La modélisation numérique des écoulements multiphasiques est un domaine complexe qui implique des interactions multiples entre des fluides de différentes propriétés. Ce type de simulation est essentiel pour comprendre des phénomènes tels que la déformation des gouttelettes supercoolées et les instabilités de Rayleigh-Taylor, particulièrement dans des configurations où les ratios de densité entre les phases liquide et gazeuse sont élevés, entraînant des oscillations numériques significatives à l'interface liquide-gaz. Pour gérer cette complexité, différentes techniques de discrétisation et de résolution sont employées.

L’approche numérique repose sur un schéma implicite, comme la méthode de Crank-Nicolson, pour résoudre les vitesses intermédiaires. Ce schéma est couplé avec une interpolation en amont de troisième ordre (CUI), ce qui permet de calculer les dérivées advectives avec précision. Ce dernier s’appuie sur une approche d’interpolation cubique sur les faces des cellules de contrôle décalées, en appliquant des formules spécifiques pour la variable advectée. L’utilisation de cette méthode permet de limiter les erreurs numériques dues aux gradients de vitesses et à l'advection des variables, garantissant ainsi la stabilité de la simulation.

L'équation de Poisson pour la pression, issue de la continuité, est résolue par la méthode du gradient conjugué. Cette méthode permet de trouver la pression dans le domaine, en prenant en compte les conditions aux limites imposées, comme celles des bords symétriques ou des conditions sans glissement. Une fois la pression obtenue, le champ de vitesses est mis à jour, intégrant la correction nécessaire pour maintenir la conservation de la masse.

Les simulations de déformation de gouttelettes supercoolées ou d'impact de gouttelettes sur des films liquides fins sont particulièrement sensibles aux paramètres numériques, en particulier dans les cas où des rapports de viscosité et de densité importants entre les phases peuvent entraîner des singularités à l'interface. Ces phénomènes sont étudiés pour valider l’exactitude du modèle numérique proposé. La méthode de discrétisation conservatrice employée par Nangia et al. (2019) et l’utilisation d’un intégrateur temporel de Runge-Kutta stable de forte précision (SSP-RK3) garantissent une robustesse face à ces instabilités.

Pour illustrer cette méthode, le problème classique de l’instabilité de Rayleigh-Taylor a été simulé, où un fluide plus lourd est placé au-dessus d’un fluide plus léger. Cette configuration, sous l'effet de la gravité, génère des perturbations qui entraînent des structures de vortex complexes. Les résultats obtenus montrent une excellente correspondance avec les données expérimentales disponibles. De manière similaire, la simulation de l'impact d'une gouttelette d'eau sur un film liquide a permis d'étudier les phénomènes de formation de jets liquides et de "splashing". À faible nombre de Reynolds, la gouttelette fusionne avec le film sans éclaboussure, tandis qu’à nombre de Reynolds élevé, un phénomène de couronne se forme, modifiant la dynamique de l'interface.

Ces simulations sont rendues possibles par la discrétisation de la densité et l'adaptation dynamique des pas de temps, qui sont régis par des conditions de stabilité liées à la convection, la viscosité et la tension de surface. L'intégration de ces facteurs dans les équations numériques permet de traiter des systèmes multiphasiques complexes en maintenant la stabilité et la précision des résultats.

Il est important de souligner que, au-delà des équations et des schémas numériques présentés, la qualité des simulations dépend également de la prise en compte de certaines propriétés physiques critiques telles que la viscosité et la tension de surface, qui influencent fortement la dynamique de l'interface liquide-gaz. Une attention particulière doit être portée à l’adaptation du pas de temps en fonction de ces paramètres pour éviter les oscillations numériques.

L’application de ces méthodes dans des cas réels, comme l’impact de gouttelettes dans des processus industriels ou l’étude des instabilités gravitationnelles dans les écoulements multiphasiques, ouvre des perspectives nouvelles pour la conception de systèmes plus efficaces dans des domaines variés allant de l’aérospatiale à l’impression 3D. L'amélioration de la précision des modèles numériques permet de réduire les erreurs de simulation, offrant ainsi un outil puissant pour prédire et contrôler des phénomènes physiques complexes à des échelles variées.

