L'estimation des flux bruts de travailleurs non autorisés en provenance du Mexique est essentielle pour comprendre les besoins non satisfaits des employeurs américains en matière de main-d'œuvre nationale, ainsi que pour élaborer des politiques d'application de l'immigration. Cette estimation repose sur trois méthodes principales qui, bien que largement utilisées, permettent de mieux saisir la réalité complexe des migrations non autorisées.
La première méthode consiste à prédire le statut légal des nouveaux travailleurs immigrés mexicains dans deux enquêtes à grande échelle menées par le Bureau du recensement des États-Unis : le Current Population Survey (CPS) et l'American Community Survey (ACS). Ces enquêtes posent des questions sur la migration et le comportement du marché du travail, mais ne recueillent pas d'informations sur le statut légal. Afin de combler cette lacune, la méthode se fonde sur une autre enquête, la Survey of Income and Program Participation (SIPP) de 2008, qui aborde spécifiquement la question du statut légal. La deuxième méthode consiste à estimer le nombre de travailleurs immigrants mexicains dans le CPS et l'ACS, puis à soustraire les travailleurs arrivant légalement. Enfin, la troisième méthode repose sur des critères simples permettant de distinguer les migrants légaux des travailleurs non autorisés, en tenant compte de facteurs comme le niveau d'éducation, la profession, le statut d'ancien combattant ou encore la réception d'aides gouvernementales.
Les deux dernières méthodes sont largement utilisées par des chercheurs comme George Borjas (2017) ou encore le Pew Research Center. Cependant, la première méthode, qui repose sur des prédictions statistiques, représente une approche innovante et devrait être davantage utilisée pour fournir des estimations plus précises.
En ce qui concerne les tendances récentes de l'immigration non autorisée en provenance du Mexique, il est important de noter que, bien que le nombre de travailleurs non autorisés ait atteint environ 4 millions en 2007, il a depuis diminué, atteignant 3,2 millions en 2014. Ce déclin peut s'expliquer par plusieurs facteurs économiques et politiques. D'abord, la récession mondiale de 2007–2009 a eu un impact considérable sur l'économie américaine, en particulier dans le secteur de la construction résidentielle, qui a été un moteur important pour l'immigration mexicaine. L'impact de la récession a été particulièrement fort pour les travailleurs mexicains, alors même que la reprise économique au Mexique était plus rapide et plus robuste, en raison de l'absence d'une crise du logement similaire à celle des États-Unis.
En outre, la baisse significative du taux de natalité au Mexique au cours des dernières décennies a conduit à une diminution du nombre de jeunes adultes, c'est-à-dire de migrants potentiels. Enfin, les politiques de répression de l'immigration, mises en place à partir des années 1980 et intensifiées après 2000, ont compliqué le passage de la frontière. L'augmentation des contrôles et des expulsions, couplée avec des lois adoptées dans certains États américains, a aussi contribué à la réduction des flux de migrants non autorisés.
Le graphique de l'estimation du nombre de travailleurs mexicains non autorisés au fil du temps montre une forte augmentation des arrivées dans les années 1990 et 2000, suivie d'une chute après 2007. Cela reflète les tendances observées dans d'autres études sur l'immigration illégale. Une comparaison des estimations avec les données sur les interpellations à la frontière montre des tendances similaires, en particulier après 2000.
L'analyse des facteurs économiques qui influencent les flux migratoires révèle que les conditions économiques aux États-Unis et au Mexique jouent un rôle clé. En théorie, des salaires plus élevés et plus d'emplois aux États-Unis devraient encourager les migrations, tandis que des salaires et des emplois plus élevés au Mexique devraient les réduire. De même, les exportations mexicaines vers les États-Unis et le Canada peuvent agir comme un substitut à l'immigration, car les travailleurs mexicains sont alors nécessaires pour produire les biens exportés, réduisant ainsi l'incitation à migrer. En revanche, les envois de fonds, qui sont des transferts monétaires effectués par les migrants vers leurs familles au Mexique, peuvent avoir un effet ambigu sur la migration. Les remises augmentent les dépenses dans les communautés d'origine, favorisant la création d'emplois et potentiellement l'augmentation des salaires, ce qui peut, en retour, réduire la nécessité de migrer.
Enfin, l’étude de ces phénomènes ne doit pas se limiter à une simple analyse des flux migratoires, mais prendre également en compte les politiques publiques et les changements dans les conditions de vie des migrants une fois installés. Les politiques de répression ne se contentent pas de limiter l'immigration, elles modifient aussi les dynamiques des travailleurs non autorisés, qui peuvent se retrouver dans des situations de plus grande précarité, et dont les choix migratoires deviennent de plus en plus dépendants des politiques de réadmission, d'expulsion ou de régularisation des immigrants. Les politiques de tolérance zéro vis-à-vis de l'immigration illégale renforcent ce phénomène de clandestinité, où les travailleurs mexicains sont poussés à s'adapter à des conditions de vie et de travail plus informelles.
Quelles sont les conséquences réelles du libre-échange pour l'industrie manufacturière mexicaine et son impact sur les inégalités ?
