La vérité n'est pas un trait permanent, fixé et universel, qui réside dans les choses et dans les idées. Au contraire, elle « advient à une idée », un processus dépendant de la conception humaine et de la manière dont les faits d'une situation impactent ces idées. La philosophie pragmatique de William James remet en question la notion traditionnelle d'une vérité intemporelle et immuable, soutenant que la vérité est intrinsèquement liée à l'expérience et au contexte particulier dans lequel elle se manifeste. Dans cette perspective, la vérité est fluide, malléable, et potentiellement multiple, une idée qui défie profondément les conceptions philosophiques classiques qui ont dominé pendant des siècles.

Dans l’anecdote célèbre de James concernant un campement, il décrit un débat entre des campeurs à propos d’un écureuil. Deux personnes observent un écureuil, l'une se déplaçant autour de l'arbre, l'autre cherchant à savoir si, en se déplaçant ainsi, elle « fait le tour » de l'écureuil. James intervient et démontre que la réponse dépend de la manière dont l’on définit « faire le tour ». Si l’on parle de la succession des positions géographiques autour de l’écureuil, alors oui, la personne fait le tour. Mais si l’on considère la manière dont l’écureuil se positionne constamment face à la personne, alors non, elle ne fait pas vraiment le tour. Les deux parties ont raison et tort en fonction de leur conception de ce que signifie « faire le tour ». Ce n'est pas une question de vérité objective mais de contexte et d’interprétation pratique.

Le pragmatisme, pour James, soutient que la vérité n'est jamais fixe, mais toujours en devenir. Elle n'existe que dans la relation dynamique entre les idées et les faits. C'est dans cette approche empirique, radicale par son rejet de certitudes absolues, que James propose une vision de la vérité comme étant fluide, dépendant des expériences individuelles et des circonstances concrètes. À cet égard, toute vérité doit être appréhendée comme quelque chose de relatif à un moment et à une situation donnés.

Dans un contexte démocratique, cette conception de la vérité soulève des enjeux cruciaux. La vérité, selon James, n'est pas seulement une question philosophique abstraite, mais elle a des implications pratiques directes, surtout en ce qui concerne le discours politique. Si la vérité est malléable et dépendante des faits du moment, il devient essentiel que les discussions politiques soient fondées sur des faits vérifiables et sur une raison partagée. C'est là que réside le danger : lorsque la politique se nourrit de « faits alternatifs », où la vérité devient une construction subjective et manipulable, la démocratie elle-même en est fragilisée.

Le rôle des médias, notamment à travers les réseaux sociaux, devient alors primordial. Dans un monde où l’information circule rapidement et de manière souvent incontrôlée, la manière dont la vérité est présentée et perçue devient une question de pouvoir. Le débat public, en particulier sur des plateformes comme Twitter, devient le terrain où s’affrontent différentes conceptions de la vérité. Ce phénomène reflète des préoccupations similaires à celles exprimées par des penseurs comme George Orwell et Aldous Huxley. Orwell craignait un avenir où la vérité serait délibérément cachée, tandis qu'Huxley redoutait un monde où la vérité serait noyée dans une mer d'irrélevant. Aujourd’hui, la peur de Huxley semble plus pertinente que jamais, avec la surabondance d'informations superficielles et le phénomène de l'« attention épuisée » que nous connaissons à l'ère numérique.

Le pragmatisme nous invite donc à comprendre que les vérités, loin d'être des entités figées, sont les résultats d'un processus vivant, en perpétuelle évolution. Ce processus est profondément influencé par les acteurs humains, leurs perceptions et leurs actions. Mais dans le contexte politique, lorsque ce processus est pollué par des manipulations de la vérité ou par des représentations distordues des faits, la structure même de la démocratie est mise en danger. La vérité, loin d'être une notion abstraite, devient une question urgente et profondément ancrée dans les réalités sociales et politiques de notre époque. La réflexion pragmatique sur la vérité ne se limite pas à un débat philosophique ; elle se traduit en pratiques concrètes qui affectent le quotidien des citoyens et l'intégrité du discours public.

Comment comprendre l’opposition à la mondialisation : un phénomène nationaliste et non capitaliste

L'opposition à la mondialisation n'est pas une critique du capitalisme, mais découle d'une idéologie nationaliste. Il serait aussi absurde de considérer que les partisans de Trump s'opposent à la mondialisation économique que de prétendre que leurs critiques d'Obama découlaient uniquement de ses politiques néolibérales plutôt que de sa couleur de peau. Ce raisonnement réducteur est omniprésent, surtout lorsque l'on examine les résultats du référendum britannique sur le Brexit de 2016, qui révèle des parallèles évidents avec la situation américaine. Les mouvements d'extrême droite et fascistes, qui se sont développés en réaction à l'immigration, constituent un phénomène global, nourri par des idéologies nationalistes, et non par une résistance à la domination capitaliste.