Comment modéliser l'écoulement dans les systèmes de protection contre le gel électrothermique : une approche intégrale

Les équations d'Euler en régime permanent qui régissent l'écoulement au bord du fluide donnent les relations suivantes :

pexe=ρuxe\frac{\partial p_e}{\partial x_e} = \rho \frac{\partial u}{\partial x_e}

L'intégration de ces équations, en prenant en compte les compositions décrites par les équations (105), (106) et (117), permet d'obtenir une description complète du système dynamique à l'interface entre l'écoulement et la surface. Ce système est formé par plusieurs termes qui sont étroitement liés aux différentes caractéristiques de l'écoulement et à la structure de la couche limite. L'intégration de ces équations en direction yy mène à une forme générale du système de l'équation (120) :

Ut+F(x,U)x=S(x,U)\frac{\partial U}{\partial t} + \frac{\partial F(x, U)}{\partial x} = S(x, U)

Où les termes δ1,δ2,δ3,δ1T,δ2T\delta_1, \delta_2, \delta_3, \delta_1^T, \delta_2^T représentent respectivement les épaisseurs de déplacement, de moment, d'énergie cinétique et les équivalents thermiques de ces épaisseurs dans la couche limite thermique. Ces grandeurs quantifient le déficit de masse, de momentum et d'énergie cinétique dans la couche limite, et sont essentielles pour la compréhension du comportement de l'écoulement au voisinage de la surface.

Dans cette approche, les relations de fermeture sont déterminées par l'intégration des équations de la couche limite, en fonction de certains paramètres physiques tels que le profil de vitesse et les coefficients de friction CfC_f et de dissipation CDC_D. Ces coefficients sont liés à des grandeurs physiques comme la friction à la paroi et le flux thermique à la paroi, qui sont également importants dans la modélisation de la protection électrothermique contre le gel.

Une attention particulière est accordée à la modélisation du profil de vitesse. Dans le cas laminaire, Bayeux (2019) a utilisé un profil de vitesse semblable à celui de Mangler (1944) qui tient compte de la pression locale et de la dynamique de la couche limite. Ce profil, qui est basé sur le facteur de forme HH et qui inclut une dépendance aux épaisseurs de la couche limite, permet de respecter à la fois la condition de non-glissement et les solutions théoriques de la friction de peau dans la couche limite.

Le problème de transition laminaire-turbulent est également pris en compte. Le modèle de transition de Drela (1998) peut être utilisé pour les murs lisses, tandis que pour les murs rugueux, le critère de Braslow (1966) déclenche la transition lorsque le nombre de Reynolds dépasse 600. Ce modèle est particulièrement important dans les situations où l'écoulement peut passer d'un régime laminaire à un régime turbulent en raison des variations locales du profil de vitesse ou des conditions aux frontières.

Dans le régime turbulent, la situation est plus complexe. Il devient difficile de définir un profil de vitesse qui soit à la fois précis sur toute l'épaisseur de la couche limite et qui permette de calculer facilement les intégrales nécessaires. Ainsi, un profil simplifié est adopté, permettant d'évaluer les coefficients de friction et de dissipation à partir de relations empiriques existantes dans la littérature, comme celles de White (1974) et Drela (1985). Ces relations sont utilisées pour modéliser l'écoulement au-delà de la zone de transition.

L'un des défis majeurs réside dans la singularité de Goldstein, qui empêche la résolution directe de la couche limite lorsque la séparation de la couche limite se produit. Des méthodes de couplage ont été proposées pour résoudre ce problème, permettant de maintenir la stabilité des équations sans compromettre la précision des calculs. L'approche présentée par Bayeux permet de modifier légèrement le système d'équations afin d'éviter cette singularité, ce qui permet d'utiliser un couplage direct rapide entre les simulations de l'écoulement inviscide et la couche limite.

Pour ce qui est de la couche limite thermique, la relation de fermeture est basée sur un profil de température supposé, en prenant en compte une paroi à température imposée TwT_w. Bien que cette approche soit encore limitée au régime laminaire et à une condition de paroi simple, elle présente un grand intérêt pour la modélisation des systèmes de protection contre le gel électrothermique. En effet, la température à la paroi, le flux thermique et la vitesse de l'écoulement influencent directement la formation de glace sur la surface.

L'intégration de ces relations dans un modèle global permet de simuler de manière précise le comportement thermique et dynamique d'un fluide au voisinage de surfaces soumises à des conditions de protection contre le gel. En utilisant ces équations dans un solveur comme BLIM2D, il devient possible de modéliser les écoulements dans des conditions variées, allant des régimes laminaires aux régimes turbulents, tout en prenant en compte les effets thermiques.

Il est également essentiel de bien comprendre que les profils de vitesse et de température dans la couche limite ne sont pas indépendants, mais doivent être considérés conjointement pour une modélisation cohérente de l'écoulement. De plus, bien que la modélisation du régime turbulent soit plus complexe, elle est nécessaire pour décrire correctement les phénomènes observés dans les systèmes réels, où la transition entre les régimes laminaire et turbulent est fréquente.

