L'inscription du mantra servant à invoquer Yamantaka, chef des « Rois en Colère » dans le bouddhisme tantrique, représente un lien significatif avec les textes anciens tels que le Guhyasamjatantra et le Manjushrimulakalpa, bien que l'inscription soit plus proche du premier. Ce mantra évoque une dimension profonde et ésotérique du bouddhisme tantrique, où des pratiques rituelles puissantes sont employées pour transformer l'énergie spirituelle en un moyen de transcendance. L'importance de ces inscriptions a cependant été écliptée par la destruction des pièces de pierre lors de l'acte de vandalisme en 2012.

Les Maldives, un archipel souvent reconnu pour sa beauté et son commerce de coquillages de cowrie, ont aussi joué un rôle significatif dans le monde bouddhiste avant l'arrivée de l'islam. Ces coquillages servaient de monnaie parallèle dans diverses régions d'Asie, mais leur présence dans les Maldives cache un aspect plus mystique de l'île. L'influence bouddhiste dans cet archipel, bien qu'à la fois subtile et puissante, est souvent passée sous silence. La découverte d’un linga corallien en 1959, près de trois stupas bouddhistes sur l'île d'Ariadu, souligne cette interconnexion entre l'hindouisme et le bouddhisme dans la région. Des inscriptions en prakrit et en sanskrit trouvées dans la région, témoignant de la présence de moines bouddhistes, confirment l’existence de monastères établis par ces derniers, avant l'introduction de l'islam sur les îles maldiviennes. Le bouddhisme tantrique semble avoir eu une influence marquée sur les pratiques spirituelles de la région bien avant le début de l’ère islamique.

Bien que l'Inde ait connu un déclin progressif du bouddhisme, plusieurs facteurs expliquent cette érosion. La perte de l'identité distincte du bouddhisme, la soi-disant « dégénérescence » due à l’influence croissante du tantrisme, l’agression du hindouisme et les invasions turques sont souvent pointés du doigt. Giovanni Verardi (2018) défend l'idée que le bouddhisme n’a pas lentement disparu, mais a été repoussé par un brahmanisme agressif qui a employé la violence et la persécution pour effacer les vestiges de cette tradition. Si certaines zones restent floues, notamment concernant le soutien laïque et la patronage des monastères, il demeure évident que le bouddhisme en Inde a été confronté à des tensions internes et externes qui ont accéléré sa marginalisation. Cependant, des centres bouddhistes en Tibet et dans les montagnes de l'Himalaya ont survécu jusqu’à aujourd’hui, témoignant de la résilience de certaines écoles du bouddhisme médiéval.

Parallèlement, la tradition jaïne, avec ses établissements influents dans des régions telles que le Rajasthan, le Gujarat et le Karnataka, s'est développée avec un soutien royal. Les centres jaïns tels que Sravana Belagola, situé dans le district de Hassan au Karnataka, sont des témoignages palpables de la vivacité de cette tradition. La gigantesque statue de Gommateshvara, haute de 17,5 mètres, symbolise l'idéal jaïn d'ascétisme et de non-attachement au monde matériel. Également, le site est marqué par des inscriptions anciennes, notamment celles en kannada, tamoul et marathi, mentionnant Chamunda Raja, ministre du roi Rachamalla, qui commanda la réalisation de cette statue au Xe siècle. Ce lieu, hautement sacré, est un centre de pèlerinage majeur où des rituels tels que le Mahamastabhisheka, un bain rituel de l’image de Gommateshvara, ont lieu tous les 12 ans.

Le jaïnisme, dont les écrits sont abondants en sanskrit, prakrit, et dans des langues régionales telles que le kannada, a prospéré sous les auspices de divers rois, dont les Chapas du Gujarat et les rois Paramara. Des figures majeures du jaïnisme médiéval, telles qu'Akalanka, Haribhadra et Vidyananda, ont laissé une empreinte intellectuelle durable. Leurs travaux sur la logique, la métaphysique et la réfutation des doctrines bouddhistes et brahmaniques ont renforcé l'influence du jaïnisme dans la philosophie religieuse de l'Inde.