En Grande-Bretagne, bien qu'il ait existé une campagne "Lexit" (pour un Brexit de gauche), elle n'a jamais eu le même impact ni la même prégnance que les discours des leaders du Parti de l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP), qui ont utilisé un langage anti-immigrants identique à celui de la campagne de Trump. Le Brexit a ainsi rassemblé principalement des groupes de classe moyenne et de classe populaire, plus préoccupés par le déclin des "valeurs britanniques traditionnelles" que par des considérations économiques. La logique derrière ce soutien à la sortie de l'Union européenne s'est révélée irrationnelle, voire contre-productive. En effet, près de 62 % des votants en faveur du Leave estimaient que les dommages économiques importants valaient la peine d’être subis pour sortir de l’UE, et près de 40 % ont même affirmé que, même si leur famille perdait son emploi à cause du Brexit, ils soutiendraient toujours cette décision.

Cette vision xénophobe et irrationnelle de la réalité a bien des équivalences dans le soutien à Trump. Il est significatif que, bien que les comtés américains où Trump a gagné aient été géographiquement et économiquement éloignés des populations d'immigrants mexicains, cela n'ait pas empêché ses partisans de réclamer la déportation massive des immigrés. De manière intéressante, bien que cette politique ait un impact évident sur les intérêts économiques de certains secteurs capitalistes, comme l'agriculture et les services, elle reste un point de ralliement pour une grande partie de l'électorat.

La peur de la perte du "rêve américain", et plus spécifiquement du maintien d’un système où les Blancs sont perçus comme étant les bénéficiaires légitimes de la stabilité économique, se trouve au cœur de cette opposition. Les partisans de Trump ne s'opposent pas tant à l'extension des pouvoirs des entreprises sur leurs vies qu'à l’érosion d’un modèle de société qui garantit, selon eux, un privilège racial intrinsèque. Ces personnes, souvent vues comme les "premiers bénéficiaires" de la classe moyenne, cherchent désespérément un bouc émissaire pour expliquer leur précarité grandissante.

Le phénomène ne se limite pas aux enjeux économiques, mais prend également la forme d’attaques contre les minorités. Cela inclut des accusations de fraude électorale qui ont émergé après les élections de 2008 et 2012, menant à des lois sur l'identification des électeurs, à des purges des listes électorales, et à des manipulations du découpage des circonscriptions électorales. Le racisme de cette rhétorique s’est renforcé avec la montée en puissance de Trump, dont la promesse de "construire un mur" entre les États-Unis et le Mexique s’est rapidement transformée en une promesse implicite de maintenir la suprématie blanche sur les populations noires et latines.

Une autre idée persistante est celle de l'égalité entre les deux partis principaux, notamment dans le cadre des élections américaines. L'idée que les partisans de Trump seraient simplement des travailleurs blancs délaissés par les démocrates et qu'ils basculeraient vers un parti qui pourrait combler leurs besoins économiques est une analyse qui oublie une donnée essentielle : les différences entre les partis sont profondes. Les programmes démocrates et républicains sur des questions sociales telles que l'avortement, la santé, les droits des LGBTQ+ et les services sociaux ne laissent guère de place à l'idée qu'ils se ressemblent. La candidate Hillary Clinton, bien que centriste, a su articuler des politiques précises sur l'emploi et le soutien aux travailleurs. En revanche, Trump a utilisé l’emploi comme un prétexte pour attaquer les immigrés et les élites côtières, tout en prétendant défendre des programmes sociaux comme la Sécurité Sociale et l’assurance maladie, avant de soutenir immédiatement des révisions de ces programmes qui allaient à l’encontre des intérêts de ses propres électeurs les plus vulnérables.

L’une des stratégies les plus efficaces du Parti républicain a été de jouer sur la peur des électeurs de Trump, en associant les programmes sociaux à des abus par les minorités, tout en offrant à la classe ouvrière blanche une forme de solidarité fondée sur des principes culturels conservateurs, comme les lois sur les armes, l’interdiction de l’avortement ou les interdictions visant les musulmans et les communautés LGBTQ+. Cette tactique repose sur une logique de "gagnants et perdants", où les travailleurs blancs se sentent victimes des privilèges attribués à d'autres groupes.

