Les théories de la préférence et l’économie du bien-être (ou « nouvelle » économie du bien-être) revendiquent une approche fondée uniquement sur les préférences ordinales, visant à éviter les comparaisons interpersonnelles d’utilité. Cependant, la manière dont l’argent est utilisé dans la pratique – pour agréger et prendre des décisions – implique implicitement une conversion en une mesure cardinale pour la comparaison interpersonnelle du bien-être. Cette problématique théorique semble néanmoins peu préoccupante pour ceux qui promeuvent la formation de politiques utilisant des méthodes d’évaluation économique et une évaluation monétaire des dommages environnementaux. L’essor des transferts monétaires dans le temps et l’espace – le « transfert des bénéfices » – traduit une tendance à choisir les approches sur la base de la convenance politique, comme le souligne Spash et Vatn (2006). Le danger réside dans le fait que les chiffres deviennent simplement des moyens artificiels pour atteindre un but, et toute justification suffira. Il s’agit là d’une forme de pragmatisme environnemental moderne, qui a récemment infiltré l’écologisme (Spash 2009b; 2013b; 2020a). Plutôt que de poursuivre la tâche plus ardue de développer des alternatives théoriquement justifiées, les partisans de l’expression des valeurs environnementales tendent à emprunter les outils économiques orthodoxes sans tenir compte de la validité méthodologique. C’est exactement pour cette raison que les économistes écologiques sociaux et les économistes néoclassiques accordent peu de crédit aux études théoriquement désarticulées menées par des non-économistes (par exemple, les écologistes, les urbanistes, les conservateurs) qui prétendent évaluer les écosystèmes du monde, le capital naturel et la nature sauvage dans son ensemble (Balmford et al. 2002; Costanza et al. 1997b).
Les écologistes eux-mêmes ont perdu de vue leurs propres valeurs exprimées, résumées par Naess (1973; 1984) sous le terme d’écologie profonde, et cette défaillance se retrouve également dans le mouvement de conservation, avec des impacts sur les politiques publiques liées aux écosystèmes et à la biodiversité (Spash 2022a; Spash et Aslaksen 2015). L'inquiétude pour la nature, et les valeurs multiples et incommensurables qu’elle implique (O’Neill 2017), ne peut être exprimée dans le cadre de l’utilitarisme des préférences (Spash 2008e). La théorie néoclassique de la valeur est rejetée par les économistes écologiques sociaux en raison de son monisme – réduisant tout, y compris toutes les questions éthiques et morales, à un seul numéraire. Un domaine clé dans lequel ce monisme contrôle et détourne le discours politique est celui du traitement des générations futures (Spash 1993; 2002b). Les économistes de haut niveau présentent des justifications pour l’utilisation d’un taux de remise unique (considéré comme le prix de l’allocation des ressources dans le temps). Dans le discours mainstream, les taux de remise sont censés être des déterminants observables de la manière dont la société devrait traiter l’avenir. Incapables de sortir des limites étroites du formalisme mathématique, les économistes, des lauréats du prix Sveriges Riksbank aux plus modestes, relèguent l’avenir en prétextant qu’ils sont empiriques et objectifs (par exemple, Arrow et al. 1996). En d’autres termes, ils affirment que la manière dont les générations futures doivent être traitées peut être déterminée par l’observation de quelques facteurs tels que les taux de rendement du capital et la croissance de la consommation. Le résultat est une perte de temps à argumenter sur les taux appropriés plutôt qu’à aborder les questions fondamentales, à savoir un traitement juste et équitable des générations non encore nées, et ce qui devrait déterminer l’adoption ou le rejet d’actions ayant des impacts à long terme (Spash 1993; 2002b). Malheureusement, le discours économique orthodoxe mainstream a de véritables implications politiques en raison de l’utilisation de leurs affirmations dans les processus politiques, comme l’économie du climat et les politiques publiques (Spash 2002a; Spash et Gattringer 2017). La promotion des solutions basées sur la nature, des émissions nettes nulles, du commerce du carbone et des compensations de biodiversité ne sont que les dernières étapes d’un processus visant à étendre les marchés et les instruments financiers (Friends of the Earth 2021; Spash 2020a). Les effets secondaires sont la saisie de terres, le déplacement des peuples autochtones et la destruction de la nature elle-même, censée être protégée.
