L’administration Trump a créé un compromis stratégique entre la santé publique et la santé économique lorsqu’elle a découvert que la majorité des « travailleurs essentiels », qui risquaient leur vie dans une économie rouverte, étaient des minorités raciales. En insistant sur le fait que la vitalité du marché boursier et de l’économie valait la perte de ces vies, l’administration a non seulement minimisé le coût humain de la pandémie, mais elle a aussi créé un système de comptabilité politique et morale dans lequel les décès des Noirs et des personnes de couleur, victimes de cas mortels de COVID, n’étaient pas considérés comme des pertes. Ce raisonnement, à la fois calculé et déshumanisant, illustre le fondement idéologique d’une administration qui a cherché à dévaloriser la vie de ceux qui ne correspondent pas à une norme raciale ou sociale prédéfinie.

À peine investi, Donald Trump a entrepris de tenir sa promesse de campagne de débarrasser la nation des immigrés qu’il et ses partisans jugeaient dangereux ou indignes de participer à la vie sociale et économique des États-Unis. L’analyste J.C. Salyer examine ces efforts à travers le concept de ligne abyssale développé par le juriste Boaventura de Sousa Santos. Cette ligne invisible, matérialisée par des politiques et des pratiques, sépare ceux dont l’humanité est reconnue et pleinement respectée de ceux qui sont constamment traités comme sub-humains. Salyer soutient que cette ligne abyssale, qu’elle se manifeste sous forme de murs physiques (comme celui de Trump à la frontière), de frontières juridiques qui excluent les non-citoyens des protections légales, ou de lignes sociales qui déterminent qui est considéré comme humain et digne de reconnaissance, a été centrale pour l’administration Trump dans sa quête pour retirer aux immigrés certains des droits les plus fondamentaux dont ils bénéficient encore aux États-Unis. Cette dynamique est particulièrement visible dans des politiques comme l’interdiction de voyager pour les musulmans, la séparation des familles à la frontière, ou encore les tentatives d’affaiblir l’indépendance des juges d’immigration.

L’exemple de la relation de Trump avec des leaders étrangers, comme son admiration pour Vladimir Poutine, montre une autre dimension de cette politique. Selon Magdalena E. Stawkowski, l’admiration de Trump pour le président russe n’est pas seulement un culte de la personnalité. Elle révèle un respect pour une forme de politique manipulatrice qui utilise la désinformation et des accusations infondées pour légitimer l’usage de la violence par l’État contre ses ennemis. Ce type de gouvernance, qu’elle appelle la « corruption autocratique », s’est manifesté à travers l’annexion de la Crimée en 2014 par Poutine, et a trouvé son écho dans les manœuvres de Trump pour justifier l’intervention des forces fédérales lors des manifestations Black Lives Matter en 2020.

De la même manière, au niveau mondial, le populisme de Trump n’est pas resté sans impact. Aux États-Unis comme à l’étranger, des figures comme le président brésilien Jair Bolsonaro ont utilisé des stratégies similaires pour mobiliser un soutien populaire, en particulier via les médias sociaux. Leticia Cesarino explore comment Bolsonaro, surnommé le « Trump des tropiques », a exploité la polarisation gauche-droite dans la politique brésilienne pour masquer ses échecs politiques, notamment dans sa gestion de la pandémie de COVID-19. Les plateformes numériques lui ont permis de présenter un message populiste qui se dressait contre l’idéologie de gauche, tout en alimentant des théories du complot et de la désinformation pour détourner l’attention de ses nombreux scandales de corruption.

Cependant, ce phénomène n’est pas propre à un seul continent. Le populisme de Trump a aussi trouvé un écho dans des régions comme le sud-est du Nigéria, où, paradoxalement, son discours a séduit de nombreux membres du groupe ethnique Igbo. Daniel Jordan Smith explique que, malgré les insultes de Trump à l’égard des pays africains, de nombreux Nigérians, frustrés par la corruption de leur propre gouvernement, se sont sentis compris par son message. Ce soutien, souvent perçu comme une réaction à la dégradation de la position sociale, repose en réalité sur l’admiration d’un Trump qui, tout en étant perçu comme un menteur et un manipulateur, est vu comme quelqu’un prêt à briser les tabous politiques et à s’attaquer aux intérêts établis.

Il est donc crucial de comprendre que le soutien à Trump, tant aux États-Unis qu’à l’étranger, ne repose pas sur une adhésion à la vérité factuelle, mais sur un désir de perturber le statu quo. Dans un contexte où la vérité elle-même est mise en question, les discours populistes trouvent un terrain fertile chez ceux qui se sentent marginalisés, que ce soit par la corruption gouvernementale, les élites politiques ou même les normes sociales. Le populisme de Trump, comme celui de Bolsonaro, capitalise sur l’imaginaire collectif de l’injustice sociale et de l’effritement des privilèges, transformant des promesses de renversement du système en un appel à l’action révolutionnaire, même si cette révolution semble ne bénéficier qu’à une élite spécifique.

Enfin, il est important de saisir que ces mouvements ne sont pas simplement des réactions à des gouvernements ou des dirigeants spécifiques, mais des signes d’une mutation plus profonde dans la manière dont les sociétés modernes abordent les questions de vérité, de justice et de pouvoir. La ligne abyssale ne se limite pas aux frontières physiques ou juridiques ; elle s’étend à une vision du monde dans laquelle certains groupes humains sont vus comme « plus humains » que d’autres, et où l’accès aux droits et à la dignité dépend d’une reconnaissance sociale et politique. En cela, les politiques de Trump, tant nationales qu’internationales, ont profondément redéfini les rapports entre pouvoir, identité et exclusion dans un monde de plus en plus polarisé.