L'impact des actionneurs à jets synthétiques dans les systèmes de protection contre le givrage

L'utilisation du logiciel FENSAP-ICE pour simuler les systèmes de protection contre le givrage basés sur les actionneurs à jets synthétiques (SJA) révèle des résultats intéressants, surtout lorsqu’on les compare à un cas de base où ni chauffage ni actionnement ne sont appliqués. En l'absence de chaleur, l'activation des jets a montré un impact notable sur le diamètre moyen volumétrique des gouttelettes (MVD), même sans apport thermique supplémentaire. Ce phénomène semble être dû à l'effet des jets activés qui détournent le flux en amont de la surface de la cale, réduisant ainsi l'impact et l'accumulation des gouttelettes sur la surface, ce qui inhibe partiellement le processus de formation de glace. Ce phénomène est moins prononcé pour les gouttelettes de plus grande taille, où l'impact de l’actionnement est diminué.

Lorsque l’on ajoute de la chaleur aux jets synthétiques activés, l'effet devient encore plus significatif. Le transfert de chaleur convectif induit par les jets peut presque éliminer toute formation de glace sur la surface de la cale. Cette capacité des jets thermiquement activés à prévenir l'accumulation de glace est d'une importance capitale pour le développement de systèmes de protection contre le givrage sur les aéronefs, en particulier dans des conditions de vol difficiles, où l'accumulation de glace peut affecter la performance et la sécurité des avions.

Une étude paramétrique a exploré les effets de la distribution des gouttelettes, de la température de la chambre de l’actionneur SJA, du MVD des gouttelettes et de la température du flux libre. Dans tous les cas étudiés, les jets synthétiques chauffés ont réussi à empêcher toute accumulation significative de glace. Cela démontre non seulement l'efficacité de cette approche pour la prévention du givrage, mais aussi son potentiel dans des applications réelles de contrôle du givrage.

La flexibilité et l'efficacité des systèmes à jets synthétiques, notamment en termes de préservation de la performance aérodynamique des surfaces exposées au givrage, ouvrent la voie à une optimisation plus poussée de la distribution des actionneurs SJA pour des applications anti-givrage pratiques. De plus, ces systèmes offrent une alternative plus efficace et potentiellement moins énergivore par rapport aux méthodes traditionnelles de protection contre le givrage, telles que les systèmes de dégivrage électro-mécaniques ou les dispositifs à air chaud.

Pour mieux comprendre le potentiel de ces technologies, il est essentiel de prendre en compte non seulement les performances immédiates de prévention du givrage, mais aussi les implications de leur déploiement à grande échelle sur les coûts d'entretien et la consommation énergétique des aéronefs. L'optimisation de la distribution des jets et la gestion thermique des surfaces exposées devront être des éléments clés dans le développement futur de ces systèmes. Par ailleurs, il est nécessaire d'explorer plus en détail la dynamique des jets synthétiques dans différents régimes de vol et les conditions environnementales variées, afin de garantir que ces technologies puissent fonctionner de manière fiable dans des scénarios complexes.

Comment valider les simulations de givrage en CFD : Un défi de modélisation et de calibration

Dans le domaine complexe de la simulation de givrage en vol, la question de la validation des codes CFD (Computational Fluid Dynamics) reste un enjeu majeur. L’adoption de ces technologies par des fabricants d’équipement d’origine (OEM) n’est pas toujours un gage de progrès, surtout lorsqu’ils continuent d’utiliser des méthodes de simulation obsolètes, même après des décennies de recherche. En 2021, lors de la 1ère AIAA Ice Prediction Workshop, un OEM a montré des résultats de givrage basés sur des panneaux 2-D, une approche que son département d’aérodynamique avait pourtant abandonnée depuis longtemps (Tinoco et al., 2018). Un argument courant, entendu dans une déposition d’un avocat de défense après un accident dû au givrage, résume bien cette inertie : « Me dites-vous que la technologie utilisée par notre client depuis 30 ans est incorrecte ? ». Cette question, bien qu’évidente dans son ironie, met en lumière une vérité importante : la réticence à adopter des technologies plus récentes est souvent motivée par une forme de sécurité perçue dans des méthodes éprouvées.

Un code de simulation de givrage ne peut-il être validé simplement parce qu’il est d’accord avec les expérimentations ? À première vue, la question pourrait paraître triviale : pour qu’un code soit accepté, il doit en effet s’accorder avec les mesures expérimentales. Cependant, cette acceptation soulève une interrogation plus profonde sur la manière dont cette concordance est obtenue. Le problème réside dans le fait que de nombreux codes CFD sont calibrés plutôt que validés. Les codes calibrés, bien qu’ils puissent donner des résultats qui correspondent à ceux des expériences, sont basés sur des simplifications qui limitent leur portée.