En ce qui concerne les pratiques religieuses et les rituels, le jaïnisme a aussi engendré des conceptions distinctes de la mort. Contrairement à d'autres traditions, la mort rituelle, ou le « santhara », est un acte volontaire de renoncement à la vie, pratiqué pour atteindre la libération ou l'illumination. Cette forme de décès rituel n’est ni considérée comme un suicide ni un acte de désespoir, mais comme une manière d'embrasser la mort dans un état de pleine conscience. Ce processus ne peut être effectué que dans des circonstances exceptionnelles, après une préparation rigoureuse, sous la supervision d'un maître spirituel. Ainsi, l'idée de la mort dans le jaïnisme est indissociable de la quête spirituelle de la libération du cycle des renaissances et des souffrances corporelles.

La richesse historique et religieuse de ces traditions est indispensable à la compréhension des dynamiques spirituelles de l'Inde médiévale et de leur influence persistante dans les sociétés contemporaines. À l'ère moderne, alors que des régions entières ont été façonnées par des siècles de tradition bouddhiste, jaïne et hindoue, l'impact de ces croyances sur la culture et les sociétés reste un domaine fascinant d'étude. La complexité de ces interactions religieuses, tant dans la sphère philosophique que rituelle, nous offre une perspective unique sur l’évolution des pratiques spirituelles en Asie du Sud.

Comment le Bhakti a redéfini l’accès au sacré en Inde médiévale

Les chants des saints bhakti, imprégnés de dévotion intense et d’une loyauté sans faille envers leurs divinités, ont façonné une nouvelle compréhension du sacré dans l’Inde médiévale. Ce mouvement, qui a pris une ampleur considérable dans le sud de l’Inde, n’était pas seulement un moyen de connexion personnelle avec le divin, mais aussi un moyen de remettre en question les hiérarchies sociales et d’élargir l’accès aux espaces sacrés. Bien que les élites dominent la direction du mouvement, en particulier les brahmanes, et que le système social en place ne fût pas renversé, le Bhakti a permis de créer une communauté religieuse dans laquelle les distinctions sociales traditionnelles pouvaient être transcendées, du moins dans la relation entre le bhakta et sa divinité. Cette idée, présente dans les chants de nombreux saints, met en avant la communauté des bhaktas, comme une entité à part entière—le bhakta kulam ou tondai kulam.

Cependant, la signification sociale et l’impact de cette tradition ne peuvent pas être réduits à sa structure de leadership. Il est crucial d’examiner au-delà des figures de proue et de considérer les idées véhiculées dans les chants et l’extension de l’accès aux espaces sacrés. Si certains historiens ont suggéré que le Bhakti était une idéologie propice au maintien du système féodal, d’autres ont souligné que le mouvement, tout en étant ancré dans les temples, ne se contentait pas de refléter les relations sociales de l’époque, mais les interrogeait également. L’émergence des temples en tant que puissants magnats fonciers dans le cadre féodal a conduit certains chercheurs à associer le mouvement Bhakti à un soutien implicite de ces structures sociales. Toutefois, réduire le Bhakti à une simple justification de ces hiérarchies ignore son rôle de catalyseur pour une plus grande ouverture sociale, notamment en ce qui concerne l’inclusion des femmes et des groupes sociaux autrefois marginalisés, comme les castes inférieures.

La philosophie du Bhakti s’est trouvée enrichie par des courants comme le Vishishtadvaita de Ramanuja, qui alliait l’émotion pure du bhakti à la philosophie de l’Advaita Upanishadique. Selon lui, Brahman, l'ultime réalité, n’est pas un principe abstrait et sans qualité, mais possède des qualités divines qu’il est possible d’invoquer à travers la dévotion. Ce n’est pas une simple relation abstraite entre l'individu et l'absolu, mais une relation profonde, où l’âme individuelle (atman) et Brahman, bien que distincts, ne peuvent exister l’un sans l’autre. La vision de Ramanuja remettait ainsi en cause l’idée d’une réalité dénuée de toute particularité et mettait en avant la nécessité d’un engagement personnel, émotionnel et spirituel envers la divinité.

