Les débats écologiques contemporains, en particulier dans le cadre de la théorie économique et de la pensée marxiste, ont souvent été perturbés par des divergences de perspective concernant la nature de la relation entre les forces de production, l'exploitation sociale et les limites écologiques de la croissance économique. Ce contexte a suscité des réflexions critiques sur la manière dont les sociétés modernes gèrent leur consommation de ressources et leurs impacts environnementaux. Au cœur de cette réflexion se trouve la notion de métabolisme social, concept central de l'économie écologique, qui puise ses racines dans les travaux de Marx et qui continue d'influencer la manière dont les économistes écologiques abordent les interactions entre les systèmes économiques et environnementaux.

La question clé est de savoir dans quelle mesure les sociétés modernes, dans leur quête de croissance économique, peuvent maintenir un équilibre avec la durabilité écologique. La production capitaliste, selon Marx, repose sur l'extraction de ressources naturelles et l'élimination des déchets dans l'environnement, ce qui perturbe les cycles naturels. Cette rupture avec les processus naturels est renforcée par l'industrialisation et la séparation entre la ville et la campagne, un phénomène qui exacerbe le rift métabolique dans les sociétés modernes, comme l'expliquent des auteurs tels que Krausmann (2008).

L'extraction de ressources, selon Douai (2017), constitue un processus inhérent au capitalisme et conduit à une dégradation inévitable de l'environnement, puisque les besoins sociaux réels sont relégués au second plan face à l'obsession de maximiser la valeur d'échange des marchandises. Ce mécanisme se traduit par une dissociation entre la valeur d'usage des biens — qui répond aux besoins fondamentaux de l'humanité — et leur valeur d'échange, qui est directement liée à la recherche de profit.

D'autre part, la contradiction écologique du capitalisme, comme l'indique O'Connor (1988, 1991), repose sur l'idée que la production capitaliste finit par s'autodétruire en s'attaquant à ses propres bases naturelles. L'accumulation du capital — en détruisant l'environnement — compromet la reproductibilité du système. Pourtant, nombreux sont les marxistes et socialistes traditionnels qui, dans leur promotion de la croissance économique, sous-estiment cette contradiction. Ils continuent de prôner des politiques qui ne répondent pas aux crises écologiques et sociales de manière systémique, mais en traitant chaque problème de manière séparée, voire en ignorant l'intrication des deux.

Les politiques en faveur de la croissance verte technocentrique, comme celles proposées par des économistes comme Michael Jacobs, soutiennent l'idée d'une croissance économique "durable" alimentée par des technologies avancées. Cependant, cette vision est largement incompatible avec l'approche écologique qui met en évidence l'impossibilité de découpler les économies de croissance des impacts environnementaux. Jacobs et Mazzucato (2016) ont ainsi cherché à harmoniser la croissance économique avec des politiques redistributives, mais cette position ne fait que masquer les tensions sous-jacentes entre l'accumulation du capital et la durabilité écologique.

Les critiques formulées par des économistes écologiques et éco-marxistes tels que Fine et Saad-Filho (2018) montrent que les visions qui célèbrent l'augmentation de la productivité au sein du capitalisme en occultant les chaînes d'approvisionnement mondiales ne tiennent pas compte des réalités de l'exploitation à l'échelle globale. La production dans un pays donné dépend de ressources et de main-d'œuvre provenant de l'extérieur, souvent des pays à faibles salaires où les conditions de travail sont précaires. Ces critiques soulignent une erreur fondamentale dans l'analyse marxiste traditionnelle, en ce qu'elles ignorent la manière dont la consommation et l'exploitation des ressources naturelles sont intrinsèquement mondialisées.

La proposition d'une économie sans croissance, telle que défendue par des auteurs comme Koch (2021), s'inscrit dans un cadre de pensée qui remet en question la logique même de l'accumulation du capital. La croissance économique ne doit pas être vue comme un but en soi, mais comme un moyen de satisfaire les besoins humains et sociaux, ce qui implique un changement radical dans la façon de penser la production et la consommation. Il s'agit non seulement de redistribuer le surplus économique, mais de réorienter l'économie vers une véritable économie de bien-être qui vise à satisfaire les besoins humains essentiels sans compromettre la planète.