L’enjeu de cette dynamique est de comprendre comment les républicains, en cultivant ce sentiment de victimisation parmi les travailleurs blancs, parviennent à détourner leur attention de l’assaut réel contre le filet de sécurité sociale et à préserver un ordre social inégalitaire. Cette politique de confrontation culturelle est un outil stratégique pour maintenir l’unité de la base électorale de Trump tout en poursuivant une agenda économique qui ne sert en réalité que les intérêts des plus riches.

Cela reflète une réalité ancienne aux États-Unis, où le racisme structurel a toujours constitué un obstacle majeur à l’unité des travailleurs blancs et noirs. La possibilité d’une solidarité interraciale reste minée par la nécessité pour les travailleurs blancs d’abandonner un privilège – celui de la supériorité raciale – pour s’unir à leurs collègues noirs dans la lutte pour des conditions de travail et des droits sociaux améliorés.

Quel rôle joue la pensée dialectique dans la lutte pour la justice sociale aux États-Unis ?

L'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, en tant que quarante-cinquième président, a provoqué un choc profond. La montée d'un individu au pouvoir, dont le discours est marqué par des insultes racistes, des mensonges répétés et une rhétorique de division, a eu des répercussions dramatiques sur une large partie de la population américaine. Cette ère de Trump est un retour en arrière, où les musulmans sont ciblés par des interdictions de voyage, les familles d'immigrés sont déchirées, et les membres de la communauté GLBTQ sont discriminés sous le prétexte de la « liberté religieuse ». Le climat politique actuel aux États-Unis est devenu un terrain de lutte pour ceux qui ne sont ni blancs, ni chrétiens, ni hétérosexuels. Dans ce contexte, il devient crucial pour les éducateurs de former les jeunes à la pensée dialectique, un outil puissant pour comprendre et combattre l'injustice sociale.

La pensée dialectique, telle qu'elle est souvent définie, implique une compréhension des contradictions inhérentes aux phénomènes sociaux et politiques. Dans le cas des protestations contre l'injustice raciale et les brutalités policières, comme celles menées par Colin Kaepernick, elle permet d'analyser les causes profondes de ces inégalités et de proposer des réponses qui vont au-delà de la simple indignation. Kaepernick, en refusant de se lever lors de l’hymne national, incarne une forme de protestation non violente qui vise à mettre en lumière les injustices raciales persistantes aux États-Unis. Bien que cette action ait été critiquée par de nombreux défenseurs du statu quo, elle a permis d'ouvrir un débat nécessaire sur les biais raciaux dans la police et sur la place des minorités dans la société américaine.

Dans ce contexte, la pensée dialectique ne se limite pas à l’observation des phénomènes, mais pousse à l’action en analysant les dynamiques sociales et politiques sous-jacentes. Trump, avec sa politique de division et de stigmatisation, a exacerbé les tensions raciales et sociales, créant ainsi un climat propice à la réflexion et à la mobilisation. En tant que société, les États-Unis sont confrontés à une crise morale et politique qui exige une réponse fondée sur la compréhension des contradictions structurelles et des injustices systémiques. Les enseignants, tant dans les écoles que dans les universités, ont un rôle essentiel à jouer en formant les générations futures à penser de manière critique et dialectique.

Il ne suffit pas de pointer les inégalités ; il est nécessaire de comprendre les mécanismes qui les perpétuent et d'agir pour les transformer. La pensée dialectique pousse à interroger les bases idéologiques sur lesquelles reposent des politiques discriminatoires, qu'elles concernent les immigrés, les minorités raciales ou les communautés de genre. Cela implique de ne pas seulement dénoncer l'injustice, mais aussi de proposer des alternatives, d’analyser les causes profondes et de comprendre les rapports de pouvoir à l'œuvre.

Il est également fondamental de souligner que, bien que le climat politique de l'ère Trump ait mis en lumière des fractures profondes dans la société américaine, il n'est pas suffisant de se concentrer uniquement sur la figure du président. Les racines du problème sont bien plus anciennes, et les manifestations récentes, qu'elles soient dans le sport ou dans d'autres domaines, montrent que la lutte pour les droits civils et la justice sociale reste au cœur du débat américain.

Les protestations de Kaepernick et d'autres athlètes, tout comme les manifestations dans les rues, illustrent la capacité de la société à utiliser des formes non violentes de résistance pour lutter contre l'injustice. Cependant, pour que ces actions aient un réel impact, il est nécessaire d'enseigner aux jeunes à réfléchir de manière dialectique, à comprendre les complexités des systèmes sociaux et politiques et à développer une pensée critique qui dépasse la simple opposition. Il ne suffit pas d’être contre quelque chose, il faut aussi comprendre ce que l’on veut créer.