Comment les promesses de Trump ont-elles façonné l'avenir des travailleurs américains ?

Dans le discours politique de Donald Trump, la question économique a toujours occupé une place centrale. Comme Bernie Sanders, il a dénoncé la mondialisation et les effets destructeurs du libre-échange sur l'économie américaine, s'opposant fermement à ce qu'il appelait les "marchés ouverts" qui détruisaient les emplois. Toutefois, là où Sanders appelait à une mobilisation démocratique pour réformer l’économie, Trump proposait une vision plus autoritaire, promettant d'utiliser les pouvoirs de la présidence pour contraindre les entreprises, ignorer les accords internationaux et expulser les immigrés. Cette approche, d’apparence anti-élitiste et favorable aux travailleurs, cachait pourtant un agenda économique plus complexe.

Alors qu’il remportait la nomination républicaine en éliminant ses rivaux, Trump se présentait comme l’anti-establishment, un homme du peuple face à une classe politique corrompue par Wall Street et les lobbies. En attaquant la famille Bush pour son passé guerrier et ses liens avec les grandes entreprises, il se positionnait comme le sauveur de la classe ouvrière blanche des États industriels, tout en négligeant les difficultés économiques des travailleurs de couleur dans les secteurs des services. Cette division raciale au sein du mouvement ouvrier n’était pas nouvelle, mais elle retrouvait un écho dans l’époque contemporaine, où les travailleurs blancs des usines se voyaient comme les véritables victimes de la mondialisation, souvent sans conscience de leurs homologues dans les autres secteurs.

Cependant, une fois élu, Trump a rapidement révélé que ses priorités étaient davantage tournées vers les intérêts des grandes entreprises que vers les besoins des travailleurs. Sa politique économique, loin de redonner des emplois industriels aux Américains, a favorisé une réduction des impôts pour les plus riches et une déréglementation qui a davantage affaibli les protections des travailleurs. Dès son entrée en fonction, il a nommé des juges anti-syndicats à la Cour suprême et promu des lois qui affaiblissaient les droits des travailleurs tout en renforçant le pouvoir des entreprises. Ce n’était pas un hasard si des anciens avocats d’entreprises et des proches du monde des affaires occupaient des postes clés dans son administration, tels que Eugene Scalia, le secrétaire au Travail, qui défendait ouvertement les intérêts de l’industrie.

Le bilan économique de Trump à la fin de son mandat était marqué par des promesses non tenues, notamment en ce qui concerne la relance industrielle et la création d'emplois par l'infrastructure. En réalité, l’administration Trump a favorisé les réductions fiscales pour les plus riches, tandis que les travailleurs ont vu leurs conditions se détériorer, particulièrement à cause de la mauvaise gestion de la pandémie de COVID-19. Ce désaveu des travailleurs n’a pas été sans réponse : des grèves record, des mobilisations syndicales et des victoires législatives ont eu lieu pendant ses années au pouvoir, prouvant que, malgré la répression, la résistance ouvrière persistait.

En 2020, la déception des électeurs vis-à-vis des promesses brisées de Trump a favorisé une large mobilisation en faveur de Joe Biden, dont le programme reposait sur des principes progressistes : renforcer les syndicats, augmenter le salaire minimum et créer des emplois durables dans les énergies renouvelables et l'infrastructure. Cette dynamique a permis à Biden de remporter des États cruciaux, notamment dans la Rust Belt, démontrant qu’une portion importante des travailleurs était prête à soutenir un candidat pro-syndical plutôt qu'un président qui, pendant une grande partie de son mandat, a semblé privilégier ses propres intérêts.

Pour comprendre pleinement les dynamiques à l'œuvre durant la présidence de Trump, il est nécessaire de prendre en compte l’évolution de la relation entre le travail et le capital aux États-Unis depuis le New Deal. Bien que Trump et son père aient évolué dans un contexte où les principes du libre-marché et la non-intervention de l’État dans les affaires des entreprises étaient dominants, la crise de la Grande Dépression a profondément changé la donne. La création de lois fédérales, comme la National Labor Relations Act de 1935, a permis aux travailleurs de se syndiquer et de négocier collectivement, ce qui a constitué une avancée décisive pour les droits des salariés. Cependant, ces avancées n’ont pas bénéficié à tous de manière égale, et la division raciale dans le monde du travail, notamment l’exclusion des travailleurs noirs et des femmes de certains secteurs, est restée un problème majeur.

Avec la déindustrialisation des décennies suivantes, notamment à partir des années 1970, une grande partie des emplois manufacturiers a disparu, tandis que les syndicats ont vu leur influence décliner. Trump, bien qu’il ait promis de ramener les emplois industriels, n’a jamais véritablement abordé la question de la requalification des travailleurs ou des nouvelles formes de précarité liées à l’économie des services. Au contraire, son administration a amplifié les inégalités en favorisant les grandes entreprises au détriment des petites entreprises et des travailleurs.

Ce contexte historique et économique est essentiel pour comprendre l’ascension de Trump. Il a su exploiter les frustrations des travailleurs délaissés par les politiques économiques néolibérales, mais au fond, sa gestion a renforcé les inégalités existantes plutôt que d’y remédier. L'électorat de 2020, lassé des promesses non tenues, a finalement choisi de faire confiance à une vision différente : celle d’un renouveau économique passant par des réformes qui favorisent une véritable redistribution des richesses et la réinsertion des travailleurs dans des emplois stables et bien rémunérés.