Les tensions entre la valeur humaine et la valeur naturelle dans la pensée marxiste sont également un enjeu majeur de ce débat. Marx, tout en insistant sur la centralité du travail dans la création de valeur, a également reconnu la contribution de la nature à cette création, bien que cette contribution ne soit pas économiquement valorisable dans le cadre du capitalisme. La notion de "valeur d'usage" naturelle, comme l'indique Douai (2009), soulève la question de la manière dont la nature, dans son état brut, peut être perçue comme une source de valeur indépendante du travail humain. Cependant, dans une économie capitaliste, cette valeur reste inaperçue, car ce qui importe, c'est la capacité des ressources naturelles à être transformées par le travail humain pour créer des marchandises.

Ainsi, le véritable défi réside dans la capacité des sociétés à reconnaître et à intégrer cette "valeur naturelle" dans leurs pratiques économiques. La réflexion sur la transition vers un système économique qui ne repose pas sur l'accumulation infinie du capital, mais sur la satisfaction des besoins sociaux et écologiques fondamentaux, devient essentielle si l'on souhaite éviter la destruction de notre environnement. Les enjeux de cette transition ne peuvent être réduits à des débats idéologiques ou techniques, mais doivent prendre en compte une reconfiguration profonde des rapports entre l'homme, la nature et la production économique.

Le pluralisme méthodologique en économie écologique : vers une clarification épistémologique nécessaire ?

L’introduction du réalisme critique en économie représente une inflexion fondamentale dans l’approche épistémologique du champ. Ce courant, porté par des penseurs tels qu’Archer, Fleetwood et Lawson, soutient l’existence d’une réalité objective connaissable, tout en affirmant la faillibilité inhérente à toute revendication de connaissance. Il rejette l’idée selon laquelle l’explication sociale pourrait résider dans la simple déduction d’événements à partir de conditions individuelles et de lois de conjonction constante. À la place, l’accent est mis sur l’identification des structures et des mécanismes responsables de la genèse ou de la facilitation des phénomènes sociaux. Cela suppose une approche ontologiquement fondée, tournée vers l’exploration du réel sous-jacent, plutôt que l’énumération de régularités superficielles.

À l’opposé, l’économie dominante maintient une dépendance dogmatique envers le formalisme mathématique, érigé en méthode unique et universelle. Ce monisme méthodologique, souvent justifié par une filiation supposée avec l’empirisme logique, repose sur une procédure hypothético-déductive : construction théorique, formulation d’hypothèses, tests empiriques, validation (ou falsification). Pourtant, cette rigueur n’est qu’apparente. D’une part, les économistes ne suivent pas strictement ce schéma. D’autre part, la caricature qu’ils en font trahit la complexité historique et philosophique de l’empirisme logique lui-même, réduit ici à une version appauvrie, ignorante de ses débats internes et de ses alternatives.

Les conséquences de cette posture sont multiples : absence d’ontologie explicite, confusion entre méthode scientifique et formalisme mathématique, marginalisation des dimensions qualitatives, et déconnexion entre théorie axiomatique et réalité empirique. L’économie écologique, en quête d’une voie propre, aurait pu éviter cet écueil. Pourtant, elle tend à reproduire les travers de l’économie orthodoxe, au nom d’un pluralisme méthodologique souvent mal compris.

Ce pluralisme, tel qu’il est mobilisé par de nombreux défenseurs de l’économie écologique, s’apparente moins à une richesse réflexive qu’à un éclectisme confus. Il résulte d’une absence de distinction claire entre les différents niveaux d’analyse : pluralisme des méthodes, des épistémologies, des ontologies, des valeurs. Cette confusion s’accompagne d’une contradiction majeure : vouloir intégrer l’économie néoclassique au champ de l’économie écologique tout en la rejetant comme impérialiste. L’absence de cohérence dans la position adoptée trahit une faiblesse théorique profonde.

La promesse d’un pluralisme épistémologiquement éclairé ne saurait se satisfaire d’un relativisme généralisé. La reconnaissance de la pluralité des réalités sociales, des perspectives méthodologiques et des régimes de vérité implique une clarification rigoureuse de ce que signifie « pluralisme ». Il ne s’agit pas d’admettre toutes les approches sans discrimination, mais de poser des critères explicites permettant d’articuler des méthodologies diverses à partir de leurs fondements ontologiques et épistémologiques. Le relativisme absolu, en prétendant tout inclure, finit par tout aplanir, rendant impossible toute critique interne et toute construction théorique cohérente.

La pensée de Lawson fournit ici un point d’ancrage essentiel : la reconnaissance de structures causales réelles, agissantes, mais non toujours observables directement, oblige à dépasser le réductionnisme empiriste. Cela appelle une économie ancrée dans le réel, attentive aux dynamiques sociales, institutionnelles et écologiques, et non dans des modèles abstraits gouvernés par des axiomes déconnectés du monde.

