Selon la théorie d'Abrikosov, une ligne de flux magnétique est séparée en disques courts, situés sur les plans CuO2 et empilés exactement les uns au-dessus des autres. Ces disques sont souvent appelés « crêpes » en raison de leur forme. Cette séparation des lignes de flux magnétique en de nombreux petits disques individuels confère au réseau des lignes de flux des propriétés nouvelles, absentes dans le réseau d'Abrikosov classique. Par exemple, ces disques peuvent quitter l'arrangement parfaitement empilé, rendant possible des phénomènes tels que la fusion ou l'évaporation de cette configuration. Les propriétés nouvelles du réseau de lignes de flux, en raison de sa décomposition en vortex individuels de type « crêpe », ont donné lieu à l'expression « matière vortex » pour résumer ce comportement inédit dans la littérature.

En raison de la décomposition des lignes de flux en disques individuels, le supraconducteur à haute température présente des pertes électriques importantes. Lorsque le mouvement des lignes de flux est causé par la force de Lorentz produite par un courant électrique, un voltage est généré, entraînant des pertes. Cependant, le mouvement des disques individuels dans ces supraconducteurs est beaucoup plus libre que celui des lignes de flux d’Abrikosov plus rigides, ce qui rend la prévention de leur mouvement particulièrement cruciale. Pour ce faire, l’introduction de centres de fixation (pinning centers) dans le supraconducteur devient un enjeu primordial. Il est important de noter que le rayon du noyau normal au centre de chaque ligne de flux est donné par la longueur de cohérence ξ, qui est bien plus petite dans les cuprates que dans les supraconducteurs classiques. Par conséquent, la taille minimale des centres de fixation doit être de l’ordre de l’échelle atomique pour être efficace. Ce phénomène explique pourquoi des déviations locales de la stœchiométrie, comme des atomes d'oxygène manquants dans les plans CuO2 ou des frontières de grains à l'échelle atomique, agissent comme des centres de fixation particulièrement efficaces dans les supraconducteurs à haute température.

Outre la résistance au flux électrique, les effets Nernst et Ettingshausen ont également été étudiés en détail dans les cuprates. Il a récemment été découvert que la valeur de l’entropie de transport des vortex « crêpes » est proche de la constante de Boltzmann kB, ce qui pourrait indiquer que ces vortex se comportent comme des particules élémentaires physiques. Un résultat similaire a été trouvé dans des mesures de l’effet Nernst des vortex dans des hétéro-structures supraconductrices bidimensionnelles.

Peu après la découverte des supraconducteurs à haute température, un problème majeur a émergé : étant des céramiques, ces matériaux étaient préparés initialement avec une structure granulaire, où les grains individuels étaient séparés par un réseau dense de frontières de grains. Or, généralement, la supraconductivité est affaiblie, voire interrompue, à l'intérieur de ces frontières. Lors du passage d'un courant électrique, une résistivité finie a été observée, empêchant ainsi l'apparition d'une supraconductivité pure. Un des premiers travaux démontrant cette structure granulaire du supraconducteur cuprate Y1Ba2Cu3O7 a mis en évidence ce problème.

Cela a mené à deux objectifs de recherche évidents : d'une part, il fallait trouver des méthodes pour réduire fortement le nombre de frontières de grains dans le matériau, et d'autre part, il était nécessaire d'étudier en profondeur les propriétés physiques de ces frontières. Concernant le premier objectif, des progrès impressionnants ont pu être réalisés rapidement, notamment grâce à la technologie des couches minces. Elle a permis de fabriquer des couches monocrystallines de supraconducteurs à haute température déposées sur des substrats appropriés. Ces « couches épitaxiales » contiennent très peu de frontières de grains et restent clairement supraconductrices jusqu'à des densités de courant critiques de plus d'un million d'A/cm² à 77 K, la température de l'azote liquide.