En raison de la complexité des phénomènes physiques liés au givrage, de nombreuses simplifications sont introduites dans les simulations afin de rendre la modélisation gérable. Parmi les paramètres cruciaux pour la croissance et la forme finale de la glace, on retrouve la contrainte de cisaillement et le transfert thermique aux surfaces solides et à travers la couche de glace. Si l’on suppose que la technologie CFD-Aéro actuelle fournit des valeurs précises pour ces deux paramètres grâce à la solution des équations de Navier-Stokes moyennées selon Reynolds (RANS), les simplifications suivantes peuvent être appliquées pour simplifier le calcul : négliger la compressibilité (écoulement incompressible), négliger la turbulence (écoulement laminaire), négliger la viscosité (écoulement sans viscosité), et négliger la rotation (écoulement potentiel). Une fois ces simplifications appliquées, on finit par obtenir des résultats avec des méthodes de panneaux, qui ne sont en réalité plus des codes CFD, car ces derniers ne peuvent plus gérer les singularités de manière fiable.

Un code calibré fonctionne de la manière suivante : de nombreuses expérimentations sont menées pour générer des données empiriques qui permettront de rapprocher les résultats du code des résultats expérimentaux. Cependant, un code calibré est limité aux classes d’objets pour lesquelles il a été ajusté. Par exemple, pour qu'un code calibré pour un profil aérodynamique donné soit utilisé sur un autre objet, comme une hélice, un nacelle, ou une pale de turbomachine, il nécessitera un nouvel ajustement. Ainsi, le code ne peut pas être considéré comme prédictif, ce qui impose une nouvelle série de tests expérimentaux chaque fois qu’un nouveau géométrie est introduite. Cela soulève la question de l’utilité des simulations : si l’on doit effectuer des expérimentations pour ajuster les simulations, ne sommes-nous pas dans une logique circulaire, une sorte de chien qui court après sa propre queue ?

Une analogie simple peut illustrer cette différence entre un code calibré et un code validé : un vélo attaché à une camionnette. Le vélo (le code calibré) ne peut atteindre que la vitesse de la camionnette à laquelle il est attaché. Dès qu'il est détaché de la camionnette (c'est-à-dire sans les données d'expérience associées), il ne peut plus produire des résultats fiables. De la même manière, un utilisateur d’un code calibré ne peut prétendre avoir effectué une simulation prédictive de givrage, car le code n’est pas capable de donner des résultats en dehors des configurations pour lesquelles il a été explicitement calibré. Ainsi, un code calibré n’est pas un outil de prédiction fiable, mais un outil qui ne fait que reproduire ce qui a déjà été observé.

Pour que la simulation de givrage en CFD soit réellement utile, elle doit suivre un processus rigoureux qui dépasse la simple calibration. Ce processus inclut trois étapes principales : le calcul de l’écoulement aérodynamique (composant CFD-Aéro), le calcul de l’impingement de l’eau et, enfin, le calcul de l’accrétion de la glace. Ces trois étapes doivent être répétées si des simulations de type « multi-shot » ou des pénalités de performance sont nécessaires. Bien que l’utilisation de la même technologie pour le CFD-Aéro et le CFD-Icing soit préférable, les principes exposés ici s’appliquent de manière plus générale à tous les outils utilisés pour la simulation du givrage.

Un autre aspect important dans le développement de codes de givrage CFD est le contrôle des versions. Le contrôle de version permet de suivre les modifications apportées au code, qu’il s’agisse de nouvelles fonctionnalités, de corrections de bogues ou de nouveaux tests. Un bon système de contrôle des versions garantit que chaque nouvelle modification peut être tracée, et que les versions successives peuvent reproduire les résultats des versions précédentes. En cas de modification d’une partie du code, il est essentiel de vérifier que ces modifications n’ont pas altéré d’autres parties qui devaient rester inchangées. Cela inclut l’intégration de tests de régression à chaque nouvelle version, pour garantir que les résultats obtenus restent dans des tolérances très strictes par rapport aux versions précédentes.

Il est également important que le processus de contrôle des versions soit effectué selon des procédures rigoureuses : un développeur doit travailler sur une copie de la version stable la plus récente du code, et les nouvelles versions doivent être soumises à un examen rigoureux avant d’être validées. Pourtant, contrairement aux codes CFD-Aéro, peu de codes CFD-Icing suivent actuellement ces processus de contrôle de version aussi stricts, ce qui peut entraîner des incohérences et des erreurs dans les résultats.