Une telle orientation implique aussi une redéfinition de ce que signifie « scientificité » dans les sciences sociales. Loin de se limiter à la formalisation mathématique ou à la quantification, la rigueur scientifique suppose un dialogue critique avec les objets étudiés, la prise en compte de l’historicité des phénomènes, et l’acceptation de la complexité irréductible du réel. L’objectivité ne réside pas dans une neutralité impossible, mais dans la réflexivité méthodologique et la cohérence ontologique.

Dans cette perspective, la philosophie des sciences devient une boussole indispensable. Elle permet de dénouer les confusions entre niveaux d’analyse, de repérer les contradictions internes, et de construire un espace théorique à la fois pluraliste et rigoureux. L’économie écologique, pour s’affirmer comme alternative crédible, doit se doter d’un socle philosophique clair, refusant les amalgames faciles et les emprunts non questionnés aux paradigmes dominants.

Il est essentiel que les lecteurs comprennent que l’appel au pluralisme ne doit pas masquer l’absence de rigueur ni justifier l’absence de choix théorique. Le pluralisme ne peut être qu’exigence critique, et non tolérance aveugle. Adopter une pluralité de méthodes, c’est aussi adopter la responsabilité de leur articulation, de leur justification, et de leur cohérence par rapport à une ontologie du monde réel. C’est là la condition d’un progrès authentique dans la compréhension des phénomènes économiques et écologiques.

Comment la diversité épistémologique et la recherche de la vérité peuvent-elles être conciliées dans l'étude des systèmes socio-écologiques ?

Le relativisme épistémologique se définit comme la position selon laquelle la connaissance est composée de concepts qui sont culturellement, historiquement et linguistiquement contextuels. Ces concepts sont des objets de pensée qui tentent d'appréhender une réalité indépendante des consciences humaines. Cependant, ils visent aussi à mettre en lumière l'adéquation pratique de cette réalité, autrement dit, ce qui réussit ou échoue à répondre aux critères épistémiques et fonctionne concrètement. La connaissance est donc chargée de théories, mais n'est pas entièrement déterminée par elles. La théorie, comprise comme une conceptualisation, constitue un moyen par lequel nous tentons de comprendre la réalité. Cette réalité, qui existe indépendamment de l'esprit humain, représente l'objet d'étude des sciences sociales, alors que les concepts et leur association en théories forment les objets de pensée par lesquels nous cherchons à la comprendre.

Il est fondamental de reconnaître que la réalité, en tant qu'objet d'étude, ne se résume pas simplement à la matérialité. Dans les sciences sociales, les idées jouent un rôle de mécanismes causaux et agissent en tant que moteurs humains, constituant en elles-mêmes des objets d'étude. C’est la nature même de ce qui est étudié qui détermine la manière dont il peut être compris, les moyens appropriés pour ce faire, et les outils à employer. Prenons l'exemple de l'économie mécaniste : bien que des critiques aient été formulées à son égard, il ne serait pas pertinent de la rejeter totalement, car certains objets d'étude, comme une horloge mécanique ou des moteurs à vapeur, nécessitent ce type d'approche. La recherche s’effectue par un processus de compréhension des objets étudiés et par l’élaboration de moyens communs de référence, c'est-à-dire la conceptualisation au sein des communautés de chercheurs. L'accord sur ce qui est considéré comme vrai peut sembler une simple convention, mais ce qui est accepté ne doit pas être arbitraire, et il n'est pas possible de prouver que l’on peut ignorer les conventions de ce qui est réel sans en subir des conséquences pratiques.

Le test de notre connaissance réside dans ce qui se passe en pratique. Par exemple, cette connaissance peut-elle permettre de construire ou réparer une horloge avec précision ? Si un horloger forme un apprenti, un cadre conceptuel commun est nécessaire pour qu'ils puissent même communiquer. Cela vaut aussi bien pour l'apprentissage des techniques agricoles dans une communauté indigène que pour la navigation dans la vie urbaine moderne. Ce qui distingue une bonne science d'une pratique quotidienne est sa capacité à fournir une explication causale réaliste, tout en répondant à divers critères épistémiques : la cohérence, la robustesse, la généralisabilité. Néanmoins, il faut aussi être conscient qu'en économie écologique, nous ne pouvons jamais prétendre connaître "la vérité" absolue sur la réalité.