Le deuxième objectif, qui était d’éclaircir les propriétés physiques des frontières de grains, a mené à un développement inattendu mais fascinant, mené principalement par les scientifiques du Thomas J. Watson Research Center d'IBM à Yorktown Heights, dans l'État de New York. Pour étudier le comportement physique d'une seule frontière de grains, Chang C. Tsuei a choisi une fine couche du supraconducteur Y1Ba2Cu3O7 présentant des zones monocrystallines relativement grandes séparées par de longues frontières de grains individuelles. En procédant à la fabrication d'un pont conducteur à travers cette couche, presque perpendiculaire à la frontière de grains, des mesures électriques ont pu être réalisées directement sur une seule frontière de grains.

Une avancée décisive dans cette recherche a été la technique du bicristal, qui consistait à fabriquer des substrats bicristallins en coupant un cristal unique en deux morceaux, de orientations cristallographiques différentes, puis en les rassemblant à nouveau. Cette méthode a permis de créer des frontières de grains nettes et bien définies, qui ont ouvert la voie à de nombreuses expériences sur ces frontières dans les couches minces de supraconducteurs. Cette technique a également été fondamentale dans la préparation des jonctions Josephson dans les supraconducteurs à haute température et a facilité la création de SQUIDs (dispositifs à interférence quantique supraconducteurs).

Les propriétés de la fonction d'onde d-wave et les différences de signes de cette fonction dans des cristaux de directions cristallographiques différentes ont conduit à des effets importants, notamment lorsqu'une jonction contenant une frontière de grains et une fonction d'onde avec des signes opposés des lobes est réalisée. Ce phénomène, désigné par l’expression « jonction π », viole l’unicité de la fonction d’onde et génère spontanément un flux magnétique quantique à demi-entier. Ce principe a été utilisé par Chang Tsuei pour prouver expérimentalement la symétrie en d-wave de la fonction d’onde des paires de Cooper dans les supraconducteurs à haute température.

Les frontières de grains jouent donc un rôle crucial non seulement pour comprendre la supraconductivité des matériaux, mais aussi pour ouvrir des avenues pour la fabrication de dispositifs supraconducteurs avancés.

Comment le magnétisme paramagnétique et diamagnétique se manifestent dans les matériaux?

Le magnétisme des matériaux peut se diviser en différentes catégories en fonction de la manière dont les moments magnétiques des électrons interagissent avec un champ magnétique externe. Parmi ces catégories, le diamagnétisme et le paramagnétisme sont les plus étudiés, chacun présentant des caractéristiques distinctes, notamment dans la réponse à un champ magnétique appliqué.

Le diamagmétisme est une forme de magnétisme qui résulte de la réponse des électrons à un champ magnétique externe. Dans les matériaux diamagnétiques, les électrons dans la bande de conduction subissent une modification de leur mouvement orbital sous l'influence du champ magnétique. Ce phénomène a été modélisé pour la première fois par Lew Dawidowitsch Landau en 1930, à l'aide de la théorie quantique exacte. La contribution diamagnétique des électrons à la susceptibilité magnétique peut être exprimée comme étant négative, ce qui signifie que ces matériaux sont repoussés par les champs magnétiques. La magnétisation MM de ces matériaux est proportionnelle au champ magnétique appliqué BB, selon la relation M=χBM = \chi B, où χ\chi est la susceptibilité magnétique. Dans le cas du diamagnétisme, χ\chi est toujours inférieur à zéro.

Le mouvement orbital des électrons dans un champ magnétique entraîne une précession avec une fréquence de Larmor ωL=eB2m\omega_L = \frac{eB}{2m}, où mm est la masse de l’électron. Cette précession génère un moment magnétique qui peut être modélisé comme le produit d'un courant circulaire et de l'aire de l'orbite électronique. Le calcul du moment magnétique selon Paul Langevin montre que la susceptibilité magnétique dans le cas du diamagnétisme est inversement proportionnelle à la moyenne quadratique de la distance radiale des électrons dans leur orbite, soit χr2-\chi \sim \langle r^2 \rangle. Ce type de magnétisme est typique des solides diélectriques, où la contribution des ions est relativement faible mais toujours présente.