Dans la lutte pour la justice sociale, l'éducation joue un rôle fondamental. Les enseignants doivent préparer leurs élèves non seulement à être des citoyens passifs, mais des acteurs du changement. En les encourageant à développer une pensée critique et dialectique, on leur donne les outils pour comprendre et transformer le monde qui les entoure. C'est ainsi que l’on forme une génération capable de lutter pour une société plus équitable et plus juste, non pas par des manifestations occasionnelles, mais par une compréhension profonde et une action réfléchie.

Quel est le rôle de l’écosocialisme face à la révolution industrielle 4.0 ?

Dans le contexte de la révolution industrielle 4.0, le défi majeur ne réside pas dans le manque de connaissances ou de capacités technologiques pour mettre en œuvre des changements écologiques, mais dans l'absence d'initiative sociale. Robert Watson de l'IPBES souligne que le changement transformateur est par nature susceptible de rencontrer une opposition de la part de ceux dont les intérêts sont ancrés dans le statu quo, mais que cette opposition peut être surmontée pour le bien commun de la société. Toutefois, cette dynamique soulève une question centrale : peut-on espérer des transformations véritables dans un monde où les systèmes économiques mondiaux sont dominés par le capitalisme ?

La révolution industrielle 4.0, selon Klaus Schwab, est une fusion des technologies qui brouille les frontières entre les sphères physiques, numériques et biologiques. Si, à première vue, elle semble promettre des avancées majeures pour l'humanité, libérant les travailleurs des tâches répétitives et dangereuses, elle ouvre également la voie à un renforcement des inégalités économiques. En effet, Schwab, fondateur du Forum économique mondial, concède que la régulation gouvernementale est de moins en moins en mesure de faire face à l'ampleur et à la rapidité des changements induits par cette révolution. Cela signifie que les défis engendrés par l'automatisation — la disparition de millions d'emplois dans des secteurs clés comme la fabrication, la vente au détail ou la conduite — risquent de s'aggraver dans les décennies à venir. Le cas des États-Unis, où environ 47 % des emplois sont menacés par la robotisation, est un exemple alarmant des effets disruptifs de la technologie.

Cette situation met en lumière une contradiction fondamentale du capitalisme. Patrick Craven, un critique acerbe du système actuel, fait remarquer que les problèmes soulevés par Schwab, notamment l’augmentation de l’inégalité et la précarisation du travail, sont directement issus du même système qu'il cherche à préserver. Ce paradoxe réside dans le fait que le capitalisme, par sa nature même, dépend de l’exploitation de la force de travail pour créer de la valeur et du profit. Le système capitaliste repose sur l'appropriation de la plus-value générée par les travailleurs, un concept clé du marxisme.

Le travail, selon la théorie de la valeur-travail (LTV) de Marx, est l’unique source de la valeur ajoutée dans le processus de production. Contrairement aux biens matériels, qui transmettent simplement leur valeur de manière linéaire, la force de travail est une marchandise particulière : elle génère une nouvelle valeur, supérieure à celle qui lui est propre. Cette dynamique, où la valeur du travail est extorquée par les capitalistes, persiste dans le cadre de la révolution industrielle 4.0, même si le travail, en grande partie automatisé, prend de nouvelles formes.

Dans ce contexte, l’écosocialisme se présente comme une alternative potentielle au système actuel. Plutôt que de poursuivre la logique capitaliste, qui génère des inégalités croissantes et des tensions sociales, l’écosocialisme plaide pour une réorganisation radicale des structures économiques, sociales et politiques. Cette vision implique de réorienter les priorités vers la satisfaction des besoins humains et écologiques, plutôt que le profit financier. Il est essentiel de comprendre que l’écosocialisme ne se limite pas à un simple changement technologique, mais cherche à transformer les relations sociales et à abolir l’exploitation inhérente au capitalisme.

En outre, il est crucial de saisir que, face à la rapidité des changements technologiques, la simple régulation ne suffira pas à protéger les travailleurs ou à limiter les inégalités croissantes. Des solutions plus structurelles sont nécessaires pour garantir une transition juste, qui tienne compte des impacts sociaux et environnementaux de la révolution industrielle 4.0. Cela implique de repenser radicalement notre modèle économique, de promouvoir des politiques redistributives et d’encourager la participation active de la société civile dans les décisions politiques liées à l’économie et à l’environnement.

Le passage à un système écosocialiste nécessiterait non seulement un changement économique profond mais aussi une transformation culturelle, où la solidarité, la coopération et l’attention aux générations futures deviennent des valeurs fondamentales. Dans ce sens, l’adoption de l’écosocialisme représente bien plus qu’une réponse aux crises écologiques actuelles : elle constitue un projet global de réinvention des rapports sociaux et de la production économique.