Le réalisme critique défend l'idée que nous ne pouvons jamais démontrer de manière incontestable que nous avons trouvé la vérité, même si, en réalité, nous l'avons. Une science fondée sur des affirmations infaillibles, sur lesquelles construire une théorie axiomatique, est rejetée. Cependant, le fait que nous soyons toujours faillibles ne signifie pas que toutes les prétentions à la connaissance soient également fallibles ou valides. Choisir entre des théories ou des propositions n'est donc pas impossible. Dans une époque donnée, il existe généralement un nombre limité d'explications causales alternatives à un phénomène, et quelques théories dominantes qui émergent. L'idée d’une pluralité infinie de compréhensions de la réalité, des approches du savoir et de la signification, ne tient pas dans le cadre d'une recherche scientifique où le partage et la communication des résultats sont essentiels.

Cette pluralité, bien qu’importante, ne doit pas devenir une fin en soi. L'intégration méthodologique structurée, que l'on retrouve dans des approches comme celle du pluralisme structuré, apparaît nécessaire. Dans ce cadre, les écoles de pensée doivent pouvoir communiquer entre elles pour assurer un véritable progrès scientifique. Cependant, il existe une résistance à l’idée d’une intégration unifiée, notamment de la part de ceux qui considèrent que la connaissance est subjective et qu'il serait préférable de « s’accommoder de la diversité » plutôt que de chercher une compréhension commune. Ce point de vue a pris une dimension politique et idéologique, notamment dans les mouvements décoloniaux, où l’accent est mis sur la valorisation des différentes visions du monde, y compris celles des communautés indigènes.

La question de la "pluriversalité", qui cherche à défendre l’idée que les réalités sociales sont multiples et incommensurables, suscite des débats. Certains, comme Graeber, soulignent les limites de cette position, en rappelant que l’ontologie, qu’elle soit occidentale ou indigène, ne doit pas être vue comme une construction idéologique irréfutable. D’autres, comme Gills et Hosseini, avertissent que cette pluralité risque d'empêcher toute critique sérieuse des systèmes modernes comme le capitalisme, car tout devient relatif et donc indiscutable.

Dans le contexte de la crise actuelle de civilisation, où des changements catastrophiques semblent imminents, cette insistence sur la pluralité et l'accord à « être en désaccord » pourrait devenir un luxe que la gauche mondiale ne pourra plus se permettre. Un changement de paradigme s'avère nécessaire : il est essentiel de rétablir l’intégration des connaissances scientifiques dans une démarche collaborative et d’assumer la responsabilité politique de reconstruire des systèmes économiques alternatifs qui soient viables, éthiques et en harmonie avec la nature. L’un des plus grands défis aujourd’hui réside dans l’opérationnalisation de ces cadres intégratifs, capables de refléter l’interdépendance radicale de notre système mondial défaillant.

Comment l'économie moderne détruit-elle les systèmes écologiques et sociaux traditionnels ?

L'exploitation massive des ressources naturelles et l'évolution historique des relations socio-écologiques ont profondément transformé les sociétés humaines. Avant les révolutions industrielles et technologiques, l'autosuffisance, la parenté, les échanges coopératifs non marchands et les économies biophysiques régionales étaient la norme pour la majorité des peuples. Les flux matériels se limitaient souvent aux écosystèmes régionaux, et la principale source d'énergie était indirecte, captée par l'agriculture, la sylviculture, la pêche et le travail animal. Cependant, à partir de la révolution industrielle, un bouleversement énergétique majeur a eu lieu, grâce à l'usage croissant du charbon par les moteurs à vapeur, transformant les transports et l'industrialisation. Ce changement a été accentué par le développement de trains à vapeur et de navires à vapeur, au XIXe siècle, et l’utilisation croissante du fer et de l'acier.

Pour autant, une grande majorité des populations, même dans les sociétés industrialisées, n'a pas participé directement à cette révolution énergétique et est restée ancrée dans l'économie traditionnelle, utilisant la force animale plutôt que des machines alimentées par des combustibles fossiles. Pourtant, l’investissement massif de l’État dans le secteur militaire et les guerres mondiales ont fait émerger une nouvelle ère d’exploitation du pétrole, du gaz et des produits pétrochimiques, fondements de nouveaux modes de transformation des ressources et de production. Ce processus a entraîné la substitution des anciennes économies régionales par une économie pétrochimique mondiale, de plus en plus dépendante des minéraux concentrés et des énergies fossiles.