D'autre part, le paramagnétisme se manifeste lorsque les couches électroniques d'un atome ne sont pas complètement remplies, ce qui laisse des moments magnétiques de spin non compensés dans le cristal. Les matériaux paramagnétiques se caractérisent par la présence de ces moments magnétiques qui, en l'absence de champ externe, sont complètement désordonnés. Cependant, lorsqu'un champ magnétique est appliqué, ces moments magnétiques ont tendance à s'aligner partiellement avec le champ. La réorientation complète est toutefois limitée par les mouvements thermiques des moments magnétiques. Ce phénomène est décrit par la célèbre loi de Curie, qui stipule que la susceptibilité magnétique des matériaux paramagnétiques est inversement proportionnelle à la température.

Le physicien français Pierre Curie a formulé cette loi en 1895, après avoir mené une série d'expériences sur les propriétés magnétiques de nombreux matériaux à diverses températures et intensités de champ magnétique. Cette loi a marqué le début d'une série de découvertes en France qui ont établi ce pays comme un centre majeur de recherche en magnétisme. Parmi les scientifiques qui ont poursuivi les travaux de Curie figurent Paul Langevin, Pierre Weiss, Léon Brillouin et Louis Néel, qui ont tous apporté des contributions importantes au domaine.

Langevin, en particulier, a utilisé la distribution de Boltzmann pour calculer l'orientation moyenne des moments magnétiques dans un champ magnétique, en partant de l’énergie potentielle U=μB=μBcosθU = -\mu \cdot B = -\mu B \cos \theta, où μ\mu est le moment magnétique et BB est le champ magnétique. Par le biais de cette distribution, il a introduit la fonction de Langevin L(x)L(x), qui permet de relier la magnétisation moyenne à la température et au champ magnétique. Cette fonction montre que, pour des températures élevées, la magnétisation varie de manière linéaire avec le champ magnétique, ce qui conduit à la forme classique de la loi de Curie. À basse température, la magnétisation atteint un seuil de saturation, c'est-à-dire que les moments magnétiques ne peuvent plus être orientés davantage par le champ.

Le paramagnétisme, dans les métaux, est également affecté par la statistique quantique en raison du principe d'exclusion de Pauli. En effet, seule une fraction des électrons dans la bande de conduction contribue au paramagnétisme, en fonction de la température et de l'énergie de Fermi. Ce phénomène peut être formulé comme une modification de la loi de Curie, où la susceptibilité magnétique est multipliée par un facteur lié à l'énergie de Fermi ϵF\epsilon_F, ce qui réduit l'ampleur de la susceptibilité par rapport à celle attendue dans le cas classique.

Il est important de comprendre que ces deux types de magnétisme — diamagnétisme et paramagnétisme — ont des implications pratiques dans des domaines variés, de la physique des matériaux à la technologie des capteurs magnétiques. Le diamagnétisme, bien que relativement faible, est exploité dans des applications telles que l'imagerie par résonance magnétique (IRM), où des champs magnétiques externes sont utilisés pour générer des images de tissus corporels. Le paramagnétisme, de son côté, joue un rôle crucial dans des technologies comme la réfrigération magnétique, où la variation de la magnétisation en réponse à un champ magnétique permet de refroidir des systèmes à des températures très basses, un processus utilisé dans les systèmes de refroidissement à base de matériaux paramagnétiques.

Ces phénomènes ne sont pas seulement d'intérêt théorique; ils ont des applications directes dans le développement de nouvelles technologies et matériaux, comme les supraconducteurs, les mémoires magnétiques et les dispositifs de détection magnétique, qui sont au cœur de nombreuses avancées technologiques modernes. Les chercheurs continuent d'explorer ces interactions fondamentales pour concevoir des matériaux et des dispositifs encore plus efficaces.