Similairement, Madhva, un autre grand acharya, a défendu une vision du monde où Dieu, l'âme individuelle et la matière étaient des entités distinctes, chacune ayant son propre rôle dans la création. Sa critique du Védanta se basait sur une séparation nette entre Dieu et l’individu, un point de vue qui se rapprochait de l’idée de Dieu comme maître absolu, et de l'âme comme servante. Ce système théologique, bien qu’il ne remette pas en cause les structures sociales, offrait aux bhaktas une forme d’approbation divine dans leur dévotion, indépendamment de leur statut social.

Dans un autre registre, le mouvement Virashaiva (ou Lingayat), qui a pris son essor au 12e siècle dans le Karnataka, a joué un rôle particulièrement important en cherchant à libérer la dévotion de la domination brahmanique et en rejetant le système des castes. Ce mouvement, bien que fortement influencé par une partie de l’élite brahmane, s’est surtout ancré dans les couches populaires—artisans, commerçants, et agriculteurs—et a mis en avant l’intensité de la dévotion à Shiva. Basavanna, le saint le plus emblématique de cette tradition, a écrit des vachanas, des poèmes en vers libres, qui exprimaient son rejet des rituels brahmaniques et sa foi profonde en Shiva, tout en critiquant la rigidité des normes sociales et des systèmes de caste.

Les vachanas de Basavanna ont transcendé les frontières sociales et ont proposé une vision radicale de l’égalité spirituelle. "Les riches construiront des temples pour Shiva. Mais qu’est-ce que je peux faire, moi, un pauvre homme ?" écrivait-il, affirmant que le véritable temple est le corps humain, une métaphore puissante de l’individualité spirituelle. À travers de telles déclarations, Basavanna appelait ses disciples à une forme de dévotion intérieure, un retour à l’essence du divin sans les artifices des rites ou des structures sociales oppressives. L’idée d’un temple intérieur, de l'âme comme espace sacré, était une vision radicale de la spiritualité qui écartait les distinctions sociales et incarnait une forme de transcendance de la caste.

La portée du Bhakti va donc bien au-delà de la simple dévotion. Il s’agit d’un mouvement qui a remis en question les relations sociales dominantes, tout en établissant un espace où le sacré devient accessible à tous, indépendamment de l’origine sociale. Il a permis à de nouveaux groupes sociaux de trouver leur place dans les sphères religieuses et a nourri une tradition où la relation directe avec le divin devient le moyen d'une égalité spirituelle. Cette ouverture a posé les bases d’une transformation du paysage religieux en Inde médiévale, où les rapports de pouvoir et de dévotion ne se limitaient plus aux élites, mais s’étendaient à toutes les couches sociales. Le Bhakti, tout en restant imprégné d’une forte sensibilité religieuse, a ainsi joué un rôle majeur dans la redéfinition des rapports sociaux à travers la pratique spirituelle.

La circulation des savoirs et des échanges culturels à travers l’Asie bouddhiste : Une analyse des dynamiques complexes

La circulation des savoirs, des matériaux et des idées à travers l’Asie bouddhiste s’inscrit dans une longue tradition d’interactions entre cultures, croyances et pratiques spirituelles. Ces échanges ont été rendus possibles par des réseaux complexes, où les contacts entre les différents centres de pouvoir, monastères, marchands et intellectuels ont favorisé une dynamique de transformation mutuelle des sociétés. L’impact du bouddhisme dans cette région s'est révélé non seulement dans la propagation de ses enseignements, mais aussi dans l’évolution des architectures, des arts, et des pratiques religieuses, liées aux réseaux commerciaux et intellectuels de l'Asie.

Les grands monastères, tels que le Somapura Mahavihara à Paharpur, sont des témoins essentiels de cette circulation. Ils ne sont pas seulement des lieux de culte, mais aussi des centres où les savoirs bouddhistes se sont diffusés et se sont transformés en fonction des cultures locales. L'archéologie de ces sites révèle une pluralité d'influences, tant dans les sculptures et les inscriptions que dans les objets rituels et les documents. L’histoire de l’Asie du Sud-Est et de l’Asie centrale est marquée par cette interaction constante entre les cultures bouddhistes et non-bouddhistes, avec des apports mutuels dans les domaines spirituels et matériels. Ces échanges sont essentiels pour comprendre comment le bouddhisme a su s'adapter aux divers contextes géographiques et sociaux dans lesquels il a pris racine.

