandis que les déesses Educa et Patina veillaient à l'apprentissage de la nourriture et des boissons. Chaque étape de la croissance de l’enfant, depuis l’apprentissage de la marche (assuré par la déesse Abeona) jusqu’à l’entrée à l’école (protéger par Iterduca), était sous l’emprise d'une divinité particulière. Ces dieux étaient souvent associés à des fonctions très concrètes et parfois même familières, comme Forculus, le dieu des cadres de porte, ou Limentinus, le dieu du seuil.

Les dieux étaient aussi intimement liés à l’économie et à l'agriculture. De nouvelles divinités apparaissaient en fonction des progrès sociaux et économiques. Par exemple, lorsque Rome introduisit la monnaie d’argent en 269 avant J.-C., un nouveau dieu, Argentinus, naquit, fils d’Aescolanus, dieu du cuivre. Le système de transport et de distribution des grains à la fin de la République donna naissance à la déesse Annona, protectrice des approvisionnements alimentaires. Ces déités incarnent l’adaptation religieuse aux changements sociaux et économiques qui façonnaient la République romaine.

Chaque citoyen avait aussi son propre génie, un esprit protecteur personnel, un concept que l’on pourrait relier à une forme de tutelle spirituelle liée aux ancêtres. Le génie, pour les hommes, et la Junon, pour les femmes, assuraient un rôle protecteur, en particulier dans les domaines du mariage et de la maternité. Ce culte du génie personnel rappelle un passé plus ancien, où les esprits tutélaires étaient associés aux ancêtres des clans et des familles, une notion qui semble dérivée d’un ancien nagualisme. De plus, les génies locaux, souvent représentés sous forme de serpent, étaient des gardiens de lieux précis, renvoyant à une sacralité géographique qui assurait l’harmonie des espaces habités.

L’origine de certaines divinités majeures du panthéon romain reste un sujet complexe. De nombreuses divinités de la Rome antique étaient issues de la personnification de concepts abstraits liés aux affaires sociales et politiques. Des figures telles que Pax (la Paix), Spes (l’Espoir), ou Justitia (la Justice) n’avaient pas de représentations mythologiques ou anthropomorphiques développées. Leur culte était fondé sur des valeurs sociales et politiques, plutôt que sur des récits mythologiques élaborés. Cela explique en partie pourquoi ces dieux n'avaient souvent pas de sexe déterminé ou étaient représentés comme des divinités bisexuelles, comme les figures de Liber et Libera, Faunus et Fauna, ou même Pales, qui incarnait à la fois un dieu et une déesse.

Quant à Jupiter, l’une des figures les plus emblématiques du panthéon romain, son origine est particulièrement difficile à cerner. Initialement vu comme une personnification du ciel, Jupiter était le père céleste, une figure proche de Dyaus-pitar en sanskrit ou Zeus-pater dans la mythologie grecque. Toutefois, sa fonction n’était pas seulement limitée à la gestion des phénomènes célestes, car il devint également associé à la vigne et à l'hospitalité. Au fur et à mesure du temps, Jupiter s’imposa comme le protecteur suprême de Rome, symbolisant l'unité de l'État et la figure centrale du culte national.

Mars, autre grande divinité romaine, illustre également cette évolution des rôles divins. Initialement vénéré comme un dieu protecteur des terres agricoles, Mars se transforma peu à peu en la divinité de la guerre, sans doute sous l’effet des combats incessants pour l’acquisition de terres dans les premières phases de l’expansion romaine. Cette évolution des dieux et de leurs fonctions montre que la religion romaine n’était pas figée, mais se modifiait en fonction des besoins politiques, sociaux et militaires de la République et de l’Empire.

En effet, cette religion s'articulait autour des cultes des dieux patrons des communautés et des espaces. Ces divinités, à la différence des dieux olympiens grecs, étaient avant tout les gardiennes de la cité. À l’origine, les dieux romains étaient associés aux trois tribus qui constituaient l’État, et leur culte reflétait ce système tributaire. Au fur et à mesure des siècles, l’Empire romain développa un panthéon semblable à celui des Grecs, et plusieurs poètes comme Ennius ou des auteurs comme Varron mentionnèrent les grands noms du panthéon romain, dont Jupiter, Mars, Minerva, Vesta, Diana, Venus, et bien d’autres.

Les dieux romains, souvent issus de traditions locales ou étrangères, se sont intégrés dans une religion d’État, favorisant l’adhésion des citoyens à la communauté. La place du culte des abstractions, telles que la liberté, la santé, ou la victoire, souligne le rôle fondamental de la religion dans la formation de l'identité de la République, et plus tard de l'Empire.