L’industrie manufacturière au Mexique a connu des changements importants depuis la signature de l’ALENA en 1994, mais ces transformations n’ont pas nécessairement eu les effets escomptés en termes de convergence économique avec les États-Unis. Bien que le pays ait intégré de nombreux secteurs manufacturiers dans les chaînes de valeur mondiales, la compensation horaire des travailleurs dans ce secteur reste bien inférieure à son niveau de 1994. En 2015, la rémunération horaire des travailleurs mexicains dans la fabrication représentait un pourcentage encore plus bas de celle des États-Unis qu’à l’époque de la signature de l'accord. Cette situation met en lumière l’échec relatif du Mexique à combler le fossé salarial, malgré l’ouverture des marchés.
L’automobile, secteur emblématique de l’intégration régionale sous l’ALENA, reste le pilier de l’industrie manufacturière mexicaine. Ce secteur, bien que prospère, est un modèle de spécialisation inégale. Le Mexique s’est orienté vers la production de composants peu coûteux et de véhicules de petite taille, tandis que les États-Unis et le Canada se concentrent sur des produits plus complexes et plus chers, comme les SUV et les camions légers. Cette division des tâches, loin d’être le fruit des principes de libre-échange de l’ALENA, a été en grande partie façonnée par les règles strictes d'origine qui imposaient que 62,5% de la valeur d'une voiture destinée à être vendue en Amérique du Nord provienne de matériaux et composants produits dans la région. Ces règles ont permis une rationalisation des chaînes de production mais ont aussi limité les gains pour les travailleurs mexicains.
À l’inverse, les autres secteurs manufacturiers mexicains n’ont pas connu la même prospérité. En dehors de l’industrie automobile, les autres exportations mexicaines reposent largement sur un modèle de maquiladora, où les usines assemblent des produits à partir de composants importés, créant ainsi peu de valeur ajoutée domestique. Ce modèle a contribué à l’intégration du Mexique dans les chaînes de valeur mondiales, mais a aussi limité les bénéfices pour son économie intérieure. Le pays s’est ainsi retrouvé pris dans un cercle vicieux : il devient un acteur majeur dans les chaînes de production mondiales, mais cette position ne génère qu’une faible croissance économique locale. La lenteur de la croissance du PIB mexicain depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA peut en grande partie s’expliquer par cette situation. En effet, si la valeur totale des exportations mexicaines a augmenté, cette croissance est en grande partie artificielle, étant donnée l’inclusion des composants importés dans la valeur totale des biens exportés.
L'impact de l’ALENA et de la mondialisation ne se limite pas à l’économie mexicaine. Aux États-Unis, la répartition des emplois manufacturiers a également évolué. Entre la fin des années 1990 et 2018, l’emploi dans la fabrication de véhicules a chuté de manière significative, perdant environ un demi-million d'emplois, tandis que le Mexique a enregistré une hausse similaire dans ce même secteur. Bien que cela ne prouve pas que les emplois se soient « déplacés » directement au Mexique, il est clair que la production automobile en Amérique du Nord s’est largement réorganisée, avec un transfert d’activités vers des sites à faible coût de main-d'œuvre, comme le Mexique. Ce phénomène a alimenté le sentiment de perte chez de nombreux travailleurs américains, particulièrement dans les États du Midwest, une région emblématique de l’industrie automobile. Cette situation pourrait expliquer les fluctuations politiques dans les zones industrielles des États-Unis.
Cependant, il serait erroné de conclure que le Mexique a tiré un avantage net de l'ALENA et que les États-Unis en ont été les grands perdants, comme le suggèrent certaines critiques, en particulier celles exprimées par l’administration Trump. Bien que les entreprises américaines, notamment dans le secteur automobile, aient bénéficié d'une production rationalisée à moindre coût, la classe moyenne américaine a profité de prix plus bas pour les produits manufacturés. Néanmoins, les travailleurs américains moins qualifiés ont subi de plein fouet les conséquences de cette restructuration, ce qui a aggravé les inégalités économiques aux États-Unis. Du côté mexicain, si le pays a effectivement gagné des emplois dans le secteur manufacturier, ces gains sont largement insuffisants pour répondre aux besoins du marché du travail national, et les inégalités internes se sont également exacerbées.
L’ALENA n’a pas non plus permis au Mexique de réaliser l’objectif de convergence salariale avec les États-Unis, objectif clairement exprimé au début des négociations. Malgré l’augmentation du volume des exportations, le pays n’a jamais atteint une véritable dynamique économique, et son déficit commercial global dépasse son excédent bilatéral avec les États-Unis. En conséquence, le Mexique n’a pas réussi à devenir une véritable économie excédentaire ni à réduire de manière significative les écarts de revenu au sein de sa population.
Il est crucial de comprendre que si l’ALENA a facilité l'intégration du Mexique dans les chaînes de production nord-américaines, cela a aussi conduit à un modèle de développement déséquilibré, avec une dépendance excessive aux importations et une faible capacité d'innovation et de production locale. Ce modèle ne permet pas au Mexique de devenir un acteur véritablement compétitif à l’échelle mondiale. De plus, l’augmentation des inégalités tant aux États-Unis qu’au Mexique reflète des tendances structurelles plus profondes, liées à des changements dans les politiques économiques, la mondialisation des entreprises, et la transformation des marchés du travail.
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