Il faut souligner que cette dynamique ne s’est pas limitée à l’Asie du Sud-Est ou à l’Inde, mais a également touché des régions aussi diverses que le Tibet, le Sri Lanka et même l’Asie centrale. Par exemple, les inscriptions dans les grottes de Nasik, ou les temples de la vallée de l’Indus, nous montrent que l'artisanat bouddhiste, les pratiques rituelles et les échanges philosophiques se sont étendus au-delà des frontières initiales de l'Inde. De plus, les dynamiques économiques, telles que les routes commerciales reliant l'Inde à l'Asie centrale et à la Chine, ont facilité non seulement le transport de biens matériels, mais aussi des savoirs et des textes bouddhistes fondamentaux. Les routes maritimes, souvent mal connues dans le contexte historique, ont également joué un rôle clé dans l'échange de concepts spirituels, dont la diffusion des sutras et des enseignements de diverses écoles bouddhistes.

L’analyse des inscriptions, des sculptures et des artefacts découverts lors des fouilles archéologiques dans ces régions révèle des pratiques rituelles variées et une multitude de croyances bouddhistes coexistant et s’influençant mutuellement. Les sources littéraires et épigraphiques montrent l’importance des rois et des élites dans la propagation du bouddhisme, mais aussi l’influence considérable de la société locale, notamment dans les pratiques agricoles et les cultes populaires.

Il est également crucial de noter que les pratiques bouddhistes ont parfois été intégrées aux croyances locales, donnant naissance à des formes hybrides de spiritualité, comme en témoignent les sculptures de Nāga et les influences vaishnavites. Ces interactions entre bouddhisme et autres religions locales, notamment dans les régions de l’Inde centrale, sont essentielles pour comprendre la pluralité des expressions religieuses dans cette période. En outre, l’analyse des anciennes méthodes d’irrigation et de construction, comme celles observées à Sanchi et dans d’autres régions du sous-continent indien, montre comment les connaissances techniques ont accompagné la diffusion de la pensée bouddhiste, contribuant ainsi à l’essor de sociétés agricoles sophistiquées où les pratiques religieuses et matérielles étaient étroitement liées.

L’archéologie du début de l’Asie médiévale, en particulier dans le bassin de l’Indus et la vallée du Gange, révèle un autre aspect fondamental : les dynamiques des sociétés agricoles et leur relation avec les structures de pouvoir, les croyances et les réseaux commerciaux. Les fouilles récentes, comme celles effectuées à Sanauli et Mandi, ont permis de redéfinir les connaissances sur les interactions entre les différentes civilisations anciennes, à travers les artefacts retrouvés, des bijoux à des vestiges de systèmes d’irrigation. Les découvertes concernant les pratiques funéraires et les structures sociales témoignent des transitions qui se sont opérées au fur et à mesure que les sociétés s’adaptaient aux nouvelles influences culturelles et philosophiques.

Il est essentiel de comprendre que ces échanges ne se sont pas seulement faits dans un sens unilatéral, mais ont impliqué une véritable appropriation des idées bouddhistes par les différentes sociétés asiatiques. Les idées et les pratiques bouddhistes ont été transformées pour s’adapter aux contextes locaux, tout en préservant certains éléments centraux de la doctrine. De plus, la transmission du savoir n’a pas toujours été homogène ni linéaire. Les différents courants du bouddhisme, qu'il s'agisse du Theravāda, du Mahāyāna ou du Vajrayāna, ont connu des trajectoires divergentes, influencées par des facteurs politiques, sociaux et économiques locaux. Cette diversité, loin d’être un obstacle à la compréhension du bouddhisme, en est au contraire un enrichissement, montrant l’agilité de cette tradition face aux défis des multiples cultures qu’elle a rencontrées.

Enfin, pour saisir pleinement la portée de ces échanges, il est nécessaire de comprendre que les dynamiques entre cultures matérielles et intellectuelles ont façonné des sociétés entières, influençant non seulement la structure des États, mais aussi les pratiques religieuses et les relations entre les individus au sein de ces sociétés. Les rapports entre les inscriptions, les pratiques architecturales, et les objets de culte montrent que chaque objet, chaque texte, chaque image porte en lui un héritage d’échanges culturels qui dépasse les frontières géographiques et temporelles.