Les problèmes surgissent concernant la protection juridique des innocents contre les préjudices et la nécessité de considérer explicitement la considération morale et la position des autres. Repenser cette question implique le développement d’institutions appropriées pour articuler la valeur (Vatn 2015), redéfinissant ainsi le rôle de l’évaluation monétaire (Lo et Spash 2013; Spash 2007a; 2008c). De telles institutions doivent prendre en compte des valeurs incommensurables et plurielles (O’Neill 2017).
L’éthique dans la théorie économique est fondamentalement anthropocentrique : les êtres humains sont considérés comme les seuls sujets moralement considérables, poursuivant leur propre bien intrinsèque, que l’on désigne par divers termes comme l’utilité, le bien-être ou le bonheur. Tout le reste, qu’il soit vivant ou inanimé, n’a de valeur que pour des fins humaines. Le « dernier homme » – cette expérience de pensée – constitue un test intéressant de cette position éthique (Sylvan 2009 [1973]). Autrement dit, cela aurait-il de l’importance, si vous étiez le dernier être humain sur Terre, de détruire toute forme de vie ? Est-ce moralement répréhensible ? Les économistes environnementaux, par exemple, seraient théoriquement tenus d’accepter les préférences du dernier homme, et une fois que celui-ci serait disparu, il n’y aurait plus de valeur à préserver. Cette position anthropocentrique se distingue d’une orientation écocentrique ou fondée sur la nature, qui reconnaît que les non-humains ont aussi leurs propres intérêts indépendants, comme la survie, la reproduction et la réalisation de leur potentiel. L'impact humain sur les intérêts non humains est évident, mais la question de savoir ce que les humains doivent faire à ce sujet reste largement débattue.
Des arguments ont été avancés pour étendre les théories utilitaristes et des droits à inclure, de manière principale mais non exclusive, les animaux non humains. Ces théories sont principalement des comptes individualistes de la position morale humaine et, en tant que telles, leur extension dépend généralement du partage de certaines caractéristiques humaines, comme la sensibilité, le niveau de communication ou la capacité à ressentir la douleur et le plaisir. Toutefois, il existe une contradiction entre l’attribution de la considération morale basée sur des qualités humaines et l’application de ces critères à des entités non humaines. Une approche éthique aristotélicienne, bien que moins fréquente, évite ce piège en reconnaissant que les non-humains ont leur propre bien intrinsèque et leur potentiel à s’épanouir. O’Neill (1992 : 129) cite Wright en ces termes : « La question “Quelles sortes ou espèces d’être ont un bien ?” est donc globalement identique à la question “Quelles sortes ou espèces d’être ont une vie ?” » Cette argumentation porte l’attention morale sur ce qui constitue l’épanouissement d’un être vivant, sans référence aux humains, et reconnaît la capacité de développer des caractéristiques naturelles en tant que membre d’une espèce.
Cependant, reconnaître ce qui constitue le bien pour les entités non humaines ne signifie pas que ce bien soit réalisé. En effet, une grande partie des débats dans la société humaine et la motivation du mouvement environnemental se trouve dans la question de savoir dans quelle mesure les intérêts non humains peuvent légitimement être limités par les actions humaines (pesticides, changements d’utilisation des terres, etc.). Un agent moral peut être indifférent au bien d’autrui ou croire qu’il existe un devoir moral de limiter leur épanouissement, par exemple en éradiquant des espèces invasives ou un virus. Il subsiste donc la nécessité de définir les fondements sur lesquels les humains sont moralement obligés d’agir, même une fois que l’existence du bien des autres est reconnue. O’Neill (1992) pense qu’une éthique environnementale devrait se baser sur la promotion de l’épanouissement d’un grand nombre d’êtres vivants individuels et de collectifs biologiques comme fin en soi. En tant qu’aristotélicien, il considère que cela fait partie de la nature humaine.
Quelles sont les limites de l'intégration entre les approches économiques ?
Dans toute tentative d’unification ou d’intégration des perspectives théoriques, il est crucial de reconnaître que certaines incompatibilités sont fondamentales et irréductibles. Certaines disciplines, en niant l’existence ou la pertinence de certains phénomènes, deviennent incommensurables avec celles qui placent ces mêmes phénomènes au cœur de leur analyse. L'exemple le plus frappant est celui de l'économie orthodoxe dominante face à l’économie écologique sociale, dont les divergences ne relèvent pas simplement de différences analytiques ou méthodologiques, mais d'antagonismes ontologiques et épistémologiques profonds. Ces divergences sont telles que toute tentative d’intégration risque de représenter non seulement un contresens scientifique, mais également une perte de temps méthodologique.