Cette transition vers une économie dépendante des ressources non renouvelables soulève une vérité simple mais capitale : toute société qui se fonde sur l'épuisement de ressources non renouvelables finit par s'effondrer. La seule manière d’éviter cet effondrement est de réapprovisionner ou de substituer ces ressources. Le modèle économique moderne, fondé sur la croissance constante des stocks de matériaux et d'énergie, génère une pression continue pour innover, créant une société en constante évolution, mais dénuée de stabilité. Le processus économique doit toujours trouver de nouvelles manières de fonctionner, et la pratique sociale doit suivre le rythme de ces changements incessants.

Cette transformation continue du métabolisme social humain exige de maintenir l'exploitation de ressources à faible entropie, tout en renouvelant sans cesse la structure économique, qui devient de plus en plus artificielle et découplée des processus naturels. Le problème fondamental réside dans le fait que la croissance économique en termes de matière et d'énergie engendre une consommation toujours plus grande, sans possibilité de revenir en arrière. En outre, la matière et l’énergie, loin d’être détruites, sont simplement transformées, ce qui signifie que tout ce qui entre dans l'économie en ressort sous une forme différente – haute entropie et non concentrée. Ces déchets doivent alors être évacués dans la terre, l'air ou l'eau, conduisant à la pollution. Le contrôle de cette pollution ne fait que déplacer les déchets d’un environnement à un autre, souvent avec des effets secondaires non désirés pour les humains et le monde non humain.

Les produits issus des innovations technologiques, créés pour remplacer les matériaux et les énergies de plus en plus rares, bouleversent souvent des structures écologiques existantes et en altèrent les fonctions, ce qui entraîne des conséquences inconnues et parfois irréversibles. Cela s'est manifesté par exemple avec les chlorofluorocarbures, qui ont altéré l'équilibre chimique de l'atmosphère, menaçant la couche d'ozone, ou avec les pesticides et insecticides, qui ont perturbé les écosystèmes agricoles et déstabilisé la biodiversité.

Le modèle économique basé sur l'accumulation du capital, qui remplace peu à peu les ressources naturelles renouvelables par des ressources épuisables, se trouve en contradiction avec la réalité biophysique. Les économies circulaires, prônées par certains économistes contemporains, visent à faire perdurer cette croissance en masquant la réalité de l'épuisement des ressources et des écosystèmes. Ces systèmes, loin de promouvoir une véritable durabilité, ne font que retarder la dynamique linéaire du flux de matériaux et d'énergie tout en augmentant l'échelle de l'extraction des ressources et des déchets.

Ce système de croissance illimitée, fondé sur l'extraction et la transformation des ressources matérielles et énergétiques, est incompatible avec la préservation des structures écologiques et de leurs fonctions. L’histoire nous a montré que, bien que les données empiriques ne nous permettent souvent de comprendre les dégâts qu'après leur survenue, il est indispensable d'adopter une approche préventive. L’analyse des systèmes a montré, dès les années 1970, comment la croissance exponentielle dans un monde fini atteint ses limites et génère inévitablement des crises.

Le capitalisme, avec son économie fondée sur la maximisation du profit, crée une structure qui génère non seulement des richesses matérielles mais aussi des destructions écologiques, sociales et des conflits de valeurs. Cela conduit à des tensions sociales, où les coûts sociaux de la pollution, par exemple, sont délibérément externalisés, en particulier au détriment des populations les plus pauvres, des peuples autochtones, et des écosystèmes non humains. De plus, ce système crée des verrous structurels qui empêchent le changement. Par exemple, la réorganisation des villes au XXe siècle autour de l'automobile a créé une dépendance vis-à-vis de l'infrastructure routière, rendant les trajets en voiture une habitude incontournable. Ce phénomène a entraîné une expansion urbaine et suburbaines, et la notion de transport rapide et de gain de temps est devenue un impératif, même au détriment de la qualité de vie et de l'environnement.

Il est crucial de comprendre que ce processus de modernisation, fondé sur une vision productiviste et capitalistique de l'efficacité, annihile non seulement l’espace physique mais aussi les valeurs qui y sont associées. Cela nous mène à une société où l’optimisation du temps et de l’espace devient l’ultime priorité, même au prix de la destruction des liens sociaux et de la dégradation des environnements urbains. La pandémie de COVID-19 a brusquement remis en question certaines de ces valeurs modernes, en dévoilant les failles du système économique et la nécessité de repenser les modes de vie actuels.