À un niveau plus abstrait, l’obstacle réside dans la nature même des concepts mobilisés. Les préférences lexicographiques ou les refus d’échange, bien que parfois comparables conceptuellement, se heurtent à des limites formelles strictes imposées par l’arithmomorphisme — cette tendance à réduire le qualitatif au quantitatif, le complexe au mesurable. Or, les concepts dialectiques, par définition fondés sur le changement, la contradiction et la transformation, ne peuvent être traduits en catégories arithmomorphes sans en trahir la substance. Il en va de même pour les qualités irréductibles qui structurent nos expériences du monde : elles résistent à toute formalisation purement quantitative.
Ainsi, l’intégration ne peut être une fin en soi. Elle ne trouve sa légitimité que dans sa capacité à améliorer notre compréhension de la réalité, non à l’uniformiser de manière artificielle. C’est ici que l’économie sociale de la provision – la social provisioning – offre un terrain particulièrement fertile. Elle permet d’unifier certaines approches hétérodoxes en économie, et notamment l’économie écologique, non pas en écrasant leurs différences mais en les articulant autour de préoccupations partagées : la justice sociale, la durabilité écologique, la valeur morale du vivant.
L’expansion institutionnelle de l’économie écologique – avec la prolifération des branches régionales de l’ISEE et la montée en puissance de la revue Ecological Economics – marque un tournant. Mais cette expansion s’accompagne d’une tension entre deux pôles : un courant "superficiel" de plus en plus visible mais souvent peu radical, et un courant "profond", marginalisé mais engagé dans une remise en question fondamentale des paradigmes économiques dominants. Cette profondeur ne se mesure pas à la visibilité académique, mais à l’intensité de l’engagement ontologique et éthique : il s’agit de réinsérer la question du sens dans l’analyse économique.
L’écho des idées d’Arne Naess, avec sa distinction entre écologie profonde et écologie superficielle, trouve ici une résonance pertinente. Être économiste écologique profond, c’est non seulement analyser les flux, les stocks et les fonctions écosystémiques, mais aussi interroger les valeurs, les relations et les structures de domination à l’œuvre dans nos rapports à la nature. C’est aussi reconnaître que la science, en tant qu’entreprise cognitive, est inévitablement traversée par des engagements normatifs et qu’elle ne peut se contenter d’un rôle d’observateur neutre.
La critique de Faber sur la nécessité d’une attention radicale à la réalité – voir, sentir, entendre, goûter sans médiation réductrice – pointe vers une exigence éthique et épistémologique : ne pas laisser nos instruments scientifiques masquer ce que nous prétendons observer. Cela implique une ouverture aux dimensions qualitatives de l’existence, souvent exclues des modèles économiques standards. L’économie écologique sérieuse requiert une conscience sensorielle, morale et intellectuelle de notre inscription dans le monde naturel.
Cette exigence peut s’exprimer à travers des traditions philosophiques différentes – de l’éthique chrétienne du care à la rationalité émancipatrice des Lumières –, mais elle ne doit jamais se figer en dogmes. Kapp avait déjà mis en garde contre le danger de mythologiser des systèmes de pensée en leur conférant une prétendue unité ontologique. C’est dans cette tension – entre quête de sens et rigueur critique – que se joue la spécificité de l’économie écologique sociale.
L’enjeu n’est pas d’opposer dogmatiquement profondeur et superficialité, mais de reconnaître que la compréhension du réel passe par l’acceptation de sa complexité qualitative. Les relations humaines avec la nature ne peuvent être saisies exclusivement à travers des instruments quantitatifs. L’intégration ne consiste donc pas à créer une synthèse artificielle entre paradigmes incompatibles, mais à faire dialoguer les épistémologies là où cela est possible, sans masquer les discontinuités irréductibles.
Il faut ajouter ici que toute entreprise de compréhension sérieuse du monde social et écologique repose sur une reconnaissance explicite des limites de la science elle-même. La connaissance ne se substitue pas au jugement moral, et aucune modélisation, si sophistiquée soit-elle, ne peut déterminer à elle seule les fins vers lesquelles une société doit tendre. L’économie, si elle veut rester pertinente dans un monde marqué par l’urgence écologique et les inégalités croissantes, doit se réinventer comme une science des finalités humaines et de leur articulation avec les limites naturelles. C’est cette redéfinition que propose l’économie écologique, à condition de ne pas se laisser réduire à une simple variante verte de l’économie dominante.
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